au commencement était le logos...au dialogue des cultures ....

Dossiers :  le Verbe  :Dialogue Inter-Religions

Présentation :...Discours du pape à l’Université de Ratisbonne....La violence est en opposition avec la nature de Dieu et la nature de l'âme

ROME, Vendredi 15 septembre 2006 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape Benoît XVI a prononcé à l’Université de Ratisbonne, le mardi 12 septembre, dans le cadre de son voyage en Allemagne (9-14 septembre).
« ‘Au commencement était le logos’ … Logos signifie à la fois raison et parole — une raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en tant que raison », affirme le pape. « C'est à ce grand logos, à cette ampleur de la raison, que nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des cultures ».

 

 

Extraits : 

 
Benoit XVI :  Ce n'est qu'ainsi que nous devenons également aptes à un véritable dialogue des cultures et des religions — un dialogue dont nous avons un besoin urgent. Dans le monde occidental domine largement l'opinion que seule la raison positiviste et les formes de philosophie qui en découlent sont universelles. Mais les cultures profondément religieuses du monde voient précisément dans cette exclusion du divin de l'universalité de la raison une attaque à leurs convictions les plus intimes. Une raison qui reste sourde face au divin et qui repousse la religion dans le domaine des sous-cultures, est incapable de s'insérer dans le dialogue des cultures.

Yves Daoudal .....Voilà où le pape voulait en arriver. Quand il parle de la synthèse harmonieuse entre foi et raison, il renvoie explicitement à ce qu’était l’université au moyen âge, et il assigne aux universitaires chrétiens d’aujourd’hui de reconstituer et de faire revivre cette synthèse. C’est la synthèse universitaire de l’universalité des sciences. L’université, comme son nom l’indique, rassemble toutes les connaissances, toutes les sciences. Son nom complet est Universitas scientiarum, université des sciences. Il n’y a pas le discours sur la foi d’un côté et les sciences profanes de l’autre, il y a une unité des sciences, et la première des sciences est la théologie, accompagnée de sa servante la philosophie. Les autres sciences sont certes autonomes, mais ne peuvent vivre qu’à la lumière de la théologie et de la philosophie.

en z relations

 .... dialogue .... foi et raison .... conscience .... inconscient ... ENMULTETUN...

Vérité  du christianisme .......  texte d'une conférence donnée à la Sorbonne en 1999 par le cardinal Joseph Ratzinger

  http://site.voila.fr/foilogic/genese.html#note  L'homme du troisième millénaire n'acceptera plus de croire sans raison ....

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Sécularisation et rationalisme ......

 

Théodore Ratisbonne    :  trouvé via google en tapant RATISBONNE  ....

 

http://www.occidentalis.com/blog/index.php/benoit-xvi-reveille-les-catholiques-mais-ne-doit-pas-reculer

Lapsus de Jospin? "utiliser l'islam au nom de la violence" ou "utiliser la violence au nom de l'islam"?

 

http://www.resiliencetv.fr/modules/news/article.php?storyid=1351

J'ai interviewé le philosophe Raphaël Lellouche sur le discours de Ratisbonne. Où l'on voit comment une mûre réflexion du Pape peut être déformée et provoquer de ce fait agitation, haine, destructions d'églises, et même un meurtre. Alors que, comme nous l'explique plus bas Raphaël Lellouche, cette déclaration importante appelait en réalité au dialogue avec les musulmans.

 

Quelques remarques sur la critique des religions ...Une seule voie existe, et elle est étroite : c'est de s'autoriser une critique, mais qui ne sorte jamais du cadre de la raison. ... quand elle est rationnelle et non pas passionnelle –, elle est responsable, elle sert la vérité, elle est bienfaisante pour les croyants et pour tous.

 

Le rapport entre raison est foi constitue un défi pour la culture dominante

Selon la pensée de saint Thomas, la raison humaine « respire », d’une certaine manière : c’est-à-dire qu’elle se meut dans un horizon ample, ouvert, où elle peut exprimer le meilleur d’elle-même. Lorsqu’en revanche l’homme se limite à penser uniquement à des objets matériels et « expérimentables » et se ferme aux grandes interrogations sur la vie, sur lui-même et sur Dieu, il s’appauvrit.

 

11 septembre 2007 Les fruits du discours de Ratisbonne

MOSQUEE D'AMMAN   Ratisbonne II : Une intéressante analyse italienne du discours prononcé par le Saint-Père à la grande mosquée d'Amman (9/5/2009)

 

 

‘Au commencement était le logos’

Auteur:   Benoît XVI

Source:  www.zernit.org

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Date : 12.09.06    

 

Eminences, Messieurs les Recteurs, Excellences,
Mesdames, Messieurs!

C'est pour moi un moment de grande émotion de me trouver une nouvelle fois dans cette université et de pouvoir une nouvelle fois donner un cours. Mes pensées se tournent en même temps vers ces années où, après une belle période auprès de l'Institut supérieur de Freising, je commençai mon activité d'enseignant à l'université de Bonn. C'était encore — en 1959 — l'époque de l'ancienne université des professeurs ordinaires. Pour chacune des chaires, il n'existait ni assistants, ni dactylographes, mais en revanche il y avait un contact très direct avec les étudiants et surtout aussi entre les professeurs. L'on se rencontrait avant et après la leçon dans les salles des professeurs. Les relations avec les historiens, les philosophes, les philologues, et naturellement aussi entre les deux facultés de théologie étaient très étroites. Une fois par semestre, il y avait ce que l'on appelait le dies academicus, où les professeurs de toutes les facultés se présentaient devant les étudiants de toute l'université, permettant ainsi une expérience d'universitas — une chose à laquelle vous aussi, Monsieur le Recteur, vous avez fait récemment allusion — c'est-à-dire l'expérience du fait que nous tous, malgré toutes les spécialisations, qui parfois nous rendent incapables de communiquer entre nous, formons un tout et travaillons dans le tout de l'unique raison dans ses diverses dimensions, en étant ainsi ensemble également face à la responsabilité commune du juste usage de la raison — ce phénomène devenait une expérience vécue. Sans aucun doute, l'université était également fière de ses deux facultés de théologie. Il était clair qu'elles aussi, en s'interrogeant sur la dimension raisonnable de la foi, accomplissaient un travail qui nécessairement fait partie du « tout » de l'universitas scientiarum, même si tous pouvaient ne pas partager la foi, dont la relation avec la raison commune est l'objet du travail des théologiens. Cette cohésion intérieure dans l'univers de la raison ne fut même pas troublée lorsqu'un jour la nouvelle circula que l'un de nos collègues avait affirmé qu'il y avait un fait étrange dans notre université: deux facultés qui s'occupaient de quelque chose qui n'existait pas — de Dieu. Même face à un scepticisme aussi radical, il demeure nécessaire et raisonnable de s'interroger sur Dieu au moyen de la raison et cela doit être fait dans le contexte de la tradition de la foi chrétienne: il s'agissait là d'une conviction incontestée, dans toute l'université.

Tout cela me revint en mémoire récemment à la lecture de l'édition publiée par le professeur Theodore Khoury (Münster) d'une partie du dialogue que le docte empereur byzantin Manuel II Paléologue, peut-être au cours de ses quartiers d'hiver en 1391 à Ankara, entretint avec un Persan cultivé sur le christianisme et l'islam et sur la vérité de chacun d'eux. L'on présume que l'Empereur lui-même annota ce dialogue au cours du siège de Constantinople entre 1394 et 1402; ainsi s'explique le fait que ses raisonnements soient rapportés de manière beaucoup plus détaillées que ceux de son interlocuteur persan. Le dialogue porte sur toute l'étendue de la dimension des structures de la foi contenues dans la Bible et dans le Coran et s'arrête notamment sur l'image de Dieu et de l'homme, mais nécessairement aussi toujours à nouveau sur la relation entre — comme on le disait — les trois « Lois » ou trois « ordres de vie »: l'Ancien Testament — le Nouveau Testament — le Coran. Je n'entends pas parler à présent de cela dans cette leçon ; je voudrais seulement aborder un argument — assez marginal dans la structure de l'ensemble du dialogue — qui, dans le contexte du thème « foi et raison », m'a fasciné et servira de point de départ à mes réflexions sur ce thème.

Dans le septième entretien (dialexis — controverse) édité par le professeur Khoury, l'empereur aborde le thème du djihad, de la guerre sainte. Assurément l'empereur savait que dans la sourate 2, 256 on peut lire: « Nulle contrainte en religion ! ». C'est l'une des sourates de la période initiale, disent les spécialistes, lorsque Mahomet lui-même n'avait encore aucun pouvoir et était menacé. Mais naturellement l'empereur connaissait aussi les dispositions, développées par la suite et fixées dans le Coran, à propos de la guerre sainte. Sans s'arrêter sur les détails, tels que la différence de traitement entre ceux qui possèdent le « Livre » et les « incrédules », l'empereur, avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, s'adresse à son interlocuteur simplement avec la question centrale sur la relation entre religion et violence en général, en disant: « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l'épée la foi qu'il prêchait ». L'empereur, après s'être prononcé de manière si peu amène, explique ensuite minutieusement les raisons pour lesquelles la diffusion de la foi à travers la violence est une chose déraisonnable. La violence est en opposition avec la nature de Dieu et la nature de l'âme. « Dieu n'apprécie pas le sang — dit-il —, ne pas agir selon la raison , “sun logô”, est contraire à la nature de Dieu. La foi est le fruit de l'âme, non du corps. Celui, par conséquent, qui veut conduire quelqu'un à la foi a besoin de la capacité de bien parler et de raisonner correctement, et non de la violence et de la menace... Pour convaincre une âme raisonnable, il n'est pas besoin de disposer ni de son bras, ni d'instrument pour frapper ni de quelque autre moyen que ce soit avec lequel on pourrait menacer une personne de mort...».

L'affirmation décisive dans cette argumentation contre la conversion au moyen de la violence est : ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. L’éditeur Théodore Khoury commente : pour l'empereur, un Byzantin qui a grandi dans la philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. Dans ce contexte, Khoury cite une œuvre du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui explique que Ibn Hazn va jusqu'à déclarer que Dieu ne serait pas même lié par sa propre parole et que rien ne l'obligerait à nous révéler la vérité. Si cela était sa volonté, l'homme devrait même pratiquer l'idolâtrie.

Ici s'ouvre, dans la compréhension de Dieu et donc de la réalisation concrète de la religion, un dilemme qui aujourd'hui nous met au défi de manière très directe. La conviction qu'agir contre la raison serait en contradiction avec la nature de Dieu, est-elle seulement une manière de penser grecque ou vaut-elle toujours et en soi ? Je pense qu'ici se manifeste la profonde concordance entre ce qui est grec dans le meilleur sens du terme et ce qu'est la foi en Dieu sur le fondement de la Bible. En modifiant le premier verset du Livre de la Genèse, le premier verset de toute l'Ecriture Sainte, Jean a débuté le prologue de son Evangile par les paroles: « Au commencement était le logos ». Tel est exactement le mot qu'utilise l'empereur: Dieu agit « sun logô », avec logos. Logos signifie à la fois raison et parole — une raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en tant que raison. Jean nous a ainsi fait le don de la parole ultime sur le concept biblique de Dieu, la parole dans laquelle toutes les voies souvent difficiles et tortueuses de la foi biblique aboutissent, trouvent leur synthèse. Au commencement était le logos, et le logos est Dieu, nous dit l'Evangéliste. La rencontre entre le message biblique et la pensée grecque n'était pas un simple hasard. La vision de saint Paul, devant lequel s'étaient fermées les routes de l'Asie et qui, en rêve, vit un Macédonien et entendit son appel: «Passe en Macédoine, viens à notre secours!» (cf. Ac 16, 6-10) — cette vision peut être interprétée comme un « raccourci » de la nécessité intrinsèque d'un rapprochement entre la foi biblique et la manière grecque de s'interroger.

En réalité, ce rapprochement avait déjà commencé depuis très longtemps. Déjà le nom mystérieux du Dieu du buisson ardent, qui éloigne l'homme de l'ensemble des divinités portant de multiples noms en affirmant uniquement son « Je suis », son être, est, vis-à-vis du mythe, une contestation avec laquelle entretient une profonde analogie la tentative de Socrate de vaincre et de dépasser le mythe lui-même. Le processus qui a commencé auprès du buisson atteint, dans l'Ancien Testament, une nouvelle maturité pendant l'exil, lorsque le Dieu d'Israël, à présent privé de la Terre et du culte, s'annonce comme le Dieu du ciel et de la terre, en se présentant avec une simple formule qui prolonge la parole du buisson : « Je suis ». Avec cette nouvelle connaissance de Dieu va de pair une sorte de philosophie des lumières, qui s'exprime de manière drastique dans la dérision des divinités qui ne serait que l'œuvre de la main de l'homme (cf. Ps 115). Ainsi, malgré toute la dureté du désaccord avec les souverains grecs, qui voulaient obtenir par la force l'adaptation au style de vie grec et à leur culte idolâtre, la foi biblique allait intérieurement, pendant l'époque hellénistique, au devant du meilleur de la pensée grecque, jusqu'à un contact mutuel qui s'est ensuite réalisé en particulier dans la littérature sapientiale tardive. Aujourd'hui, nous savons que la traduction grecque de l'Ancien Testament réalisée à Alexandrie — la « Septante » — est plus qu'une simple (un mot qu'on pourrait presque comprendre de façon assez négative) traduction du texte hébreux : c'est en effet un témoignage textuel qui a une valeur en lui-même et une étape spécifique importante de l'histoire de la Révélation, à travers laquelle s'est réalisée cette rencontre d'une manière qui, pour la naissance du christianisme et sa diffusion, a eu une signification décisive. Fondamentalement, il s'agit d'une rencontre entre la foi et la raison, entre l'authentique philosophie des lumières et la religion. En partant véritablement de la nature intime de la foi chrétienne et, dans le même temps, de la nature de la pensée grecque qui ne faisait désormais plus qu'un avec la foi, Manuel II pouvait dire: Ne pas agir « avec le logos » est contraire à la nature de Dieu.

Par honnêteté, il faut remarquer ici que, à la fin du Moyen Age, se sont développées dans la théologie, des tendances qui rompaient cette synthèse entre esprit grec et esprit chrétien. En opposition avec ce que l'on a appelé l'intellectualisme augustinien et thomiste débuta avec Duns Scott une situation volontariste qui, en fin de compte, dans ses développements successifs, conduisit à l'affirmation que nous ne connaîtrions de Dieu que la voluntas ordinata. Au-delà de celle-ci, il existerait la liberté de Dieu, en vertu de laquelle il aurait pu créer et faire tout aussi bien le contraire de tout ce qu'il a effectivement fait. Ici se profilent des positions qui, sans aucun doute, peuvent s'approcher de celles de Ibn Hazn, et pourraient conduire jusqu'à l'image d'un Dieu-Arbitraire, qui n'est pas même lié par la vérité et par le bien. La transcendance et la diversité de Dieu sont accentuées avec une telle exagération que même notre raison, notre sens du vrai et du bien ne sont plus un véritable miroir de Dieu, dont les possibilités abyssales demeurent pour nous éternellement hors d'atteinte et cachées derrière ses décisions effectives. En opposition à cela, la foi de l'Eglise s'est toujours tenue à la conviction qu'entre Dieu et nous, entre son Esprit créateur éternel et notre raison créée, il existe une vraie analogie dans laquelle — comme le dit le IVe Concile du Latran en 1215 — les dissemblances sont certes assurément plus grandes que les ressemblances, mais toutefois pas au point d'abolir l'analogie et son langage. Dieu ne devient pas plus divin du fait que nous le repoussons loin de nous dans un pur et impénétrable volontarisme, mais le Dieu véritablement divin est ce Dieu qui s'est montré comme logos et comme logos a agi et continue d'agir plein d'amour en notre faveur. Bien sûr, l'amour, comme le dit Paul, « dépasse » la connaissance et c'est pour cette raison qu'il est capable de percevoir davantage que la simple pensée (cf. Ep 3, 19), mais il demeure l'amour du Dieu-Logos, pour lequel le culte chrétien est, comme le dit encore Paul « logikè latreia » — un culte qui s'accorde avec le Verbe éternel et avec notre raison (cf. Rm 12, 1).

Le rapprochement intérieur mutuel évoqué ici, qui a eu lieu entre la foi biblique et l'interrogation sur le plan philosophique de la pensée grecque, est un fait d'une importance décisive non seulement du point de vue de l'histoire des religions, mais également de celui de l'histoire universelle — un fait qui nous crée des obligations aujourd'hui encore. En tenant compte de cette rencontre, il n'est pas surprenant que le christianisme, malgré son origine et quelques importants développements en Orient, ait en fin de compte trouvé son empreinte décisive d'un point de vue historique en Europe. Nous pouvons l'exprimer également dans l'autre sens: cette rencontre, à laquelle vient également s'ajouter par la suite le patrimoine de Rome, a créé l'Europe et demeure le fondement de ce que l'on peut à juste titre appeler l'Europe.

A la thèse selon laquelle le patrimoine grec, purifié de façon critique, ferait partie intégrante de la foi chrétienne, s'oppose l'exigence de déshellénisation du christianisme — une exigence qui, depuis le début de l'époque moderne domine de manière croissante la recherche théologique. Vu de plus près, on peut observer trois époques dans le programme de la déshellénisation: même si elles sont liées entre elles, elles sont toutefois, dans leurs motivations et dans leurs objectifs, clairement distinctes l'une de l'autre.

La déshellénisation apparaît d'abord en liaison avec les postulats de la Réforme au XVIe siècle. En considérant la tradition des écoles théologiques, les réformateurs se retrouvent face à une systématisation de la foi conditionnée totalement par la philosophie, c'est-à-dire face à une détermination de la foi venue de l'extérieur en vertu d'une manière de penser qui ne dérive pas de celle-ci. Ainsi la foi n'apparaissait plus comme une parole historique vivante, mais comme un élément inséré dans la structure d'un système philosophique. Le sola Scriptura recherche en revanche la pure forme primordiale de la foi, comme celle-ci est présente originellement dans la Parole biblique. La métaphysique apparaît comme un présupposé dérivant d'une autre source, dont il faut libérer la foi pour la faire redevenir totalement elle-même. Avec son affirmation d'avoir dû mettre de côté la pensée pour faire place à la foi, Kant a agi en se basant sur ce programme avec un radicalisme que les réformateurs ne pouvaient prévoir. Ainsi a-t-il ancré la foi exclusivement dans la raison pratique, en lui niant l'accès au tout de la réalité.

La théologie libérale du XIXe et du XXe siècle représenta une deuxième époque dans le programme de la déshellénisation : Adolf von Harnack en est un éminent représentant. Pendant mes études, comme au cours des premières années de mon activité universitaire, ce programme était fortement à l'œuvre également dans la théologie catholique. L'on prenait comme point de départ la distinction de Pascal entre le Dieu des philosophes et le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Dans la conférence que j'ai prononcée à Bonn, en 1959, j'ai essayé d'affronter cet argument, et je n'entends pas reprendre ici tout ce discours. Je voudrais toutefois tenter de mettre en lumière, même brièvement, la nouveauté qui caractérisait cette deuxième époque de déshellénisation par rapport à la première. La réflexion centrale qui apparaît chez Harnack est le retour à Jésus simplement homme et à son message simple, qui serait précédent à toutes les théologisations ainsi, précisément, qu'à toute hellénisation: ce serait ce message simple qui constituerait le véritable sommet du développement religieux de l'humanité. Jésus aurait donné congé au culte en faveur de la morale. En définitive, il est représenté comme le père d'un message moral humanitaire. L'objectif de Harnack est au fond de ramener le christianisme en harmonie avec la raison moderne, en le libérant, précisément, d'éléments apparemment philosophiques et théologiques comme, par exemple la foi dans la divinité du Christ et dans la trinité de Dieu. En ce sens, l'exégèse historique et critique du Nouveau Testament, dans la vision qui est la sienne, replace la théologie au sein du système de l'université: la théologie, selon Harnarck, est quelque chose d'essentiellement historique et donc d'étroitement scientifique. Ce sur quoi elle enquête à propos de Jésus à travers la critique est, pour ainsi dire, l'expression de la raison pratique et par conséquent peut trouver sa place dans le système de l'université. En arrière-plan, on trouve l'auto-limitation moderne de la raison, exprimée de manière classique dans les « critiques » de Kant, mais par la suite ultérieurement radicalisée par la pensée des sciences naturelles. Cette conception moderne de la raison se fonde, pour le dire brièvement, sur une synthèse entre platonisme (cartésianisme) et empirisme, que le progrès technique a confirmé. D'une part, on présuppose la structure mathématique de la matière, sa rationalité intrinsèque, pour ainsi dire, qui rend possible sa compréhension et son utilisation dans son efficacité opérationnelle : ce présupposé de fond est pour ainsi dire l'élément platonicien dans le concept moderne de la nature. D'autre part, on envisage l'« utilisabilité » fonctionnelle de la nature selon nos objectifs, où seule la possibilité de contrôler vérité et erreur à travers l'expérience fournit une certitude décisive. Le poids respectif de ces deux pôles peut, selon les circonstances, pencher davantage d'un côté ou davantage de l'autre. Un penseur aussi étroitement positiviste que Jacques Monod a déclaré qu'il était un platonicien convaincu.

Cela comporte deux orientations fondamentales décisives en ce qui concerne notre question. Seul le type de certitude dérivant de la synergie des mathématiques et de l'empirique nous permet de parler de science. Ce qui prétend être science doit se confronter avec ce critère. Et ainsi, même les sciences qui concernent les choses humaines, comme l'histoire, la psychologie, la sociologie et la philosophie, cherchaient à se rapprocher de ce canon de la science. Pour nos réflexions est cependant aussi important le fait que la méthode comme telle exclut la question de Dieu, la faisant apparaître comme une question ascientifique ou pré-scientifique. Mais cela nous place devant une réduction du domaine de la science et de la raison, dont il faut tenir compte.

Je reviendrai encore sur ce thème. Pour le moment, il suffit d'avoir à l'esprit que, avec une tentative faite à la lumière de cette perspective pour conserver à la théologie le caractère de discipline « scientifique », il ne resterait du christianisme qu'un misérable fragment. Mais il nous faut aller plus loin: si la science n'est que cela dans son ensemble, alors c'est l'homme lui-même qui devient victime d'une réduction. Car les interrogations proprement humaines, c'est-à-dire celles concernant les questions sur « d'où » et « vers où », les interrogations de la religion et de l'ethos, ne peuvent alors pas trouver de place dans l'espace de la raison commune décrite par la « science » interprétée de cette façon, et elles doivent être déplacées dans le domaine du subjectif. Le sujet décide, à partir de ses expériences, ce qui lui apparaît religieusement possible, et la « conscience » subjective devient, en définitive, la seule instance éthique. Cependant, l'ethos et la religion perdent ainsi leur force de créer une communauté et tombent dans le domaine de l'arbitraire personnel. C'est une situation dangereuse pour l'humanité: nous le constatons dans les pathologies menaçantes de la religion et de la raison — des pathologies qui doivent nécessairement éclater, lorsque la religion est réduite à un point tel que les questions de la religion et de l'ethos ne la regardent plus. Ce qui reste des tentatives pour construire une éthique en partant des règles de l'évolution, de la psychologie ou de la sociologie, est simplement insuffisant.

Avant de parvenir aux conclusions auxquelles tend tout ce raisonnement, je dois encore brièvement mentionner la troisième époque de la déshellénisation qui se diffuse actuellement. En considération de la rencontre avec la multiplicité des cultures, on aime dire aujourd'hui que la synthèse avec l'hellénisme, qui s'est accomplie dans l'Eglise antique, aurait été une première inculturation, qui ne devrait pas lier les autres cultures. Celles-ci devraient avoir le droit de revenir en arrière jusqu'au point qui précédait cette inculturation pour découvrir le simple message du Nouveau Testament et l'inculturer ensuite à nouveau dans leurs milieux respectifs. Cette thèse n'est pas complètement erronée; elle est toutefois grossière et imprécise. En effet, le Nouveau Testament a été écrit en langue grecque et contient en lui le contact avec l'esprit grec — un contact qui avait mûri dans le développement précédent de l'Ancien Testament. Il existe certainement des éléments dans le processus de formation de l'Eglise antique qui ne doivent pas être intégrés dans toutes les cultures. Mais les décisions de fond qui concernent précisément le rapport de la foi avec la recherche de la raison humaine, ces décisions de fond font partie de la foi elle-même et en sont les développements, conformes à sa nature.

Avec ceci, j'arrive à la conclusion. Cette tentative, uniquement dans de grandes lignes, de critique de la raison moderne de l'intérieur, n'inclut absolument pas l'idée que l'on doive retourner en arrière, avant le siècle des lumières, en rejetant les convictions de l'époque moderne. Ce qui dans le développement moderne de l'esprit est considéré valable est reconnu sans réserves: nous sommes tous reconnaissants pour les possibilités grandioses qu'il a ouvert à l'homme et pour les progrès dans le domaine humain qui nous ont été donnés. Du reste, l'ethos de l'esprit scientifique est — vous l'avez mentionné, Monsieur le Recteur — la volonté d'obéissance à la vérité, et donc l'expression d'une attitude qui fait partie des décisions essentielles de l'esprit chrétien. L'intention n'est donc pas un recul, une critique négative; il s'agit en revanche d'un élargissement de notre concept de raison et de l'usage de celle-ci. Car malgré toute la joie éprouvée face aux possibilités de l'homme, nous voyons également les menaces qui y apparaissent et nous devons nous demander comment nous pouvons les dominer. Nous y réussissons seulement si la raison et la foi se retrouvent unies d'une manière nouvelle ; si nous franchissons la limite auto-décrétée par la raison à ce qui est vérifiable par l'expérience, et si nous ouvrons à nouveau à celle-ci toutes ses perspectives. C'est dans ce sens que la théologie, non seulement comme discipline historique, humaine et scientifique, mais comme véritable théologie, c'est-à-dire comme interrogation sur la raison de la foi, doit trouver sa place à l'université et dans le vaste dialogue des sciences.

Ce n'est qu'ainsi que nous devenons également aptes à un véritable dialogue des cultures et des religions — un dialogue dont nous avons un besoin urgent. Dans le monde occidental domine largement l'opinion que seule la raison positiviste et les formes de philosophie qui en découlent sont universelles. Mais les cultures profondément religieuses du monde voient précisément dans cette exclusion du divin de l'universalité de la raison une attaque à leurs convictions les plus intimes. Une raison qui reste sourde face au divin et qui repousse la religion dans le domaine des sous-cultures, est incapable de s'insérer dans le dialogue des cultures. Toutefois, la raison moderne propre aux sciences naturelles, avec son élément platonicien intrinsèque, contient en elle, comme j'ai cherché à le démontrer, une interrogation qui la transcende, ainsi que ses possibilités méthodiques. Celle-ci doit simplement accepter la structure rationnelle de la matière et la correspondance entre notre esprit et les structures rationnelles en œuvre dans la nature comme un fait donné, sur lequel se fonde son parcours méthodique. Mais la question sur la raison de ce fait donné existe et doit être confiée par les sciences naturelles à d'autres niveaux et façons de penser — à la philosophie et à la théologie. Pour la philosophie et, de manière différente, pour la théologie, l'écoute des grandes expériences et convictions des traditions religieuses de l'humanité, en particulier celle de la foi chrétienne, constitue une source de connaissance; la refuser signifierait une réduction inacceptable de notre capacité d'écoute et de notre capacité à répondre. Il me vient ici à l'esprit une parole de Socrate à Phédon. Dans les entretiens précédents, ils avaient traité de nombreuses opinions philosophiques erronées, et Socrate s'exclamait alors : « Il serait bien compréhensible que quelqu'un, en raison de l'irritation due à tant de choses erronées, se mette à haïr pour le reste de sa vie tout discours sur l'être et le dénigrât. Mais de cette façon, il perdrait la vérité de l'être et subirait un grand dommage ». Depuis très longtemps, l'occident est menacé par cette aversion contre les interrogations fondamentales de sa raison, et ainsi il ne peut subir qu'un grand dommage. Le courage de s'ouvrir à l'ampleur de la raison et non le refus de sa grandeur — voilà quel est le programme avec lequel une théologie engagée dans la réflexion sur la foi biblique entre dans le débat du temps présent. « Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le logos, est contraire à la nature de Dieu » a dit Manuel II, partant de son image chrétienne de Dieu, à son interlocuteur persan. C'est à ce grand logos, à cette ampleur de la raison, que
nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des cultures. La retrouver nous-mêmes toujours à nouveau, est la grande tâche de l'université.

© Copyright du texte original : Libreria editrice vaticana
Traduction réalisée par Zenit

 

1802-1884

RatisbonneNé à Strasbourg en 1802, fondateur de "Notre Dame de Sion" dont le but est d'aider à la conversion des juifs, il descend de la célèbre famille Ratisbonne. Sa grand-mère Hanna Brull épouse Cerf Berr en seconde noce. Son oncle Louis Ratisbonne fonde l'hospice Elisa et l'Ecole du travail. Son père Auguste et son oncle Louis seront présidents du Consistoire. Son frère Adolphe-Marie, plus jeune que lui de dix ans, se convertira au cours d'un voyage à Rome et s'établira à Jérusalem, où il finira ses jours.

Son cheminement vers le catholicisme serait due à l'influence d'un professeur de philosophie Louis Bautain de l'université de Strasbourg, disciple de De Maistre et de Lamennais qui l'achemine vers le Nouveau Testament.
Théodore se convertit le Samedi saint 14 avril 1827 à l'âge de 24 ans.

Il publiera plusieurs ouvrages : Essai sur la morale en 1828, Histoire de Saint Bernard et de son siècle en 1841.

La question juive
Le livre qui dévoile sa pensée profonde vis à vis du judaïsme sera publié en 1868 : La question juive par le Révérend Père Ratisbonne chez Dentu et Douniol , libraires- éditeurs à Paris.
(1)

Selon l'auteur, les juifs depuis 2000 ans "ne présentent dans leur lamentable histoire aucune vitalité" ; la cause de cette "éclatante déchéance" est écrite dans l'Ancien et le Nouveau Testament : les juifs sont une eau stagnante qui ne se mêle dans aucun des fleuves qui l'environnent .
Une "commotion sociale" comme la révolution française pour donner au peuple israélite un signal fort, était par conséquent, nécessaire .
Le premier signe de ce réveil réside dans l'acte d'émancipation des juifs de 1791 : "il fallait que la France fût descendue bien bas dans les ténèbres de l'incrédulité pour se rencontrer soudainement au niveau de l'infidélité des juifs". En même temps , il constate que la Providence semble avoir choisi le moment où l'édifice social s'écroulait avec fracas pour "ébranler les murailles séculaires qui séparaient les juifs de la société chrétienne".
Th. Ratisbonne critique les décisions prises par le "Grand Sanhédrîn" réuni en 1807 par Napoléon et notamment l'acceptation par les représentants des juifs de la suprématie du "Code Napoléon au dessus du code de Moïse", c'est à dire la suprématie de la loi civile sur la loi religieuse.
L'analyse de la situation des juifs de France est révélatrice de sa pensée : le plus grand nombre est "indifférent" et abandonne la synagogue ; les autres sont les "réformateurs, disciples attardés de l'école de Voltaire" ; le troisième parti orthodoxe ou conservateur "se compose d'un assez grand nombre de juifs opiniâtres" parmi lesquels il y a "beaucoup d'ignorance et d'hypocrisie".
Le quatrième groupe rassemble "le parti des christianisants" qui admirent le culte catholique mais "s'arrêtent au seuil de l'église" et seraient représentés " dans toutes les principales familles israélites de l'Europe".
Enfin le parti qui l'emporte sur tous les autres serait "celui qui renie ouvertement la Bible et le culte hébraïque" pour s'attacher au "progrès" : Th. Ratisbonne ici les disciples de Saint-Simon et de Fourrier "qui ont fait " leurs premières conquêtes parmi les israélites les plus éminents" .
Ces derniers appartiennent à "l'israélitisme libéral " qui ne trouve pas grâce à ses yeux. Il se demande comment des hommes de bonne foi et de talent " peuvent se contenter d'une théorie si vague et si vaine".
Th. Ratisbonne aborde ensuite les raisons pour lesquelles les juifs sont persécutés : il leur reproche de ne pas ouvrir les yeux sur leur cause et cite les prophètes d'Israël qui les avaient prévues. Il constate que l'on ne peut pas méconnaître l'intervention de la main de Dieu dans l'explosion d'une catastrophe qui a duré deux mille ans.
L'auteur émet, à ce propos, une hypothèse pour le moins originale, en faisant apparaître l'Eglise catholique comme protectrice des juifs : elle n'a pas été le "glaive de la divine justice" , elle a au contraire "modéré les fureurs spontanées des peuples" en ouvrant aux juifs persécutés des "asiles inviolables" : de là, "les ghettos dont l'origine se rattache à une pensée hospitalière, trop oubliée, trop calomniée de nos jours" .
Il conclut ce chapitre en écrivant : "les israélites commettent évidemment une injustice et une ingratitude quant ils s'insurgent aujourd'hui contre une institution qui les a sauvés autrefois."
Le rôle joué par l'Eglise dans les croisades et dans l'Inquisition , où elle s'est illustrée par de nombreux massacres et bûchers semble totalement oublié par Th. Ratisbonne qui semble apparemment frappé ici d'amnésie .
Dans la deuxième partie, l'auteur reproche aux juifs de nier contre le texte même de l'Ancien Testament , le "dogme du messie et de la rédemption du monde". Il pense toutefois "que le temps des miséricordes promises à Sion est venu " . Il décèle chez les juifs "un défaut d'étude" car ceux-ci s'imaginent que le christianisme est une autre religion que le judaïsme : "le christianisme n'est en réalité que l'accomplissement des promesses faites à Abraham et aux patriarches d'Israël".

En fin de compte, Th. Ratisbonne est persuadé que, malgré toutes les entraves, Israël se convertira : "le vieux peuple de Dieu... tombera au pied de la croix et reparaîtra dans les derniers jours au couronnement de l'édifice immortel ." Le but de Th. Ratisbonne est d'aider ses anciens coreligionnaires à se convertir au christianisme , en particulier leurs enfants qui pourront être accueillis dans les pensionnats de Notre-Dame de Sion .

Dans ce but, il fondera la Congrégation en 1843 stimulé par son frère Marie Alphonse, approuvée par Rome en 1863. Les soeurs de Notre-Dame de Sion poursuivront cette oeuvre d'éducation et d'enseignement tandis que ce frère sera ordonné prêtre en 1847 et entrera dans la "Société de Jésus" . Avec l'accord du Pape Pie IX celui-ci transférera les "Soeurs de Sion" à Jérusalem en 1855 et bâtira le couvent Ecce Homo avec une école et un orphelinat pour filles. Tel est le parcours de Théodore Ratisbonne qui décédera en 1884 et sera enterré à Evry (près de Corbeil-Essones) dans le cimetière attenant la chapelle Notre-Dame de Sion.

(1) Accessible en ligne : http//gallica.bnf.fr ( notice FRBNF 37254035).

Angélus : Le rapport entre raison est foi constitue un défi pour la culture dominante
Texte intégral

ROME, Dimanche 28 janvier 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte de la méditation que le pape a prononcée à l’occasion de la prière de l’Angélus, ce dimanche, du palais apostolique du Vatican.

AVANT L’ANGELUS

Chers frères et soeurs,

Le calendrier liturgique rappelle aujourd’hui saint Thomas d’Aquin, grand docteur de l’Eglise. Avec son charisme de philosophe et de théologien, il offre un modèle valide d’harmonie entre raison et foi, dimensions de l’esprit humain, qui se réalisent pleinement dans la rencontre et le dialogue entre elles. Selon la pensée de saint Thomas, la raison humaine « respire », d’une certaine manière : c’est-à-dire qu’elle se meut dans un horizon ample, ouvert, où elle peut exprimer le meilleur d’elle-même. Lorsqu’en revanche l’homme se limite à penser uniquement à des objets matériels et « expérimentables » et se ferme aux grandes interrogations sur la vie, sur lui-même et sur Dieu, il s’appauvrit. Le rapport entre foi et raison constitue un sérieux défi pour la culture actuellement dominante dans le monde occidental et précisément pour cette raison, le bien-aimé Jean-Paul II a voulu y consacrer une encyclique intitulée justement Fides et ratio - Foi et raison. J’ai moi-même récemment repris cet argument dans le discours à l’Université de Ratisbonne.

En réalité, le développement moderne des sciences apporte d’innombrables effets positifs qui sont toujours reconnus. Dans le même temps cependant, il faut admettre que la tendance à considérer vrai uniquement ce qui est expérimentable, constitue une limitation à la raison humaine et produit une terrible schizophrénie désormais évidente, en raison de laquelle coexistent le rationalisme et le matérialisme, l’hypertechnologie et l’instinct déchaîné. Il est urgent par conséquent de redécouvrir de façon nouvelle la rationalité humaine ouverte à la lumière du Logos divin et à sa parfaite révélation qui est Jésus Christ, Fils de Dieu fait homme. Lorsque la foi chrétienne est authentique elle ne mortifie pas la liberté et la raison humaine ; et alors, pourquoi la foi et la raison doivent-elles avoir peur l’une de l’autre si le fait de se rencontrer et de dialoguer leur permet de mieux s’exprimer ? La foi suppose la raison et la perfection, et la raison, éclairée par la foi, trouve la force pour s’élever à la connaissance de Dieu et des réalités spirituelles. La raison humaine ne perd rien en s’ouvrant aux contenus de la foi, ceux-ci demandent au contraire son adhésion libre et consciente.

Avec une sagesse clairvoyante, saint Thomas d’Aquin réussit à instaurer une confrontation fructueuse avec la pensée arabe et juive de son temps, au point d’être considéré un maître toujours actuel de dialogue avec d’autres cultures et religions. Il sut présenter cette admirable synthèse chrétienne entre raison et foi qui pour la civilisation occidentale représente un patrimoine précieux où l’on peut puiser aujourd’hui également pour dialoguer de manière efficace avec les grandes traditions culturelles et religieuses de l’est et du sud du monde. Prions afin que les chrétiens, spécialement ceux qui oeuvrent dans le milieu universitaire et culturel, sachent exprimer le caractère raisonnable de leur foi et en témoigner dans un dialogue inspiré par l’amour. Demandons ce don au Seigneur par l’intercession de saint Thomas d’Aquin et surtout de Marie, Siège de la Sagesse.

texte hébergé en  09/06

MOSQUEE d'AMMAN: RATISBONNE II

 

http://beatriceweb.eu/TerreSainte/0455009bfd107893b/0455009c06124cb38.html

 

Une intéressante analyse italienne du discours prononcé par le Saint-Père à la grande mosquée d'Amman (9/5/2009)

(..) nous ne pouvons pas manquer d’être interpellés par le fait qu’aujourd’hui, avec une insistance croissante, certains affirment que la religion faillit dans son ambition à être, par nature, constructrice d’unité et d’harmonie, à être une expression de la communion entre les personnes et avec Dieu.
Certains soutiennent même que la religion est nécessairement une cause de division dans notre monde ; et ils prétendent que moins d’attention est prêtée à la religion dans la sphère publique, mieux cela est.
Certainement et malheureusement, l’existence de tensions et de divisions entre les membres des différentes traditions religieuses, ne peut être niée.
Cependant, ne convient-il pas de reconnaître aussi que c’est souvent la manipulation idéologique de la religion, parfois à des fins politiques, qui est le véritable catalyseur des tensions et des divisions et, parfois même, des violences dans la société ?
Face à cette situation, où les opposants à la religion cherchent non seulement à réduire sa voix au silence, mais à la remplacer par la leur, la nécessité pour les croyants d’être cohérents avec leurs principes et leurs croyances est ressentie toujours plus vivement.
Musulmans et chrétiens, précisément à cause du poids de leur histoire commune si souvent marquée par les incompréhensions, doivent aujourd’hui s’efforcer d’être connus et reconnus comme des adorateurs de Dieu fidèles à la prière, fermement décidés à observer et à vivre les commandements du Très Haut, miséricordieux et compatissant, cohérents dans le témoignage qu’ils rendent à tout ce qui est vrai et bon, et toujours conscients de l’origine commune et de la dignité de toute personne humaine, qui se trouve au sommet du dessein créateur de Dieu à l’égard du monde et de l’histoire.
...

Chers amis, je désire aujourd’hui mentionner une tâche dont j’ai parlé à de nombreuses reprises et dont je crois fermement que Chrétiens et Musulmans peuvent la prendre en charge, particulièrement à travers leurs contributions respectives à l’enseignement et à l’éducation ainsi qu’au service public.
Il s’agit du défi de développer en vue du bien, en référence à la foi et à la vérité, le vaste potentiel de la raison humaine. Les Chrétiens parlent en effet de Dieu, parmi d’autres façons, en tant que Raison créatrice, qui ordonnes et gouverne le monde. Et Dieu nous rend capables de participer à sa raison et donc d’accomplir, en accord avec elle, ce qui est bon.
Les Musulmans rendent un culte à Dieu, le Créateur du ciel et de la terre, qui a parlé à l’humanité. En tant que croyants au Dieu unique, nous savons que la raison humaine est elle-même un don de Dieu et qu’elle s’élève sur les cimes les plus hautes quand elle est éclairée par la lumière de la vérité divine. En fait, quand la raison humaine accepte humblement d’être purifiée par la foi, elle est loin d’en être affaiblie; mais elle en est plutôt renforcée pour résister à la présomption et pour dépasser ses propres limitations. De cette façon, la raison humaine est stimulée à poursuivre le noble but de servir le genre humain, en traduisant nos aspirations communes les plus profondes et en élargissant le débat public, plutôt qu’en le manipulant ou en le confinant. Ainsi, l’adhésion authentique à la religion – loin de rendre étroits nos esprits – élargit-elle l’horizon de la compréhension humaine. Elle protège la société civile des excès de l’égo débridé qui tend à absolutiser le fini et à éclipser l’infini, elle assure que la liberté s’exerce « main dans la main » avec la vérité, et elle enrichit la culture avec des vues relatives à tout ce qui est vrai, bon et beau.

Cette manière de concevoir la raison, qui pousse continuellement l’esprit humain au-delà de lui-même dans la quête de l’Absolu, constitue un défi ; elle oblige à la fois à l’espérance et à la prudence. Chrétiens et Musulmans sont poussés, ensemble, à rechercher tout ce qui est juste et vrai. Nous sommes liés pour dépasser nos propres intérêts et pour encourager les autres, les fonctionnaires et les responsables en particulier, à agir de même pour faire leur la profonde satisfaction de servir le bien commun, même s’il doit en coûter personnellement. N’oublions pas que parce que c’est notre commune dignité humaine qui donne naissance aux droits humains universels, ceux-ci valent également pour tout homme et toute femme, quelque soit sa religion et quelque soit le groupe ethnique ou social auquel il appartienne. À cet égard, nous devons noter que le droit à la liberté religieuse dépasse la seule question du culte et inclut le droit – spécialement pour les minorités – d’avoir accès au marché de l’emploi et aux autres sphères de la vie publique.

 

 

 

http://www.zenit.org/article-21239?l=french

 

 

« Qu'aucune autorité ne t'intimide ni ne te distraie de ce que te fait comprendre la persuasion obtenue grâce à un comportement droit et rationnel. En effet, l'autorité authentique ne contredit jamais la juste raison, pas plus que cette dernière ne peut jamais contredire une véritable autorité. L'une et l'autre proviennent sans aucun doute de la même source, qui est la sagesse divine » (I, PL 122, col 511B). Nous voyons ici une courageuse affirmation des valeurs de la raison, fondée sur la certitude selon laquelle l'autorité véritable est raisonnable, car Dieu est la raison créatrice.

 

«  L’ordre de l’Univers incarné dans une pensée humaine.         C’est notre fin ; Le vrai se définit ainsi. » Simone Weil

 

 

 
 

Ce qu’il y avait aussi dans la Conférence de Ratisbonne, et n’a guère été aperçu…

http://www.daoudal-hebdo.info/Daoudal_Hebdo/Conferences/Entrees/2009/1/29_La_Conference_de_Ratisbonne%2C_et_alia.html

 

La Conference de Ratisbonne, et alia…

Conférence donnée lors du Camp d’Hiver des jeunes de Chrétienté-Solidarité

fin décembre 2007.

Il y a la vraie conférence de Ratisbonne, et la fausse conférence de Ratisbonne.

Celle qui a déclenché la polémique était la fausse. Cette fausse conférence a été inventée par les agences de presse, agissant ensemble. Sans doute parce que tous leurs correspondants étaient dans une même salle de presse, et que tout le monde a recopié ce qu’avait cru comprendre celui qui comprenait l’allemand. C’est un peu comme l’affaire « Allez Dragan – Elle est dragable ». Un journaliste, évidemment mal intentionné (il en est de même avec le pape), entend Bernard Antony dire, dans le brouhaha, quelque chose qui ressemble à « Elle est dragable ». Il en fait part à ses collègues, et cela devient officiel : le catholique traditionaliste Bernard Antony a dit que Marine Le Pen est dragable. Alors qu’il a dit « Allez Dragan », pour inviter le photographe à quitter l’estrade.

Pour les agences de presse, le pape a dit : « Montre-moi ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu ne trouveras que du mauvais et de l’inhumain, comme ceci, qu’il a prescrit de répandre par l’épée la foi qu’il prêchait. » Non seulement le pape a dit cela, mais c’est l’essentiel de sa conférence. Bref ce n’était pas une conférence, mais un brûlot contre l’islam.

C’est un exemple flagrant de l’inculture et de l’incompétence des journalistes des agences de presse en matière religieuse.

Il est évident que le pape n’a pas pu dire cela. Et pour deux raisons. La première est que ce n’est pas son langage. La deuxième est qu’il est impossible que le pape attaque l’islam de cette manière. Ce serait irresponsable, et le pape n’est pas irresponsable.

On connaît la suite. En fait, les agences de presse ont rectifié le tir peu après, mais le mal était fait.

D’autre part on peut se demander ce qu’était cette conférence. Il s’agit d’un document tout à fait atypique. Le pape ne prononce pas de conférences. Il prononce des homélies, des discours, des allocutions, pas des conférences. En fait Benoît XVI était redevenu quelque temps le professeur Ratzinger, faisant une causerie dans l’université où il avait été professeur et même vice-recteur. Cela est d’ailleurs très clair dans son premier paragraphe. Et il a fait cette causerie avec la liberté dont peut user un professeur d’université. Joseph Ratzinger a du mal à être, si l’on peut dire, seulement pape. Je l’avais déjà remarqué, et cela est flagrant aussi dans l’annonce qu’il va publier un livre sur le Christ, en précisant qu’il s’agit d’un ouvrage personnel. Cela ne peut qu’engendrer des confusions, car évidemment on dira « Le pape a dit », alors que c’est Joseph Ratzinger qui aura dit. Cela dit on ne doit pas oublier non plus que le pape a rédigé une bonne partie de ce livre avant d’être pape, et qu’il est légitime qu’il veuille le publier. D’autant qu’il promet d’être passionnant, si l’on se réfère à sa préface. Mais c’est une autre histoire.

Mais il y a quelque chose de cette incertitude sur l’auteur des propos dans les réactions à la conférence de Ratisbonne. Car, une fois établi que ce n’est ni le pape, ni Joseph Ratzinger, qui est l’auteur de la phrase qui a mis le feu aux poudres, il reste que la citation qu’il a faite n’est pas une citation que peut faire le pape en tant que pape.

Foi et raison : la synthèse grecque et la rupture moderne

Cette citation, comme vous le savez, était le point de départ de son exposé. Ou plus exactement, ce n’était pas celle-là, mais celle qui suivait : « Ne pas agir selon la raison (sun logos) est contraire à la nature de Dieu. » Ce qui était suivi d’une autre citation, non pas de l’empereur byzantin, mais de l’éditeur du texte : « Pour l’empereur byzantin, nourri de philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane au contraire, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune de nos catégories, fût-elle celle qui consiste à être raisonnable. » Et il cite encore un autre auteur expliquant que selon l’un des grands théologiens de l’islam Dieu n’est pas même tenu à sa propre parole et que si tel était son vouloir l’homme devrait être idolâtre.

Comme on le voit, cette brève partie, qui est le point de départ de la réflexion, est entièrement composée de citations, comme l’est un bon travail universitaire. A partir de là, Joseph Ratzinger ne va plus jamais évoquer l’islam. Sauf de façon allusive, lorsqu’à la fin, là encore en bon universitaire, il reprendra la citation motrice de son exposé : « Ne pas agir selon la raison (sun logos) est contraire à la nature de Dieu. »

La plus grande partie de l’exposé est consacrée à montrer d’abord qu’il y a une concordance parfaite entre ce qui est décrit comme grec dans la pensée de l’empereur et la foi en Dieu telle qu’elle apparaît dans la Bible. C’est pourquoi il y a eu rencontre entre la foi biblique et la raison grecque, dès l’ère hellénistique, puis avec le christianisme. Les premiers mots de l’évangile de saint Jean sont : « Au commencement était le logos, et le logos était Dieu. »

On retrouve ici quelque chose de l’encyclique Fides et ratio, de Jean-Paul II. Fatalement, puisque l’intitulé est le même : foi et raison, et l’on sait en outre que le cardinal Ratzinger a pris une part importante dans la rédaction de cette encyclique. Ce qui montre qu’il s’agit d’un thème très important pour lui.

Mais il ne s’intéresse pas ici aux étapes de la synthèse entre la philosophie grecque et le christianisme. Il s’étend sur les étapes de la déshellénisation de la pensée chrétienne. C’est très intéressant, mais ce qui m’intéresse davantage est la conclusion.

Cette déshellénisation a conduit à une destruction de la synthèse entre la philosophie grecque et la religion chrétienne, à une rupture entre la raison et la foi. La raison est devenue autonome, a marginalisé la foi. La foi est devenue du domaine du subjectif, de l’irrationnel. La raison est ce qui permet le développement de la science. Et la science n’a pas besoin de la foi.

C’est cette raison-là, cette raison positiviste, scientiste, qui au mieux relègue la foi dans la subjectivité individuelle quand elle ne la nie pas complètement, donc cette raison en quelque sorte laïciste qui seule a droit de cité, qui caractérise le monde occidental actuel.

Or Joseph Ratzinger montre, et c’est la grande conclusion de son exposé, et ce thème est pour le coup un thème du pape Benoît XVI, que le dialogue des cultures et des religions n’est pas possible dans un tel contexte. Car « les cultures profondément religieuses du monde non occidental voient cette exclusion du divin de l’universalité de la raison comme un outrage à leurs convictions les plus intimes. Une raison qui reste sourde au divin et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures. »

De même, il souligne que la séparation de la raison et de la foi conduit à une réduction de la véritable raison et à un scientisme lourd de menaces pour l’humanité.

On voit là, et dans tout ce qui a précédé, que la conférence est une critique radicale du rationalisme occidental, et non pas de l’islam. Et que ce n’est pas d’abord le défaut de raison dans l’islam qui pose un problème au dialogue, mais l’absence de la foi en Occident. Cette critique véritablement radicale, c’est aussi ce que les journalistes ne pouvaient pas et ne voulaient pas comprendre, c’est pourquoi ils ont préféré falsifier le discours.

Alors, il s’agit là de quelque chose de très important, et de nouveau, dans la formulation de la critique du rationalisme occidental, et dans la prise en compte de ce que ce rationalisme ruine les possibilités de dialogue avec les autres cultures du monde, qui sont, elles, restées religieuses.

La conférence de Caen : la pathologie de la raison

Lors des festivités du soixantième anniversaire de la libération, Joseph Ratzinger, qui était encore préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, avait prononcé une conférence à Caen, intitulée A la recherche de la paix, où il avait déjà abordé cette problématique.

Certains, disait-il, opposent l’Occident à l’islam, en montrant cette opposition comme celle de la raison éclairée et d’une religion fondamentaliste fanatique. Or ce sont là, disait-il, deux pathologies. Il y a une pathologie de la foi, qui transforme Dieu en une idole dans laquelle l’homme adore sa propre volonté, qui identifie l’absoluité de Dieu avec une communauté particulière et des intérêts particuliers. Et il y a la pathologie de la raison entièrement coupée de Dieu. Et là, déjà, c’est cet aspect qu’il étudiait longuement, soulignant d’emblée que « le développement spirituel en Occident tend toujours plus vers des pathologies destructrices de la raison ».

Les anciens, souligne-t-il, faisaient la différence entre ratio et intellectus, « entre la raison dans son rapport à la réalité empirique et manufacturable, et la raison pénétrant les couches les plus profondes de l’être ». Mais il n’y a plus aujourd’hui en Occident que la ratio au sens le plus étroit du terme : « Seul ce qui est vérifiable, ou plus exactement falsifiable, vaut encore comme rationnel. » La raison est réduite au domaine expérimental, spécialement à la science expérimentale. Il en résulte que l’homme n’apparaît plus comme un don du Créateur, mais comme un produit. La dignité de l’homme disparaît, et les droits de l’homme n’ont plus de fondement. Quant à la religion et à la morale, elles tombent « en dehors de la raison commune », elles sont reléguées dans la subjectivité. Le bien et le mal n’existent plus en soi. « Si cela sert la construction du monde futur de la raison, il peut être éventuellement bon de tuer des innocents. » C’est ainsi qu’ont fonctionné les idéologies meurtrières du XXe siècle, montre le cardinal Ratzinger. Le nazisme et le communisme n’ont fait qu’aller jusqu’au bout de la logique pathologique de la raison. Jusqu’à la folie, car « une raison qui ne sait plus reconnaître qu’elle-même et ce qui est empiriquement certain, se paralyse et se détruit elle-même ».

Cette raison malade, autodestructrice, ne peut pas dialoguer avec un monde religieux. D’ailleurs, constate le cardinal Ratzinger, elle considère également comme fondamentalisme, au même titre que l’islamisme, la raison qui reconnaît des valeurs supérieures. C’est pourtant cette raison, ouverte à Dieu, s’inscrivant dans une morale qui s’impose à elle, qui seule « peut parer la manipulation de la notion de Dieu et les maladies de la religion, et offrir un remède ».

La véritable laïcité

Le cardinal Ratzinger signale comme application directe de ce qu’il vient d’exposer, la saine doctrine de la laïcité. Le véritable caractère laïque de l’Etat, souligne-t-il, « inclut en son essence cet équilibre entre raison et religion ». « Par là il s’oppose aussi au laïcisme idéologique qui voudrait en quelque sorte établir un Etat de la pure raison », coupé de ses racines, auquel il ne reste plus que « le positivisme du principe de la majorité, et la décadence du droit qu’il entraîne, d’autant que celui-ci, au bout du compte, est régi par la statistique ». Un Etat laïque, souligne le cardinal Ratzinger, a « l’obligation de trouver son support dans les racines morales marquantes qui l’ont construit : il peut, il doit reconnaître les valeurs fondamentales sans lesquelles il ne serait pas devenu ce qu’il est et sans lesquelles il ne peut pas survivre ». On retrouve là la critique de l’idéologie démocratique qu’avait déjà faite Jean-Paul II lorsqu’il avait dit, dans Evangelium vitae, que la démocratie qui ignore les valeurs supérieures qui doivent s’imposer à elle « s’achemine vers un totalitarisme caractérisé ».

Et l’on se souvient de la réponse de Jacques Chirac, défendant bec et ongles la démocratie totalitaire : « Non à une loi morale qui primerait la loi civile ».

Or, avertissait le cardinal Ratzinger à Caen, d’une part nous ne pourrons pas éviter le conflit avec les autres cultures si nous ne réenracinons pas la nôtre, d’autre part si l’Occident s’engage tout entier dans la voie dictée par une raison mutilée et malade, il ne pourra pas résister à la pression des idéologies et des théocraties politiques.

C’est donc la tâche des chrétiens d’aujourd’hui, dit-il, « d’amener la raison à fonctionner intégralement, non seulement dans le domaine de la technique et du développement matériel du monde, mais aussi et avant tout en tant que faculté de vérité promouvant sa capacité de reconnaître le bien, condition du droit et par là également présupposé de la paix dans le monde ».

Car le thème de cette conférence était : à la recherche de la paix.

Le discours de Vérone : science et Logos

On aura noté l’allusion à la technique. Plus haut dans la conférence, il soulignait le danger d’une science déconnectée de Dieu et de la morale.

Il est revenu sur cet aspect, en tant que pape, notamment dans son discours au congrès de l’Eglise italienne, à Vérone, le 19 octobre dernier. Soulignant « l’insuffisance d’une rationalité refermée sur elle-même », il ajoutait que la culture occidentale actuelle, qui exclut tout principe moral qui soit valable et contraignant en lui-même, « représente une rupture radicale et profonde non seulement avec le christianisme, mais de manière plus générale avec les traditions religieuses et morales de l’humanité, elle n’est donc pas en mesure d’instaurer un véritable dialogue avec les autres cultures, dans lesquelles la dimension religieuse est fortement présente ». On retrouve là presque mot pour mot ce que le pape disait à Ratisbonne un mois plus tôt.

Mais à Vérone, Benoît XVI va montrer aussi que la raison elle-même prouve que la science véritable ne peut pas être déconnectée de Dieu.

C’est bien la raison qui a donné vie aux sciences modernes et aux technologies qui en dérivent. Or une caractéristique fondamentale des technologies modernes est « l’emploi systématique des instruments des mathématiques, afin de pouvoir œuvrer avec la nature et mettre ses immenses énergies à notre service ». Les mathématiques sont une création de notre intelligence, mais on constate une étroite correspondance entre les structures des mathématiques et les structures de l’univers : c’est précisément ce qui permet d’utiliser avec fruit les mathématiques. Déjà Galilée disait que le livre de la nature est écrit en langage mathématique. Cela pose une grande question, dit le pape : « Cela implique en effet que l’univers lui-même est structuré de manière intelligente, de manière à ce qu’il existe une correspondance profonde entre notre raison subjective et la raison objective de la nature. » On en vient donc à se demander s’il n’existe pas une intelligence originelle, qui soit la source à la fois de la raison en œuvre dans la nature, et de la raison humaine. Ainsi la réflexion sur le développement des sciences nous ramène vers le Logos créateur.

Conjuguer la théologie, la philosophie et les sciences

Benoît XVI tire de cette réflexion une conséquence fondamentale. Sur cette base, dit-il, « il devient possible d’élargir les horizons de notre rationalité, de l’ouvrir à nouveau aux questions du vrai et du bien, de conjuguer entre elles la théologie, la philosophie et les sciences, dans le plein respect de leurs propres méthodes et de leur autonomie réciproque, mais également en ayant conscience de l’unité intrinsèque qui les relie. »

Ce ne sont là que quelques phrases dans un long discours abordant différents sujets. Mais elles sont d’une importance capitale, et elles ouvrent une voie nouvelle. Aussi nouvelle qu’ancienne. C’est en vérité un retour à la tradition la plus centrale, que je croyais personnellement impossible en notre temps.

Je répète le propos du pape : conjuguer entre elles la théologie, la philosophie et les sciences, dans le plein respect de leurs propres méthodes et de leur autonomie réciproque, mais également en ayant conscience de l’unité intrinsèque qui les relie.

C’est une définition de ce qu’était l’université à l’origine. Or ce n’est pas un propos en passant, une allusion glissée là en aparté, pour le cas où quelqu’un la remarquerait et en ferait éventuellement son miel. C’est un thème qui lui tient à cœur.

Ce qu’est l’université catholique

La première fois que j’ai lu un texte de Benoît XVI qui évoquait cette question, je n’en suis pas revenu. C’était en novembre 2005. Dans son discours pour l’inauguration de l’année académique à l’université romaine du Sacré-Cœur.

C’était donc un an avant la conférence de Ratisbonne. Et l’on y trouvait déjà très précisément l’un des aspects majeurs de la conférence de Ratisbonne. Après avoir cité la Constitution apostolique Ex corde Ecclesiæ de Jean-Paul II, Benoît XVI disait ceci :

« L’université catholique est donc un grand laboratoire où, selon les diverses disciplines, on élabore sans cesse de nouveaux parcours de recherche dans une confrontation stimulante entre la foi et la raison qui vise à retrouver la synthèse harmonieuse atteinte par Thomas d’Aquin et par les autres grandes figures de la pensée chrétienne, une synthèse malheureusement contestée par des courants importants de la philosophie moderne. »

Le pape reprend alors ce qui est chez lui un véritable leitmotiv, à savoir que cette contestation exclut du domaine de la rationalité les questions fondamentales de l’homme, et, ajoute-t-il, qu’« à la fin disparaît la question qui a donné origine à l’université : la question de la vérité et du bien », remplacée par la question de ce qui est faisable. Ainsi donc, « le grand défi des universités catholiques » est de « placer la science dans l’horizon d’une rationalité véritable, différente de celle aujourd’hui largement dominante, selon une raison ouverte à la question de la vérité et aux grandes valeurs inscrites dans l’être lui-même, et donc ouverte au transcendant, à Dieu ».

Il disait de même, dans son récent discours à la curie, en évoquant sa conférence de Ratisbonne :

« La foi dans ce Dieu qui est la Raison créatrice de l'univers en personne, doit être accueillie par la science de façon nouvelle comme un défi et une chance. Réciproquement, cette foi doit reconnaître à nouveau son ampleur intrinsèque et son bien-fondé. La raison a besoin du Logos qui est à l'origine de tout et qui est notre lumière ; la foi, pour sa part, a besoin du dialogue avec la raison moderne, pour se rendre compte de sa grandeur et être à la hauteur de ses responsabilités. C'est ce que j'ai tenté de souligner dans mon discours à Ratisbonne. Il s'agit d'une question qui n'est absolument pas de nature uniquement académique ; notre avenir à tous est contenu dans cette question. »

Il est de nouveau possible, insistait-il à l’université du Sacré-Cœur, de conjuguer ainsi foi et raison, à la lumière de la révélation du Christ, du Logos qui s’est fait chair. « C’est sur cette base, affirme-t-il, que se déroule le travail quotidien d’une université catholique. »

Et il précise encore : « En agissant à l’intérieur de cet horizon de sens, on découvre l’unité intrinsèque qui relie les diverses branches du savoir : la théologie, la philosophie, la médecine, l’économie, chaque discipline, jusqu’aux technologies les plus spécialisées, car tout est lié. »

L’unité des sciences, dont la première est la théologie

Voilà où le pape voulait en arriver. Quand il parle de la synthèse harmonieuse entre foi et raison, il renvoie explicitement à ce qu’était l’université au moyen âge, et il assigne aux universitaires chrétiens d’aujourd’hui de reconstituer et de faire revivre cette synthèse. C’est la synthèse universitaire de l’universalité des sciences. L’université, comme son nom l’indique, rassemble toutes les connaissances, toutes les sciences. Son nom complet est Universitas scientiarum, université des sciences. Il n’y a pas le discours sur la foi d’un côté et les sciences profanes de l’autre, il y a une unité des sciences, et la première des sciences est la théologie, accompagnée de sa servante la philosophie. Les autres sciences sont certes autonomes, mais ne peuvent vivre qu’à la lumière de la théologie et de la philosophie.

Je dois vous avouer que je croyais cette idée-là abandonnée depuis longtemps, et je n’aurais jamais imaginé entendre un pape parler ainsi au début du troisième millénaire.

Certes, on n’a pas beaucoup entendu de réactions à ce discours, pas même pour se moquer d’un pape qui veut en revenir au moyen âge. Les journalistes ont zappé cela comme le reste, et les intellectuels n’en ont rien su, enfermés qu’ils sont dans leur pseudo rationalité déconnectée de toute religion, même quand ils se disent chrétiens. On imagine le tollé si Benoît XVI publiait un texte demandant officiellement aux universités catholiques de fonctionner ainsi…

Retour à Ratisbonne

Cela pourrait pourtant venir. Car le pape n’a pas dit cela en passant. Il l’a dit aussi… à Ratisbonne. C’était au début de sa conférence, quand il évoquait ses souvenirs. Mais il y a là bien autre chose que des souvenirs :

« L’université était très fière de ses deux facultés de théologie. Il était clair qu’elles aussi, en s’interrogeant sur la raison de la foi, accomplissaient un travail qui appartient nécessairement au tout de l’Universitas scientiarum, même si tous pouvaient ne pas partager la foi, dont la corrélation avec la raison commune est le travail des théologiens. Cette cohésion interne dans l’univers de la raison n’a pas même été troublée quand on entendit, un jour, un de nos collègues déclarer qu’il y avait dans notre université une curiosité : deux facultés s’occupaient de quelque chose qui n’existe même pas – de Dieu. Il s’avérait indiscutable dans l’ensemble de l’Université que, même devant un scepticisme aussi radical, il demeurait nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu au moyen de la raison, et de le faire en relation avec la tradition de la foi chrétienne. »

L’écho de Rémi Brague

De tels propos sont-ils condamnés à n’avoir aucun écho ? Ce n’est pas sûr. Car j’ai eu une autre surprise, celle de les voir repris en substance dans Le Figaro Magazine, en novembre dernier, sous la plume d’un historien de la philosophie, Rémi Brague, professeur à la Sorbonne.

Rémi Brague rappelle que l’université est une création de la papauté, et que dans l’université médiévale la théologie était la première science en dignité. Et il n’hésite pas à poser cette question : « La théologie ne resterait-elle pas la science [il dit bien : la science] la plus digne d’être enseignée à l’université ? Elle est en effet la plus critique de toutes : elle seule commence par se demander si son objet existe, et elle ne cesse de se le demander, en se faisant une idée toujours plus fine de ce que veulent dire Dieu et exister. »

Rémi Brague répond alors à ceux qui pensent qu’un pape théologien, comme Benoît XVI, ne peut pas correspondre à ce que l’on attend d’un pape. Or il explique ceci :

« Une tenaille est en train de se forger : d’un côté, un islam qui a oublié la raison au profit d’un fondamentalisme du Livre (l’islamisme), de l’autre, un christianisme qui la méprise au profit de l’affectivité (l’évangélisme). Ils ont en commun l’absence de théologie, voire son refus ou son impossibilité. L’Eglise catholique est-elle la seule qui risque d’être prise entre les deux ? Ou n’est-ce pas nous, l’Occident tout entier, y compris les conquêtes de la Modernité, qui risquons d’y passer ? Il se pourrait ainsi que la théologie redevienne une science clé. Non bien sûr en commandant aux autres comme à des servantes, mais en les rendant discrètement possibles. Comme garante de la compatibilité entre la religion et la raison, bien sûr, mais plus encore : comme garante de la raison elle-même. » D’où la conclusion qu’un pape théologien est le plus proche des vrais problèmes.

On voit que Rémi Brague a parfaitement compris le sens des propos de Benoît XVI, puisqu’il les reprend à son compte de façon aussi personnelle que fidèle.

Or il n’est pas possible qu’il y ait un seul Rémi Brague. Qu’il y ait un seul professeur d’université qui pense ainsi. Les propos du pape sont incompréhensibles pour les journalistes, et l’on voit dans ce numéro du Figaro Magazine que le secrétaire de rédaction et le rédacteur en chef n’ont rien compris au texte de Rémi Brague, puisqu’ils ont mis en légende de la photographie : » Elu pape, Joseph Ratzinger reste un intellectuel. »

Mais il se passe quelque chose, discrètement, en profondeur. Sous la superficialité des médias, et sous les fausses polémiques qui visent à cacher les vraies problématiques.

Je crois qu’il y a là un vrai signe d’espérance. C’est pourquoi je voulais vous en faire part.

jeudi 29 janvier 2009

 

 

 

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