Phénoménologie
du corps, clinique de la douleur;
... tessons
d'une rencontre ...
1. Introduction
Au cours des 20 dernières années, Michèle Gennart et moi-même avons
ébauché une mosaïque, dont les tessons les plus sombres représentaient
notre commerce avec la douleur. Comme expert psychiatre en Suisse, je
devais évaluer chez les patients souffrant de douleurs chroniques
invalidantes l’éventuelle présence d’une maladie mentale ; bien plus
sûrement j’avais la tâche implicite de garantir à l’Assurance Fédérale de
l’Invalidité que l’expertisé ne simulait pas une douleur qui aurait motivé
des prestations sociales indues. Michèle Gennart, en sortant de sa thèse
sur la phénoménologie du corps souffrant, m’a ouvert un horizon de
compréhension de la dimension pathique de l’existence, des paradoxes de
l’approche médicale de la maladie, du cœur dont il convient bien de faire
preuve pour traiter de tels patients.
2. Approche phénoménologique de la maladie
En son niveau de réalité phénoménologique – non pas telle qu’on peut
l’objectiver en faisant abstraction du sujet vivant qui la porte, mais
telle qu’elle se réalise dans le monde de la vie « avant » toute
intervention médicale cognitive ou pratique – la maladie se définit comme
ce processus par lequel le sujet subit une atteinte au départ de son
propre corps.
La maladie, le pâtir ne deviennent des données phénoménologiques
réelles qu'à partir du moment où le niveau « personne » est impliqué, à
partir du moment où le sujet fait l’expérience d’un malaise ou d’une
détresse.
En son niveau de réalité phénoménologique, la maladie, en tant
qu’événement de vie, atteint donc un organisme qui a en propre d’être un
corps subjectivé (toujours corps de quelqu’un) et d’être un corps
socialisé – marqué de part en part par la structure de l’échange et par
celle de la communication intersubjective.
La maladie altère en effet notre contact avec nos proches. L'irruption
de la maladie est un événement qui a valeur de crise non pour le seul
sujet qui la vit, mais aussi pour l'entourage de ceux avec lesquels ce
sujet atteint partage son existence.
3. L’expérience « pathique » de la maladie
La maladie n’est jamais, en ce sens, un phénomène purement biologique.
Elle atteint un organisme qui, avant de pouvoir se réduire à un « corps
physique », est le corps propre d’une personne, un corps habité. Or, c’est
toujours au départ de son corps – et ce n’est jamais qu’à travers celui-ci
– que l’homme agit, ressent, pense et communique, en sorte que tout
événement qui l’atteint dans son corps atteint immédiatement la base de
toutes ses possibilités d’existence. La notion d’expérience pathique de la
maladie condense précisément tout ce en quoi la maladie affecte ou fait «
pâtir » le patient.
La maladie produit tout d’abord une singulière division, voire une
dissociation entre « nous-mêmes » et la partie de notre corps qui nous
fait souffrir. L’expérience pathique première de la maladie peut ainsi se
décrire comme le fait pour le sujet d’être « retourné » sur une partie de
son corps, d’y être à la fois enchaîné sans pouvoir s’en distraire et, en
même temps, d’en être aliéné, car tout se passe comme si la partie de
notre corps qui nous fait souffrir n’était plus « nous-mêmes ».
En deuxième lieu, la maladie ne se joue pas dans ce seul espace de la
présence à soi. Etre malade modifie notre « monde » – ce terme étant
entendu, en un sens phénoménologique, comme rassemblant ce qui, pour
chaque sujet, constitue l’Autre ; ce à quoi il a proprement affaire dans
son existence. Or, le caractère éprouvant de la maladie vient de ce que
quelque chose nous perturbe à l’intérieur de notre corps et du fait que «
cela » qui nous oppresse corporellement entrave ou, dans les cas
critiques, interrompt nos autres possibilités de réalisation, limitant
ainsi notre horizon d’existence et donc de contact avec les autres.
Lorsque nous avons fort mal ou sommes très mal, nous ne pouvons plus
rien faire – que ressentir douloureusement ce qui est en train de « mal
aller » en nous. Une telle expérience est en outre souvent traversée par
la peur, car ce qui va ainsi mal, tout en se déclarant « en nous »,
échappe à notre contrôle et laisse affleurer la menace d’une destruction
ou d’une mort imminente (Lévinas, 1947).
La maladie nous éprouve donc en ce qu’elle réduit notre monde et
l’appauvrit en rapprochant ses limites de la portée de notre corps – et
cela en un sens mortifère, la mort seule assimilant la personne, sans plus
aucun dépassement, à l’espace de son corps physique.
A l’inverse, la maladie fait que notre corps « s’épaissit » ; non
seulement nous ne pouvons plus l’oublier, mais il tend à devenir lui-même
une part importante de notre monde, une « chose » qui nous encombre, qui
nous tourmente.
Insister sur le fait que la douleur transforme le mode de présence du
corps vivant-vécu en introduisant une scission entre le « soi » et une
part aliénée de lui-même (Gennart M., 2011, p. 96s.), c’est déjà dire que
la maladie ne peut manquer d’agir sur la vie relationnelle du patient.
L’expérience pathique de la maladie a ainsi pour troisième espace de
réalisation la relation à l’autre. Dans la maladie, la pression émanant de
« ça » qui, dans notre corps, nous perturbe est telle que nous perdons une
bonne part de notre aptitude à nous adonner à l’autre et à nous engager
dans des préoccupations communes.
Le principe selon lequel la maladie affecte toujours et essentiellement
un être social signifie d’une part qu’en perturbant le fonctionnement
biologique, elle atteint l’homme comme sujet de relations, comme
partenaire actif de telle ou telle collectivité de vie. Il signifie à
l’inverse – le fonctionnement biologique participant de façon constitutive
au réseau d’échange qui lie le sujet vivant à son environnement – que
l’évolution de la maladie est “sensible” à ce qui se passe entre le
patient et le contexte intersubjectif dans lequel il s’inscrit.
La douleur envahit les espaces intersubjectifs tout comme elle envahit
l’espace du moi : elle devient alors un thème lancinant autour duquel se
focalisent l’attention, les gestes et les échanges entre le patient et les
membres de son entourage. Sous ses aspects les plus critiques, elle
transforme l’ouverture du patient vis-à-vis des autres et la réduit en un
sens que l’on pourrait résumer en ces termes, certes trop schématiques : « aidez-moi ou laissez-moi ».
La douleur, surtout chronique, fait dès lors « souffrir » les proches,
parfois non moins que le patient lui-même. Si elle constitue pour ce
dernier une menace portée à sa propre vie, elle constitue pour les proches
une menace de séparation et de perte (Vannotti M., Célis-Gennart M.,
1998).
3. La douleur : un phénomène « provoquant »
Notre pratique (Vannotti M., Célis-Gennart M., 1998) nous a souvent
confrontés à des patients qui font l’expérience de douleurs chroniques «
inexpliquées » qui ne sont pas rattachées à une pathologie somatique
claire – comme pourrait l’être la douleur cancéreuse. L’on a pris
l’habitude de classer ces douleurs sous la qualification de troubles « somatoformes ». Elles sont rebelles au traitement et posent de sérieux
défis aux médecins qui doivent accompagner ceux qui en souffrent.
Que peuvent nous enseigner ces patients qui ont mal, mais qui n'ont
rien pour les justifier d'avoir mal, ces patients qui irritent parce
qu'ils n'arrêtent pas de se plaindre alors qu'on ne leur trouve rien et
qui n'arrêtent pas de reparler de leur douleur lorsqu'on voudrait les
entendre parler d'autre chose ? Ils nous obligent à reposer des questions
simples.
En premier lieu : qu'est-ce que la maladie ? Les patients souffrant de
douleurs chroniques « inexpliquées » sont malades ; ils sont malades de
douleur, mais ils n'ont pas de maladie identifiable. De qui ou de quoi
doit-on dès lors dire qu'il tombe malade ? Qui, en d’autres termes, est
sujet à la maladie ? Est un organe ou une fonction ? Est l'homme lui-même
? Et si c'est l'homme, est-ce l'homme en tant qu'individu psychophysique
ou l'homme en tant qu'il appartient à un certain monde ambiant et
intersubjectif ?
Le patient douloureux somatoforme n'a peut-être pas de maladie
organique identifiable, mais il a mal quelque part dans son corps, et
souvent dans tout son corps ; la douleur a, chez chaque patient, un
ancrage et une configuration corporels bien déterminés. Qu'est donc le
corps de l'homme pour pouvoir faire mal quelque part quand rien n'est là
pour expliquer qu'il fasse mal ? Quelle est la relation réelle de l'homme
à son corps ? Ou qui est l'homme pour pouvoir avoir mal quand il « n'a
rien » ?
Sur la base de notre expérience clinique auprès de patients souffrant
de douleurs chroniques « inexpliquées », nous voudrions redonner voix à la
dimension provocante du phénomène de la douleur.
La douleur constitue, dans l'existence humaine, l’un des prototypes de
la souffrance. Les patients douloureux chroniques sont les sujets qui ont
le triste privilège d'avoir la douleur pour destin ; la douleur, à un
moment de leur histoire, est devenue le caractère ou la tonalité de base
de leur vie. Nous qui vivons hors douleur risquons par contre de perdre le
sens qui nous permettrait d'entendre la plainte des patients douloureux.
Mais l'homme ne se borne pas à avoir mal ; il clame sa douleur. Il la
clame par ses plaintes, mais surtout, par sa mimique, ses postures, ses
silences, par l'alternance dans sa conduite d'une inertie figée et d'un
inapaisement moteur qui le fait s'agiter et tenter, en bougeant, de fuir
sa douleur. Par tous ces gestes qui forment l'expression de l'expérience
douloureuse, le patient jette d'une certaine façon sa douleur à la tête de
ses proches. La douleur ne fait pas souffrir que le seul sujet qui la vit
dans son corps ; elle fait souffrir les proches ; elle les perturbe, leur
pèse, les irrite ou les paralyse.
La douleur est un tourment qui se clame et qui fait appeler à l'aide.
Mais pourquoi se clame-t-elle ? Pourquoi la douleur a-t-elle besoin de se
clamer ? Comment l'autre est-il impliqué dans la douleur ? Celui qui a mal
et qui clame sa douleur à un Autre met en demeure les médecins de
l'entendre.
Le patient douloureux ne mobilise pas seulement ses proches ; il vient
exiger du médecin que celui-ci, conformément à la finalité de son art, le
soulage de sa douleur.
Seulement, face aux patients douloureux, la médecine atteint un point
critique. Le médecin n'est pas vraiment en mesure de comprendre ce dont
souffre le patient douloureux, ni de soulager sa douleur. Tel est ce que
nous appelons la dimension « provocante » de la douleur.
Il importe alors à notre sens d’apercevoir les enjeux épistémologiques
qui se rattachent à la conceptualisation de la douleur.
4. Les enjeux épistémologiques
Tandis que le patient atteint de douleurs chroniques pense et parle en
termes d'expérience vécue — et se situe donc au niveau du corps propre –
le médecin pense habituellement le corps tel que l'orientation de l'esprit
scientifique dominant lui ont appris à l'objectiver. Or, suivant que l'on
adopte l'une ou l'autre de ces perspectives, le phénomène de la douleur
n'a pas le même niveau de réalité. Pour le patient qui souffre, la douleur
est une expérience qui l'obsède dans son corps et qui le transforme par
rapport à celui qu'il était avant la survenue du mal. Pour le patient, la
maladie tient sa réalité du « souffrir » lui-même ; l'essentiel de la
maladie, en d'autres termes, réside dans sa dimension pathique, et non
dans sa configuration ou son substrat ontique.
Pour le médecin, en revanche, la douleur est à considérer avant tout
comme un symptôme, c'est-à-dire comme un indice qui renvoie à autre chose
que soi : à une altération ou à un dommage objectif de la réalité
somatique. Ce n'est pas la douleur comme telle qui est « pathologique »,
mais la cause de la douleur. Dans cette perspective, la maladie ne tient
pas sa réalité de ce qu'un homme souffre dans son corps, mais de ce que
l'on peut déceler, dans un organisme, un état ou un processus qui dévie «
pathologiquement » de la normale.
Or, comme V. von Weizsäcker (1987) le souligne, la douleur, par rapport
à d'autres tourments, a ceci de particulier qu'elle ne peut se communiquer
de façon pleine ou dans son intégralité. A l'état vif, la douleur est une
expérience d'une nature telle, notamment en raison de son ancrage au
corps, qu'elle résiste à la description et génère, dans la relation à
celui qui souffre, une zone de non-compréhension.
Les contextes ou les systèmes de référence sur lesquels le médecin et
le patient se basent respectivement lorsqu'ils thématisent la douleur sont
donc profondément divergents.
5. Pour une approche intégrative du phénomène de la douleur
Pour quelle bonne raison avons-nous à raisonner sur l'appréhension
devenue courante du trouble douloureux ? Essentiellement en raison du fait
que le devenir d'une maladie (sa guérison, sa chronicisation ou son
acutisation) n’est pas indépendant de l'attitude médicale. De l'agir
médical et du savoir qu'il implique, bien sûr, mais aussi du faisceau de
présuppositions plus ou moins tacites qui orientent autant cet agir que
l'acquisition de nouveaux savoirs. L'accueil du patient et de sa plainte,
la compréhension de sa souffrance, l'élaboration d'un diagnostic et la
mise en œuvre d'un traitement – tous ces gestes qui ponctuent l'attitude
médicale sont des gestes qui s'inscrivent dans le cadre d'une rencontre.
Du symptôme au sujet vivant
Le patient vient consulter le médecin lorsque « quelque chose ne va
plus » avec sa vie ; quand il a mal ou quand son corps perturbe quelque
part. Le symptôme se présente ainsi comme ayant dès le départ deux
directions de sens. Il renvoie à un niveau de réalité que le patient ne
connaît pas, mais qui n'est autre que sa propre existence organique. Le
médecin est celui que le patient consulte lorsqu'il a quelque chose qui ne
va pas avec cette réalité de lui-même qu'il ne connaît pas : sa vie
organique. Le médecin est celui qui a l'art d'interpréter le symptôme –
dont le niveau de réalité premier est peut-être d'être un « malaise vital
» - en ce qu'il signifie eu égard au (dys)fonctionnement organique. Il est
aussi celui qui a les moyens d'agir au niveau biologique pour soulager ou
guérir ce « malaise vital ».
Mais ce n'est pas parce que le patient ne connaît pas son corps (parce
qu'il ne connaît par exemple pas la complexité ontique de ce dos qui lui
fait mal) qu'il n'est pas son corps. Le symptôme renvoie ainsi au sujet
vivant, au « sujet du corps », à celui qui n'a pas simplement un corps,
mais dont le corps incarne la vie et qui, lorsqu'il a mal ou est perturbé
dans son corps, est directement menacé dans sa vie. À ce niveau, la
douleur ne peut plus être appréhendée comme une réalité ontique, comme un
processus situé quelque part dans l'organisme. La douleur a ici
essentiellement le caractère d'un événement critique. Elle est quelque
chose qui nous arrive et nous atteint. Elle n'est pas d'abord ressentie
comme un processus qui dérègle notre organisme, mais comme un procès qui
nous affecte en personne, qui nous perturbe, nous interrompt, nous menace
dans notre vie.
6. Propositions pour une approche renouvelée des patients douloureux
Appréhender la globalité du phénomène
Il importe, dans chaque cas, de chercher à mettre au jour les multiples
dimensions impliquées dans la souffrance du patient. Le patient douloureux
ne souffre en effet pas « que » de sensations douloureuses, même si ce
tourment occupe souvent l'avant-plan de sa plainte. Il revient précisément
au médecin d'explorer la constellation des motifs qui entourent la douleur
et qui, intimement associés à celle-ci, dessinent la physionomie réelle et
pleine de la souffrance.
Dans le contexte du trouble douloureux, il importe d'étudier la
souffrance du sujet dans son caractère à la fois intrinsèque et global. «
Intrinsèque » signifie que l'on prend au sérieux la manière dont le
patient lui-même vit et présente sa souffrance, sans mettre en doute, sur
la base de nos propres présupposés, l'authenticité de sa plainte ou le
bien-fondé de sa propre perception de la situation. « Global » se réfère
au fait qu'il importe de chercher à mettre au jour les multiples
dimensions impliquées dans la figure particulière de la souffrance en jeu.
Inscrire le symptôme dans l’histoire de vie du patient
Il importe de resituer le symptôme dans l’histoire de la vie du
patient, histoire dans le décours duquel ce symptôme a surgi et s’est
stabilisé.
L’histoire est en effet l’élément où s’opère l’intégration des
dimensions biologiques, psychologiques et sociales de l’existence. Et cela
non seulement parce que le fonctionnement biologique, la vie psychique et
l’existence sociale ont en commun d’être essentiellement en devenir, mais
aussi parce que ces trois aspects du devenir, loin d’être indépendants,
sont étroitement liés l’un à l’autre, formant précisément dans leurs
interactions le cours concret et à chaque fois singulier d’une histoire de
vie.
Replacer le symptôme dans l’histoire de vie du patient implique en fait
que l’on subordonne le raisonnement étiologique à un mode de considération
que nous qualifions par contraste de pathogénétique (Schotte, 1990).
Tandis que l’étiologie raisonne en termes d’entités séparées (soit
somatique, soit psychique, soit social) — entités induisant l’une sur
l’autre des rapports de cause à effet —, dans la perspective
pathogénétique, le somatique, le psychique et le social ne sont plus
considérés comme des réalités en soi, mais comme les dimensions
constitutives du sujet (le fonctionnement biologique n’est pas, en ce
sens, moins « subjectif » que le fonctionnement psychique) (von
Weizsäcker, 1958).
C’est assurément par sa présence que le médecin traite le sujet
souffrant. La présence du médecin devient de plus en plus médiée par des
dispositifs techniques : de l’ordinateur où il consigne les données
cliniques significatives aux dispositifs d’imagerie médicale les plus
sophistiqués. Il essaie, par ces écrans, de se dérober au visage, à la
posture, au désespoir du sujet douloureux. Mais il ne le peut pas, moins
en raison de la force expressive de son patient – vis-à-vis duquel il
éprouve quelque méfiance – qu’en raison de sa propre réponse corporelle,
émotionnelle et pulsionnelle, par laquelle il réagit, souvent à son insu,
à la manifestation de la douleur. Malgré sa formation, qui le pousse à se
pencher sur le corps malade en privilégiant sa seule dimension ontique, il
est, de par sa nature humaine, engagé dans une danse intercorporelle qui
sous-tend sa présence à l’autre.
La médecine moderne a imposé à ses élèves les gestes cliniques –
l’inspection, la palpation, la percussion, l’auscultation – pour épier les
signes qui permettent, scientifiquement, de conclure à un diagnostic. Mais
ces mêmes gestes expriment une tension vers l’autre, une dimension
contactuelle d’ouverture, de compréhension et de soin pour le corps et
pour la vie de l’existant, qui vont bien au delà de toute utilité
cognitive et fonctionnelle.
C’est pourquoi insister sur la pratique de ces gestes, accomplis
régulièrement et à chaque consultation, c’est aussi insister sur la valeur
curative du contact corporel, de la présence intercorporelle, de
l’attention directe à ce corps souffrant si dur à porter lorsqu’on est
seul.
C’est l’équivalent du geste fraternel de prendre par la main un autre
qui court les mêmes risques – quant à son existence – que ceux que je peux
moi-même courir. Prendre un autre par la main, poser ma main sur lui,
c’est lui rendre moins noire la nuit dans laquelle la douleur le plonge ;
c’est une façon de cultiver l’espérance.
7. Conclusion
Une approche phénoménologique et clinique des patients souffrant de
douleurs chroniques nous invite à nous engager sur la voie d'une
compréhension qui soit épistémologiquement plus fondée que celle qui
recourt au dualisme corps – esprit.
Mais par delà certains préjugés discutables de la pensée biomédicale,
les médecins restent, par la qualité de leur présence, l’un des piliers du
traitement des patients douloureux.
Parler du trouble douloureux implique en effet que l'on trouve un lieu
– la consultation médicale – où il soit à la fois possible de rencontrer
celui-ci dans ce qu’il a d'irréductible, dans le défi qu'il ne cesse
d'opposer à notre pratique et où, sans avoir la prétention de toutes les
consolations, il devienne néanmoins possible de cultiver l'espérance.
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯
BIBLIOGRAPHIE
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