Au terme du second millénaire, le
Christianisme se trouve, précisément dans le domaine de son
extension originelle, en Europe, dans une crise profonde, qui repose
sur la crise de sa prétention à la vérité. Cette crise a une double
dimension : tout d'abord se pose toujours plus la question de savoir
s'il est juste, au fond, d'appliquer la notion de vérité à la
religion, en d'autres termes s'il est donné à l'homme de connaître
la vérité proprement dite sur Dieu et les choses divines. L'homme
contemporain se retrouve bien mieux dans la parabole bouddhiste de
l'éléphant et des aveugles : un roi dans le Nord de l'Inde aurait un
jour réuni en un lieu tous les habitants aveugles de la ville. Puis
il fit passer devant les assistants un éléphant. Il laissa les uns
toucher la tête, en disant : c'est ça un éléphant. D'autres purent
toucher l'oreille ou la défense, la trompe, la patte, le derrière,
les poils de la queue. Là-dessus le roi demanda à chacun : comment
c'est, un éléphant ? Et selon la partie qu'ils avaient touchée, ils
répondaient : C'est comme une corbeille tressée... c'est comme un
pot... c'est comme la barre d'une charrue... c'est comme un
entrepôt... c'est comme un pilastre... c'est comme un mortier...
c'est comme un balai... Là-dessus - continue la parabole - ils se
mirent à se disputer, et en criant : « l'éléphant, c'est comme ci,
c'est comme ça », ils se jetèrent l'un sur l'autre et se frappèrent
avec les poings, au divertissement du roi. La querelle des
religions apparaît aux hommes d'aujourd'hui comme cette querelle des
aveugles-nés. Car face aux secrets du divin nous sommes,
semble-t-il, nés aveugles. Le Christianisme ne se trouve en aucune
manière pour la pensée contemporaine dans une position plus positive
que les autres - au contraire, avec sa prétention à la vérité, il
semble être particulièrement aveugle face à la limite de toute notre
connaissance du divin, caractérisée par un fanatisme
particulièrement insensé, qui prend incorrigiblement pour le tout le
bout touché par l'expérience personnelle.
Ce scepticisme tout à fait général
à l'égard de la prétention à la vérité en matière de religion est
encore étayé par les questions que la science moderne a soulevées
vis-à-vis des origines et des objets de la sphère chrétienne. La
théorie de l'évolution semble avoir surclassé la doctrine de la
création, les connaissances concernant l'origine de l'homme
surclassé la doctrine du péché originel ; l'exégèse critique
relativise la figure de Jésus et met des points d'interrogation
vis-à-vis de sa conscience de Fils ; l'origine de l'Église en Jésus
apparaît douteuse, et ainsi de suite. La « fin de la métaphysique »
a rendu problématique le fondement philosophique du Christianisme,
les méthodes historiques modernes ont mis ses bases historiques dans
une lumière ambiguë. Aussi est-il facile de réduire les contenus
chrétiens à un discours symbolique, de ne leur attribuer aucune
vérité plus haute que les mythes de l'histoire des religions - de
les regarder comme un mode d'expérience religieuse qui aurait à se
placer humblement à côté d'autres. En ce sens on peut encore - à ce
qui semble - continuer à rester chrétien ; on se sert toujours des
expressions du Christianisme, dont la prétention, bien sûr, est
transformée de fond en comble : la vérité qui avait été pour
l'homme une force obligatoire et une promesse fiable, devient
désormais une expression culturelle de la sensibilité religieuse
générale, expression qui serait, nous lasse-t-on entendre, le
produit des aléas de notre origine européenne.
La prétention à la vérité
Ernst Troeltsch, au début de ce
siècle, a formulé philosophiquement et théologiquement ce retrait
intérieur du Christianisme par rapport à sa prétention universelle
originelle, qui ne pouvait se fonder que sur la prétention à la
vérité. Il était arrivé à la conviction que les cultures sont
insurpassables et que la religion est liée aux cultures. Le
Christianisme est alors seulement le côté du visage de Dieu tourné
vers l'Europe. Les « particularités individuelles des cercles
culturels et raciaux » et « les particularités de leurs grandes
formations religieuses d'ensemble » acquièrent le rang d'une
instance ultime : « Qui veut donc oser faire ici des comparaisons de
valeurs réellement décisives. Cela, seul pourrait le faire Dieu
lui-même, lui qui est à l'origine de ces différences. » Un
aveugle-né sait qu'il n'est pas né pour être aveugle et dès lors il
ne cessera de s'interroger sur le pourquoi de sa cécité et sur le
moyen d'en sortir. De façon seulement apparente l'homme s'est
résigné au verdict d'être né aveugle face à la seule réalité qui
compte en dernière instance dans notre vie. La tentative titanesque
de prendre possession du monde entier, de tirer de notre vie et pour
notre vie tout ce qui est possible, montre tout autant que les
éclats d'un culte fait d'extase, de transgression et de destruction
de soi, que l'homme ne se contente pas de ce jugement. Car s'il ne
sait pas d'où il vient et pourquoi il existe, n'est-il pas en tout
son être une créature manquée ? L'adieu apparemment définitif à la
vérité sur Dieu et sur l'essence de notre moi, l'apparent
contentement de ne plus devoir nous occuper de cela, trompe.
L'homme ne peut se résigner à être et rester pour l'essentiel un
aveugle-né. L'adieu à la vérité ne peut jamais être définitif.
Les choses étant ainsi, il est
nécessaire de poser à nouveau la question démodée de la vérité du
Christianisme, si superflue et insoluble puisse-t-elle paraître à
beaucoup. Mais comment ? Sans aucun doute, la théologie
chrétienne va devoir examiner soigneusement, sans crainte de
s'exposer, les diverses instances qui ont été élevées contre la
prétention du Christianisme à la vérité dans le domaine de la
philosophie, des sciences naturelles, de l'histoire naturelle. Mais
d'autre part il faut aussi qu'elle cherche à acquérir une vision
d'ensemble de la question concernant l'essence véritable du
Christianisme, sa position dans l'histoire des religions et son lieu
dans l'existence humaine. Je voudrais faire un pas dans cette
direction, en mettant en lumière la question de savoir comment, dans
ses origines, le Christianisme lui-même a vu sa prétention dans le
cosmos des religions.
À ma connaissance il n'existe
aucun texte de l'Antiquité chrétienne qui jette sur cette question
autant de lumière que la discussion d'Augustin avec la philosophie
religieuse du « plus érudit des romains », Marcus Terrentius
Varron (116 - 27 av. J.C.). Varron partageait l'image stoïcienne
de Dieu et du monde ; il définit Dieu comme animam motu ac ratione
mundum gubernantem (comme « l'âme qui dirige le monde par le
mouvement et la raison »), en d'autres termes : comme l'âme du monde
que les Grecs appellent le cosmos : hunc ipsum mundum esse deum.
Cette âme du monde, il est vrai, ne reçoit pas de culte. Elle n'est
pas l'objet de religio. En d'autres termes : vérité et religion,
connaissance rationnelle et ordre cultuel se situent sur deux plans
totalement différents. L'ordre cultuel, le monde concret de la
religion, n'appartient pas à l'ordre de la res, de la réalité comme
telle, mais à celle des mores - des coutumes. Ce ne sont pas les
dieux qui ont créé l'État, c'est l'État qui a établi les dieux dont
la vénération est essentielle pour l'ordre de l'État et le bon
comportement des citoyens. La religion est dans son essence un
phénomène politique. Varron distingue ainsi trois sortes de «
théologie », entendant par théologie la ratio, quae de diis
explicatur - la compréhension et l'explication du divin,
pourrions-nous traduire. Telles sont la theologia mythica, la
theologia civilis et la theologia naturalis. Au moyen de quatre
définitions il explicite ensuite ce qu'il faut entendre par ces «
théologies ». La première définition se rapporte aux trois
théologiens rangés sous ces trois théologies : les théologiens de la
théologie mythique sont les poètes, parce qu'ils ont composé des
chants sur les dieux et sont ainsi des chantres de la divinité. Les
théologiens de la théologie physique (naturelle) sont les
philosophes, c'est-à-dire les érudits, les penseurs, qui, allant
au-delà des habitudes, s'interrogent sur la réalité, sur la vérité ;
les théologiens de la théologie civile sont les « peuples », qui ont
choisi de ne pas s'allier aux philosophes (à la vérité), mais aux
poètes, à leurs visions poétiques, à leurs images et figures. La
deuxième définition concerne le lieu de la réalité sous lequel est
rangée la théologie en question. Ici à la théologie mythique
correspond le théâtre qui avait tout à fait un rang religieux,
cultuel ; selon l'opinion régnante, les spectacles ont été institués
à Rome sur ordre des dieux. À la théologie politique correspond la
urbs, mais l'espace de la théologie naturelle serait le cosmos. La
troisième définition désigne le contenu des trois théologies : la
théologie mythique aurait pour contenu les fables sur les dieux,
créées par les poètes ; la théologie d'État le culte ; la théologie
naturelle répondrait à la question de savoir qui sont les dieux. Il
vaut la peine d'écouter ici plus exactement : « si - comme chez
Héraclite - ils sont faits de feu ou - comme chez Pythagore - de
nombres, ou - comme chez Épicure - d'atomes, et d'autres choses
encore que les oreilles peuvent supporter plus facilement à
l'intérieur des murs de l'école qu'au dehors, sur la place publique.
» Il ressort tout à fait clairement ici que cette théologie
naturelle est une démythologisation ou mieux : une rationalité, qui
voit, de son regard critique, les dessous de l'apparence mythique et
décompose celle-ci au moyen des sciences naturelles. Culte et
connaissance se séparent complètement l'un de l'autre. Le culte
reste nécessaire pour autant qu'il est affaire d'utilité politique ;
la connaissance a un effet destructeur sur la religion et ne devrait
dès lors pas être mise sur la place publique. Finalement il y a
encore la quatrième définition : quelle sorte de réalité constituent
les diverses théologies ? La réponse de Varron est la suivante : la
théologie naturelle s'occupe de la « nature des dieux » (qui en fait
n'existent pas), les deux autres théologies traitent des divina
instituta hominum - des institutions divines des hommes. Or par là
toute la différence se réduit à celle entre la physique en son sens
antique et la religion cultuelle de l'autre côté. « La théologie
civile n'a finalement aucun dieu, seulement la "religion" ; la
"théologie naturelle" n'a pas de religion, mais seulement une
divinité ». Non, elle ne peut avoir aucune religion, parce qu'il
n'est pas possible d'adresser religieusement la parole à son dieu :
feu, nombres, atomes. Ainsi religio (terme désignant essentiellement
le culte) et réalité, la connaissance rationnelle du réel, se
situent comme deux sphères séparées, l'une à côté de l'autre. La
religio ne tire pas sa justification de la réalité du divin, mais de
sa fonction politique. C'est une institution dont l'État a besoin
pour son existence. Indubitablement nous nous trouvons ici devant
une phase tardive de la religion, dans laquelle la naïveté du monde
religieux est brisée et sa décomposition est dès lors amorcée. Mais
le lien essentiel de la religion avec la communauté de l'État n'en
pénètre pas moins beaucoup plus en profondeur. Le culte est en
dernière instance un ordre positif qui comme tel ne doit pas être
mesuré à la question de la vérité. Tandis que Varron, en son temps
où la fonction politique était toujours suffisamment forte pour la
justifier comme telle, pouvait encore défendre le culte motivé
politiquement à partir d'une conception plutôt crue de la
rationalité et de l'absence de vérité, le néoplatinisme cherchera
bientôt une autre issue à la crise, un moyen sur lequel l'empereur
Julien se basera ensuite dans son effort pour rétablir la religion
romaine d'État : ce que disent les poètes, ce sont des images que
l'on ne doit pas entendre de façon physique ; mais ce sont néanmoins
des images qui expriment l'inexprimable pour tous ces hommes
auxquels la voie royale de l'union mystique est barrée. Bien que les
images ne soient pas vraies comme telles, elles n'en sont pas moins
maintenant justifiées comme des approches de ce qui doit
nécessairement demeurer pour toujours inexprimable.
La connaissance, base de la foi chrétienne
Par là nous avons anticipé. En
effet, la position néoplatonicienne est, de sa part, déjà une
réaction contre la prise de position chrétienne face à la question
de la fondation chrétienne du culte et de la foi qui en est à la
base, de la topographie de cette foi dans la typologie des
religions. Retournons donc à Augustin. Où situe-t-il le
Christianisme dans la triade des religions chez Varron ? L'étonnant
est que sans l'ombre d'une hésitation il attribue sa place au
Christianisme dans le domaine de la « théologie physique », dans le
domaine de la rationalité philosophique. Il se trouve par là en
parfaite continuité avec les théologiens antérieurs du
Christianisme, les Apologètes du IIe siècle, et même, avec Paul et
sa topographie de la réalité chrétienne dans le premier chapitre de
la lettre aux Romains : une topographie qui, de son côté, se base
sur la théologie vétéro-testamentaire de la sagesse et remonte,
au-delà de celle-ci, jusqu'aux Psaumes et à leurs railleries à
l'égard des dieux. Le Christianisme a, dans cette perspective, ses
précurseurs et sa préparation intérieure dans la rationalité
philosophique, et non dans les religions. Le Christianisme n'est
point basé, d'après Augustin et d'après la Tradition biblique, selon
lui normative, sur des images et des pressentiments mythiques, dont
la justification se trouve finalement dans leur utilité politique,
mais il vise au contraire la sphère divine que peut percevoir
l'analyse rationnelle de la réalité. En d'autres termes :
Augustin identifie le monothéisme biblique aux vues philosophiques
sur le fondement du monde qui se sont formées, selon des variations
diverses, dans la philosophie antique. C'est ce qui est entendu
quand le Christianisme, depuis l'aréopage de saint Paul, se présente
avec la prétention d'être la religio vera. Cela veut dire : la
foi chrétienne ne se base pas sur la poésie et la politique, ces
deux grandes sources de la religion ; elle se base sur la
connaissance. Elle vénère cet Être qui se trouve au fondement
de tout ce qui existe, le « Dieu véritable ». Dans le
Christianisme, la rationalité est devenue religion et non plus son
adversaire. Étant donné cela, étant donné que le Christianisme
s'est compris comme la victoire de la démythologisation, la victoire
de la connaissance et avec elle de la vérité, il devait
nécessairement se considérer comme universel et être amené à tous
les peuples : non pas comme une religion spécifique qui en réprime
d'autres, non pas par une sorte d'impérialisme religieux, mais
plutôt comme la vérité qui rend superflue l'apparence. Et c'est
justement pour cela que dans la vaste tolérance des polythéismes, il
doit nécessairement apparaître comme intolérable, et même comme
ennemi de la religion, comme « athéisme ». Il ne s'en tenait pas à
la relativité et à la convertibilité des images, il dérangeait de
la sorte surtout l'utilité politique des religions et mettait ainsi
en péril les fondements de l'État, dans lequel il ne voulait pas
être une religion parmi les autres, mais la victoire de
l'intelligence sur le monde des religions.
D'autre part, se rattache aussi à
cette topographie de la sphère chrétienne dans le cosmos de la
religion et de la philosophie la force de pénétration du
Christianisme. Déjà avant le début de la mission chrétienne, des
cercles cultivés de l'Antiquité avaient cherché dans la figure de «
l'homme qui craint Dieu », une alliance avec la foi judaïque.
Celle-ci leur apparaissait comme une figure religieuse du
monothéisme philosophique correspondant aux exigences de la raison
en même temps qu'au besoin religieux de l'homme. À ce besoin, la
philosophie seule ne pouvait répondre : on ne prie pas un dieu
simplement pensé. Là, néanmoins, où le dieu que trouve la pensée, se
laisse rencontrer au coeur de la religion comme un dieu qui parle et
qui agit, la pensée et la foi sont réconciliées. Dans cette alliance
avec la Synagogue, il y avait encore un reste insatisfaisant : le
non-Juif ne pouvait jamais en effet être qu'un associé sans arriver
à une totale appartenance. Cette chaîne, la figure du Christ, dans
le Christianisme, ainsi que Paul l'interpréta, la rompait. Désormais
le monothéisme religieux du Judaïsme était devenu universel et par
là l'unité entre pensée et foi, la religio vera, était devenue
accessible à tous. Justin le philosophe, Justin le martyr ( 167)
peut servir de figure symptomatique de cet accès au Christianisme :
il avait étudié toutes les philosophies et reconnu finalement dans
le Christianisme la vera philosophia. En devenant chrétien, il
n'avait pas, selon sa propre conviction, renié la philosophie, mais
était alors seulement devenu vraiment philosophe. La conviction
que le Christianisme est une philosophie, la philosophie parfaite,
celle qui a pu pénétrer jusqu'à la vérité, demeura en vigueur
longtemps encore après l'époque patristique. Elle est présente au
XIVe siècle dans la théologie byzantine chez Nicolas Cabasilas de
façon encore tout à fait normale. Certes, on n'entendait pas
seulement par là la philosophie comme une discipline académique
de nature purement théorique, mais aussi et surtout, au plan
pratique, comme l'art de vivre et mourir justement, un art qui ne
peut cependant réussir qu'à la lumière de la vérité.
Les liens à la métaphysique et à l'histoire,
principes fondamentaux
La jonction de la rationalité et
de la foi, qui se réalisa dans le développement de la mission
chrétienne et dans l'édification de la théologie chrétienne, amena
bien sûr également dans l'image philosophique de Dieu des correctifs
décisifs, dont deux doivent être surtout nommés. Le premier consiste
en ce que le Dieu auquel croient les chrétiens et qu'ils vénèrent, à
la différence des dieux mythiques et politiques est véritablement
natura Deus ; en cela il satisfait aux exigences de la rationalité
philosophique. Mais en même temps vaut l'autre aspect : non tamen
omnis natura est Deus - tout ce qui est nature n'est pas Dieu.
Dieu est Dieu par nature, mais la nature comme telle n'est pas Dieu.
Il se produit une séparation entre la nature universelle et l'être
qui la fonde, qui lui donne son origine. Seulement alors la physique
et la métaphysique arrivent à une claire distinction l'une de
l'autre. Seul le véritable Dieu que nous pouvons reconnaître par la
pensée dans la nature, est objet de prière. Mais il est plus que la
nature. Il la précède, et elle est sa créature. À cette séparation
entre la nature et Dieu s'adjoint une seconde découverte, encore
plus décisive : le dieu, la nature, l'âme du monde ou quelque nom
qu'on lui donnât, on n'avait pas pu le prier ; il n'était pas un «
dieu religieux », avions-nous constaté. Or maintenant, et c'est
ce que dit déjà la foi de l'Ancien Testament et plus encore celle du
Nouveau Testament, ce dieu qui précède la nature s'est tourné vers
les hommes. C'est précisément parce qu'il n'est pas simplement
la nature, qu'il n'est pas un dieu silencieux. Il est entré dans
l'histoire, il est venu à la rencontre de l'homme, et c'est pourquoi
l'homme peut maintenant le rencontrer. Il peut se lier à Dieu
parce que Dieu s'est lié à l'homme. Les deux dimensions de la
religion, qui se séparaient toujours l'une de l'autre, la nature en
son règne éternel et le besoin de salut de l'homme souffrant et
luttant, sont reliées l'une à l'autre. La rationalité peut devenir
religion, parce que le dieu de la rationalité est lui-même entré
dans la religion. L'élément revendiquant finalement la foi, la
Parole historique de Dieu, n'est-il pas en effet le présupposé pour
que la religion puisse se tourner désormais vers le Dieu
philosophique, qui n'est pas un Dieu purement philosophique et qui
néanmoins ne répugne pas à la connaissance de la philosophie, mais
l'assume ? Ici se manifeste une chose étonnante : les deux
principes fondamentaux apparemment contraires du Christianisme : le
lien à la métaphysique et le lien à l'histoire, se conditionnent et
se rapportent l'un à l'autre ; ils constituent ensemble l'apologie
du Christianisme en tant que religio vera.
Si en conséquence on peut dire que
la victoire du Christianisme sur les religions païennes fut au
fond rendue possible par sa prétention à l'intelligibilité, il
faut ajouter qu'un deuxième motif de même importance y est lié. Il
consiste d'abord, pour le dire de façon tout à fait générale, dans
le sérieux moral du Christianisme, caractéristique que, du reste,
Paul déjà avait également mis en rapport avec la rationalité de la
foi chrétienne : ce que vise au fond la loi, les exigences
essentielles, mises en lumière par la foi chrétienne, du Dieu unique
eu égard à la vie de l'homme, satisfait aux exigences du coeur de
l'homme, de chaque homme, en sorte que, lorsque cette loi se
présente à lui, il la reconnaît comme le Bien. Elle correspond à
ce qui « est bon par nature » (Rm 2, 14s). L'allusion à la morale
stoïcienne, à son interprétation éthique de la nature, est ici aussi
manifeste que dans d'autres textes pauliniens, par exemple dans la
lettre aux Philippiens : « Tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de
juste, de pur, d'aimable, d'honorable, tout ce qu'il peut y avoir de
bon dans la vertu et la louange humaines, voilà ce qui doit vous
préoccuper » (Ph 4, 8). Ainsi l'unité fondamentale (encore que
critique) avec la rationalité philosophique, présente dans la notion
de Dieu, se confirme et se concrétise dès lors dans l'unité, elle
aussi critique, avec la morale philosophique. De même que dans le
domaine du religieux le Christianisme dépasssait les limites de la
sagesse de la philosophie d'école par le fait précisément que le
Dieu pensé se laissait rencontrer comme un Dieu vivant, ainsi il y
avait ici aussi un dépassement de la théorie éthique en une praxis
morale, vécue et concrétisée de façon communautaire, dans laquelle
la perspective philosophique était transcendée et transposée dans
l'action réelle, en particulier par la concentration de toute la
morale sur le double commandement de l'amour de Dieu et du prochain.
Le Christianisme, pourrait-on dire en simplifiant, convainquait par
le lien de la foi avec la raison et par l'orientation de l'action
vers la Caritas, le soin charitable des souffrants, des pauvres et
des faibles, par delà toutes les limites de condition. Que ceci fût
la force du Christianisme, on peut certainement le voir le plus
clairement à la façon dont l'empereur Julien essaya de rétablir,
sous une forme rénovée, le paganisme. Lui, le Pontifex maximus de la
religion rétablie des antiques dieux, se mit à instituer, ce qui
n'avait pas existé jusque-là, une hiérarchie païenne, faite de
prêtres et de métropolites. Les prêtres devaient être des exemples
de moralité ; ils devaient s'adonner à l'amour de Dieu (la divinité
suprême par delà les dieux) et du prochain. Ils étaient obligés de
poser des actes de charité à l'égard des pauvres, il ne leur était
plus permis de lire les comédies laxistes et les romans érotiques,
et ils devaient prêcher aux jours de fête sur un argument
philosophique pour instruire et former le peuple. Teresio Bosco dit
avec droit à ce sujet que l'empereur cherchait de cette façon, en
réalité, non point à rétablir le paganisme mais à le christianiser -
en une synthèse, forcée en direction du culte des dieux, entre la
rationalité et la religion.
La synthèse entre la raison, la foi et la vie
En jetant un coup d'oeil en
arrière, nous pouvons dire que la force qui transforma le
Christianisme en une religion mondiale, consista dans sa synthèse
entre raison, foi et vie ; c'est précisément cette synthèse qui
est exprimée en abrégé dans le mot de religio vera. D'autant plus
s'impose la question : pourquoi cette synthèse ne convainc-t-elle
plus aujourd'hui, pourquoi la rationalité et le Christianisme
sont-ils au contraire considérés aujourd'hui comme contradictoires
et même exclusifs l'un par rapport à l'autre ? Qu'est-ce qui a
changé dans la rationalité, qu'est-ce qui a changé dans le
Christianisme, pour qu'il en soit ainsi ? Autrefois le
néoplatonisme, en particulier Porphyre, avait opposé à la synthèse
chrétienne une autre interprétation du rapport entre philosophie et
religion, une interprétation qui se comprenait comme une refondation
philosophique de la religion des dieux. C'est sur elle qu'avait
édifié Julien et qu'il avait échoué. Mais aujourd'hui c'est
justement cette autre manière d'harmoniser la religion et la
rationalité, qui semble s'imposer comme la forme de religiosité
adaptée à la conscience moderne. Porphyre formule ainsi sa première
idée fondamentale : latet omne verum - la vérité est cachée.
Rappelons-nous la parabole de l'éléphant, qui est exactement
déterminée par cette idée dans laquelle le bouddhisme et le
néoplatonisme se rencontrent. Selon elle, il n'y a pas de certitude
sur la vérité, sur Dieu, mais seulement des opinions. Dans la crise
de Rome au IVe siècle tardif, le sénateur Symmaque - image
spéculaire de Varron et de sa théorie de la religion - a ramené la
conception néoplatonicienne à des formules simples et pragmatiques,
que nous pouvons trouver dans son discours tenu en 384 devant
l'empereur Valentinien II, en défense du paganisme et en faveur du
rétablissement de la déesse Victoria dans le sénat romain. Je cite
seulement la phrase décisive, devenue célèbre : « C'est la même
chose que tous vénèrent, c'est une unique chose que nous pensons, ce
sont les mêmes étoiles que nous contemplons, le ciel au-dessus de
nous est unique, c'est le même monde qui nous enveloppe ;
qu'importent les espèces variées de sagesse par lesquelles chacun
cherche la vérité. On ne peut parvenir par une unique voie à un
mystère aussi grand ». Tel est exactement ce que dit aujourd'hui
la rationalité : la vérité en tant que telle, nous ne la connaissons
pas ; dans des images les plus diverses, c'est au fond la même
chose que nous visons. Un mystère aussi grand, le divin, ne peut
être réduit à une seule figure qui exclue toutes les autres - à une
voie qui obligerait tout le monde. Il y a beaucoup de voies, il y a
beaucoup d'images, toutes reflètent quelque chose du tout et aucune
n'est elle-même le tout. L'ethos de la tolérance appartient à qui
reconnaît en chacune un bout de vérité, à qui ne place le sien plus
haut que celui de l'autre et qui s'insère paisiblement dans la
symphonie polymorphe de l'éternel Inaccessible. Celui-ci en effet se
voile dans des symboles, mais ces symboles n'en paraissent pas moins
être notre unique possibilité de parvenir d'une certaine manière à
la divinité.
La prétention du Christianisme
d'être la religio vera serait donc dépassée par le progrès de la
rationalité ? Est-il forcé d'abaisser le niveau de sa prétention
et de s'insérer dans la vision néoplatonicienne ou bouddhiste ou
hindoue de la vérité et du symbole, de se contenter - comme
Troeltsch l'avait proposé - de montrer de la face de Dieu le côté
tourné vers les européens ? Faut-il peut-être même faire un pas
de plus que Troeltsch, qui considérait encore le Christianisme comme
la religion adaptée à l'Europe, tenant compte du fait qu'aujourd'hui
l'Europe elle-même doute qu'elle soit adaptée ? Telle est la
véritable question à laquelle l'Église et la théologie doivent faire
face aujourd'hui. Toutes les crises à l'intérieur du Christianisme
que nous observons de nos jours, ne reposent que tout à fait
secondairement sur des problèmes institutionnels. Les problèmes
d'institutions comme de personnes dans l'Église dérivent finalement
de cette question et du poids énorme qu'elle possède. Personne ne
s'attendra à ce que cette provocation fondamentale au terme du
second millénaire chrétien trouve, même de loin, une réponse
définitive dans une conférence. Elle ne peut absolument pas trouver
de réponse purement théorique, de même que la religion, en tant
qu'attitude ultime de l'homme, n'est jamais seulement de la théorie.
Elle exige cette combinaison de connaissance et d'action, qui a
fondé la force de conviction du Christianisme des Pères.
Cela ne signifie en aucune manière
que l'on puisse se dérober aux exigences intellectuelles du problème
en renvoyant à la nécessité de la praxis. Je chercherai seulement
pour finir à ouvrir une perspective qui pourrait montrer la
direction. Nous avions vu que l'unité relationnelle, entre
rationalité et foi, à laquelle finalement Thomas d'Aquin avait
donné une forme systématique, a été déchirée moins par le
développement de la foi que plutôt par les nouveaux progrès de la
rationalité. Comme étapes de cette séparation mutuelle on
pourrait nommer Descartes, Spinoza, Kant. La nouvelle synthèse
englobante que tente Hegel ne rend pas à la foi son lieu
philosophique, mais elle essaie de transposer celle-ci en raison et
de l'abolir comme foi. À cette absoluité de l'esprit, Marx
oppose l'unicité de la matière ; la philosophie doit dès lors être
complètement ramenée à la science exacte. Seule la connaissance
scientifique exacte vaut encore le nom de connaissance. L'idée du
divin est ainsi congédiée. La prophétie d'Auguste Comte
qu'un jour il y aura une physique de l'homme et que les grandes
questions jusqu'ici laissées à la métaphysique devraient être à
l'avenir traitées aussi « positivement » que tout ce qui est déjà
aujourd'hui science positive, a laissé en notre siècle, dans les
sciences humaines un écho impressionnant. La séparation opérée par
la pensée chrétienne entre la physique et la métaphysique est
toujours plus abandonnée. Tout doit de nouveau devenir de la «
physique ». Toujours plus, la théorie de l'évolution s'est
cristallisée comme la voie pour faire disparaître définitivement la
métaphysique, pour rendre superflue l'« hypothèse de Dieu »
(Laplace) et formuler une explication du monde strictement «
scientifique ». Une théorie de l'évolution expliquant de façon
englobante l'ensemble de tout le réel est devenue une sorte de «
philosophie première » qui représente pour ainsi dire le fondement
véritable de la compréhension rationnelle du monde. Toute tentative
pour mettre en jeu des causes différentes de celles qu'élabore une
telle théorie « positive », toute tentative de « métaphysique » doit
apparaître comme une rechute en deçà de la raison, comme une baisse
de niveau par rapport à la prétention universelle de la science.
Aussi l'idée chrétienne de Dieu est-elle nécessairement considérée
comme non scientifique. À cette idée ne correspond plus aucune
theologia physica : l'unique theologia naturalis est, dans cette
vision, la doctrine de l'évolution et celle-ci ne connaît
précisément pas de Dieu, ni de Créateur dans le sens du
Christianisme (du judaïsme et de l'islam), ni d'âme du monde ou de
dynamisme intérieur dans le sens de la Stoa. Éventuellement,
on pourrait, dans le sens du Bouddhisme, considérer le monde tout
entier comme une apparence et le néant comme le véritable réel, et
justifier en ce sens les formes mystiques de religion qui ne sont
pas, à tout moins, en concurrence directe avec la raison.
La rationalité du Christianisme
Le dernier mot est-il par là
prononcé ? La raison et le Christianisme sont-ils de la sorte
définitivement séparés l'un de l'autre ? En tout état de cause,
aucun chemin ne passe à côté de la discussion sur la portée de la
doctrine de l'évolution comme philosophie première et sur
l'exclusivité de la méthode positive comme unique mode de science et
de rationalité. Cette discussion doit donc être entreprise par
l'une et l'autre parties avec sérénité et dans la disponibilité à
écouter, ce qui n'est arrivé jusqu'ici que dans une faible mesure.
Personne ne pourra mettre sérieusement en doute les preuves
scientifiques des processus micro-évolutifs. R. Junker et S. Scherer
disent à ce propos dans leur « manuel critique » (kritisches
Lesebuch) sur l'évolution : « De tels événements (les processus
micro-évolutifs) sont bien connus à partir des processus naturels de
variation et de formation. Leur examen au moyen de la biologie de
l'évolution amena à des connaissances significatives concernant la
capacité géniale d'adaptation des systèmes vivants. » Ils disent en
ce sens que l'on peut caractériser à bon droit la recherche des
origines comme la discipline royale de la biologie. Ce n'est donc
pas à cela que se réfère la question qu'un croyant se posera face à
la raison moderne, mais à l'extension d'une philosophia universalis
qui veut devenir une explication générale du réel et tend à ne
plus laisser aucun autre niveau de la pensée. Dans la doctrine
elle-même de l'évolution, le problème se signale lors du passage
de la micro à la macro-évolution, passage au sujet duquel
Szamarthy et Maynard Smith, l'un et l'autre partisans convaincus
d'une théorie englobante de l'évolution, admettent eux-mêmes : «
Il n'y a pas de motif théorique qui laisserait penser que des lignes
évolutives croissent en complexité avec le temps ; il n'y a pas non
plus de preuves empiriques que cela se produise ».
La question qu'il faut poser ici,
va à vrai dire plus en profondeur : il s'agit de savoir si la
doctrine de l'évolution peut se présenter comme une théorie
universelle de tout le réel, au delà de laquelle des questions
ultérieures sur l'origine et la nature des choses ne sont plus
permises ni même nécessaires, ou si de telles questions dernières ne
dépassent pas au fond le domaine de la recherche ouverte aux
sciences naturelles. Je voudrais poser la question de façon encore
plus concrète. Tout est-il dit avec un type de réponses tel que nous
le trouvons par exemple chez Popper dans la formulation suivante : «
La vie comme nous la connaissons consiste en des "corps" physiques
(mieux des processus et des structures), qui résolvent des
problèmes. C'est ce que les différentes espèces ont "appris" par la
sélection naturelle, c'est-à-dire par la méthode de reproduction
plus variation ; une méthode qui, de son côté, fut apprise selon la
même méthode. C'est une régression, mais elle n'est pas infinie... »
? Je ne le crois pas. En fin de compte il en va d'une alternative
qui ne se laisse plus résoudre simplement par les sciences
naturelles ni non plus au fond par la philosophie. Il en va de la
question de savoir si la raison ou le rationnel se trouve ou non au
commencement de toutes les choses et à leur fondement. Il en va de
la question de savoir si le réel a surgi sur la base du hasard et de
la nécessité (ou, avec Popper, suivant Butler, du luck et cunning
[heureux hasard et prévision]), et donc de ce qui est sans raison,
si, en d'autres termes, la raison est un produit latéral accidentel
de l'irrationnel et est finalement aussi insignifiant dans l'océan
de l'irrationnel, ou si reste vrai ce qui constitue la conviction
fondamentale de la foi chrétienne et de sa philosophie : In
principio erat Verbum - au commencement de toutes les choses il y a
la force créatrice de la raison. La foi chrétienne est
aujourd'hui comme hier l'option pour la priorité de la raison et du
rationnel. Cette question ultime ne peut plus, comme il a été dit,
être résolue au moyen d'arguments tirés des sciences naturelles, et
la pensée philosophique elle-même se heurte ici à ses limites. En ce
sens on ne peut fournir de preuve dernière de l'option chrétienne
fondamentale. Mais la raison peut-elle finalement, sans se renier
elle-même, renoncer à la priorité du rationnel sur l'irrationnel, à
l'existence originelle du Logos ? Le modèle herméneutique offert par
Popper, qui revient sous diverses formes dans d'autres présentations
de la « philosophie première », montre que la raison ne peut
s'empêcher de penser l'irrationnel selon sa mesure, et donc
rationnellement (résoudre des problèmes, élaborer des méthodes
!), rétablissant par là implicitement le primat précisément contesté
de la raison. Par son option en faveur du primat de la raison, le
Christianisme demeure aujourd'hui encore « rationalité », et je
pense qu'une rationalité qui se débarrasse de cette option devrait
signifier, contrairement aux apparences, non point une évolution
mais une involution de la rationalité.
Nous avions vu auparavant que dans
la conception de l'Antiquité chrétienne, les notions de nature,
homme, Dieu, éthos et religion étaient indissolublement intriquées
l'une dans l'autre et que cette intrication avait précisément aidé
le Christianisme à voir clair dans la crise des dieux et dans la
crise de l'antique rationalité. L'orientation de la religion vers
une vision rationnelle du réel en tant que tel, l'ethos comme partie
de cette vision, et son application concrète sous le primat de
l'amour s'associèrent l'un à l'autre. Le primat du logos et le
primat de l'amour se révélèrent comme identiques. Le logos n'apparut
pas seulement comme raison mathématique à la base de toutes les
choses, mais comme amour créateur jusqu'au point de devenir
compassion à l'égard de la créature. La dimension cosmique de la
religion qui, dans la puissance de l'être, vénère le Créateur, et sa
dimension existentielle, la question de la rédemption, se
compénétrèrent et devinrent un unique problème. De fait, une
explication du réel qui ne peut fonder également de façon sensée et
compréhensive un ethos, doit rester nécessairement insuffisante. Or
c'est un fait que la théorie de l'évolution, là où elle se risque à
s'élargir en philosophia universalis, tente de refonder également
l'ethos sur la base de l'évolution. Mais cet ethos de l'évolution,
qui trouve inéluctablement sa notion clé dans le modèle de la
sélection, et donc dans la lutte pour la survie, dans la victoire du
plus fort, dans l'adaptation réussie, n'a à offrir que peu de
consolations. Là même où l'on cherche à l'embellir de diverses
manières, il demeure finalement un ethos cruel. L'effort pour
distiller le rationnel à partir d'une réalité en elle-même insensée,
échoue ici clairement à vue d'oeil. Tout cela sert bien peu pour ce
dont nous avons besoin : une éthique de la paix universelle, de
l'amour pratique du prochain et du nécessaire dépassement du bien
individuel.
La tentative pour redonner, en
cette crise de l'humanité, un sens compréhensif à la notion de
Christianisme comme religio vera, doit pour ainsi dire miser
pareillement sur l'orthopraxie et sur l'orthodoxie. Son contenu
devra consister, au plus profond, aujourd'hui - à vrai dire comme
autrefois - en ce que l'amour et la raison coïncident en tant que
piliers fondamentaux proprement dits du réel : la raison véritable
est l'amour et l'amour est la raison véritable. Dans leur unité, ils
sont le fondement véritable et le but de tout le réel.