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C'est ce qui
apparaît dans un passage de
Mein Kampf:
«L'homme
ne doit
jamais tomber dans l'erreur de croire qu'il est
seigneur et maître de la
nature... Il
sentira dès lors que dans un monde où les planètes et
les
soleils
suivent des
trajectoires circulaires, où des lunes tournent autour des planètes,
où la force règne partout et seule en maîtresse de la faiblesse,
qu'elle
contraint à la servir docilement ou qu'elle
brise, l'homme ne peut pas relever de lois spéciales
Ces lignes
expriment d'une manière irréprochable la seule conclusion qu'on
puisse
raisonnablement tirer de la conception du monde enfermée dans notre
science. La vie entière d'Hitler n'est que la mise en oeuvre de cette
conclusion.
Qui peut lui
reprocher d'avoir mis en oeuvre ce qu'il a cru reconnaître pour
vrai? Ceux
qui, portant en eux les fondements de la même croyance, n'en ont
pas pris
conscience et ne l'ont pas traduite en actes, n'ont échappé au crime
que
faute de posséder une certaine espèce de courage qui est en lui.
( hcq : ...le mondialisme .... s'est donné
cette force avec l'argent -dette ) ..Encore
une fois, ce n'est pas l'adolescent abandonné, misérable vagabond,
à l'âme affamée, qu'il est
juste d'accuser, mais ceux qui lui ont donné à
manger du mensonge. Et ceux qui lui
ont donné à manger du mensonge,
c'étaient nos aînés, à qui nous
sommes semblables. Dans la catastrophe de notre temps, les
bourreaux et les victimes sont, les
uns et les autres, avant tout les
porteurs involontaires d'un témoignage sur
l'atroce misère au fond de
laquelle nous gisons.
Pour avoir le droit de punir les coupables, il faudrait d'abord nous
purifier de leur crime, contenu sous toutes sortes de
déguisements dans notre propre
âme. Mais si nous réussissons cette opération, une fois qu'elle sera
accomplie nous n'aurons
plus aucun désir de punir, et si nous croyons être obligés
de le faire, nous le ferons le
moins possible et avec une extrême douleur.
Hitler a très bien vu l'absurdité
de la conception du XVIII siècle encore en
faveur aujourd'hui, et qui
d'ailleurs a déjà sa racine dans Descartes. Depuis
deux ou trois siècles on croit à
la fois que la force est maîtresse unique de
tous les phénomènes de la nature,
et que les hommes peuvent et doivent
fonder sur la justice, reconnue au
moyen de la raison, leurs relations
mutuelles. C'est une absurdité
criante. Il n'est pas concevable que tout dans l'univers soit
absolument soumis à l'empire de la force et que l'homme
puisse y être soustrait,
alors qu'il est fait de chair et de sang et que sa pensée
vagabonde au gré des impressions sensibles.
Il
n'y a qu'un
choix à faire. Ou il faut apercevoir à l'oeuvre dans l'univers, à
côté de la force, un principe autre qu'elle, ou il faut reconnaître la
force
comme maîtresse unique et souveraine des relations humaines aussi.
Dans le premier cas, on se met en opposition radicale avec la
science moderne telle
qu'elle a été fondée par Galilée, Descartes
et plusieurs autres,
poursuivie au
XVIII
siècle, notamment par
Newton, au XIX, au XX°. Dans le second, on se met en
opposition radicale avec l'humanisme qui a
surgi à la Renaissance, qui a triomphé en 1789, qui, sous une forme
considérablement
dégradée, a servi
d'inspiration à toute la III,
République.
La philosophie qui a inspiré l'esprit laïque et la politique radicale
est fondée
à la fois sur cette science et sur cet humanisme, qui sont, on le
voit,
manifestement incompatibles. On ne peut donc pas dire, que la
victoire
d'Hitler sur la France de 1940 ait été la victoire d'un mensonge sur
une
vérité. Un mensonge incohérent a été vaincu par un mensonge cohérent.
C'est
pourquoi, en même temps que les armes, les esprits ont fléchi.
Au cours des
derniers siècles, on a confusément senti la contradiction entre
la science et
l'humanisme, quoiqu'on n'ait jamais eu le courage intellectuel de la
regarder en face. Sans l'avoir d'abord exposée aux regards, on a tenté
de la résoudre. Cette improbité d'intelligence est toujours punie
d'erreur.
L'utilitarisme
a été le fruit d'une de ces tentatives. C'est la supposition d'un
merveilleux petit mécanisme au moyen duquel la force, en entrant dans
la
sphère des relations humaines, devient productrice automatique de
justice.
Le libéralisme
économique des bourgeois du XIXe
siècle repose
entièrement
sur la
croyance en un tel mécanisme. La seule restriction était que, pour
avoir la propriété d'être
productrice automatique de justice, la force doit
avoir la forme de l'argent, à
l'exclusion de tout usage soit des armes soit du
pouvoir politique.
Le marxisme
n'est que la croyance en un mécanisme de ce genre. Là, la force
est baptisée
histoire ;
elle a pour forme la lutte des
classes ; la justice est
rejetée dans un avenir qui
doit être précédé d'une espèce de catastrophe apocalyptique.
Et Hitler
aussi, après son moment de courage intellectuel et de clairvoyance,
est
tombé dans la croyance en ce petit mécanisme. Mais il lui fallait un
modèle
de machine inédit. Seulement il n'a pas le goût ni la capacité de
l'invention intellectuelle, en dehors de quelques éclairs d'intuition
géniale. Aussi
a-t-il
emprunté son modèle de machine aux gens qui l'obsédaient continuellement
par la répulsion qu'ils lui inspiraient. Il a simplement choisi pour
machine
la notion de la race élue, la race destinée à tout faire plier, et
ensuite
à établir
parmi ses esclaves l'espèce de justice qui convient à l'esclavage.
À toutes
ces conceptions en apparence diverses et au fond si semblables, il
n'y a
qu'un seul inconvénient, le même pour toutes. C'est que ce sont des
mensonges.
La force n'est
pas une machine à créer automatiquement de la justice. C'est un
mécanisme aveugle dont sortent au hasard, indifféremment, les effets
justes ou
injustes,
mais, par le jeu des probabilités, presque toujours injustes. Le
cours du temps n'y fait rien; il n'augmente pas dans le fonctionnement
de ce mécanisme
la proportion infime des effets par hasard conformes à la justice.
Si la force est absolument
souveraine, la justice est absolument irréelle.
Mais elle ne l'est pas. Nous le
savons expérimentalement. Elle est réelle au fond du coeur des
hommes. La structure d'un coeur humain est une réalité
parmi les réalités de cet
univers, au même titre que la trajectoire d'un astre.
Il n'est pas au pouvoir d'un homme
d'exclure absolument toute espèce de
justice des fins qu'il assigne
à ses actions. Les nazis eux-mêmes ne l'ont pas pu. Si c'était
possible à des hommes, eux sans doute l'auraient pu.
Soit dit en
passant, leur conception de l'ordre juste qui doit en fin de compte
résulter de leurs victoires repose sur la pensée que, pour tous ceux
qui sont
esclaves par
nature, la servitude est la condition à la fois la plus juste et la
plus heureuse. Or
c'est là la pensée même d'Aristote, son grand argument
pour l'apologie de l'esclavage.
Saint Thomas, bien qu'il n'approuvât pas l'esclavage,
regardait Aristote comme la plus grande autorité pour tous les sujets
d'étude accessibles à la
raison humaine, au nombre desquels la justice. Par
suite, l'existence dans le
christianisme contemporain d'un courant thomiste constitue un lien de
complicité - parmi
beaucoup d'autres, malheureusement
- entre le camp nazi et le
camp adverse. Car, bien que nous repoussions
cette pensée d'Aristote, nous sommes forcément amenés dans notre
ignorance à en accueillir
d'autres qui ont été en lui la racine de celle-là. Un
homme qui prend la peine
d'élaborer une apologie de l'esclavage n'aime pas
la justice. Le siècle où
il vit n'y fait rien. Accepter comme ayant autorité la
pensée d'un homme qui n'aime
pas la justice, cela constitue une offense à la
justice, inévitablement punie
par la diminution du discernement. Si saint
Thomas a commis cette offense,
rien ne nous contraint à la répéter.
Si la justice est ineffaçable au coeur
de l'homme, elle a une réalité en ce monde. C'est la
science alors qui a tort.
Non pas la
science, s'il faut parler exactement, mais
la science moderne