...Alain Badiou ....Pornographie du temps présent ...

Dossiers : coqs vers coques

                              

                                                                                                                       

 

Date : 22 juin 2013

amazone

 

 

EXTRAIT pages 37...44 dernière page

 

Le problème central, pour qui veut se soustraire au pouvoir du pouvoir, est de se désencombrer de son enchaînement aux images, et pour cela de savoir qui est le préfet de police de ses convictions les plus intimes. Quel est le ressort subjectif de notre consentement au monde tel qu'il va ? Depuis que l'idée de révolution s'en est absentée, notre monde n'est que le recommencement de la puissance, sous l'image consensuelle et pornographique de la démocratie marchande. Mon optimisme est qu'une pensée forte, organisée et populaire, qui ferait face à ce recommencement, peut interrompre le cycle du retour, lequel nous a ramenés à un état des choses - la domination sans partage de l'élan du capitalisme déchaîné - voisin de celui des années quarante du dix neuvième siècle.

À une condition toutefois : nous devons comprendre, ce qui est pour nous très difficile, que la vraie critique du monde, aujourd'hui, ne saurait se ramener à la critique académique de l'économie capitaliste. Rien n'est plus facile, rien n'est plus abstrait, rien n'est plus inutile, que la critique du capitalisme réduite à elle-même. Ceux qui mènent grand bruit sur cette critique en viennent toujours à de sages réformes de ce capitalisme. Ils proposent un capitalisme régulé et convenable, un capitalisme non pornographique, un capitalisme écologique et toujours plus démocrate. Ils exigent un capitalisme confortable pour tous, en somme : un capitalisme à visage humain. Rien ne sortira de ces chimères. La seule critique dangereuse et radicale, c'est la critique politique de la démocratie. Parce que l'emblème du temps présent, son fétiche, son phallus, c'est la démocratie. Tant que nous ne saurons pas mener à grande échelle une critique créatrice de la démocratie d'État, nous resterons, nous stagnerons, dans le bordel financier des images. Nous serons les serviteurs du couple formé par la patronne du bordel et le chef de la police : le couple des images consommables et du pouvoir nu. Pour l'instant, nous sommes entre deux mondes. Nous savons tous, je crois, que notre temps est un « aujourd'hui » intervallaire. «

"Démocratie » est aussi un mot intervallaire, un mot qui ne sait ni d'où il vient, ni où il va, ni même ce qu'il signifie. Un mot qui ne fait que couvrir notre désir passif de confort, la satisfaction où nous sommes de notre misère mentale, misère qu'un mot récapitule, celui de « classe moyenne ». Nous reconnaissons là, bien évidemment, l'imagerie démocratique, en même temps que la méconnaissance risible du préfet de police mental qui en ordonne l'adoration, l'imitation. C'est dans cette subjectivité en effet moyenne dont l'idéal est de persévérer dans son être que réside le support massif, le support de classe, partout dans le monde, et singulièrement dans le monde occidental, de l'État dit démocratique, alors même que, de l'État de droit, de l'État dont les fameuses « valeurs occidentales » commandent son droit à intervenir militairement partout où il y a de juteuses matières premières, de ce genre d'État, nous voyons jour après jour qu'il est, de façon proprement stupéfiante, le fondé de pouvoir du capital.

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C'est que l'individu de la classe moyenne, qu'ici nous sommes tous par une part de nous mêmes, désire persévérer dans le monde tel qu'il est, pourvu que le capitalisme lui propose une autorité moins despotique, plus consensuelle, et une corruption mieux réglée, dont il pourra participer sans même avoir à s'en rendre compte. C'est peut-être la meilleure définition de la classe moyenne contemporaine : participer naïvement à la formidable corruption inégalitaire du capitalisme, sans avoir même à le savoir. D'autres, en très petit nombre, et placés plus haut, le sauront pour elle. Tel est en vérité l'état contemporain des choses : la classe moyenne se délecte des marchandises et des images téléportées, cependant que la révolution, le communisme, tels des astres morts, gravitent au loin, privés de toute image affirmative, et comme englués dans l'imagerie où le monde dominant et son armée de préfets de police s'imaginent pouvoir les cantonner pour toujours.

Dans une pièce de jeunesse, Empereur et Galiléen, Ibsen traite de l'histoire de Julien l'Apostat, appelé ainsi parce qu'il a voulu restaurer le paganisme après Constantin, après la conversion de l'Empire au christianisme. Et selon Ibsen, Julien l'Apostat, balancé entre l'esthétique venue des Grecs et la révélation des chrétiens, déclare magnifiquement : « L'ancienne beauté n'est plus belle, et la nouvelle vérité n'est pas encore vraie. »

Qu'est-ce que le temps présent, pour nous autres, qui tentons de maintenir ouverte la porte par laquelle on s'évade de la caverne de Platon, du règne démocratique des images?

C'est un temps où l'ancienne politique révolutionnaire n'est plus active, et où la nouvelle politique expérimente, difficilement, sa vérité. Nous sommes les expérimentateurs de l'intervalle. Nous sommes entre deux mondes, dont l'un tombe peu à peu dans l'oubli, et dont l'autre n'est que fragmentaire. Il s'agit de passer. Nous sommes des passeurs. Nous créons par fragments une politique sans fétiches, pas même, surtout pas, le fétiche démocratique.

Comme le dit dans Le Balcon un des révoltés : Comment approcher la Liberté, le Peuple, la Vertu, et comment les aimer si on les magnifie ! Si on les rend intouchables ? Il faut les laisser dans leur réalité vivante.

Qu'on prépare des poèmes et des images, non qui comblent mais qui énervent. Préparons donc, si nous savons comment faire, mais nous le savons toujours un peu, ces poèmes et ces images qui ne comblent aucun de nos désirs asservis. Préparons la nudité poétique du présent.

      

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« Le gendarme ? C'est toute l'humanité ! Au fond, on cire toujours les pompes de ses supérieurs hiérarchiques et on s'essuie sur le derrière de son sous-fifre ! » de Louis de Funès

 

....le capitalisme de la séduction .....michel glouscard

 

 

 

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