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Présentation :...Discours
du pape à l’Université de Ratisbonne....La
violence est en opposition avec la nature de Dieu et la nature de l'âme
ROME, Vendredi 15 septembre 2006 (ZENIT.org)
– Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape
Benoît XVI a prononcé à l’Université de Ratisbonne, le mardi 12
septembre, dans le cadre de son voyage en Allemagne (9-14 septembre).
« ‘Au commencement était le logos’ … Logos signifie à la fois raison et
parole — une raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais,
précisément, en tant que raison », affirme le pape. « C'est à ce grand
logos, à cette ampleur de la raison, que nous invitons nos
interlocuteurs dans le dialogue des cultures ».
Extraits :
Benoit
XVI : Ce n'est qu'ainsi que nous devenons également aptes à un véritable
dialogue des cultures et des religions — un dialogue dont nous avons un
besoin urgent. Dans le monde occidental domine largement l'opinion que
seule la raison positiviste et les formes de philosophie qui en
découlent sont universelles. Mais les cultures profondément religieuses
du monde voient précisément dans cette exclusion du divin de
l'universalité de la raison une attaque à leurs convictions les plus
intimes. Une raison qui reste sourde face au divin et qui repousse la
religion dans le domaine des sous-cultures, est incapable de s'insérer
dans le dialogue des cultures.
Yves Daoudal .....Voilà où le pape voulait en arriver. Quand il
parle de la synthèse harmonieuse entre foi et raison, il renvoie
explicitement à ce qu’était l’université au moyen âge, et il assigne aux
universitaires chrétiens d’aujourd’hui de reconstituer et de faire
revivre cette synthèse. C’est la synthèse universitaire de
l’universalité des sciences. L’université, comme son nom l’indique,
rassemble toutes les connaissances, toutes les sciences. Son nom complet
est Universitas scientiarum, université des sciences. Il n’y a pas le
discours sur la foi d’un côté et les sciences profanes de l’autre, il y
a une unité des sciences, et la première des sciences est la théologie,
accompagnée de sa servante la philosophie. Les autres sciences sont
certes autonomes, mais ne peuvent vivre qu’à la lumière de la théologie
et de la philosophie.
en
z
relations
.... dialogue .... foi et raison .... conscience .... inconscient
... ENMULTETUN...
Vérité du
christianisme .......
texte d'une conférence donnée à la
Sorbonne en 1999 par le
cardinal
Joseph Ratzinger
http://site.voila.fr/foilogic/genese.html#note L'homme du troisième
millénaire n'acceptera plus de croire sans raison ....
Ratisbonne .... réactions d'ho
Ratisbonne .... réactions d'homenMULTETUN
Ratisbonne .... réactions
d'homenUN
Sécularisation et rationalisme ......
Théodore Ratisbonne
: trouvé
via
google en tapant
RATISBONNE ....
http://www.occidentalis.com/blog/index.php/benoit-xvi-reveille-les-catholiques-mais-ne-doit-pas-reculer
Lapsus de Jospin? "utiliser l'islam au nom de la
violence" ou "utiliser la violence au nom de l'islam"?
http://www.resiliencetv.fr/modules/news/article.php?storyid=1351
J'ai interviewé le philosophe
Raphaël Lellouche sur le discours de Ratisbonne.
Où l'on voit comment une mûre réflexion du Pape peut être déformée
et provoquer de ce fait agitation, haine, destructions d'églises, et
même un meurtre. Alors que, comme nous l'explique plus bas Raphaël
Lellouche, cette déclaration importante appelait en réalité au
dialogue avec les musulmans.
Quelques remarques sur la
critique des religions ...Une seule voie existe, et elle est étroite : c'est de s'autoriser une
critique, mais qui ne sorte jamais du cadre de la raison. ... quand elle
est rationnelle et non pas passionnelle –, elle est responsable, elle
sert la vérité, elle est bienfaisante pour les croyants et pour tous.
Le rapport entre raison est foi constitue un défi pour la culture
dominante
Selon la pensée de saint Thomas, la raison humaine «
respire », d’une certaine manière : c’est-à-dire qu’elle se meut dans un
horizon ample, ouvert, où elle peut exprimer le meilleur d’elle-même.
Lorsqu’en revanche l’homme se limite à penser uniquement à des objets
matériels et « expérimentables » et se ferme aux grandes interrogations
sur la vie, sur lui-même et sur Dieu, il s’appauvrit.
11 septembre 2007 Les fruits du discours de
Ratisbonne
MOSQUEE D'AMMAN Ratisbonne II :
Une intéressante analyse italienne du discours prononcé
par le Saint-Père à la grande mosquée d'Amman (9/5/2009)
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‘Au commencement était
le logos’
Auteur:
Benoît XVI
Source: www.zernit.org
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au bas de la rubrique
DOCUMENTS puis au "Discours du pape à l'université de Ratibonne '
2006-09-14)
Date :
12.09.06
Eminences, Messieurs les Recteurs, Excellences,
Mesdames, Messieurs!
C'est pour moi un moment de grande émotion de me trouver une nouvelle
fois dans cette université et de pouvoir une nouvelle fois donner un
cours. Mes pensées se tournent en même temps vers ces années où, après
une belle période auprès de l'Institut supérieur de Freising, je
commençai mon activité d'enseignant à l'université de Bonn. C'était
encore — en 1959 — l'époque de l'ancienne université des professeurs
ordinaires. Pour chacune des chaires, il n'existait ni assistants, ni
dactylographes, mais en revanche il y avait un contact très direct
avec les étudiants et surtout aussi entre les professeurs. L'on se
rencontrait avant et après la leçon dans les salles des professeurs.
Les relations avec les historiens, les philosophes, les philologues,
et naturellement aussi entre les deux facultés de théologie étaient
très étroites. Une fois par semestre, il y avait ce que l'on appelait
le dies academicus, où les professeurs de toutes les facultés
se présentaient devant les étudiants de toute l'université, permettant
ainsi une expérience d'universitas — une chose à laquelle vous
aussi, Monsieur le Recteur, vous avez fait récemment allusion —
c'est-à-dire l'expérience du fait que nous tous, malgré toutes les
spécialisations, qui parfois nous rendent incapables de communiquer
entre nous, formons un tout et travaillons dans le tout de l'unique
raison dans ses diverses dimensions, en étant ainsi ensemble également
face à la responsabilité commune du juste usage de la raison — ce
phénomène devenait une expérience vécue. Sans aucun doute,
l'université était également fière de ses deux facultés de théologie.
Il était clair qu'elles aussi, en s'interrogeant sur la dimension
raisonnable de la foi, accomplissaient un travail qui nécessairement
fait partie du « tout » de l'universitas scientiarum, même si
tous pouvaient ne pas partager la foi, dont la relation avec la raison
commune est l'objet du travail des théologiens. Cette cohésion
intérieure dans l'univers de la raison ne fut même pas troublée
lorsqu'un jour la nouvelle circula que l'un de nos collègues avait
affirmé qu'il y avait un fait étrange dans notre université: deux
facultés qui s'occupaient de quelque chose qui n'existait pas — de
Dieu. Même face à un scepticisme aussi radical, il demeure nécessaire
et raisonnable de s'interroger sur Dieu au moyen de la raison et cela
doit être fait dans le contexte de la tradition de la foi chrétienne:
il s'agissait là d'une conviction incontestée, dans toute
l'université.
Tout cela me revint en mémoire récemment à la lecture de l'édition
publiée par le professeur Theodore Khoury (Münster) d'une partie du
dialogue que le docte empereur byzantin Manuel II Paléologue,
peut-être au cours de ses quartiers d'hiver en 1391 à Ankara,
entretint avec un Persan cultivé sur le christianisme et l'islam et
sur la vérité de chacun d'eux. L'on présume que l'Empereur lui-même
annota ce dialogue au cours du siège de Constantinople entre 1394 et
1402; ainsi s'explique le fait que ses raisonnements soient rapportés
de manière beaucoup plus détaillées que ceux de son interlocuteur
persan. Le dialogue porte sur toute l'étendue de la dimension des
structures de la foi contenues dans la Bible et dans le Coran et
s'arrête notamment sur l'image de Dieu et de l'homme, mais
nécessairement aussi toujours à nouveau sur la relation entre — comme
on le disait — les trois « Lois » ou trois « ordres de vie »: l'Ancien
Testament — le Nouveau Testament — le Coran. Je n'entends pas parler à
présent de cela dans cette leçon ; je voudrais seulement aborder un
argument — assez marginal dans la structure de l'ensemble du dialogue
— qui, dans le contexte du thème « foi et raison », m'a fasciné et
servira de point de départ à mes réflexions sur ce thème.
Dans le septième entretien (dialexis — controverse) édité
par le professeur Khoury, l'empereur aborde le thème du djihad,
de la guerre sainte. Assurément l'empereur savait que dans la sourate
2, 256 on peut lire: « Nulle contrainte en religion ! ». C'est l'une
des sourates de la période initiale, disent les spécialistes, lorsque
Mahomet lui-même n'avait encore aucun pouvoir et était menacé. Mais
naturellement l'empereur connaissait aussi les dispositions,
développées par la suite et fixées dans le Coran, à propos de la
guerre sainte. Sans s'arrêter sur les détails, tels que la différence
de traitement entre ceux qui possèdent le « Livre » et les «
incrédules », l'empereur, avec une rudesse assez surprenante qui nous
étonne, s'adresse à son interlocuteur simplement avec la question
centrale sur la relation entre religion et violence en général, en
disant: « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y
trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son
mandat de diffuser par l'épée la foi qu'il prêchait ». L'empereur,
après s'être prononcé de manière si peu amène, explique ensuite
minutieusement les raisons pour lesquelles la diffusion de la foi à
travers la violence est une chose déraisonnable. La violence est en
opposition avec la nature de Dieu et la nature de l'âme. « Dieu
n'apprécie pas le sang — dit-il —, ne pas agir selon la raison , “sun
logô”, est contraire à la nature de Dieu. La foi est le fruit de
l'âme, non du corps. Celui, par conséquent, qui veut conduire
quelqu'un à la foi a besoin de la capacité de bien parler et de
raisonner correctement, et non de la violence et de la menace... Pour
convaincre une âme raisonnable, il n'est pas besoin de disposer ni de
son bras, ni d'instrument pour frapper ni de quelque autre moyen que
ce soit avec lequel on pourrait menacer une personne de mort...».
L'affirmation décisive dans cette argumentation contre la conversion
au moyen de la violence est : ne pas agir selon la raison est
contraire à la nature de Dieu. L’éditeur Théodore Khoury commente :
pour l'empereur, un Byzantin qui a grandi dans la philosophie grecque,
cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, en
revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à
aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. Dans ce
contexte, Khoury cite une œuvre du célèbre islamologue français R.
Arnaldez, qui explique que Ibn Hazn va jusqu'à déclarer que Dieu ne
serait pas même lié par sa propre parole et que rien ne l'obligerait à
nous révéler la vérité. Si cela était sa volonté, l'homme devrait même
pratiquer l'idolâtrie.
Ici s'ouvre, dans la compréhension de Dieu et donc de la réalisation
concrète de la religion, un dilemme qui aujourd'hui nous met au défi
de manière très directe. La conviction qu'agir contre la raison serait
en contradiction avec la nature de Dieu, est-elle seulement une
manière de penser grecque ou vaut-elle toujours et en soi ? Je pense
qu'ici se manifeste la profonde concordance entre ce qui est grec dans
le meilleur sens du terme et ce qu'est la foi en Dieu sur le fondement
de la Bible. En modifiant le premier verset du Livre de la Genèse, le
premier verset de toute l'Ecriture Sainte, Jean a débuté le prologue
de son Evangile par les paroles: « Au commencement était le logos ».
Tel est exactement le mot qu'utilise l'empereur: Dieu agit « sun logô
», avec logos. Logos signifie à la fois raison et parole — une raison
qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en
tant que raison. Jean nous a ainsi fait le don de la parole ultime sur
le concept biblique de Dieu, la parole dans laquelle toutes les voies
souvent difficiles et tortueuses de la foi biblique aboutissent,
trouvent leur synthèse. Au commencement était le logos, et le logos
est Dieu, nous dit l'Evangéliste. La rencontre entre le message
biblique et la pensée grecque n'était pas un simple hasard. La vision
de saint Paul, devant lequel s'étaient fermées les routes de l'Asie et
qui, en rêve, vit un Macédonien et entendit son appel: «Passe en
Macédoine, viens à notre secours!» (cf. Ac 16, 6-10) — cette vision
peut être interprétée comme un « raccourci » de la nécessité
intrinsèque d'un rapprochement entre la foi biblique et la manière
grecque de s'interroger.
En réalité, ce rapprochement avait déjà commencé depuis très
longtemps. Déjà le nom mystérieux du Dieu du buisson ardent, qui
éloigne l'homme de l'ensemble des divinités portant de multiples noms
en affirmant uniquement son « Je suis », son être, est, vis-à-vis du
mythe, une contestation avec laquelle entretient une profonde analogie
la tentative de Socrate de vaincre et de dépasser le mythe lui-même.
Le processus qui a commencé auprès du buisson atteint, dans l'Ancien
Testament, une nouvelle maturité pendant l'exil, lorsque le Dieu
d'Israël, à présent privé de la Terre et du culte, s'annonce comme le
Dieu du ciel et de la terre, en se présentant avec une simple formule
qui prolonge la parole du buisson : « Je suis ». Avec cette nouvelle
connaissance de Dieu va de pair une sorte de philosophie des lumières,
qui s'exprime de manière drastique dans la dérision des divinités qui
ne serait que l'œuvre de la main de l'homme (cf. Ps 115). Ainsi,
malgré toute la dureté du désaccord avec les souverains grecs, qui
voulaient obtenir par la force l'adaptation au style de vie grec et à
leur culte idolâtre, la foi biblique allait intérieurement, pendant
l'époque hellénistique, au devant du meilleur de la pensée grecque,
jusqu'à un contact mutuel qui s'est ensuite réalisé en particulier
dans la littérature sapientiale tardive. Aujourd'hui, nous savons que
la traduction grecque de l'Ancien Testament réalisée à Alexandrie — la
« Septante » — est plus qu'une simple (un mot qu'on pourrait presque
comprendre de façon assez négative) traduction du texte hébreux :
c'est en effet un témoignage textuel qui a une valeur en lui-même et
une étape spécifique importante de l'histoire de la Révélation, à
travers laquelle s'est réalisée cette rencontre d'une manière qui,
pour la naissance du christianisme et sa diffusion, a eu une
signification décisive. Fondamentalement, il s'agit d'une rencontre
entre la foi et la raison, entre l'authentique philosophie des
lumières et la religion. En partant véritablement de la nature intime
de la foi chrétienne et, dans le même temps, de la nature de la pensée
grecque qui ne faisait désormais plus qu'un avec la foi, Manuel II
pouvait dire: Ne pas agir « avec le logos » est contraire à la
nature de Dieu.
Par honnêteté, il faut remarquer ici que, à la fin du Moyen Age, se
sont développées dans la théologie, des tendances qui rompaient cette
synthèse entre esprit grec et esprit chrétien. En opposition avec
ce que l'on a appelé l'intellectualisme augustinien et thomiste débuta
avec Duns Scott une situation volontariste qui, en fin de compte, dans
ses développements successifs, conduisit à l'affirmation que nous ne
connaîtrions de Dieu que la voluntas ordinata. Au-delà de
celle-ci, il existerait la liberté de Dieu, en vertu de laquelle il
aurait pu créer et faire tout aussi bien le contraire de tout ce qu'il
a effectivement fait. Ici se profilent des positions qui, sans
aucun doute, peuvent s'approcher de celles de Ibn Hazn, et pourraient
conduire jusqu'à l'image d'un Dieu-Arbitraire, qui n'est pas même lié
par la vérité et par le bien. La transcendance et la diversité de Dieu
sont accentuées avec une telle exagération que même notre raison,
notre sens du vrai et du bien ne sont plus un véritable miroir de
Dieu, dont les possibilités abyssales demeurent pour nous
éternellement hors d'atteinte et cachées derrière ses décisions
effectives. En opposition à cela, la foi de l'Eglise s'est toujours
tenue à la conviction qu'entre Dieu et nous, entre son Esprit créateur
éternel et notre raison créée, il existe une vraie analogie dans
laquelle — comme le dit le IVe Concile du Latran en 1215 — les
dissemblances sont certes assurément plus grandes que les
ressemblances, mais toutefois pas au point d'abolir l'analogie et son
langage. Dieu ne devient pas plus divin du fait que nous le repoussons
loin de nous dans un pur et impénétrable volontarisme, mais le Dieu
véritablement divin est ce Dieu qui s'est montré comme logos et comme
logos a agi et continue d'agir plein d'amour en notre faveur. Bien
sûr, l'amour, comme le dit Paul, « dépasse » la connaissance et c'est
pour cette raison qu'il est capable de percevoir davantage que la
simple pensée (cf. Ep 3, 19), mais il demeure l'amour du Dieu-Logos,
pour lequel le culte chrétien est, comme le dit encore Paul « logikè
latreia » — un culte qui s'accorde avec le Verbe éternel et avec notre
raison (cf. Rm 12, 1).
Le rapprochement intérieur mutuel évoqué ici, qui a eu lieu entre la
foi biblique et l'interrogation sur le plan philosophique de la pensée
grecque, est un fait d'une importance décisive non seulement du point
de vue de l'histoire des religions, mais également de celui de
l'histoire universelle — un fait qui nous crée des obligations
aujourd'hui encore. En tenant compte de cette rencontre, il n'est
pas surprenant que le christianisme, malgré son origine et quelques
importants développements en Orient, ait en fin de compte trouvé son
empreinte décisive d'un point de vue historique en Europe. Nous
pouvons l'exprimer également dans l'autre sens: cette rencontre, à
laquelle vient également s'ajouter par la suite le patrimoine de Rome,
a créé l'Europe et demeure le fondement de ce que l'on peut à juste
titre appeler l'Europe.
A la thèse selon laquelle le patrimoine grec, purifié de façon
critique, ferait partie intégrante de la foi chrétienne, s'oppose
l'exigence de déshellénisation du christianisme — une exigence qui,
depuis le début de l'époque moderne domine de manière croissante la
recherche théologique. Vu de plus près, on peut observer trois époques
dans le programme de la déshellénisation: même si elles sont liées
entre elles, elles sont toutefois, dans leurs motivations et dans
leurs objectifs, clairement distinctes l'une de l'autre.
La déshellénisation apparaît d'abord en liaison avec les postulats de
la Réforme au XVIe siècle. En considérant la tradition des écoles
théologiques, les réformateurs se retrouvent face à une
systématisation de la foi conditionnée totalement par la philosophie,
c'est-à-dire face à une détermination de la foi venue de l'extérieur
en vertu d'une manière de penser qui ne dérive pas de celle-ci. Ainsi
la foi n'apparaissait plus comme une parole historique vivante, mais
comme un élément inséré dans la structure d'un système philosophique.
Le sola Scriptura recherche en revanche la pure forme
primordiale de la foi, comme celle-ci est présente originellement dans
la Parole biblique. La métaphysique apparaît comme un présupposé
dérivant d'une autre source, dont il faut libérer la foi pour la faire
redevenir totalement elle-même. Avec son affirmation d'avoir dû mettre
de côté la pensée pour faire place à la foi, Kant a agi en se basant
sur ce programme avec un radicalisme que les réformateurs ne pouvaient
prévoir. Ainsi a-t-il ancré la foi exclusivement dans la raison
pratique, en lui niant l'accès au tout de la réalité.
La théologie libérale du XIXe et du XXe siècle représenta une deuxième
époque dans le programme de la déshellénisation : Adolf von Harnack en
est un éminent représentant. Pendant mes études, comme au cours des
premières années de mon activité universitaire, ce programme était
fortement à l'œuvre également dans la théologie catholique. L'on
prenait comme point de départ la distinction de Pascal entre le Dieu
des philosophes et le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Dans la
conférence que j'ai prononcée à Bonn, en 1959, j'ai essayé d'affronter
cet argument, et je n'entends pas reprendre ici tout ce discours. Je
voudrais toutefois tenter de mettre en lumière, même brièvement, la
nouveauté qui caractérisait cette deuxième époque de déshellénisation
par rapport à la première. La réflexion centrale qui apparaît chez
Harnack est le retour à Jésus simplement homme et à son message
simple, qui serait précédent à toutes les théologisations ainsi,
précisément, qu'à toute hellénisation: ce serait ce message simple qui
constituerait le véritable sommet du développement religieux de
l'humanité. Jésus aurait donné congé au culte en faveur de la morale.
En définitive, il est représenté comme le père d'un message moral
humanitaire. L'objectif de Harnack est au fond de ramener le
christianisme en harmonie avec la raison moderne, en le libérant,
précisément, d'éléments apparemment philosophiques et théologiques
comme, par exemple la foi dans la divinité du Christ et dans la
trinité de Dieu. En ce sens, l'exégèse historique et critique du
Nouveau Testament, dans la vision qui est la sienne, replace la
théologie au sein du système de l'université: la théologie, selon
Harnarck, est quelque chose d'essentiellement historique et donc
d'étroitement scientifique. Ce sur quoi elle enquête à propos de Jésus
à travers la critique est, pour ainsi dire, l'expression de la raison
pratique et par conséquent peut trouver sa place dans le système de
l'université. En arrière-plan, on trouve l'auto-limitation moderne de
la raison, exprimée de manière classique dans les « critiques » de
Kant, mais par la suite ultérieurement radicalisée par la pensée des
sciences naturelles. Cette conception moderne de la raison se fonde,
pour le dire brièvement, sur une synthèse entre platonisme
(cartésianisme) et empirisme, que le progrès technique a confirmé.
D'une part, on présuppose la structure mathématique de la matière, sa
rationalité intrinsèque, pour ainsi dire, qui rend possible sa
compréhension et son utilisation dans son efficacité opérationnelle :
ce présupposé de fond est pour ainsi dire l'élément platonicien dans
le concept moderne de la nature. D'autre part, on envisage l'«
utilisabilité » fonctionnelle de la nature selon nos objectifs, où
seule la possibilité de contrôler vérité et erreur à travers
l'expérience fournit une certitude décisive. Le poids respectif de ces
deux pôles peut, selon les circonstances, pencher davantage d'un côté
ou davantage de l'autre. Un penseur aussi étroitement positiviste que
Jacques Monod a déclaré qu'il était un platonicien convaincu.
Cela comporte deux orientations fondamentales décisives en ce qui
concerne notre question. Seul le type de certitude dérivant de la
synergie des mathématiques et de l'empirique nous permet de parler de
science. Ce qui prétend être science doit se confronter avec ce
critère. Et ainsi, même les sciences qui concernent les choses
humaines, comme l'histoire, la psychologie, la sociologie et la
philosophie, cherchaient à se rapprocher de ce canon de la science.
Pour nos réflexions est cependant aussi important le fait que la
méthode comme telle exclut la question de Dieu, la faisant apparaître
comme une question ascientifique ou pré-scientifique. Mais cela nous
place devant une réduction du domaine de la science et de la raison,
dont il faut tenir compte.
Je reviendrai encore sur ce thème. Pour le moment, il suffit d'avoir à
l'esprit que, avec une tentative faite à la lumière de cette
perspective pour conserver à la théologie le caractère de discipline «
scientifique », il ne resterait du christianisme qu'un misérable
fragment. Mais il nous faut aller plus loin: si la science n'est que
cela dans son ensemble, alors c'est l'homme lui-même qui devient
victime d'une réduction. Car les interrogations proprement humaines,
c'est-à-dire celles concernant les questions sur « d'où » et « vers où
», les interrogations de la religion et de l'ethos, ne peuvent alors
pas trouver de place dans l'espace de la raison commune décrite par la
« science » interprétée de cette façon, et elles doivent être
déplacées dans le domaine du subjectif. Le sujet décide, à partir de
ses expériences, ce qui lui apparaît religieusement possible, et la «
conscience » subjective devient, en définitive, la seule instance
éthique. Cependant, l'ethos et la religion perdent ainsi leur force de
créer une communauté et tombent dans le domaine de l'arbitraire
personnel. C'est une situation dangereuse pour l'humanité: nous le
constatons dans les pathologies menaçantes de la religion et de la
raison — des pathologies qui doivent nécessairement éclater, lorsque
la religion est réduite à un point tel que les questions de la
religion et de l'ethos ne la regardent plus. Ce qui reste des
tentatives pour construire une éthique en partant des règles de
l'évolution, de la psychologie ou de la sociologie, est simplement
insuffisant.
Avant de parvenir aux conclusions auxquelles tend tout ce
raisonnement, je dois encore brièvement mentionner la troisième époque
de la déshellénisation qui se diffuse actuellement. En considération
de la rencontre avec la multiplicité des cultures, on aime dire
aujourd'hui que la synthèse avec l'hellénisme, qui s'est accomplie
dans l'Eglise antique, aurait été une première inculturation, qui ne
devrait pas lier les autres cultures. Celles-ci devraient avoir le
droit de revenir en arrière jusqu'au point qui précédait cette
inculturation pour découvrir le simple message du Nouveau Testament et
l'inculturer ensuite à nouveau dans leurs milieux respectifs. Cette
thèse n'est pas complètement erronée; elle est toutefois grossière et
imprécise. En effet, le Nouveau Testament a été écrit en langue
grecque et contient en lui le contact avec l'esprit grec — un contact
qui avait mûri dans le développement précédent de l'Ancien Testament.
Il existe certainement des éléments dans le processus de formation de
l'Eglise antique qui ne doivent pas être intégrés dans toutes les
cultures. Mais les décisions de fond qui concernent précisément le
rapport de la foi avec la recherche de la raison humaine, ces
décisions de fond font partie de la foi elle-même et en sont les
développements, conformes à sa nature.
Avec ceci, j'arrive à la conclusion.
Cette tentative, uniquement dans de grandes lignes, de critique de la
raison moderne de l'intérieur, n'inclut absolument pas l'idée que l'on
doive retourner en arrière, avant le siècle des lumières, en rejetant
les convictions de l'époque moderne. Ce qui dans le développement
moderne de l'esprit est considéré valable est reconnu sans réserves:
nous sommes tous reconnaissants pour les possibilités grandioses qu'il
a ouvert à l'homme et pour les progrès dans le domaine humain qui nous
ont été donnés. Du reste, l'ethos de l'esprit scientifique est — vous
l'avez mentionné, Monsieur le Recteur — la volonté d'obéissance à la
vérité, et donc l'expression d'une attitude qui fait partie des
décisions essentielles de l'esprit chrétien. L'intention n'est donc
pas un recul, une critique négative; il s'agit en revanche d'un
élargissement de notre concept de raison et de l'usage de celle-ci.
Car malgré toute la joie éprouvée face aux possibilités de l'homme,
nous voyons également les menaces qui y apparaissent et nous devons
nous demander comment nous pouvons les dominer. Nous y réussissons
seulement si la raison et la foi se retrouvent unies d'une manière
nouvelle ; si nous franchissons la limite auto-décrétée par la raison
à ce qui est vérifiable par l'expérience, et si nous ouvrons à nouveau
à celle-ci toutes ses perspectives. C'est dans ce sens que la
théologie, non seulement comme discipline historique, humaine et
scientifique, mais comme véritable théologie, c'est-à-dire comme
interrogation sur la raison de la foi, doit trouver sa place à
l'université et dans le vaste dialogue des sciences.
Ce n'est qu'ainsi que nous devenons également aptes à un véritable
dialogue des cultures et des religions — un dialogue dont nous avons
un besoin urgent. Dans le monde occidental domine largement l'opinion
que seule la raison positiviste et les formes de philosophie qui en
découlent sont universelles. Mais les cultures profondément
religieuses du monde voient précisément dans cette exclusion du divin
de l'universalité de la raison une attaque à leurs convictions les
plus intimes. Une raison qui reste sourde face au divin et qui
repousse la religion dans le domaine des sous-cultures, est incapable
de s'insérer dans le dialogue des cultures. Toutefois, la raison
moderne propre aux sciences naturelles, avec son élément platonicien
intrinsèque, contient en elle, comme j'ai cherché à le démontrer, une
interrogation qui la transcende, ainsi que ses possibilités
méthodiques. Celle-ci doit simplement accepter la structure
rationnelle de la matière et la correspondance entre notre esprit et
les structures rationnelles en œuvre dans la nature comme un fait
donné, sur lequel se fonde son parcours méthodique. Mais la question
sur la raison de ce fait donné existe et doit être confiée par les
sciences naturelles à d'autres niveaux et façons de penser — à la
philosophie et à la théologie. Pour la philosophie et, de manière
différente, pour la théologie, l'écoute des grandes expériences et
convictions des traditions religieuses de l'humanité, en particulier
celle de la foi chrétienne, constitue une source de connaissance; la
refuser signifierait une réduction inacceptable de notre capacité
d'écoute et de notre capacité à répondre. Il me vient ici à l'esprit
une parole de Socrate à Phédon. Dans les entretiens précédents, ils
avaient traité de nombreuses opinions philosophiques erronées, et
Socrate s'exclamait alors : « Il serait bien compréhensible que
quelqu'un, en raison de l'irritation due à tant de choses erronées, se
mette à haïr pour le reste de sa vie tout discours sur l'être et le
dénigrât. Mais de cette façon, il perdrait la vérité de l'être et
subirait un grand dommage ». Depuis très longtemps, l'occident est
menacé par cette aversion contre les interrogations fondamentales de
sa raison, et ainsi il ne peut subir qu'un grand dommage. Le courage
de s'ouvrir à l'ampleur de la raison et non le refus de sa grandeur —
voilà quel est le programme avec lequel une théologie engagée dans la
réflexion sur la foi biblique entre dans le débat du temps présent. «
Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le logos, est contraire
à la nature de Dieu » a dit Manuel II, partant de son image chrétienne
de Dieu, à son interlocuteur persan. C'est à ce grand logos, à cette
ampleur de la raison, que
nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des
cultures. La retrouver nous-mêmes toujours à nouveau, est la grande
tâche de l'université.
© Copyright du texte original :
Libreria editrice vaticana
Traduction réalisée par Zenit

Né
à Strasbourg en 1802, fondateur de "Notre Dame de Sion" dont le but est
d'aider à la conversion des juifs, il descend de la célèbre famille
Ratisbonne. Sa grand-mère Hanna Brull épouse
Cerf Berr en seconde noce. Son oncle Louis Ratisbonne fonde
l'hospice Elisa et l'Ecole du travail. Son père Auguste et son oncle
Louis seront présidents du Consistoire. Son frère Adolphe-Marie, plus
jeune que lui de dix ans, se convertira au cours d'un voyage à Rome et
s'établira à Jérusalem, où il finira ses jours.
Son cheminement vers le catholicisme serait due à l'influence d'un
professeur de philosophie Louis Bautain de l'université de Strasbourg,
disciple de De Maistre et de Lamennais qui l'achemine vers le Nouveau
Testament.
Théodore se convertit le Samedi saint 14 avril 1827 à l'âge de 24 ans.
Il publiera plusieurs ouvrages : Essai sur la morale en
1828, Histoire de Saint Bernard et de son siècle en
1841.
La question juive
Le livre qui dévoile sa pensée profonde vis à vis du judaïsme sera
publié en 1868 : La question juive par le Révérend Père
Ratisbonne chez Dentu et Douniol , libraires- éditeurs à Paris.
(1)
Selon l'auteur, les juifs depuis
2000 ans "ne présentent dans leur lamentable histoire aucune vitalité"
; la cause de cette "éclatante déchéance" est écrite dans l'Ancien et
le Nouveau Testament : les juifs sont une eau stagnante qui ne se mêle
dans aucun des fleuves qui l'environnent .
Une "commotion sociale" comme la révolution française pour donner au
peuple israélite un signal fort, était par conséquent, nécessaire .
Le premier signe de ce réveil réside dans l'acte d'émancipation des
juifs de 1791 : "il fallait que la France fût descendue bien bas dans
les ténèbres de l'incrédulité pour se rencontrer soudainement au
niveau de l'infidélité des juifs". En même temps , il constate que la
Providence semble avoir choisi le moment où l'édifice social
s'écroulait avec fracas pour "ébranler les murailles séculaires qui
séparaient les juifs de la société chrétienne".
Th. Ratisbonne critique les décisions prises par le "Grand
Sanhédrîn" réuni en 1807 par Napoléon et notamment l'acceptation
par les représentants des juifs de la suprématie du "Code Napoléon au
dessus du code de Moïse", c'est à dire la suprématie de la loi civile
sur la loi religieuse.
L'analyse de la situation des juifs de France est révélatrice de sa
pensée : le plus grand nombre est "indifférent" et abandonne la
synagogue ; les autres sont les "réformateurs, disciples attardés de
l'école de Voltaire" ; le troisième parti orthodoxe ou conservateur
"se compose d'un assez grand nombre de juifs opiniâtres" parmi
lesquels il y a "beaucoup d'ignorance et d'hypocrisie".
Le quatrième groupe rassemble "le parti des christianisants" qui
admirent le culte catholique mais "s'arrêtent au seuil de l'église" et
seraient représentés " dans toutes les principales familles israélites
de l'Europe".
Enfin le parti qui l'emporte sur tous les autres serait "celui qui
renie ouvertement la Bible et le culte hébraïque" pour s'attacher au
"progrès" : Th. Ratisbonne ici les disciples de Saint-Simon et de
Fourrier "qui ont fait " leurs premières conquêtes parmi les
israélites les plus éminents" .
Ces derniers appartiennent à "l'israélitisme libéral " qui ne trouve
pas grâce à ses yeux. Il se demande comment des hommes de bonne foi et
de talent " peuvent se contenter d'une théorie si vague et si vaine".
Th. Ratisbonne aborde ensuite les raisons pour lesquelles les juifs
sont persécutés : il leur reproche de ne pas ouvrir les yeux sur leur
cause et cite les prophètes d'Israël qui les avaient prévues. Il
constate que l'on ne peut pas méconnaître l'intervention de la main de
Dieu dans l'explosion d'une catastrophe qui a duré deux mille ans.
L'auteur émet, à ce propos, une hypothèse pour le moins originale, en
faisant apparaître l'Eglise catholique comme protectrice des juifs :
elle n'a pas été le "glaive de la divine justice" , elle a au
contraire "modéré les fureurs spontanées des peuples" en ouvrant aux
juifs persécutés des "asiles inviolables" : de là, "les ghettos dont
l'origine se rattache à une pensée hospitalière, trop oubliée, trop
calomniée de nos jours" .
Il conclut ce chapitre en écrivant : "les israélites commettent
évidemment une injustice et une ingratitude quant ils s'insurgent
aujourd'hui contre une institution qui les a sauvés autrefois."
Le rôle joué par l'Eglise dans les croisades et dans l'Inquisition ,
où elle s'est illustrée par de nombreux massacres et bûchers semble
totalement oublié par Th. Ratisbonne qui semble apparemment frappé ici
d'amnésie .
Dans la deuxième partie, l'auteur reproche aux juifs de nier contre le
texte même de l'Ancien Testament , le "dogme du messie et de la
rédemption du monde". Il pense toutefois "que le temps des
miséricordes promises à Sion est venu " . Il décèle chez les juifs "un
défaut d'étude" car ceux-ci s'imaginent que le christianisme est une
autre religion que le judaïsme : "le christianisme n'est en réalité
que l'accomplissement des promesses faites à Abraham et aux
patriarches d'Israël".
En fin de compte, Th. Ratisbonne est
persuadé que, malgré toutes les entraves, Israël se convertira : "le
vieux peuple de Dieu... tombera au pied de la croix et reparaîtra dans
les derniers jours au couronnement de l'édifice immortel ." Le but de
Th. Ratisbonne est d'aider ses anciens coreligionnaires à se convertir
au christianisme , en particulier leurs enfants qui pourront être
accueillis dans les pensionnats de Notre-Dame de Sion .
Dans ce but, il fondera la Congrégation en 1843 stimulé par son frère
Marie Alphonse, approuvée par Rome en 1863. Les soeurs de Notre-Dame de
Sion poursuivront cette oeuvre d'éducation et d'enseignement tandis que
ce frère sera ordonné prêtre en 1847 et entrera dans la "Société de
Jésus" . Avec l'accord du Pape Pie IX celui-ci transférera les "Soeurs
de Sion" à Jérusalem en 1855 et bâtira le couvent Ecce Homo avec une
école et un orphelinat pour filles. Tel est le parcours de Théodore
Ratisbonne qui décédera en 1884 et sera enterré à Evry (près de
Corbeil-Essones) dans le cimetière attenant
la chapelle
Notre-Dame de Sion.
(1) Accessible en ligne :
http//gallica.bnf.fr ( notice FRBNF 37254035).

Angélus : Le rapport entre raison est foi constitue un défi pour la
culture dominante
Texte intégral
ROME, Dimanche 28 janvier 2007 (ZENIT.org)
– Nous publions ci-dessous le texte de la méditation que le pape a
prononcée à l’occasion de la prière de l’Angélus, ce dimanche, du palais
apostolique du Vatican.
AVANT L’ANGELUS
Chers frères et soeurs,
Le calendrier liturgique rappelle aujourd’hui saint Thomas d’Aquin,
grand docteur de l’Eglise. Avec son charisme de philosophe et de
théologien, il offre un modèle valide d’harmonie entre raison et foi,
dimensions de l’esprit humain, qui se réalisent pleinement dans la
rencontre et le dialogue entre elles. Selon la pensée de saint Thomas,
la raison humaine « respire », d’une certaine manière : c’est-à-dire
qu’elle se meut dans un horizon ample, ouvert, où elle peut exprimer le
meilleur d’elle-même. Lorsqu’en revanche l’homme se limite à penser
uniquement à des objets matériels et « expérimentables » et se ferme aux
grandes interrogations sur la vie, sur lui-même et sur Dieu, il
s’appauvrit. Le rapport entre foi et raison constitue un sérieux défi
pour la culture actuellement dominante dans le monde occidental et
précisément pour cette raison, le bien-aimé Jean-Paul II a voulu y
consacrer une encyclique intitulée justement Fides et ratio - Foi
et raison. J’ai moi-même récemment repris cet argument dans le discours
à l’Université de Ratisbonne.
En réalité, le développement moderne des sciences apporte d’innombrables
effets positifs qui sont toujours reconnus. Dans le même temps
cependant, il faut admettre que la tendance à considérer vrai uniquement
ce qui est expérimentable, constitue une limitation à la raison humaine
et produit une terrible schizophrénie désormais évidente, en raison de
laquelle coexistent le rationalisme et le matérialisme, l’hypertechnologie
et l’instinct déchaîné. Il est urgent par conséquent de redécouvrir de
façon nouvelle la rationalité humaine ouverte à la lumière du Logos
divin et à sa parfaite révélation qui est Jésus Christ, Fils de Dieu
fait homme. Lorsque la foi chrétienne est authentique elle ne mortifie
pas la liberté et la raison humaine ; et alors, pourquoi la foi et la
raison doivent-elles avoir peur l’une de l’autre si le fait de se
rencontrer et de dialoguer leur permet de mieux s’exprimer ? La foi
suppose la raison et la perfection, et la raison, éclairée par la foi,
trouve la force pour s’élever à la connaissance de Dieu et des réalités
spirituelles. La raison humaine ne perd rien en s’ouvrant aux contenus
de la foi, ceux-ci demandent au contraire son adhésion libre et
consciente.
Avec une sagesse clairvoyante, saint Thomas d’Aquin réussit à instaurer
une confrontation fructueuse avec la pensée arabe et juive de son temps,
au point d’être considéré un maître toujours actuel de dialogue avec
d’autres cultures et religions. Il sut présenter cette admirable
synthèse chrétienne entre raison et foi qui pour la civilisation
occidentale représente un patrimoine précieux où l’on peut puiser
aujourd’hui également pour dialoguer de manière efficace avec les
grandes traditions culturelles et religieuses de l’est et du sud du
monde. Prions afin que les chrétiens, spécialement ceux qui oeuvrent
dans le milieu universitaire et culturel, sachent exprimer le caractère
raisonnable de leur foi et en témoigner dans un dialogue inspiré par
l’amour. Demandons ce don au Seigneur par l’intercession de saint Thomas
d’Aquin et surtout de Marie, Siège de la Sagesse.
texte hébergé
en 09/06

MOSQUEE d'AMMAN: RATISBONNE II
http://beatriceweb.eu/TerreSainte/0455009bfd107893b/0455009c06124cb38.html
Une intéressante analyse italienne du discours prononcé par le
Saint-Père à la grande mosquée d'Amman (9/5/2009)
(..) nous ne pouvons pas manquer
d’être interpellés par le fait qu’aujourd’hui, avec une insistance
croissante, certains affirment que la religion faillit dans son
ambition à être, par nature, constructrice d’unité et d’harmonie, à
être une expression de la communion entre les personnes et avec Dieu.
Certains soutiennent même que la religion est nécessairement une cause
de division dans notre monde ; et ils prétendent que moins d’attention
est prêtée à la religion dans la sphère publique, mieux cela est.
Certainement et malheureusement, l’existence de tensions et de
divisions entre les membres des différentes traditions religieuses, ne
peut être niée.
Cependant, ne convient-il pas de reconnaître aussi que c’est souvent
la manipulation idéologique de la religion, parfois à des fins
politiques, qui est le véritable catalyseur des tensions et des
divisions et, parfois même, des violences dans la société ?
Face à cette situation, où les opposants à la religion cherchent
non seulement à réduire sa voix au silence, mais à la remplacer par la
leur, la nécessité pour les croyants d’être cohérents avec leurs
principes et leurs croyances est ressentie toujours plus vivement.
Musulmans et chrétiens, précisément à cause du poids de leur histoire
commune si souvent marquée par les incompréhensions, doivent
aujourd’hui s’efforcer d’être connus et reconnus comme des adorateurs
de Dieu fidèles à la prière, fermement décidés à observer et à vivre
les commandements du Très Haut, miséricordieux et compatissant,
cohérents dans le témoignage qu’ils rendent à tout ce qui est vrai et
bon, et toujours conscients de l’origine commune et de la dignité de
toute personne humaine, qui se trouve au sommet du dessein créateur de
Dieu à l’égard du monde et de l’histoire.
...
Chers amis, je désire aujourd’hui mentionner une tâche dont j’ai parlé
à de nombreuses reprises et dont je crois fermement que Chrétiens et
Musulmans peuvent la prendre en charge, particulièrement à travers
leurs contributions respectives à l’enseignement et à l’éducation
ainsi qu’au service public.
Il s’agit du défi de développer en vue du bien, en référence à la
foi et à la vérité, le vaste potentiel de la raison humaine. Les
Chrétiens parlent en effet de Dieu, parmi d’autres façons, en tant que
Raison créatrice, qui ordonnes et gouverne le monde. Et Dieu nous rend
capables de participer à sa raison et donc d’accomplir, en accord avec
elle, ce qui est bon.
Les Musulmans rendent un culte à Dieu, le Créateur du ciel et de
la terre, qui a parlé à l’humanité. En tant que croyants au Dieu
unique, nous savons que la raison humaine est elle-même un don de Dieu
et qu’elle s’élève sur les cimes les plus hautes quand elle est
éclairée par la lumière de la vérité divine. En fait, quand la raison
humaine accepte humblement d’être purifiée par la foi, elle est loin
d’en être affaiblie; mais elle en est plutôt renforcée pour résister à
la présomption et pour dépasser ses propres limitations. De cette
façon, la raison humaine est stimulée à poursuivre le noble but de
servir le genre humain, en traduisant nos aspirations communes les
plus profondes et en élargissant le débat public, plutôt qu’en le
manipulant ou en le confinant. Ainsi, l’adhésion authentique à la
religion – loin de rendre étroits nos esprits – élargit-elle l’horizon
de la compréhension humaine. Elle protège la société civile des excès
de l’égo débridé qui tend à absolutiser le fini et à éclipser
l’infini, elle assure que la liberté s’exerce « main dans la main »
avec la vérité, et elle enrichit la culture avec des vues relatives à
tout ce qui est vrai, bon et beau.
Cette manière de concevoir la raison, qui pousse continuellement
l’esprit humain au-delà de lui-même dans la quête de l’Absolu,
constitue un défi ; elle oblige à la fois à l’espérance et à la
prudence. Chrétiens et Musulmans sont poussés, ensemble, à rechercher
tout ce qui est juste et vrai. Nous sommes liés pour dépasser nos
propres intérêts et pour encourager les autres, les fonctionnaires et
les responsables en particulier, à agir de même pour faire leur la
profonde satisfaction de servir le bien commun, même s’il doit en
coûter personnellement. N’oublions pas que parce que c’est notre
commune dignité humaine qui donne naissance aux droits humains
universels, ceux-ci valent également pour tout homme et toute femme,
quelque soit sa religion et quelque soit le groupe ethnique ou social
auquel il appartienne. À cet égard, nous devons noter que le droit à
la liberté religieuse dépasse la seule question du culte et inclut le
droit – spécialement pour les minorités – d’avoir accès au marché de
l’emploi et aux autres sphères de la vie publique.

http://www.zenit.org/article-21239?l=french
« Qu'aucune autorité ne t'intimide ni ne te distraie
de ce que te fait comprendre la persuasion obtenue grâce à un
comportement droit et rationnel. En effet, l'autorité authentique ne
contredit jamais la juste raison, pas plus que cette dernière ne peut
jamais contredire une véritable autorité. L'une et l'autre proviennent
sans aucun doute de la même source, qui est la sagesse divine » (I, PL
122, col 511B). Nous voyons ici une courageuse affirmation des valeurs
de la raison, fondée sur la certitude selon laquelle l'autorité
véritable est raisonnable, car Dieu est la raison créatrice.
« L’ordre de l’Univers incarné dans une pensée humaine.
C’est notre fin ; Le vrai se définit ainsi. » Simone Weil
|
|
Ce qu’il y avait aussi dans la Conférence de Ratisbonne, et n’a guère été
aperçu…
http://www.daoudal-hebdo.info/Daoudal_Hebdo/Conferences/Entrees/2009/1/29_La_Conference_de_Ratisbonne%2C_et_alia.html
La
Conference de Ratisbonne, et alia…
Conférence donnée lors du
Camp d’Hiver des jeunes de Chrétienté-Solidarité
fin décembre 2007.
Il y a la vraie conférence
de Ratisbonne, et la fausse conférence de Ratisbonne.
Celle qui a déclenché la polémique était la fausse.
Cette fausse conférence a été inventée par les agences de presse,
agissant ensemble. Sans doute parce que tous leurs correspondants
étaient dans une même salle de presse, et que tout le monde a recopié
ce qu’avait cru comprendre celui qui comprenait l’allemand. C’est un
peu comme l’affaire « Allez Dragan – Elle est dragable ». Un
journaliste, évidemment mal intentionné (il en est de même avec le
pape), entend Bernard Antony dire, dans le brouhaha, quelque chose qui
ressemble à « Elle est dragable ». Il en fait part à ses collègues, et
cela devient officiel : le catholique traditionaliste Bernard Antony a
dit que Marine Le Pen est dragable. Alors qu’il a dit « Allez Dragan
», pour inviter le photographe à quitter l’estrade.
Pour les agences de presse, le pape a dit : «
Montre-moi ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu ne trouveras que
du mauvais et de l’inhumain, comme ceci, qu’il a prescrit de répandre
par l’épée la foi qu’il prêchait. » Non seulement le pape a dit cela,
mais c’est l’essentiel de sa conférence. Bref ce n’était pas une
conférence, mais un brûlot contre l’islam.
C’est un exemple flagrant de l’inculture et de
l’incompétence des journalistes des agences de presse en matière
religieuse.
Il est évident que le pape n’a pas pu dire cela. Et
pour deux raisons. La première est que ce n’est pas son langage. La
deuxième est qu’il est impossible que le pape attaque l’islam de cette
manière. Ce serait irresponsable, et le pape n’est pas irresponsable.
On connaît la suite. En fait, les agences de presse
ont rectifié le tir peu après, mais le mal était fait.
D’autre part on peut se demander ce qu’était cette
conférence. Il s’agit d’un document tout à fait atypique. Le pape ne
prononce pas de conférences. Il prononce des homélies, des discours,
des allocutions, pas des conférences. En fait Benoît XVI était
redevenu quelque temps le professeur Ratzinger, faisant une causerie
dans l’université où il avait été professeur et même vice-recteur.
Cela est d’ailleurs très clair dans son premier paragraphe. Et il a
fait cette causerie avec la liberté dont peut user un professeur
d’université. Joseph Ratzinger a du mal à être, si l’on peut dire,
seulement pape. Je l’avais déjà remarqué, et cela est flagrant aussi
dans l’annonce qu’il va publier un livre sur le Christ, en précisant
qu’il s’agit d’un ouvrage personnel. Cela ne peut qu’engendrer des
confusions, car évidemment on dira « Le pape a dit », alors que c’est
Joseph Ratzinger qui aura dit. Cela dit on ne doit pas oublier non
plus que le pape a rédigé une bonne partie de ce livre avant d’être
pape, et qu’il est légitime qu’il veuille le publier. D’autant qu’il
promet d’être passionnant, si l’on se réfère à sa préface. Mais c’est
une autre histoire.
Mais il y a quelque chose de cette incertitude sur
l’auteur des propos dans les réactions à la conférence de Ratisbonne.
Car, une fois établi que ce n’est ni le pape, ni Joseph Ratzinger, qui
est l’auteur de la phrase qui a mis le feu aux poudres, il reste que
la citation qu’il a faite n’est pas une citation que peut faire le
pape en tant que pape.
Foi et raison : la synthèse grecque et la rupture
moderne
Cette citation, comme vous le savez, était le point
de départ de son exposé. Ou plus exactement, ce n’était pas celle-là,
mais celle qui suivait : « Ne pas agir selon la raison (sun logos) est
contraire à la nature de Dieu. » Ce qui était suivi d’une autre
citation, non pas de l’empereur byzantin, mais de l’éditeur du texte :
« Pour l’empereur byzantin, nourri de philosophie grecque, cette
affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane au contraire,
Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune de
nos catégories, fût-elle celle qui consiste à être raisonnable. » Et
il cite encore un autre auteur expliquant que selon l’un des grands
théologiens de l’islam Dieu n’est pas même tenu à sa propre parole et
que si tel était son vouloir l’homme devrait être idolâtre.
Comme on le voit, cette brève partie, qui est le
point de départ de la réflexion, est entièrement composée de
citations, comme l’est un bon travail universitaire. A partir de là,
Joseph Ratzinger ne va plus jamais évoquer l’islam. Sauf de façon
allusive, lorsqu’à la fin, là encore en bon universitaire, il
reprendra la citation motrice de son exposé : « Ne pas agir selon la
raison (sun logos) est contraire à la nature de Dieu. »
La plus grande partie de l’exposé est consacrée à
montrer d’abord qu’il y a une concordance parfaite entre ce qui est
décrit comme grec dans la pensée de l’empereur et la foi en Dieu telle
qu’elle apparaît dans la Bible. C’est pourquoi il y a eu rencontre
entre la foi biblique et la raison grecque, dès l’ère hellénistique,
puis avec le christianisme. Les premiers mots de l’évangile de saint
Jean sont : « Au commencement était le logos, et le logos était Dieu.
»
On retrouve ici quelque chose de l’encyclique Fides
et ratio, de Jean-Paul II. Fatalement, puisque l’intitulé est le même
: foi et raison, et l’on sait en outre que le cardinal Ratzinger a
pris une part importante dans la rédaction de cette encyclique. Ce qui
montre qu’il s’agit d’un thème très important pour lui.
Mais il ne s’intéresse pas ici aux étapes de la
synthèse entre la philosophie grecque et le christianisme. Il s’étend
sur les étapes de la déshellénisation de la pensée chrétienne. C’est
très intéressant, mais ce qui m’intéresse davantage est la conclusion.
Cette déshellénisation a conduit à une destruction
de la synthèse entre la philosophie grecque et la religion chrétienne,
à une rupture entre la raison et la foi. La raison est devenue
autonome, a marginalisé la foi. La foi est devenue du domaine du
subjectif, de l’irrationnel. La raison est ce qui permet le
développement de la science. Et la science n’a pas besoin de la foi.
C’est cette raison-là, cette raison positiviste,
scientiste, qui au mieux relègue la foi dans la subjectivité
individuelle quand elle ne la nie pas complètement, donc cette raison
en quelque sorte laïciste qui seule a droit de cité, qui caractérise
le monde occidental actuel.
Or Joseph Ratzinger montre, et c’est la grande
conclusion de son exposé, et ce thème est pour le coup un thème du
pape Benoît XVI, que le dialogue des cultures et des religions n’est
pas possible dans un tel contexte. Car « les cultures profondément
religieuses du monde non occidental voient cette exclusion du divin de
l’universalité de la raison comme un outrage à leurs convictions les
plus intimes. Une raison qui reste sourde au divin et repousse la
religion dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des
cultures. »
De même, il souligne que la séparation de la raison
et de la foi conduit à une réduction de la véritable raison et à un
scientisme lourd de menaces pour l’humanité.
On voit là, et dans tout ce qui a précédé, que la
conférence est une critique radicale du rationalisme occidental, et
non pas de l’islam. Et que ce n’est pas d’abord le défaut de raison
dans l’islam qui pose un problème au dialogue, mais l’absence de la
foi en Occident. Cette critique véritablement radicale, c’est aussi ce
que les journalistes ne pouvaient pas et ne voulaient pas comprendre,
c’est pourquoi ils ont préféré falsifier le discours.
Alors, il s’agit là de quelque chose de très
important, et de nouveau, dans la formulation de la critique du
rationalisme occidental, et dans la prise en compte de ce que ce
rationalisme ruine les possibilités de dialogue avec les autres
cultures du monde, qui sont, elles, restées religieuses.
La conférence de Caen : la pathologie de la raison
Lors des festivités du soixantième anniversaire de
la libération, Joseph Ratzinger, qui était encore préfet de la
congrégation pour la doctrine de la foi, avait prononcé une conférence
à Caen, intitulée A la recherche de la paix, où il avait déjà abordé
cette problématique.
Certains, disait-il, opposent l’Occident à l’islam,
en montrant cette opposition comme celle de la raison éclairée et
d’une religion fondamentaliste fanatique. Or ce sont là, disait-il,
deux pathologies. Il y a une pathologie de la foi, qui transforme Dieu
en une idole dans laquelle l’homme adore sa propre volonté, qui
identifie l’absoluité de Dieu avec une communauté particulière et des
intérêts particuliers. Et il y a la pathologie de la raison
entièrement coupée de Dieu. Et là, déjà, c’est cet aspect qu’il
étudiait longuement, soulignant d’emblée que « le développement
spirituel en Occident tend toujours plus vers des pathologies
destructrices de la raison ».
Les anciens, souligne-t-il, faisaient la différence
entre ratio et intellectus, « entre la raison dans son rapport à la
réalité empirique et manufacturable, et la raison pénétrant les
couches les plus profondes de l’être ». Mais il n’y a plus aujourd’hui
en Occident que la ratio au sens le plus étroit du terme : « Seul ce
qui est vérifiable, ou plus exactement falsifiable, vaut encore comme
rationnel. » La raison est réduite au domaine expérimental,
spécialement à la science expérimentale. Il en résulte que l’homme
n’apparaît plus comme un don du Créateur, mais comme un produit. La
dignité de l’homme disparaît, et les droits de l’homme n’ont plus de
fondement. Quant à la religion et à la morale, elles tombent « en
dehors de la raison commune », elles sont reléguées dans la
subjectivité. Le bien et le mal n’existent plus en soi. « Si cela sert
la construction du monde futur de la raison, il peut être
éventuellement bon de tuer des innocents. » C’est ainsi qu’ont
fonctionné les idéologies meurtrières du XXe siècle, montre le
cardinal Ratzinger. Le nazisme et le communisme n’ont fait qu’aller
jusqu’au bout de la logique pathologique de la raison. Jusqu’à la
folie, car « une raison qui ne sait plus reconnaître qu’elle-même et
ce qui est empiriquement certain, se paralyse et se détruit elle-même
».
Cette raison malade, autodestructrice, ne peut pas
dialoguer avec un monde religieux. D’ailleurs, constate le cardinal
Ratzinger, elle considère également comme fondamentalisme, au même
titre que l’islamisme, la raison qui reconnaît des valeurs
supérieures. C’est pourtant cette raison, ouverte à Dieu, s’inscrivant
dans une morale qui s’impose à elle, qui seule « peut parer la
manipulation de la notion de Dieu et les maladies de la religion, et
offrir un remède ».
La véritable laïcité
Le cardinal Ratzinger signale comme application
directe de ce qu’il vient d’exposer, la saine doctrine de la laïcité.
Le véritable caractère laïque de l’Etat, souligne-t-il, « inclut en
son essence cet équilibre entre raison et religion ». « Par là il
s’oppose aussi au laïcisme idéologique qui voudrait en quelque sorte
établir un Etat de la pure raison », coupé de ses racines, auquel il
ne reste plus que « le positivisme du principe de la majorité, et la
décadence du droit qu’il entraîne, d’autant que celui-ci, au bout du
compte, est régi par la statistique ». Un Etat laïque, souligne le
cardinal Ratzinger, a « l’obligation de trouver son support dans les
racines morales marquantes qui l’ont construit : il peut, il doit
reconnaître les valeurs fondamentales sans lesquelles il ne serait pas
devenu ce qu’il est et sans lesquelles il ne peut pas survivre ». On
retrouve là la critique de l’idéologie démocratique qu’avait déjà
faite Jean-Paul II lorsqu’il avait dit, dans Evangelium vitae, que la
démocratie qui ignore les valeurs supérieures qui doivent s’imposer à
elle « s’achemine vers un totalitarisme caractérisé ».
Et l’on se souvient de la réponse de Jacques Chirac,
défendant bec et ongles la démocratie totalitaire : « Non à une loi
morale qui primerait la loi civile ».
Or, avertissait le cardinal Ratzinger à Caen, d’une
part nous ne pourrons pas éviter le conflit avec les autres cultures
si nous ne réenracinons pas la nôtre, d’autre part si l’Occident
s’engage tout entier dans la voie dictée par une raison mutilée et
malade, il ne pourra pas résister à la pression des idéologies et des
théocraties politiques.
C’est donc la tâche des chrétiens d’aujourd’hui,
dit-il, « d’amener la raison à fonctionner intégralement, non
seulement dans le domaine de la technique et du développement matériel
du monde, mais aussi et avant tout en tant que faculté de vérité
promouvant sa capacité de reconnaître le bien, condition du droit et
par là également présupposé de la paix dans le monde ».
Car le thème de cette conférence était : à la
recherche de la paix.
Le discours de Vérone : science et Logos
On aura noté l’allusion à la technique. Plus haut
dans la conférence, il soulignait le danger d’une science déconnectée
de Dieu et de la morale.
Il est revenu sur cet aspect, en tant que pape,
notamment dans son discours au congrès de l’Eglise italienne, à
Vérone, le 19 octobre dernier. Soulignant « l’insuffisance d’une
rationalité refermée sur elle-même », il ajoutait que la culture
occidentale actuelle, qui exclut tout principe moral qui soit valable
et contraignant en lui-même, « représente une rupture radicale et
profonde non seulement avec le christianisme, mais de manière plus
générale avec les traditions religieuses et morales de l’humanité,
elle n’est donc pas en mesure d’instaurer un véritable dialogue avec
les autres cultures, dans lesquelles la dimension religieuse est
fortement présente ». On retrouve là presque mot pour mot ce que le
pape disait à Ratisbonne un mois plus tôt.
Mais à Vérone, Benoît XVI va montrer aussi que la
raison elle-même prouve que la science véritable ne peut pas être
déconnectée de Dieu.
C’est bien la raison qui a donné vie aux sciences
modernes et aux technologies qui en dérivent. Or une caractéristique
fondamentale des technologies modernes est « l’emploi systématique des
instruments des mathématiques, afin de pouvoir œuvrer avec la nature
et mettre ses immenses énergies à notre service ». Les mathématiques
sont une création de notre intelligence, mais on constate une étroite
correspondance entre les structures des mathématiques et les
structures de l’univers : c’est précisément ce qui permet d’utiliser
avec fruit les mathématiques. Déjà Galilée disait que le livre de la
nature est écrit en langage mathématique. Cela pose une grande
question, dit le pape : « Cela implique en effet que l’univers
lui-même est structuré de manière intelligente, de manière à ce qu’il
existe une correspondance profonde entre notre raison subjective et la
raison objective de la nature. » On en vient donc à se demander s’il
n’existe pas une intelligence originelle, qui soit la source à la fois
de la raison en œuvre dans la nature, et de la raison humaine. Ainsi
la réflexion sur le développement des sciences nous ramène vers le
Logos créateur.
Conjuguer la théologie, la philosophie et les
sciences
Benoît XVI tire de cette réflexion une conséquence
fondamentale. Sur cette base, dit-il, « il devient possible d’élargir
les horizons de notre rationalité, de l’ouvrir à nouveau aux questions
du vrai et du bien, de conjuguer entre elles la théologie, la
philosophie et les sciences, dans le plein respect de leurs propres
méthodes et de leur autonomie réciproque, mais également en ayant
conscience de l’unité intrinsèque qui les relie. »
Ce ne sont là que quelques phrases dans un long
discours abordant différents sujets. Mais elles sont d’une importance
capitale, et elles ouvrent une voie nouvelle. Aussi nouvelle
qu’ancienne. C’est en vérité un retour à la tradition la plus
centrale, que je croyais personnellement impossible en notre temps.
Je répète le propos du pape : conjuguer entre elles
la théologie, la philosophie et les sciences, dans le plein respect de
leurs propres méthodes et de leur autonomie réciproque, mais également
en ayant conscience de l’unité intrinsèque qui les relie.
C’est une définition de ce qu’était l’université à
l’origine. Or ce n’est pas un propos en passant, une allusion glissée
là en aparté, pour le cas où quelqu’un la remarquerait et en ferait
éventuellement son miel. C’est un thème qui lui tient à cœur.
Ce qu’est l’université catholique
La première fois que j’ai lu un texte de Benoît XVI
qui évoquait cette question, je n’en suis pas revenu. C’était en
novembre 2005. Dans son discours pour l’inauguration de l’année
académique à l’université romaine du Sacré-Cœur.
C’était donc un an avant la conférence de
Ratisbonne. Et l’on y trouvait déjà très précisément l’un des aspects
majeurs de la conférence de Ratisbonne. Après avoir cité la
Constitution apostolique Ex corde Ecclesiæ de Jean-Paul II, Benoît XVI
disait ceci :
« L’université catholique est donc un grand
laboratoire où, selon les diverses disciplines, on élabore sans cesse
de nouveaux parcours de recherche dans une confrontation stimulante
entre la foi et la raison qui vise à retrouver la synthèse harmonieuse
atteinte par Thomas d’Aquin et par les autres grandes figures de la
pensée chrétienne, une synthèse malheureusement contestée par des
courants importants de la philosophie moderne. »
Le pape reprend alors ce qui est chez lui un
véritable leitmotiv, à savoir que cette contestation exclut du domaine
de la rationalité les questions fondamentales de l’homme, et,
ajoute-t-il, qu’« à la fin disparaît la question qui a donné origine à
l’université : la question de la vérité et du bien », remplacée par la
question de ce qui est faisable. Ainsi donc, « le grand défi des
universités catholiques » est de « placer la science dans l’horizon
d’une rationalité véritable, différente de celle aujourd’hui largement
dominante, selon une raison ouverte à la question de la vérité et aux
grandes valeurs inscrites dans l’être lui-même, et donc ouverte au
transcendant, à Dieu ».
Il disait de même, dans son récent discours à la
curie, en évoquant sa conférence de Ratisbonne :
« La foi dans ce Dieu qui est la Raison créatrice
de l'univers en personne, doit être accueillie par la science de façon
nouvelle comme un défi et une chance. Réciproquement, cette foi doit
reconnaître à nouveau son ampleur intrinsèque et son bien-fondé. La
raison a besoin du Logos qui est à l'origine de tout et qui est notre
lumière ; la foi, pour sa part, a besoin du dialogue avec la raison
moderne, pour se rendre compte de sa grandeur et être à la hauteur de
ses responsabilités. C'est ce que j'ai tenté de souligner dans mon
discours à Ratisbonne. Il s'agit d'une question qui n'est absolument
pas de nature uniquement académique ; notre avenir à tous est contenu
dans cette question. »
Il est de nouveau possible, insistait-il à
l’université du Sacré-Cœur, de conjuguer ainsi foi et raison, à la
lumière de la révélation du Christ, du Logos qui s’est fait chair. «
C’est sur cette base, affirme-t-il, que se déroule le travail
quotidien d’une université catholique. »
Et il précise encore : « En agissant à
l’intérieur de cet horizon de sens, on découvre l’unité intrinsèque
qui relie les diverses branches du savoir : la théologie, la
philosophie, la médecine, l’économie, chaque discipline, jusqu’aux
technologies les plus spécialisées, car tout est lié. »
L’unité des sciences, dont la première est la
théologie
Voilà où le pape voulait en arriver. Quand il
parle de la synthèse harmonieuse entre foi et raison, il renvoie
explicitement à ce qu’était l’université au moyen âge, et il assigne
aux universitaires chrétiens d’aujourd’hui de reconstituer et de faire
revivre cette synthèse. C’est la synthèse universitaire de
l’universalité des sciences. L’université, comme son nom l’indique,
rassemble toutes les connaissances, toutes les sciences. Son nom
complet est Universitas scientiarum, université des sciences. Il n’y a
pas le discours sur la foi d’un côté et les sciences profanes de
l’autre, il y a une unité des sciences, et la première des sciences
est la théologie, accompagnée de sa servante la philosophie. Les
autres sciences sont certes autonomes, mais ne peuvent vivre qu’à la
lumière de la théologie et de la philosophie.
Je dois vous avouer que je croyais cette idée-là
abandonnée depuis longtemps, et je n’aurais jamais imaginé entendre un
pape parler ainsi au début du troisième millénaire.
Certes, on n’a pas beaucoup entendu de réactions à
ce discours, pas même pour se moquer d’un pape qui veut en revenir au
moyen âge. Les journalistes ont zappé cela comme le reste, et les
intellectuels n’en ont rien su, enfermés qu’ils sont dans leur pseudo
rationalité déconnectée de toute religion, même quand ils se disent
chrétiens. On imagine le tollé si Benoît XVI publiait un texte
demandant officiellement aux universités catholiques de fonctionner
ainsi…
Retour à Ratisbonne
Cela pourrait pourtant venir. Car le pape n’a pas
dit cela en passant. Il l’a dit aussi… à Ratisbonne. C’était au début
de sa conférence, quand il évoquait ses souvenirs. Mais il y a là bien
autre chose que des souvenirs :
« L’université était très fière de ses deux facultés
de théologie. Il était clair qu’elles aussi, en s’interrogeant sur la
raison de la foi, accomplissaient un travail qui appartient
nécessairement au tout de l’Universitas scientiarum, même si tous
pouvaient ne pas partager la foi, dont la corrélation avec la raison
commune est le travail des théologiens. Cette cohésion interne dans
l’univers de la raison n’a pas même été troublée quand on entendit, un
jour, un de nos collègues déclarer qu’il y avait dans notre université
une curiosité : deux facultés s’occupaient de quelque chose qui
n’existe même pas – de Dieu. Il s’avérait indiscutable dans l’ensemble
de l’Université que, même devant un scepticisme aussi radical, il
demeurait nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu au moyen
de la raison, et de le faire en relation avec la tradition de la foi
chrétienne. »
L’écho de Rémi Brague
De tels propos sont-ils condamnés à n’avoir aucun
écho ? Ce n’est pas sûr. Car j’ai eu une autre surprise, celle de les
voir repris en substance dans Le Figaro Magazine, en novembre dernier,
sous la plume d’un historien de la philosophie,
Rémi Brague, professeur à la Sorbonne.
Rémi Brague rappelle que l’université est une
création de la papauté, et que dans l’université médiévale la
théologie était la première science en dignité. Et il n’hésite pas à
poser cette question : « La théologie ne resterait-elle pas la science
[il dit bien : la science] la plus digne d’être enseignée à
l’université ? Elle est en effet la plus critique de toutes : elle
seule commence par se demander si son objet existe, et elle ne cesse
de se le demander, en se faisant une idée toujours plus fine de ce que
veulent dire Dieu et exister. »
Rémi Brague répond alors à ceux qui pensent qu’un
pape théologien, comme Benoît XVI, ne peut pas correspondre à ce que
l’on attend d’un pape. Or il explique ceci :
« Une tenaille est en train de se forger : d’un
côté, un islam qui a oublié la raison au profit d’un fondamentalisme
du Livre (l’islamisme), de l’autre, un christianisme qui la méprise au
profit de l’affectivité (l’évangélisme). Ils ont en commun l’absence
de théologie, voire son refus ou son impossibilité. L’Eglise
catholique est-elle la seule qui risque d’être prise entre les deux ?
Ou n’est-ce pas nous, l’Occident tout entier, y compris les conquêtes
de la Modernité, qui risquons d’y passer ? Il se pourrait ainsi que la
théologie redevienne une science clé. Non bien sûr en commandant aux
autres comme à des servantes, mais en les rendant discrètement
possibles. Comme garante de la compatibilité entre la religion et la
raison, bien sûr, mais plus encore : comme garante de la raison
elle-même. » D’où la conclusion qu’un pape théologien est le plus
proche des vrais problèmes.
On voit que Rémi Brague a parfaitement compris le
sens des propos de Benoît XVI, puisqu’il les reprend à son compte de
façon aussi personnelle que fidèle.
Or il n’est pas possible qu’il y ait un seul Rémi
Brague. Qu’il y ait un seul professeur d’université qui pense ainsi.
Les propos du pape sont incompréhensibles pour les journalistes, et
l’on voit dans ce numéro du Figaro Magazine que le secrétaire de
rédaction et le rédacteur en chef n’ont rien compris au texte de Rémi
Brague, puisqu’ils ont mis en légende de la photographie : » Elu pape,
Joseph Ratzinger reste un intellectuel. »
Mais il se passe quelque chose, discrètement, en
profondeur. Sous la superficialité des médias, et sous les fausses
polémiques qui visent à cacher les vraies problématiques.
Je crois qu’il y a là un vrai signe d’espérance.
C’est pourquoi je voulais vous en faire part.
jeudi 29 janvier 2009
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