À l’heure d’une postludant à none environ, Achitophel Reverson
enfonça en sa bouche le canon d’un pistolet jusques à presque sentir
en son extrémité les anxieuses trémulations de sa glotte frôlée par
le métal froid, tandis qu’en face de lui, allongé sur les genoux de
sa mère, le Christ mort en Croix posait sur sa tête rase deux beaux
yeux marmoréens pour trois jours clos sur les ténèbres d’En-Bas.
Comme toi, cher prophète, songea alors cet incroyant infusé d’un
faisandé nectar de paganisme, je vais me sacrifier ! L’historien
possédait son latin et d’aise tremblait à l’ouïe de ce terme dont il
savourait les antiques racines : sacer facere, rendre sacré. Il
sentait sourdre, comme une nappe d’eau souterraine, la tacite
puissance de tel vocable, qu’à plaisir il laissait fondre en gosier
et dont il avait la très physique impression de ressentir la
transhistorique vitalité jusques en ses fibres les plus infimes,
gorgées d’une sève nouvelle que sa particulière démence lui donnait
l’impression de puiser aux directes sources des païennes origines
qu’au fil des années il s’était progressivement phantasmées. De ses
simulés ancêtres gaulois, il avait « l’idolâtrie et l’amour du
sacrilège », comme le chantait Rimbaud, et sans doute aussi la «
cervelle étroite » quoiqu’en vérité plus oblique qu’étriquée à
proprement parler : son tonnage la rendait propice à l’accumulation
d’un décourageant fatras de dates et de faits archivés sans autre
organisation que l’architectonique principe d’idéologie sanguine qui
présidait à toutes ses opérations psychiques, jusqu’aux moindres,
quotidiennes, insignifiantes.
Ridiculement, car le canon toujours en bouche de son arme à coup
unique, il sourit au Seigneur qu’il ne confessait pas ; au seuil du
néant par lui supposé, il sentait poindre en un recoin de sa servile
cervelle une certaine sympathie pour cet individu, sculpturellement
suspendu en face de lui, dont le sang avait irrigué de surnaturelle
vitalité, pendant plus de deux mille ans, l’entière existence de
plusieurs dizaines de milliards d’êtres humains saisis en
singularité, chacun, d’un bout à l’autre de leur intégrale personne.
Le résultat certes l’enivrait mais point ne lui faisait oublier ses
récriminations à l’encontre de la Religion Catholique, universelle
donc, – et là ce qui le chiffonnait. Ses circonvolutions mécanisées
de besogneux historien depuis mainte année à présent ne se
laissaient plus enfumer par les âcres empyreumes d’une aveugle
dévotion pour ce factuel succès dont il s’enjouissait, engeance aux
gencives pleines d’une bouffante satisfaction égotique, d’avoir jà
rendus les causes objectives de tel exploit limpides. Jalon, que le
christianisme, seulement ; titanesque véhicule de transmission du
souffle gréco-latin dont il se faisait, au travers de ses
théologiques tortillades de l’âme, l’incontournable messager ; rien
moins qu’essentiel, bien sûr, sauf à être perçu exclusivement
transitif et, par-là même fédérateur. L’esprit d’Achitophel Reverson
aspirait à de plus originelles spirations, spiralées à l’entrelacs
du monde gréco-romain et Gaulois, symbole évident à ses yeux d’une
admirable compénétration de l’éminente Raison, qu’elle soit de pure
pensée ou de virulente action, et la primordiale sensibilité,
sauvage à bien des égards, du monde naturel en son immédiate
immanence donnée aux hommes comme l’espace d’un séjour qu’il leur
incombe d’habiter en étroite complicité de respect et de sage
domination.
Source immémoriale de notre Dasein européen, inépuisable
résurgence d’identitaire sagesse : Homère ! Homère ! Ô Mère !
Insondable matrice d’une civilisation aujourd’hui en profonde
somnolence de ses internes vibrations qui pourtant lui devraient
donner sa note fondamentale, sa basse continue sur laquelle, seule,
se peuvent broder les infinies vocalises des temporelles évolutions
! Quelle opportunité pour sa claudiquante idéologie de se pouvoir
ainsi reposer les moignons sur le dos de ce puissant attelage dont
la vigueur infernale n’avait d’égal que la cuistrerie des lectures
qu’il en faisait ! Une épouse enlevée, une guerre provoquée, le
soulèvement d’un peuple entier et de ses héros, la lutte à mort d’un
grand nombre d’entre eux, la force, le sang, le sable, l’héroïsme
d’âmes soumises à la Fatalité plus grande même que les dieux, ces
dieux capricieux, colériques, qui alors n’avaient rien à voir encore
ni avec la Justice, ni avec la Vérité ; puis, en second volet, le
retour du guerrier en son foyer, là où, patiente comme la domestique
statue de la Sainte Communauté, sa femme lui reste fidèle, tissant à
défaut d’un texte la mémoire d’une trame où sans doute le beau
visage d’Ulysse est dessiné : itinéraire initiatique lu par
Achitophel comme une salvatrice régression à l’âtre bienveillant de
toute saine existence, le nombril sacré où se noue l’âme et la vie
d’un homme de bien, nobles et accomplis, kalos agatos. Que
d’alambics sublimes en quoi faire bouillir et bouillonner sa
singulière démence ! Que de maximes à moissonner avant que de les
jeter, toutes racornies d’avoir été ainsi déracinées sans
ménagement, dans le chaudron glougloutant de ses propres égarements
! « Etre toujours le meilleur, l’emporter sur tous les autres »,
recommande par exemple Pélée à son fils, le grand Achille. Ou encore
: « Il n’est qu’un bon présage, c’est de combattre pour sa patrie ».
Chère Illiade, exultait, au seuil de l’ombre, l’hypogastrique
gâteux ! Chère Illiade, chère et belle Bible des Européens,
tellement plus pure à notre race que l’autre, celle qu’en partage
avec les sémites nous avons recueillie à l’aurore de nos temps
occidentaux, chère Illiade aux lettres d’or et de sang, tombée des
mains divines d’un poète dont l’individualité historique s’est
diluée à nos modernes osculations dans la prodigieuse fécondité
d’une œuvre éternelle comme le cosmos héraclitéen, chère Illiade aux
beaux contours, chère Illiade aux infinies coruscances, tu m’es
bréviaire de l’antique sagesse boréenne, celle qui, en cet instant
même, lors qu’entre mes lèvres je tiens ferme le pistolet discret de
ma destinée, m’abreuve d’hédoniste vitalité et, aux marges de la
mort, me donne encore la force existentielle de songer avec une
sainte émotion aux surabondances de vigueur, de puissance vitale,
qui s’incarnent dans la force rayonnante, indomptable, celle du
fougueux pur-sang que se révèle être l’incoercible Achille, mais
également dans le patriotisme charnel, physique, fait d’évidence
sauvage et de sanguine fidélité, du sublime Hector, l’homme de la
digne défaite, père exemplaire et mari d’une profonde tendresse qui,
pour la liberté des siens, avant tout, se battra jusqu’aux Enfers.
Fontaine d’ontologique jouvence ! Point en ces capiteuses
contrées du naturel nectar des arts premiers, point de transcendante
intrusion morale, point de Bien point de Mal qui ne soit, en ultime
instance, celui de nos chairs vivantes, vibrantes, enivrantes ; rien
de moins, certes, qu’une pure anarchie, mais au contraire l’élan
toujours renouvelé de valeurs vives et vivaces, inchoatives
d’essence, seules capables de gonfler les voilures de l’âme ainsi
que celles de vaisseaux spartiates en partance pour Troie. « Non,
lance Priam à Hélène, ma fille, tu n’es coupable de rien. Ce sont
les dieux qui sont coupables de tout ! » Quelle presciente
libération Homère ne se fait-il pas ici le chantre ! Foin, en ce
lieu, d’abusives responsabilités cosmiques, des péchés individuels
et collectifs : temps antérieurs à l’omnicastrante culpabilité qui
jusques aujourd’hui se trouve gouvernante de notre continent
amnésique de ses primes merveilles. Comment dire mon adéquation aux
vérités homériques qui me chantent de consonance aux oreilles tant
qu’il me semble entendre la mélodie de mon propre être, singulier,
ondulant musical en parfaite symbiose avec les cantilènes musculeux
de ce primordial poème ? Déploiement mystique de la nature faite
exclusif séjour de l’Homme ; pureté inégalité des appétences à
l’excellence où nous appelle la beauté du monde et de notre cœur ;
splendeur du respect des axes de masculinité et de féminité qui sont
les pivots de toute structure sociale et, sans doute plus
profondément, métaphysique ; tout cela, au sens littéral, m’enchante
et m’exalte.
Pauvre Christ, ajouta-t-il en jaugeant derrière ses épaisses
lunettes le Corps du Seigneur, qui fit apparition en un monde de si
éclatante grandeur, fier des guenilles de paralysante compassion qui
furent tiennes et dont l’Église est, aujourd’hui encore, revêtue
malgré le flamboyant apparat qu’elle emprunta, savante de ses
propres doctrinales faiblesses, aux fastueuses civilisations
greco-latines. Pauvre Christ qui n’eut d’autre idée de la grandeur
que morbide, sordide, algide… Tu as retiré aux Hommes la confiance
que, jusqu’alors, ils avaient en eux ; tu l’as confisquée au profil
d’une divinité de Vérité et de Justice qui, comme un hypocrite
vampire, a sucé la sève de leur ardeur originelle jusqu’à les
laisser exsangues de toute existentielle verdeur sur les froids
pavés de tes cathédrales où, aux beaux siècles de ton règne
terrestre, grouillait l’humanité comme vers et insectes sous une
roche couvrant le soleil.
N’imagine pas, Fils d’un Dieu auquel ma boîte crânienne
imploserait de croire, qu’à quelques secondes de ma mort, je suis en
face de toi par chrétienne dévotion pour ta chétivité sanguinolente,
ton obscène souffrance, ta radicale absence à toute gloire d’action
mondaine ; du sang de tes martyrs, tous crevés dans la souillure de
leur scandaleuse humidité, je ne voudrais pas même pour me
désaltérer : il pue la moisissure, comme un liquide qui trop
longtemps aurait, en un vieux flacon fermé, fermenté en sa propre
inféconde solitude, incapable d’exhaler quelque puissante fragrance
que ce soit, au contraire du sang astral de mes héros, ce sang qui
fut aussi semence car versé à la gloire d’une Idée lumineuse de
l’Homme, faite d’existences absolues, d’inexorable fierté et de
galvanisante fidélité, assumée non point dans la puante croupissure
d’une vie de rétention mais au contraire dans l’exubérant
épanouissement d’une survitalité dont le suc pouvait alors être
puisé aux sources mêmes de la Vie où se boit d’un cœur noble la
puissance d’exister.
Non, petit juif habile, je ne suis pas là pour Toi, pas même pour
Ta mère à qui je préfère de loin, en matière de modèle féminin, ma
chère Pénélope ; à mes yeux, ceux, acérés, de l’historien, je suis
en ce fatidique instant sur l’emplacement d’un temple gallo-romain
dédié à Jupiter. Entends-tu, Christ dolent ? Je m’apprête à offrir
ma vie en sacrifice sur le lieu d’un culte antique rendu à la plus
haute instance de la religion civique romaine, édifié en terres
gauloises conquises, par ceux dont en mes veines coule le sang
tandis qu’en mon esprit soufflent les vents héllénistiques. C’est à
Zeus intériorisé Gaulois, en quelque sorte, que je fais offrande de
mon existence, à Zeus Téléïos, Zeus Ktêsios, Zeus Herkéios, Zeus
Polioûkos, et Zeus Sunaïmos, enfin, dieu de la race et du droit
du sang hui bafoué même par ton Église, oui, celle-là même qui
pleurniche ritournelle quant à l’accueil de l’étranger et des plus
pauvres et tente même, en la personne par ailleurs respectable du
précédent Pape Benoit XVI d’opérer rapprochement avec l’Islam,
horizon de notre péril identitaire envers quoi son rôle l’obligeait
à de certaines coupables complaisantes nourries par des espérances
de prochaines fraternisations qu’il m’est devoir de dire pour le
moins absurdes.
Ainsi soliloquait en son intérieur naphtalineux Achitophel
Reverson, héraut momifié d’une part scrofulée de la françoise
populace qui opposait au traumatisant reflux du réel la crustacée
crispation seule envisageable pour de si étroites hures, impropres
d’évidence à toute véritable pensée au même degré que leurs exécrés
ennemis politiques, ces « endormis », comme il se plaisait à les
nommer sans prendre conscience pour autant de n’être capable
d’opposer à ce sommeil rien d’autre que sa propre psychose : rêve
éveillé, certes, mais rêve néanmoins. Rêves endormis contre rêves
éveillés, – tous deux phacocyteurs pantagruéliques de réalité –,
tel se présentait aux temps choisis pour son suicide, l’échiquier
politique sur lequel, quoiqu’en son vieil âge éloigné de tout
primaire militantisme, l’historiopathe des armes et de la chasse
continuait en sénile soliste à faire trémuler sa glotte desséchée.
Gyropracte d’aucuns concepts nationauséeux contreplaqués d’une
longue, antérieure, expérience militaire au détour d’une Algérie
abhorrée autonome ainsi que de maintes décoctions mentales d’hispide
historien de l’héroïsme hystérique qui, plus de quatorze années
durant, furent en ses relapses synapses quotidiennes et méphitiques
vapeurs, Achitophel Reverson portait l’étampe de l’intellectuelle
obscénité à même les rides de son haut crâne, oviforme jusques aux
tristes plissures par le temps infligées à ses flaccides pommettes,
absent à toute profusion capillaire comme son cœur l’était à
l’effluence de sainte charité dont exsudait le surnaturel regard de
Celui de qui le Corps descendu de Croix gisait à quelques mètres de
lui, au cœur de l’autel.
Sputateur de salissante militantise politicole en ses primes
années d’égarement, baveur par la suite de stercoraires tissures
textuelles où, en sa neuve vêture d’historiographe des marcescences
occidentales, il se faisait graphomane distingué des protubérants
enthousiasmes de sa jeunesse passés au filtre plumassier d’une
sénescence qu’il désira de lettres adornée. Incomparable sachant,
quoiqu’ord de corps sous d’élégants dehors qu’ores il arborait, des
turpitudes détaillées d’une signifiante meute de malfaisants
notoires coagulés dans les plus stratosphériques espaces d’un
continent politique de funeste mémoire, malgré qu’il fût dit dextre
par opposition aux sinistres qui, jourd’hui, portent certes fort
bien leur spatiale étymologie ; assidu au frénétique panégyrique des
incertains ancêtres Gaulois de la matrice desquels ce triste sire
exultait en son intérieure monomanie généalogique se croire tout
droit sorti, ce honteux géronte aspirait à la continentale
consanguinité comme d’autres rêvent à l’advenue de la Cité céleste.
Empuanti d’une tellurique glossolalie de vague ascendance
philosophique, Architophel Reverson s’emplaisait à répandre
alentours, par feuillets d’articles ou d’entiers ouvrages, les
miasmes hypogastriques qu’il travestissait analytiques et
conceptuels en esquissant de sa plume cacochyme quelques volutes
stylistiques par ailleurs d’un classicisme aussi aride que son
regard de posthume faucon mais néanmoins propre à esbaudire le
baudet de courante bauge, celui-là même qui bientôt pleurerait avec
mainte larme de sincère diptère la disparition d’un grand historien.
Comme un pesteux, sa psychique infection s’était avérée contagieuse
et, quoique des prédispositions d’antériorité familiale souventefois
se révélaient nécessaires, force crapule adolescente trépignait
depuis quelques années à l’idée de pouvoir de ses gluantes gloses s’empommader
l’ithyphalle. La France ensouchée gauloise et de fraiche génération
aimait à humer les saveurs torchederchiques rémanant des nombreuses
pages noircies par ce graphomane du paganisme à déambulateur
schizoïde capable de se faire prime en concurrence avec l’héritage
judéo-chrétien que, certes, Architophel point ne rejetait mais à
tout le moins jaugeait, superbe en sa chaire de laïcarde démesure,
avec une profonde circonspection, ainsi qu’un élément dont, aux
entrebâillements rares de sa close sottise, il pressentait
l’intellectuelle surpuissance et craignait donc de s’en trop
approcher, agité d’une bien compréhensible appréhension à l’idée de
voir se décomposer la risible machinerie d’archaïque rhétorique lui
permettant de continuer à faire croire aux plus myopes de
l’encéphale que lui avait été par nature octroyé la faculté de
voler, lors même que, tel l’édénique reptile, c’était sur les torves
anneaux de sa rance démence qu’il rampait entre les phrases
sablonneuses de ses opera obscuræ.
La dernière en date d’icelles n’était pas de papier, d’ailleurs,
mais virtuelle torchure seulement, déposée sur sa frigide page
internet quelques heures avant le présent moment, dilaté en
monologue par l’imminence de la mort. Saisissant, rapace arriviste
de son idéologie, le prétexte d’une jobarde manifestation hostile à
la désignification légale du mariage dont pourtant venait d’être
voté le texte, Achitophel Reverson avait en son style blet de
bruyante bêtise crié à la reconquête active de la mémoire
identitaire française et européenne, bavant au passage une
théorisante tentative de son éthique volontaire intime dont il avait
joui, dans l’instant de sa rédaction, de la savoir prophétique. À
demi-mots, il avait annoncé l’acte que maintenant, dressé de toute
sa crasseuse carcasse, il s’apprêtait à accomplir pour rompre la
lente léthargie en laquelle ses contemporains s’enfonçaient depuis
plusieurs décennies, peut-être plus encore. Rédigeant ces lignes,
renforcées d’une indigne prise en otage d’un concept heideggerien,
l’historien avait été traversé d’un frémissement prolongé de
sensuelle délectation, comme si la promiscuité soudaine, accrue par
ses transcrites pensées, avec le trépas était parvenu, l’espace d’un
instant, à rendre à ses chairs algides une diffuse sensation
d’érotisme. Oui, se souvenait-il, cela avait bel et bien été quelque
chose comme une érotisation de tout son être soudain fait érectile
pistil de sa Cause florescente dont il humait alors le parfum corsé
à pleines narines, quelque chose comme l’éveil galvanisant de ses
plus charnelles propulsions idéologiques, rubescentes d’enthousiasme
ainsi qu’un visage empourpré de fiévreuse fierté, celles-là mêmes
qui avaient portées ses jeunes années aux plus extrêmes actions,
toujours bouillantes de n’être pas abouties.
Mais à présent, en cette terne journée d’un printemps en
demi-teinte, l’aboutissement de son entière existence lui était
prochaine, à portée de sa main agile encore, qui certes point ne
tremblait lorsqu’elle caressait, en un geste de dévotionnelle
volupté, la petite arme chargée qu’il avait placée aux côtés de son
ordinateur, espérant peut-être d’inconsciente façon la bienveillante
et silencieuse protection de cet objet fascinant. De tout temps, en
effet, Achitophel avait aimé les armes, qu’elles fussent de chasse
ou de guerre, peu lui chalait, du moment qu’elles portaient la
surhumaine puissance d’amener l’Homme aux confins de ses propres
exigences, de le retrancher en ses plus profondes cavités
ontologiques ; il avait toujours aimé, et encore aimait bien sûr,
cet instrument destinal par excellence, seul capable d’obliger les
plus lâches, les plus vils pourceaux de l’humanité à une salvifique
confrontation avec leur propre destinée. À cette petite mécanique,
ingrate d’apparence, des vies entières pouvaient être suspendues,
soudainement, compressées en leur ombilic obombré de mystère, portée
comme la jouissance mâle à leur explosive acmé, instantanée,
compacte dans le Temps ainsi qu’un astre occlus d’où pas même la
lumière d’une mythologique Résurrection ne pourrait s’échapper.
Pourquoi, dans le fond, n’avoir pas choisi la corde ? L’idée,
certes, l’avait traversé, en réminiscence peut-être de ce texte de
Claudel, lu jadis, vite oublié cependant, La mort de Judas : «
Maintenant retenu par un fil imperceptible, s’y expliquait l’apôtre
félon, je peux dire qu’enfin je m’appartiens à moi-même. » Mais non,
telle n’était pas sa volonté, quoiqu’il sentît avec le Pendu
d’Haceldama plus d’une secrète affinité quant à l’impatience
politique qui lui avait valu, selon la Bible, l’éternelle damnation
; lui-même ne désirait pas de s’appartenir seulement mais bien
plutôt d’être lui-même de la plus exhaustive façon. Engrossé des
tautologies thaumaturgiques d’une esquisse d’impensée désirant
faire du Sujet humain le maître radical de son existence,
face à quoi seul le néant se dresse altérité, l’esprit d’Achitophel
rêvait à la domination de son être en toutes parcelles et en
toutes mondaines prolongations. N’étant rien, étron étriqué d’un
Fixe Néant politicard, il aspirait à le rester jusqu’aux ultimes
seconde de sa vie afin que de pouvoir faire, sophiste, de cette
fidélité à sa propre vacuité l’élément premier d’un remplissage
posthume d’icelle. Sa libido torsadée au brasier de sa politique
démence se boursoufflait d’humeurs lascives à l’idée d’être par
lui-même déproprié de la fine point d’intimité qui persiste, en
toutes circonstance, à saillir au crépuscule de l’existence, comme
ultime trace de l’immarescible dignité singulière de tout Homme : la
mort, bien sûr. Gandin des notions métaphysiques comme des analyses
géo-politiques, l’historien phantasmait pouvoir offrir sa vie à la
Cause qu’il défendait : ce faisant, il ne pourrait que s’y
dissoudre, intégralement, comme pincée de sel dans l’eau. Son
famélique encéphale s’arrêtait aux immédiates conséquences, qu’il
prévoyait moussantes : articles de journaux, hommages de l’âme en
peine marine en tête de sa frontale corporation dextre aimante,
soutien probable d’un boudin en lard catho de même tendance quoique
modérée, bref, amplification médiatique de la puissance
singularisante de son acte qu’il espérait offrande.
Par malfortune, le dernier mot ne serait, de toute évidence, pas
celui-ci. Les sistres des pitres sinistres, en un premier temps, se
gausseraient de tel vieux bonze et peut-être même à son sacrilège
ajouteraient l’abjection d’une caricature, élevant alors au carré la
saloperie infâme dont il s’apprêtait à se faire acteur et victime,
les veinules du crânes bouffies de mégalomanique salauderie.
En second temps, petit-à-petit, l’oubli touffu des irréelles époques
post-historiques se chargerait de recouvrir ce crime vertigineux
d’un voile dédaigneux d’inconséquence et d’insignifiance, le
renvoyant en quelques mois sans doute aux limbes brumeuses de la
Grande Fiction où s’épanouissaient alors les sortilèges de Léthé,
érigée tutélaire par les modernes simulacres qui composent
l’humanité occidentale du XXIe siècle. Sa mort serait alors expurgée
de toute humaine singularité, désossée de toute charnelle intimité,
purgée de toute ontologique originalité, élevée à l’insigne horreur
d’être classée acte politique, autrement dit acte publique,
publicitaire peut-être, donc à l’exact opposé de toute véritable
et profonde intimité. Possédé, d’évidence, l’historien aspirait
à se déposséder de lui-même dans l’espoir illusoire de se pouvoir
appartenir tout entier par ce geste même, – ruse du Démon qui
fait voir à sa proie le monde à rebours, au miroir du néant où
l’image hypnotique du sujet lui devient visible, et comme telle
désirable.
Sa notule internautique terminée, il avait consciencieusement
rangé le pistolet dans la poche de son imperméable et, une dernière
fois, s’était laissé aller la bouffée tiède de fier bonheur qui
remontait en lui lorsqu’il contemplait une des photographies
familiales les plus réussies, celle où, en costume de chasse, deux
lapins à la main, il trônait emmi ses cinq enfants, jeunes alors, et
son épouse, rayonnante de tendresse conjugale à ses côtés. D’aise,
il avait soupiré : fasse la puissance symbolique de mon acte qu’ils
trouvent tous la force de durer…
Ses craintes, à dire vrai, s’affirmaient ténues ; il savait ses
enfants réceptif à l’éducation en forme de dressage neuronal que, de
concert avec sa chère femme, il était parvenu à leur infliger dès
leur plus jeune âge afin de ne subir d’eux aucune déception, de
quelque sorte qu’elle pût être. Sa descendance était à l’image de
son Idéal et, plus loin que lui encore, elle porterait la splendeur
d’un héritage aujourd’hui bafoué par une frange fangeuse de la
population française, manipulée par la mafia communiste qui tenait
en ses filets jusques aux partis désignés de droite par d’aucuns
naïfs fumistes en science médiatique. Après lui, en sa race
perdurerait son esprit, et c’est là tout ce qu’il attendait de la
mort. Prolonger sa race ! La faire perdurer ! Quel plus belle et
ample expérience pouvait bien vivre un homme ? Concevoir en sa chair
l’incarnation même de son propre esprit, – à tout le moins ces êtres
qui, avec un peu de méthode et de volonté, pourraient devenir tels ;
quelle griserie métaphysique !
Y a-t-il plus belle idée que celle de lignée ?, demandait-il à
présent au Christ figé à quelques mètres de lui dans le marbre d’une
pièta de Nicolas Coustoues. Bien sûr, toi, superlatif célibataire né
d’une Vierge et participant pleinement à la nature de son Père, tu
ne peux entendre d’une oreille compréhensive telle émerveillante
perspective, toi qui a su conceptualiser une origine trimodale,
engendré par le Père, conçu par le Saint-Esprit et, enfin, né de la
Vierge Marie, tu ne peux rien entendre à l’exaltation d’une
procréation univoque, totale, nécessaire et pourtant consentie de
libre volonté. Tes vicaires mêmes, ces Papes, n’obéissent pas au
principe dynastique à quoi sont toutes les monarchies du monde
soumises, ou peu s’en faut, car l’Église, ton Église, depuis
toujours se méfie des lignées qu’elle sait lui pouvoir échapper,
comme le fit par exemple Henri VIII et, depuis, l’intégrale
monarchie anglaise. Je sais bien qu’il y a d’augustes nigauds pour
affirmer que c’est précisément là que se loge son principe de
pérennité, mais je n’accorde aucune foi à leur bancroche
raisonnement car ce serait faire fi de l’égale longévité des autres
maintes religions qui sont autant de survivances en mon époque de
générale déliquescence. Foutaises donc, bientôt par pleines
fournaises oubliés des quelques illuminés responsables de celles-ci.
Par contre, pauvre Jésus, ce qui m’apparaît évident, c’est la
multicentenaire responsabilité de ton Église, point seule certes en
cause, dans ce que le bel écrivain contemporain Renaud Camus nomme
le « grand remplacement », cette générale tentative d’atteindre
définitivement à la pureté d’une race, nôtre, boréenne disons, par
l’encouragement frénétique d’une immigration massive en provenance
des pays arabo-musulmans. La Charité, dit le Pape !...
Son pistolet en bouche, Achitophel Reverson ne put s’empêcher de
ricaner, – quoique peut-être était-ce tout intérieur car il lui
sembla que nul son de s’extrayait de son gosier obstrué. La Charité
comme prélude à la charia maîtresse sur nos terres, peut-être ! Nous
verrons à ce moment-là, lorsque l’Europe sera passée sous domination
arabo-musulmane, ce qu’il en sera des immigrants inaptes à toute
conséquente intégration, atrabilaires de leurs idiomes
comportementaux et se refusant à tout effort de transformation qu’en
revanche, sur les territoires par eux conquis à la force de l’épée,
ils exigent des plus infimes touristes ; et ce bien sûr sans nulle
discussion possible. En nos temps post-modernes, le cadavre
encombrant de la chrétienté morte depuis plusieurs siècles n’est
d’aucun secours face à la déferlante islamique dont l’Occident est
aujourd’hui passive, voire consentante victime. C’est pour cette
fondamentale raison que mon cœur politique est porté à l’absolue
laïcité. Non point celle, tiède et hypocrite, des liquides
socialistes qui s’affairent sous couvert de laïcité à faire expier
l’Église Catholique des crimes dont, auparavant, ils ont pris soin
de la badigeonner avec épaisse complaisance, non, celle plutôt de
mon cher Parti, mon Parti-Pris en toute chose d’importance, celle
qui en son nom m’a poussé à maintenir vivace jusques à cet instant
mon combat contre le port du voile dans l’espace publique, cette
pratique qui n’est que le sordide étalage d’un choix confessionnel
privé. Étalage publicitaire, devrais-je dire puisque le but insu
volontairement – d’aucuns se voilent la face ! – est bien entendu de
faire participer de ce fait toutes les femmes musulmanes d’Europe à
la disparition de la civilisation qui est depuis plusieurs
millénaires attachées à ce continent. Laïcité sans concession, donc,
c’est-à-dire rigoureuse interdiction de tout signe distinctif
religieux sur la voie publique, que religieux soit ici attaché au
Christianisme, à l’Islam, au Bouddhisme ou au Judaïsme, bien sûr,
qui trop souvent à mon goût fait exception en tout, sur tous les
plans.
Alors, Christ, me diras-tu sans doute : que faire à ce moment de
la pléthore de petits salopiauds évangélisés qui se réclament de ton
Église et cependant, contre tous tes principes amaigrissants de
Justice sociale et de Charité universelle, se font un honneur de
chanter à l’unisson les hymnes de la dextre émise radicale (
.....vidéo
22.06.2016 Bush-BHO ...) ? Les
faire abdiquer leurs principes, tout simplement, s’ils sont
nostalgiques des chouans ou de quelque autre sympathique folklore
local dont la Droite agissante ne peut s’encombrer en son actuelle
et fulgurante ascension. Naguère, déjà, les républicains au postlude
de la Révolution, enseignaient aux petits français qu’ils avaient
pour ancêtres les Gaulois, – exclusivement. L’évidence historique,
lors, ne faisait point encore trembler les doxiques élites d’un pays
ne se désirant plus autre chose que réceptacle d’une Altérité
glorifiée messianique cependant qu’icelle, à la vue de tous, réduit
consciencieusement son calice en miettes afin de mieux pouvoir, sur
les débris, construire le croissant triomphant de son succès civilisationnel.
Les disciples du Christ, en effet, même faux, même maurrassiens,
même en ces temps d’avancé sabordage du Catholicisme par ses propres
troupes, n’étaient pas en tant que tels immédiatement bienvenus au
sein de la congrégation dont était membre Achitophel Reverson et
qu’il rêvait faites d’âmes vigoureuses des influx antémémoriaux d’un
passé pré-chrétien seul capable d’encore sauver l’identité d’un
Monde qui jouissait de son propre effondrement, transmué progrès
sous l’effet des vapeurs toxiques d’une infernale idéologie de
l’autruche collective.
.....vidéo
22.06.2016 Bush-BHO ...
Pourtant, les susmentionnés n’étaient pas sous menace
d’extinction, que du contraire ! Le catholique dextrophile ne
s’était peut-être jamais aussi bien porté, et ce en très large
partie grâce à Maurras et son politicisme exacerbé qui, s’il lui
avait valu de sévères remontrances du Saint-Siège, le firent en
revanche triomphant en postérité jusques à présent où la jeunesse
catholique, massivement inapte au moindre mysticisme, trouvait dans
l’excitation politique moyen de soulager ses vibratiles muqueuses
sans faire l’effort d’y adjoindre la plus infime part d’activité
pensante. Ceux-là faisaient de la politique comme d’autres se
lustrent le priape : à des fins de pure vidange. Ne pouvant
point copuler en bonne conscience avant le mariage, la neuve
jeunesse catholique se lance à corps perdu dans la politique afin de
compenser par-là l’inertie forcée de leur libido pré-conjugale.
Le catholique juvénile de moderne extraction, par essence, est
ignare de familiale tradition ; scout toujours, car dès ses
premiers balbutiements dressé au groupal compulsif, il fait
ses classes plutôt que ses humanités et n’entend rien à son propre
patrimoine culturel, par-dessus tout littéraire. Au contraire d’Achitophel
qui, dès ses plus jeunes années, avait saisi la nécessité d’enrober
toujours de voluptueux colifichets érudits l’excrémence qu’il avait
élue doctrine d’existence, l’adulescent d’ascendance cathoblique se
revendique insavant de toutes importances littéraires de son propre
horizon et s’enténèbre à préférer, malgré les efforts de Benoit XVI,
le rock chrétien aux Messes de Mozart, tout comme d’ailleurs il
préfère la lecture d’aucun fabriquant factice d’adjadjantises
théâtrales aux chefs-d’œuvre de Claudel. Tribordosensible parce que
ses ainés le furent, qui là s’imaginaient que la carte d’un parti de
Droite était nécessaire à l’usage hebdomadaire des bancs dominicaux,
il croit autant en son Dieu qu’en celui, caniveau d’or, de la
contemporaine politique de post-histoire et s’acharne en acte
vociférant à nous faire savoir l’inexpugnable évidence de telle
abusive intrication conceptuelle.
Pourtant, même si tel petit impatient de Cité céleste se
voyait constitué de bas en haut pour plaire à la dextrême,
Achitophel Reverson ne comptait point trop sur eux pour s’émanciper
des châtrantes prolongations inconscientes d’Évangile qui, toujours,
risquaient en eux de faire reflux et d’ainsi les faire céder aux
consanguin nonchaloir d’âme dont se nourrit, en principale
substance, le christianisme analysé par les bons soins du très
objectif historien.
Son amour immodéré pour sa famille, et en générale pour la
Famille, n’était donc en rien enraciné en terreau chrétien et
l’humide nuage d’émotion qui lui était monté aux yeux lorsqu’il les
avait posé sur le portrait photographique familial était d’un tout
autre ordre, identitaire bien sûr. Sa famille, plus traditionnelle
que la Sainte Famille traversée d’internes complexités qu’il ne
désirait pas même se donner la peine de penser avec rigueur, sa
famille était pour lui le socle immémorial d’une identité
communautaire que sa dissolution ferait sans délais voler en éclats.
Homère toujours, – qui structurait à hauteur de mélecture faite par
lui de ses deux grands poèmes l’intégrale dialectique d’où, sans
exception, découlait la sienne idéologie. La Nation sauvée par le
foyer, la Nation tressée au foyer, l’une survivant en l’autre,
l’autre en l’une, le tout impeccablement imbriqué comme rouage
d’horlogerie. Hector support d’Ulysse, et vise versa, l’un portant
l’autre à son épanouissement, duquel germe à nouveau le premier, ce
en une éternelle rotation de la dyade souveraine sur elle-même.
Achitophel Reverson participait du culte de la famille sacrée, mais
telle par dynastique nécessité car seule une forte cohésion
familiale pouvait permettre à une nation de persister en unité et de
n’être pas dissoute en quelques années par l’acidité des intérêts et
personnalités particulières qui, on le sait depuis Platon, doivent
céder aux exigences communautaires pour le bien de la cité.
Parcourant d’un bienveillant conspect l’ensemble de sa puérile
tribu, il s’était d’ailleurs imaginé la beauté d’une nation fondée
sur un semblable modèle, efficace à échèle de population : la
consentante acceptation d’une autorité sue compétente, à laquelle le
peuple de ce fait pouvait s’abandonner, en un premier temps, sans
crainte d’être floué de quelque façon que ce pût être, voilà le
principe essentiel de toute archie, qu’elle fût monarchie ou
démocratie antique. Mais pour un tel résultat, si réjouissant, il
fallait que ladite autorité se pût appuyer sur un héritage riche et
fécond, une tradition de représentations éthiques et ontologiques
fortes, propres à soulever les foules comme la houles d’une mer aux
flots excités par le trident de Poséidon ; ce que lui, Achitophel
Reverson, inlassable lecteur d’Homère et d’Héraclite, pourri
pourceau enflé aux gaz intestinaux de l’Action Française, avait
accompli au sein de sa famille où par ailleurs il avait toujours
été, pour sa part, comblé d’amour.
Son ultime pensée sera-t-elle donc pour ses proches, pour ceux
dont il savait qu’ils souffriront du geste qu’il s’apprêtait à
commettre, sacrilège immonde que sa démiurgique démence lui
permettait de ressentir ainsi qu’un acte militant, quelque chose
comme un haut sacrifice fait à sa patrie française et européenne ?
Peut-être, en fin de compte…
Il se souvint alors d’une certaine après-midi de printemps
bourgeonnant, dans le petit jardin clos de sa résidence de campagne,
lorsqu’entre deux et neuf ans s’échelonnaient les âges de sa
guirlande bambineuse dont les divers éléments s’agitaient alentours
en clameur vague qu’une seule sévère interjection de sa part
suffisait à réduire au silence de la brise dans les feuilles d’un
vieux tilleuls rongé de mousse. Folle d’aise à la sensation nette du
retour des beaux jours, sa progéniture multiple prenait particulier
plaisir à savourer en nombreuses roulades l’herbe fraiche et verte à
nouveau, douce et chatouillante à la fois. De la table où, au soleil
tiède du mois de mai, il terminait la relecture des épreuves de son
dernier ouvrage, Achitophel Reverson avait un instant été saisi par
la primitive beauté de cette scène, simple d’apparence et pourtant à
ses yeux portant en elle, discret, le murmure sublime de la réelle
sacralité du monde naturel. Cette joie pure, symbiotique, qui
semblait unir les fruits de son sang aux neuves efflorescences de la
Terre, cette sérénité sous-jacente à l’enfantine agitation des
derniers membres de sa race lui avaient, l’espace de quelques
miraculeuses minutes, rendus la divinité du cosmos palpable,
immédiatement perceptible, comme évidente, lumineuse, s’extravasant
à grands flots de rayons d’or et d’argent de chaque parcelle
mouvante de réalité qu’il avait devant lui, inondant d’une coulée de
nitescence glorieuse les phénomènes alentours.
Durant quelques précieux instants, il s’était senti plongé dans
la chair tendre, fraiche, comme ensoleillée de l’intérieur, d’un
Renoir, mais un Renoir où, comble de l’exaltation, ses propres
enfants se seraient retrouvés propulsés par quelque mystérieux
sortilège ; et voilà donc sa descendance projetée à hauteur d’art,
faisant surgir de son involontaire candeur la substance puissamment,
primitivement esthétique du Monde rendu à sa matricielle
innocence, tel que, précurseurs en tout, les Grecs déjà l’avait
pensé : déploiement ininterrompu de forces vitales, chaotiques
parfois, ordonnées en d’autres temps, équilibrées toujours en finale
situation. Quelle douce fierté de contempler, à quelques mètres
de lui, les chastes ébats de la Vie même en son renouveau, scène
où congruent en une surprenante harmonie le bourgeonnement de la
Nature et les dernières effloraisons de l’espèce humaine, nées de sa
propre chair, qui s’éveillaient à la fugace beauté du monde en s’y
frottant, au sens propre, comme si leur plus cher désir était de
retourner à un parfait état de contemplation primitive.
Splendeur colossale des flux de générations, immémoriaux, qui
déferlent sur le Temps depuis la naissance de l’Humanité !
Sempiternel mouvement des vies et morts individuelles, maintes,
infinitésimales, œuvrant de concert, tacite et su pourtant, à la
marche solennelle et imperturbable des cycles de la Vie. Homère,
encore et toujours ! « Comme naissent les feuilles, ainsi font
les hommes. Les feuilles, tour à tour c’est le vent qui les épand
sur le sol et la forêt verdoyante qui les fait naître quand se
lèvent les jours du printemps. Ainsi des hommes : une génération
naît à l’instant où une autre s’efface. » Flux et reflux des
générations, semblable à la mer sur le sable d’une plage éternelle
où, cependant, les traces immédiatement ne s’effacent pas, – pas
toutes, du moins.
Voilà pourquoi la Famille à ses yeux apparaissait sacrale
: où
donc mieux qu’au sein de son foyer s’enjouir de voir, réel, la fine
écume de l’effluence vitale, crête de vagues des âges de l’Humanité
qui, tout entiers, venaient mousser dans son propre jardin en les
personnes de ses chers enfants qui, plus loin que lui, à travers
lui, porteraient la substance de la Vie toujours triomphante dont il
pouvait alors contempler panoramique la souterraine propulsion d’une
sève immémoriale prenant racine au plus profond de la mémoire
collective de chaque peuple et se déployant jusques en ses plus
actuelles ramifications ; celles-là mêmes qu’il contemplait alors
comme autant de prometteuses inflorescences colorées aux teintes
galvanisantes de sa propre race.
Oui, songea-t-il, alors, sur cette sereine et fière pensée il
pouvait à présent prendre possession de sa propre fin, mener en
maître sa vie à son terme, accoster sans honte, ni crainte, ni
regret, aux rivages du néant qu’il s’avait lui faire face, au-delà
du Visage de ce Christ de pierre dont les yeux clos semblaient
attendre seulement l’accomplissement de son geste pour s’ouvrir sur
sa posthume destinée. Chacun son Commandeur, pensa-t-il en
affrontant une dernière fois ces pupilles figées, mais moi non plus,
je ne lâcherai pas : soi-même jusqu'au bout, petit Juif,
soi-même jusqu’au bout ! Ma mort, comme toute mon existence,
m’appartiendra et se réalisera, symbolique, dans le prolongement
fidèle de mes actes unanimes, ce depuis ma prime jeunesse ; elle
fera signe, pour plusieurs générations peut-être, vers l’idéal qui
fut le mien et que jamais je n’ai trahi, pas même à présent, au
seuil du néant dont je triompherai par la pérennité certaine de ma
race et de mon esprit.
Sur ce dernier mot, Achitophel Reverson appuya sur la détente et,
dans un bruit sec d’arme précise répercuté multiple par les hautes
voûtes de la cathédrale, le jus fétide de sa cervelle se répandit en
glaires maintes sur l’autel et son sang chancit éclaboussa autour de
sa charogne les saintes dalles du chœur. Consummatum est, crièrent
alors en échos diffus les ogives horrifiées sous lesquelles, chaque
jour, le Corps et le Sang réels du Christ étaient présentés aux
fidèles et qui, en cette sinistre date, voyaient pour la première
fois sans doute être versé le sang tourné – au sens où tourne le
lait – d’une infernale crapule sacrilège.
Tout de suite, un strident hurlement s’éleva au-dessus de cette
carcasse chaude, fumante comme si déjà, l’haleine létale du Diable
s’employait à précipiter sa décomposition ; une mère de famille
allemande, sans plus pouvoir interrompre sa stridulation, plaqua
contre ses jupes le visage de sa fille afin de lui interdire la
vision de telle scène. Quelque part au fond du transept, un
groupuscule d’asiatiques levèrent les yeux de leurs guides
touristiques et, d’instinct, portèrent à leurs appareils
photographiques une rafale de mains agiles.
Comme une trainée de sang embrasée par l’astre vermeil d’En-Bas,
l’horreur se répandit à grands flots, épais et bourbeux, dans
l’entière cathédrale jusques au narthex où, pendant quelques minutes
encore, elle fut endiguée par les portes principales du bâtiment,
derrière lesquelles, à l’extérieur, les touristes continuaient de se
bousculer, appareils photographiques au poing, pour profiter d’une
visitée guidée du saint lieu, gratuite et, au surplus, disponible en
huit langues à choix.
« Crève, os de chien. Et l’on sait bien que ta pensée n’est
pas accomplie, terminée, et que dans quelque sens que tu te
retournes tu n’as pas encore commencé à penser. » (A. Artaud, L’Art
et la Mort)
À l’heure d’une postludant à none environ, Achitophel Reverson
enfonça en sa bouche le canon d’un pistolet jusques à presque sentir
en son extrémité les anxieuses trémulations de sa glotte frôlée par
le métal froid, tandis qu’en face de lui, allongé sur les genoux de
sa mère, le Christ mort en Croix posait sur sa tête rase deux beaux
yeux marmoréens pour trois jours clos sur les ténèbres d’En-Bas.
Comme toi, cher prophète, songea alors cet incroyant infusé d’un
faisandé nectar de paganisme, je vais me sacrifier ! L’historien
possédait son latin et d’aise tremblait à l’ouïe de ce terme dont il
savourait les antiques racines : sacer facere, rendre sacré. Il
sentait sourdre, comme une nappe d’eau souterraine, la tacite
puissance de tel vocable, qu’à plaisir il laissait fondre en gosier
et dont il avait la très physique impression de ressentir la
transhistorique vitalité jusques en ses fibres les plus infimes,
gorgées d’une sève nouvelle que sa particulière démence lui donnait
l’impression de puiser aux directes sources des païennes origines
qu’au fil des années il s’était progressivement phantasmées. De ses
simulés ancêtres gaulois, il avait « l’idolâtrie et l’amour du
sacrilège », comme le chantait Rimbaud, et sans doute aussi la «
cervelle étroite » quoiqu’en vérité plus oblique qu’étriquée à
proprement parler : son tonnage la rendait propice à l’accumulation
d’un décourageant fatras de dates et de faits archivés sans autre
organisation que l’architectonique principe d’idéologie sanguine qui
présidait à toutes ses opérations psychiques, jusques aux moindres,
quotidiennes, insignifiantes.
Ridiculement, car le canon toujours en bouche de son arme à coup
unique, il sourit au Seigneur qu’il ne confessait pas ; au seuil du
néant par lui supposé, il sentait poindre en un recoin de sa servile
cervelle une certaine sympathie pour cet individu,
sculpturellement suspendu en face de lui, dont le sang avait irrigué
de surnaturelle vitalité, pendant plus de deux mille ans, l’entière
existence de plusieurs dizaines de milliards d’êtres humains saisis
en singularité, chacun, d’un bout à l’autre de leur intégrale
personne. Le résultat certes l’enivrait mais point ne lui
faisait oublier ses récriminations à l’encontre de la Religion
Catholique, universelle donc, – et là ce qui le chiffonnait. Ses
circonvolutions mécanisées de besogneux historien depuis mainte
année à présent ne se laissaient plus enfumer par les âcres
empyreumes d’une aveugle dévotion pour ce factuel succès dont il
s’enjouissait, engeance aux gencives pleines d’une bouffante
satisfaction égotique, d’avoir là rendus les causes objectives
de tel exploit limpides. Jalon, que le christianisme, seulement ;
titanesque véhicule de transmission du souffle gréco-latin dont il
se faisait, au travers de ses théologiques tortillardes de l’âme,
l’incontournable messager ; rien moins qu’essentiel, bien sûr, sauf
à être perçu exclusivement transitif et, par-là même fédérateur.
L’esprit d’Achitophel Reverson aspirait à de plus originels
aspirations, spiralées à l’entrelacs du monde gréco-romain et
Gaulois, symbole évident à ses yeux d’une admirable
compénétration de l’éminente Raison, qu’elle soit de pure pensée
ou de virulente action, et la primordiale sensibilité, sauvage à
bien des égards, du monde naturel en son immédiate immanence
donnée aux hommes comme l’espace d’un séjour qu’il lui incombe
d’habiter en étroite complicité de respect et de sage domination.
Source immémoriale de notre Dasein européen, inépuisable
résurgence d’identitaire sagesse : Homère ! Homère !
Ô Mère !
Insondable matrice d’une civilisation aujourd’hui en profonde
somnolence de ses internes vibrations qui pourtant lui devraient
donner sa note fondamentale, sa basse continue sur laquelle, seule,
se peuvent broder les infinies vocalises des temporelles évolutions
! Quelle opportunité pour sa claudiquante idéologie de se
pouvoir ainsi reposer les moignons sur le dos de ce puissant
attelage dont la vigueur infernale n’a d’égal que la cuistrerie des
lectures qu’il en fait ! Une épouse enlevée, une guerre
provoquée, le soulèvement d’un peuple entier et de ses héros, la
lutte à mort d’un grand nombre d’entre eux, la force, le sang, le
sable, l’héroïsme d’âmes soumises à la Fatalité plus grande même que
les dieux, ces dieux capricieux, colériques, immanents, qui alors
n’avaient encore rien à voir ni avec la Justice, ni avec la Vérité ;
puis, en second volet, le retour du guerrier en son foyer, là où,
patiente comme la domestique statue de la Sainte Communauté, sa
femme lui reste fidèle, tissant à défaut d’un texte la mémoire d’une
trame où sans doute le beau visage d’Ulysse est dessiné : itinéraire
initiatique lu par Achitophel comme une salvatrice régression à
l’âtre bienveillant de toute saine existence, l’ombilic sacré où se
noue l’âme et la vie d’un homme de bien, nobles et accomplis, kalos
agatos. Que d’alambics sublimes en quoi faire bouillir et
bouillonner sa singulière démence ! Que de maximes à moissonner
avant que de les jeter, toutes racornies d’avoir été ainsi
déracinées sans ménagement, dans le chaudron glougloutant de ses
propres égarements ! « Etre toujours le meilleur, l’emporter sur
tous les autres », recommande par exemple Pélée à son fils, le grand
Achille. Ou encore : « Il n’est qu’un bon présage, c’est de
combattre pour sa patrie ».
Chère Illiade, exultait, au seuil de l’ombre, l’hypogastrique
gâteux ! Chère Illiade, chère et belle Bible des Européens,
tellement plus pure à notre race que l’autre, celle qu’en partage
avec les sémites nous avons recueillie à l’aurore de nos temps
occidentaux, chère Illiade aux lettres d’or et de sang, tombée des
mains divines d’un poète dont l’individualité historique s’est
diluée à nos modernes osculations dans la prodigieuse fécondité
d’une œuvre éternelle comme le cosmos héraclitéen, chère Illiade aux
beaux contours, chère Illiade aux infinies coruscances, tu m’es
bréviaire de l’antique sagesse boréenne, celle qui, en cet instant
même, lors qu’entre mes lèvres je tiens ferme le pistolet discret de
ma destinée, m’abreuve d’hédoniste vitalité et, aux marges de la
mort, me donne encore la force existentielle de songer avec une
sainte émotion aux surabondances de vigueur, de puissance vitale,
qui s’incarnent dans la force rayonnante, indomptable, celle d’un
fougueux pur-sang que se révèle être l’incoercible Achille, mais
également dans le patriotisme charnel, physique, fait d’évidence
sauvage et de sanguine fidélité, du sublime Hector, l’homme de la
digne défaite, père exemplaire et mari d’une profonde tendresse
pour la liberté de qui, avant tout, il se battra jusqu’aux Enfers.
Fontaine d’ontologique jouvence ! Point en ces capiteuses
contrées du naturel nectar des arts premiers, point de transcendante
intrusion morale, point de Bien point de Mal qui ne soit, en ultime
instance, celui de nos chairs vivantes, vibrantes, enivrantes ; rien
de moins, certes, qu’une pure anarchie, mais au contraire l’élan
toujours renouvelé de valeurs vives et vivaces, inchoatives
d’essence, seuls capables de gonfler les voilures de l’âme ainsi que
celles de vaisseaux spartiates en partance pour Troie. « Non, lance
Priam à Hélène, ma fille, tu n’es coupable de rien. Ce sont les
dieux qui sont coupables de tout ! » Quelle presciente
libération Homère ne se fait-il pas ici le chantre ! Foin, en ce
lieu, d’abusives responsabilités cosmiques, des péchés individuels
et collectifs : temps antérieurs à l’omnicastrante culpabilité qui
jusques aujourd’hui se trouve gouvernante de notre continent
amnésique de ses primes splendeurs. Comment dire mon adéquation
aux vérités homériques qui me chantent de consonance aux oreilles
tant qu’il me semble entendre la mélodie de mon propre être,
singulier, ondulant musical en parfaite symbiose avec les cantilènes
musculeux de ce primordial poème ? Déploiement mystique, en riche
résonance de pure immanence, de la nature faite exclusif séjour de
l’Homme ; pureté inégalité des appétences à l’excellence où nous
appelle la beauté du monde et de notre cœur ; splendeur du
respect des axes de masculinité et de féminité qui sont les
pivots de toute structure sociale et, sans doute plus profondément,
métaphysique ; tout cela, au sens littéral, m’enchante et m’exalte.
Pauvre Christ, ajouta-t-il en jaugeant derrière ses épaisses
lunettes le Corps du Seigneur, qui fit apparition en un monde de si
éclatante grandeur, fier des guenilles de paralysante compassion qui
furent tiennes et dont l’Église, aujourd’hui encore, est revêtue
malgré le flamboyant apparat qu’elle emprunta, savante de ses
propres doctrinales faiblesses, aux fastueuses civilisations
greco-latines.
N’imagine pas, Fils d’un Dieu auquel ma boîte crânienne
imploserait de croire, qu’à quelques secondes de ma mort, je suis en
face de toi par chrétienne dévotion pour ta chétivité sanguinolente,
ton obscène souffrance, ta radicale absence à toute gloire
d’action terrestre ; du sang de tes martyrs, tous crevés dans la
souillure de leur scandaleuse humidité, je ne voudrais pas même pour
me désaltérer : il pue la moisissure, comme un liquide qui trop
longtemps aurait, en un vieux flacon fermé, fermenté en sa propre
inféconde solitude, incapable d’exhaler quelque puissante fragrance
que ce soit, au contraire du sang solaire de mes héros, ce sang qui
fut aussi semence car versé à la gloire d’une Idée lumineuse de
l’Homme, faite d’existences absolues, d’inexorable fierté et
de galvanisante fidélité, assumée non point dans la puante
croupissure d’une vie de rétention mais au contraire dans
l’exubérant épanouissement d’une survitalité dont le suc pouvait
alors être puisé aux sources mêmes de la Vie où se boit d’un cœur
noble la puissance d’exister.
Non, petit juif habile, je ne suis pas là pour Toi, pas même pour
ta mère à qui je préfère de loin, en matière de modèle féminin, ma
chère Pénélope ; à mes yeux, ceux, acérés, de l’historien, je suis
en ce fatidique instant sur l’emplacement d’un gallo-romain dédié à
Jupiter. Entends-tu, Christ douloureux ? Je m’apprête à offrir ma
vie en sacrifice sur le lieu d’un culte antique rendu à la plus
haute instance de la religion civique romaine, édifié en terres
gauloises conquises, par ceux dont en mes veines coule le sang
tandis qu’en mon esprit soufflent les vents héllénistiques. C’est à
Zeus intériorisé Gaulois, en quelque sorte, que je fais offrande de
mon existence, à Zeus Téléïos, Zeus Ktêsios, Zeus Herkéios, Zeus
Polioûkos, et Zeus Sunaïmos, enfin, dieu de la race et du droit du
sang hui bafoué même par ton Église, oui, celle-là même qui
pleurniche ritournelle quant à l’accueil de l’étranger et des plus
pauvres et tente même, en la personne par ailleurs respectable du
précédent Pape Benoit XVI d’opérer rapprochement avec l’Islam,
horizon de notre péril identitaire envers quoi son rôle l’obligeait
à de certaines coupables complaisantes nourries par d’absurdes
espérances de prochaines fraternisations.
Ainsi soliloquait en son intérieur naphtalineux Achitophel
Reverson, héraut momifié d’une part scrofulée de la françoise
populace qui opposait au traumatisant reflux du réel la crustacée
crispation seule envisageable pour de si étroites hures, impropres
d’évidence à toute véritable pensée au même degré que leurs exécrés
ennemis politiques, ces « endormis », comme il se plaisait à les
nommer sans prendre conscience pour autant de n’être capable
d’opposer à ce sommeil rien d’autre que sa propre psychose : rêve
éveillé, certes, mais rêve néanmoins. Rêves endormis contre rêves
éveillés, – tous deux phacocyteurs pantagruéliques de réalité –, tel
se présentait aux temps choisi pour son suicide, l’échiquier
politique sur lequel, quoiqu’en son vieil âge éloigné de tout
primaire militantisme, l’historiographe des armes et de la chasse
continuait en sénile soliste faire trémuler sa glotte desséchée.
Gyropracte d’aucuns concepts nationauséeux contreplaqués d’une
longue, antérieure, expérience militaire au détour d’une Algérie
abhorrée autonome ainsi que de maintes décoctions mentales d’hispide
historien de l’héroïsme hystérique qui, plus de quatorze années
durant, furent en ses relapses synapses quotidiennes et méphitiques
vapeurs, Achitophel Reverson portait l’étampe de l’intellectuelle
obscénité à même les rides de son haut crâne, oviforme jusques aux
tristes plissures par le temps infligées à ses flaccides pommettes,
absent à toute profusion capillaire comme son cœur l’était à
l’effluence de sainte charité dont exsudait le surnaturel regard de
Celui dont le Corps descendu de Croix gisait à quelques mètres de
lui, au cœur de l’autel.
Sputateur de salissante militantise politicole en ses primes
années d’égarement, baveur par la suite de stercoraires tissures
textuelles où, en sa neuve vêture d’historiographe des marcescences
occidentales, il se faisait graphomane distingué des protubérants
enthousiasmes de sa jeunesse passés au filtre plumassier d’une
sénescence qu’il désira de lettres adornée. Incomparable sachant,
quoiqu’ord de corps sous d’élégants dehors qu’ores il arborait, des
turpitudes détaillées d’une signifiante meute de malfaisants
notoires coagulés dans les plus stratosphériques espaces d’un
continent politique de funeste mémoire, malgré qu’il fût dit dextre
par opposition aux sinistres qui, jourd’hui, portent certes fort
bien leur spatiale étymologie ; assidu au frénétique panégyrique des
incertains ancêtres Gaulois de la matrice desquels ce triste sire
exultait en son intérieure monomanie généalogique se croire tout
droit sorti, ce honteux géronte aspirait à la continentale
consanguinité comme d’autres rêvent à l’advenue de la Cité céleste.
Empuanti d’une tellurique glossolalie de vague ascendance
philosophique, Architophel Reverson s’emplaisait à répandre
alentours, par feuillets d’articles ou d’entiers ouvrages, les
miasmes hypogastriques qu’il travestissait analytiques et
conceptuels en esquissant de sa plume cacochyme quelques volutes
stylistiques par ailleurs d’un classicisme aussi aride que son
regard de posthume faucon mais néanmoins propre à esbaudire le
baudet de courante bauge, celui-là même qui à présent pleurait avec
mainte larme de sincère diptère la disparition d’un grand historien.
Comme un pesteux, sa psychique infection s’était avérée contagieuse
et, quoique des prédispositions d’antériorité familiale souventefois
se révélaient nécessaires, force crapule adolescente trépignait
depuis quelques années à l’idée de pouvoir de ses gluantes gloses s’empommader
l’ithyphalle. La France ensouchée gauloise et de fraiche génération
aimait à humer les saveurs torchederchiques rémanant des nombreuses
pages noircies par ce graphomane du paganisme à déambulateur
schizoïde capable de se faire prime en concurrence avec l’héritage
judéo-chrétien que, certes, Architophel point ne rejetait mais à
tout le moins jaugeait, superbe en sa chaire de laïcarde démesure,
avec une profonde circonspection, ainsi qu’un élément dont, aux
entrebâillements rares de sa close sottise, il pressentait
l’intellectuelle surpuissance et craignait donc de s’en trop
approcher, agité d’une bien compréhensible appréhension à l’idée de
voir se décomposer la risible machinerie d’archaïque rhétorique lui
permettant de continuer à faire croire aux plus myopes de
l’encéphale que lui avait été par nature octroyé la faculté de
voler, lors même que, tel l’édénique reptile, c’était sur les torves
anneaux de sa rance démence qu’il rampait entre les phrases
sablonneuses de ses opera obscuræ.
La dernière en date d’icelles n’était pas de papier, d’ailleurs,
mais virtuelle torchure seulement, déposée sur sa frigide page
internet quelques heures avant le présent moment, dilaté en
monologue par l’imminence de la mort. Saisissant, rapace arriviste
de sa rance idéologie, le prétexte d’une jobarde manifestation
hostile à la désignification légale du mariage dont pourtant venait
d’être voté le texte, Achitophel Reverson avait en son style blet de
bruyante bêtise crié à la reconquête active de la mémoire
identitaire française et européenne, bavant au passage une
théorisante tentative de son éthique volontaire intime dont il avait
joui, dans l’instant de sa rédaction, de le savoir prophétique. À
demi-mots, il avait annoncé l’acte que maintenant, dressé de toute
sa crasseuse carcasse, il s’apprêtait à accomplir pour rompre la
lente léthargie en quoi ses contemporains s’enfonçaient depuis
plusieurs décennies, peut-être plus encore. Rédigeant ces lignes,
renforcée d’une indigne prise en otage d’un concept heideggerien,
l’historien avait été traversé d’un frémissement prolongé de
sensuelle délectation, comme si la promiscuité soudaine, accrue par
ses transcrites pensées, avec le trépas était parvenu, l’espace d’un
instant, à rendre à ses chairs algides une diffuse sensation
d’érotisme. Oui, se souvenait-il, cela avait bel et bien été quelque
chose comme une érotisation de tout son être soudain fait érectile
pistil de sa Cause florescente dont il humait alors le parfum corsé
à pleines narines, quelque chose comme l’éveille galvanisant de ses
plus charnelles propulsions idéologiques, rubescentes d’enthousiasme
ainsi qu’un visage empourpré de fiévreuse fierté, celles-là mêmes
qui avaient portées ses jeunes années aux plus extrêmes actions,
toujours bouillantes de n’être pas abouties.
Mais à présent, en cette terne journée d’un printemps en
demi-teinte, l’aboutissement de son entière existence lui était
prochaine, à portée de sa main agile encore, qui certes point ne
tremblaient lorsqu’elles caressaient, en un geste de dévotionnelle
volupté, la petite arme chargée qu’il avait placée aux côtés de son
ordinateur, espérant peut-être d’inconsciente façon la bienveillante
et silencieuse protection de cet objet fascinant. De tout temps, en
effet, Achitophel avait aimé les armes, qu’elles fussent de chasse
ou de guerre, peu lui chalait, du moment qu’elles portaient la
surhumaine puissance d’amener l’Homme aux confins de ses propres
exigences, de le retrancher en ses plus profondes cavités
ontologiques ; il avait toujours aimé, et encore aimait bien sûr,
cet instrument destinal par excellence, seul capable d’amener les
plus lâches, les plus vils pourceaux de l’humanité à une salvifique
confrontation avec leur propre destinée. À cette petite mécanique,
ingrate d’apparence, des vies entières pouvaient être suspendues,
soudainement, compressées en leur ombilic obombré de mystère, portée
comme la jouissance mâle à leur explosive acmé, instantanée,
compacte dans le Temps ainsi qu’un astre occlus d’où pas même la
lumière d’une mythologique Résurrection ne pourrait s’échapper.
Pourquoi, dans le fond, n’avoir pas choisi la corde ? L’idée,
certes, l’avait traversé, en réminiscence peut-être de ce texte de
Claudel, lu jadis, vite oublié cependant, La mort de Judas : «
Maintenant retenu par un fil imperceptible, s’y explique l’apôtre
félon, je peux dire qu’enfin je m’appartiens à moi-même. » Mais non,
telle n’était pas sa volonté, quoiqu’il sentît avec le Pendu
d’Haceldama plus d’une secrète affinité quant à l’impatience
politique qui lui avait valu, selon la Bible, l’éternelle damnation
; lui-même ne désirait pas de s’appartenir seulement pas bien plutôt
d’être lui-même de la plus exhaustive façon. Engrossé des
tautologies thaumaturgiques d’une esquisse d’impensée désirant faire
du Sujet humain le maître radical de son existence, face à quoi seul
le néant se dresse altérité, l’esprit d’Achitophel rêvait à la
domination de son être en toutes parcelles et en toutes mondaines
prolongations. N’étant rien, étron étriqué d’un Fixe Néant
politicard, il aspirait à le rester jusqu’aux ultimes seconde de sa
vie afin que de pouvoir faire, sophiste, de cette fidélité à sa
propre vacuité l’élément premier d’un remplissage posthume d’icelle.
Sa libido torsadée au brasier de sa politique démence se
boursoufflait d’humeurs lascives à l’idée d’être par lui-même
déproprié de la fine point d’intimité qui persiste, en toutes
circonstance, à saillir au crépuscule de l’existence, comme ultime
trace de l’immarescible dignité singulière de tout Homme : la mort,
bien sûr. Gandin des notions métaphysiques comme des analyses
géo-politiques, l’historien phantasmait pouvoir offrir sa vie à la
Cause qu’il défendait : ce faisant, il ne pourrait que s’y
dissoudre, intégralement, comme pincée de sel dans l’eau. Son
famélique encéphale s’arrêtait aux immédiates conséquences, qu’il
prévoyait moussantes : articles de journaux, hommages de l’âme en
peine marine en tête de sa frontale corporation dextre aimante,
soutien probable d’un boudin en lard catho de même tendance quoique
modérée, bref, amplification médiatique de la puissance
singularisante de son acte qu’il espérait offrande.
Par malfortune, le dernier mot ne serait, de toute évidence, pas
celui-ci. Les sistres des pitres sinistres, en un premier temps, se
gausseraient de tel vieux bonze et peut-être même à son sacrilège
ajouteraient ajouteraient l’abjection d’une caricature, élevant
alors au carré la saloperie infâme dont il s’apprêtait à se faire
acteur et victime, les veinules du crânes bouffies de mégalomanique
salauderie. En second temps, petit-à-petit, l’oubli touffu des
irréelles époques post-historiques se chargerait de recouvrir ce
crime vertigineux d’un voile dédaigneux d’inconséquence et
d’insignifiance, le renvoyant en quelques mois sans doutes aux
limbes brumeuses de la Grande Fiction où s’épanouissaient alors les
sortilèges de Léthé, érigée tutélaire par les modernes simulacres
qui composent l’humanité occidentale du XXIe siècle. Sa mort serait
alors expurgée de toute humaine singularité, désossée de toute
charnelle intimité, purgée de toute ontologique originalité, élevée
à l’insigne horreur d’être classée acte politique, autrement dit
acte publique, publicitaire peut-être, donc à l’exact opposé de
toute véritable et profonde intimité. Possédé, d’évidence,
l’historien aspirait à se déposséder de lui-même dans l’espoir
illusoire de se pouvoir appartenir tout entier par ce geste même, –
ruse du Démon qui fait voir à sa proie le monde à rebours, au miroir
du néant où l’image hypnotique du sujet lui devient visible, et
comme telle désirable.
Sa notule internautique terminée, il avait consciencieusement
rangé le pistolet dans la poche de son imperméable et, une dernière
fois, se laissait aller la bouffée tiède de fier bonheur qui
remontait en lui lorsqu’il contemplait une des photographies
familiales les plus réussies, celle où, en costume de chasse, deux
lapins à la main, il trônait emmi ses cinq enfants, jeunes alors, et
son épouse rayonnante de tendresse conjugale à ses côtés. D’aise, il
avait soupiré : fasse la puissance symbolique de mon acte qu’ils
trouvent tous la force de durer…
Ses craintes, à dire vrai, s’affirmaient ténues ; il savait ses
enfants réceptif à l’éducation en forme de dressage neuronale que,
de concert avec sa chère femme, il était parvenu à leur infliger dès
leur plus jeune âge afin de ne subir d’eux aucune déception, de
quelque sorte qu’elle pût être. Sa descendance était à l’image de
son Idéal et, plus loin que lui encore, elle porterait la splendeur
d’un héritage aujourd’hui bafoué par une frange fangeuse de la
population française, manipulée par la mafia communiste qui tenait
en ses filets jusques aux partis désignés de droite par d’aucuns
naïfs fumistes en science médiatique. Après lui, en sa race
perdurerait son esprit, et c’est là tout ce qu’il attendait de la
mort. Prolonger sa race ! La faire perdurer ! Quel plus belle et
ample expérience pouvait bien vivre un homme ? Concevoir
l’incarnation même de son propre esprit, – à tout le moins ceux qui,
avec un peu de méthode et de volonté, pourraient devenir tels ;
quelle griserie métaphysique !
Y a-t-il plus belle idée que celle de lignée ?, demandait-il à
présent au Christ figé à quelques mètres de lui dans le marbre d’une
pièta de Nicolas Coustoues. Bien sûr, toi, superlatif célibataire né
d’une Vierge et participant pleinement à la nature de son Père, tu
ne peux entendre d’une oreille compréhensive telle émerveillante
perspective, toi qui a su conceptualiser une origine trimodale,
engendré par le Père, conçu par le Saint-Esprit et, enfin, né de la
Vierge Marie, tu ne peux rien entendre à l’exaltation d’une
procréation univoque, totale, nécessaire et pourtant consentie de
libre volonté. Tes vicaires mêmes, ces Papes, n’obéissent pas au
principe dynastique à quoi sont toutes les monarchies du monde
soumises, ou peu s’en faut, car l’Église, ton Église, depuis
toujours se méfie des lignées qu’elle sait lui pouvoir échapper,
comme le fit par exemple Henri VIII et, depuis, l’intégrale
monarchie anglaise. Je sais bien qu’il y a d’augustes nigauds
pour affirmer que c’est précisément là que se loge son principe de
pérennité, mais je n’accorde aucune foi à leur bancroche
raisonnement car ce serait faire fi de l’égale longévité des
autres maintes religions qui sont autant de survivances en mon
époque de générale déliquescence. Foutaises donc, bientôt par
pleines fournaises oubliés des quelques illuminés responsables de
celles-ci. Par contre, pauvre Jésus, ce qui m’apparaît évident,
c’est la multicentenaire responsabilité de ton Église, point
seule certes en cause, dans ce que le bel écrivain contemporain
Renaud Camus nomme le « grand remplacement », cette générale
tentative d’atteindre définitivement à la pureté d’une race, nôtre,
boréenne disons, par l’encouragement frénétique d’une immigration
massive en provenance des pays arabo-musulmans. La Charité, dit le
Pape !...
Son pistolet en bouche, Achitophel Reverson ne put s’empêcher de
ricaner, – quoique peut-être était-ce tout intérieur car il lui
sembla que nul son de s’extrayait de son gosier obstrué. La
Charité prélude à la charia maîtresse sur nos terres, peut-être
! Nous verrons à ce moment-là, lorsque l’Europe sera passée sous
domination arabo-musulmane, ce qu’il en sera des immigrants inaptes
à toute conséquente intégration, atrabilaires de leurs idiomes
comportementaux et se refusant à tout effort de transformation qu’en
revanche, sur les territoires par eux conquis à la force de l’épée,
ils exigent des plus infimes touristes ; et ce bien sûr sans nulle
discussion possible. En nos temps post-modernes, le cadavre
encombrant de la chrétienté morte depuis plusieurs siècles n’est
d’aucun secours face à la déferlante islamique dont l’Occident est
aujourd’hui passive, voire consentante victime. C’est pour cette
fondamentale raison que mon cœur politique est porté à l’absolue
laïcité. Non point celle, tiède et hypocrite, des liquides
socialistes qui s’affairent sous couvert de laïcité à faire expier
l’Église Catholique des crimes dont, auparavant, ils ont pris soin
de la badigeonner avec épaisse complaisance, non, celle plutôt de
mon cher Parti, mon Parti-Pris en toute chose d’importance, celle
qui en son nom m’a poussé à maintenir vivace jusques à cet instant
mon combat contre le port du voile dans l’espace publique qui n’est
que le sordide étalage d’un choix confessionnel privé. Étalage
publicitaire, devrais-je dire puisque le but insu volontairement –
d’aucuns se voilent la face ! – est bien entendu de faire participer
de ce fait toutes les femmes musulmanes d’Europe à la disparition de
la civilisation qui est depuis plusieurs millénaires attachées à ce
continent. Laïcité sans concession, donc, c’est-à-dire rigoureuse
interdiction de tout signe distinctif religieux sur la voie
publique, que religieux soit ici attaché au Christianisme, à
l’Islam, au Bouddhisme ou au Judaïsme, bien sûr, qui trop souvent à
mon goût fait exception en tout, sur tous les plans.
Alors, Christ, me diras-tu sans doute : que faire à ce moment de
la pléthore de petits salopiauds évangélisés qui se réclament de ton
Église et cependant, contre tous tes principes amaigrissants de
Justice sociale et de Charité universelle, se font un honneur de
chanter à l’unisson les hymnes de la dextre émise radicale ? Les
faire abdiquer leurs principes, tout simplement, s’ils sont
nostalgiques des chouans ou de quelque autre sympathique folklore
local dont la Droite agissante ne peut s’encombrer en son actuelle
et fulgurante ascension. Naguère, déjà, les républicains au postlude
de la Révolution, enseignaient aux petits français qu’ils avaient
pour ancêtres les Gaulois, – exclusivement. L’évidence historique,
lors, ne faisait point encore trembler les doxiques élites d’un pays
ne se désirant plus autre chose que réceptacle d’une Altérité
glorifiée messianique cependant qu’icelle, à la vue de tous, réduit
consciencieusement son réceptable en miettes afin de mieux pouvoir,
sur les débris, construire le croissant triomphant de son succès
civilisationnel.
Les disciples du Christ, en effet, même faux, même maurrassiens,
même en ces temps d’avancé sabordage du Catholicisme par ses propres
troupes, n’étaient pas en tant que tels immédiatement bienvenus au
sein de la congrégation dont était membre Achitophel Reverson et
qu’il rêvait faites d’âmes vigoureuses des influx antémémoriaux d’un
passé pré-chrétien seul capable d’encore sauver l’identité d’un
Monde qui jouissait de son propre effondrement, transmué progrès
sous l’effet des vapeurs toxiques d’une infernale idéologie de
l’autruche collective.
Pourtant, les susmentionnés n’étaient pas sous menace
d’extinction, que du contraire ! Le catholique dextrophile ne
s’était peut-être jamais aussi bien porté, et ce en très large
partie grâce à Maurras et son politicisme exacerbé qui, s’il
lui avait valu de sévères remontrances du Saint-Siège, le firent en
revanche triomphant en postérité jusques à présent où la jeunesse
catholique, massivement inapte au moindre mysticisme, trouve dans
l’excitation politique moyen de soulager ses vibratiles muqueuses
sans faire l’effort d’y adjoindre la plus infime part d’activité
pensante. Ceux-là font de la politique comme d’autres se lustrent
le priape : à des fins de pure vidange. Ne pouvant point copuler
en bonne conscience avant le mariage, la neuve jeunesse catholique
se lance à corps perdu dans la politique afin de compenser par-là
l’inertie forcée de leur libido pré-conjugale. Le catholique
juvénile de moderne extraction, par essence, est ignare de familiale
tradition ; scout toujours, car dès ses premiers balbutiements
dressé au groupal compulsif, il fait ses classes plutôt que ses
humanités et n’entend rien à son propre patrimoine culturel,
par-dessus tout littéraire. Au contraire d’Achitophel qui, dès ses
plus jeunes années, avait saisi la nécessité d’enrober toujours de
voluptueux colifichets érudits l’excrémence qu’il avait élue
doctrine d’existence, l’adulescent d’ascendance cathoblique se
revendique insavant de toutes importances littéraires de son propre
horizon et s’enténèbre à préférer, malgré les efforts de Benoit XVI,
le rock chrétien aux Messes de Mozart, tout comme d’ailleurs il
préfère la lecture d’aucun fabriquant factice d’adjadjantises
théâtrales aux chefs-d’œuvre de Claudel. Tribordosensible parce que
ses ainés le furent, qui jà s’imaginaient que la carte d’un parti de
Droite était nécessaire à l’usage hebdomadaire des bancs dominicaux,
il croit autant en son Dieu qu’en celui, caniveau d’or, de la
contemporaine politique de post-histoire et s’acharne en acte
vociférant à nous faire savoir l’inexpugnable évidence de telle
abusive intrication conceptuelle.
Pourtant, même si tel petit impatient de Cité céleste se voyait
constitué de bas en haut pour plaire à la dextrême, Achitophel
Reverson ne comptait point trop sur eux pour s’émanciper des
châtrantes prolongations inconscientes d’Évangile qui, toujours,
risquaient en eux de faire reflux et d’ainsi les faire céder aux
consanguin nonchaloir d’âme dont se nourrit, en principale
substance, le christianisme analysé par les bons soins du très
objectif historien.
Son amour immodéré pour sa famille, et en générale pour la
Famille, n’était donc en rien enraciné en terreau chrétien et
l’humide nuage d’émotion qui lui était monté aux yeux lorsqu’il les
avait posé sur le portrait photographique familial était d’un tout
autre ordre, identitaire bien sûr. Sa famille, plus traditionnelle
que la Sainte Famille traversées d’internes complexités qu’il ne
désirait pas même se donner la peine de penser avec rigueur, sa
famille était pour lui le socle immémorial d’une identité
communautaire que sa dissolution ferait sans délais voler en éclats.
Homère toujours, – qui structurait à hauteur de mélecture faite par
lui de ses deux grands poèmes l’intégrale dialectique d’où, sans
exception, découlait la sienne idéologie. La Nation sauvée par le
foyer, la Nation tressée au foyer, l’une survivant en l’autre,
l’autre en l’une, le tout impeccablement imbriqué comme rouage
d’horlogerie. Hector support d’Ulysse, et vise versa, l’un portant
l’autre à son épanouissement, duquel germe à nouveau le premier, ce
en une éternelle rotation de la dyade souveraine sur elle-même.
Achitophel Reverson participait du culte de la famille sacrée, mais
telle par dynastique nécessité car seule une forte cohésion
familiale pouvait permettre à une nation de persister en unité et de
n’être pas dissoute en quelques années par l’acidité des intérêts et
personnalités particulières qui, on le sait depuis Platon, doivent
céder aux exigences communautaires pour le bien de la cité.
Parcourant d’un bienveillant conspect l’ensemble de sa puérile
tribu, il s’était d’ailleurs imaginé la beauté d’une nation fondée
sur un semblable modèle, efficace à échèle de population : la
consentante acceptation d’une autorité sue compétente, à laquelle le
peuple de ce fait pouvait s’abandonner, en un premier temps, sans
crainte d’être floué de quelque façon que ce pût être, voilà le
principe essentiel de toute archie, qu’elle fût monarchie ou
démocratie antique. Mais pour un tel résultat, si réjouissant, il
fallait que ladite autorité se pût appuyer sur un héritage riche et
fécond, une tradition de représentations éthiques et ontologiques
fortes, propres à soulever les foules comme la houles d’une mer aux
flots excités par le trident de Poséidon ; ce que lui, Achitophel
Reverson, inlassable lecteur d’Homère et d’Héraclite, pourri
pourceau enflé aux gaz intestinaux de l’Action Française, avait
accompli au sein de sa famille où par ailleurs il avait toujours
été, pour sa part, comblé d’amour.
Son ultime pensée sera-t-elle donc pour ses proches, pour ceux
dont il savait qu’ils souffriront du geste qu’il s’apprêtait à
commettre, sacrilège immonde que démiurgique démence lui permettait
de ressentir ainsi qu’un acte militant, quelque chose comme un haut
sacrifice fait à sa patrie française et européenne ?
Peut-être, en fin de compte…
Il se souvint alors d’une certaine après-midi de printemps
bourgeonnant, dans le petit jardin clos de sa résidence de campagne,
lorsqu’entre deux et neuf ans s’échelonnaient les âges de sa
guirlande bambineuse dont les divers éléments s’agitaient alentours
en clameur vague qu’une seule sévère interjection de sa part
suffisait à réduire au silence de la brise dans les feuilles d’un
vieux tilleuls rongé de mousse. Folle d’aise à la sensation nette du
retour des beaux jours, sa progéniture multiple prenait particulier
plaisir à savourer en nombreuses roulades l’herbe fraiche et verte à
nouveau, douce et chatouillante à la fois. De la table où, au soleil
tiède du mois de mai, il terminait la relecture des épreuves de son
dernier ouvrage, Achitophel Reverson avait un instant été saisi par
la primitive beauté de cette scène, simple d’apparence et pourtant à
ses yeux portant en elle, discret, le murmure sublime de la réelle
sacralité du monde naturel. Cette joie pure, symbiotique, qui
semblait unir les fruits de son sang aux neuves efflorescence de la
Terre, cette sérénité sous-jacente à l’enfantine agitation des
derniers membres de sa race lui avaient, l’espace de quelques
miraculeuses minutes, rendus la divinité du cosmos palpable,
immédiatement perceptible, comme évidente, lumineuse, s’extravasant
à grands flots de rayons d’or et d’argent de chaque parcelle
mouvante de réalité qu’il avait devant lui, inondant d’une coulée de
nitescence glorieuse les phénomènes alentours.
Durant quelques précieux instants, il s’était senti plongé dans
la chair tendre, fraiche, comme ensoleillée de l’intérieur, d’un
Renoir, mais un Renoir où, comble de l’exaltation, ses propres
enfants se seraient retrouvés propulsés par quelque mystérieux
sortilège ; et voilà donc sa descendance projetée à hauteur d’art,
faisait surgir de leur involontaire candeur la substance
puissamment, primitivement esthétique du Monde rendu à sa
matricielle innocence, tel que, précurseurs en tout, les Grecs jà
l’avait pensé : déploiement ininterrompu de forces vitales,
chaotiques parfois, ordonnées en d’autres temps, équilibrées
toujours en finale situation. Quelle douce fierté de contempler, à
quelques mètres de lui, les chastes ébats de la Vie même en son
renouveau, scène où congruent en une surprenante harmonie le
bourgeonnement de la Nature et les derniers effloraisons de l’espèce
humaine, nées de sa propre chair, qui s’éveillent à la fugace beauté
du monde en s’y frottant, au sens propre, comme si leur plus cher
désir était de retourner à un parfait état de contemplation
primitive.
Splendeur colossale des flux de générations, immémoriaux, qui
déferlent sur le Temps depuis la naissance de l’Humanité !
Sempiternel mouvement des vies et morts individuelles, maintes,
infinitésimales, œuvrant de concert, tacite et su pourtant, à la
marche solennelle et imperturbable des cycles de la Vie. Homère,
encore et toujours ! « Comme naissent les feuilles, ainsi font les
hommes. Les feuilles, tour à tour c’est le vent qui les épand sur le
sol et la forêt verdoyante qui les fait naître quand se lèvent les
jours du printemps. Ainsi des hommes : une génération naît à
l’instant où une autre s’efface. » Flux et reflux des générations,
comme la mer sur le sable d’une plage éternelle où, cependant, les
traces immédiatement ne s’effacent pas, – pas toutes, du moins.
Voilà pourquoi la Famille à ses yeux apparaissait sacrale : où
donc mieux qu’au sein de son foyer s’enjouir de voir, réel, la fine
écume de l’effluence vitale, crête de vagues des âges de l’Humanité
qui, tout entiers, venaient mousser dans son propre jardin en les
personnes de ses chers enfants qui, plus loin que lui, à travers
lui, porteraient la substance de la Vie toujours triomphante dont il
pouvait alors contempler panoramique la souterraine propulsion d’une
sève immémoriale prenant racine au plus profond de la mémoire
collective de chaque peuple et se déployant jusques en ses plus
actuelles ramifications ; celles-là mêmes qu’il contemplait alors
comme autant de prometteuses inflorescences colorées aux teintes
galvanisantes de sa propre race.
Oui, songea-t-il, alors, sur cette sereine et fière pensée il
pouvait à présent prendre possession de sa propre fin, mener en
maître sa vie à son terme, accoster sans honte, ni crainte, ni
regret, aux rivages du néant qu’il s’avait lui faire face, au-delà
du Visage de ce Christ de pierre dont les yeux clos semblaient
attendre seulement l’accomplissement de son geste pour s’ouvrir sur
sa posthume destinée. Chacun son Commandeur, pensa-t-il en
affrontant une dernière fois ces pupilles figées, mais moi non plus,
je ne lâcherai pas : soi-même jusqu'au bout, petit Juif, soi-même
jusqu’au bout ! Ma mort, comme toute mon existence, m’appartiendra
et se réalisera, symbolique, dans le prolongement fidèle de mes
actes unanimes, ce depuis ma prime jeunesse ; elle fera signe, pour
plusieurs générations peut-être, vers l’idéal qui fut le mien et que
jamais je n’ai trahi, pas même à présent, au seuil du néant dont je
triompherai par la pérennité certaine de ma race et de mon esprit.
Sur ce dernier mot, Achitophel Reverson appuya sur la détente et,
dans un bruit sec d’arme précise répercuté multiple par les hautes
voûtes de la cathédrale, le jus fétide de sa cervelle se répandit en
glaires maintes sur l’autel et son sang chancit éclaboussa autour de
sa charogne les saintes dalles du chœur. Consummatum est, crièrent
alors en échos diffus les ogives horrifiées sous lesquelles, chaque
jour, le Corps et le Sang réels du Christ étaient présentés aux
fidèles et qui, en cette sinistre date, voyaient pour la première
fois sans doute être versé le sang tourné – au sens où tourne le
lait – d’une infernale crapule sacrilège.
Tout de suite, un strident hurlement s’éleva au-dessus de cette
carcasse chaude, fumante comme si déjà, l’haleine létale du Diable
s’employait à précipiter sa décomposition ; une mère de famille
allemande, sans plus pouvoir interrompre sa stridulation, plaqua
contre ses jupes le visage de sa fille afin de lui interdire la
vision de telle scène. Quelque part au fond du transept, un
groupuscule d’asiatiques levèrent les yeux de leurs guides
touristiques et, d’instinct, portèrent à leurs appareils
photographiques une rafale de mains agiles.
Comme une trainée de sang embrasée par l’astre vermeil d’En-Bas,
l’horreur se répandit à grands flots, épais et bourbeux, dans
l’entière cathédrale jusques au narthex où, pendant quelques minutes
encore, elle fut endiguée par les portes principales du bâtiment,
derrière lesquelles, à l’extérieur, les touristes continuaient de se
bousculer, appareils photographiques au poing, pour profiter d’une
visitée guidée du saint lieu, gratuite et, au surplus, disponible en
huit langues au choix.
Romain Debluë, 23-24 mai 2013