Le mythe de la jeunesse éternelle n'a jamais cessé de
hanter l'humanité depuis que Zeus, à la prière de la déesse Eos, conféra
l'immortalité au mortel Tithonos dont elle était amoureuse. Hélas, Eos
avait oublié de demander aussi la jeunesse éternelle pour Tithonos, qui
connut donc une décrépitude sans fin. Nous espérons faire mieux et, à
défaut d'atteindre l'immortalité, éviter la sénescence. L'enjeu, c'est la
médecine régénératrice par la thérapie cellulaire en utilisant les
cellules souches. Pour y parvenir, certains sont prêts à prendre de grands
risques. La plupart des cellules de l'organisme se différencient et
demeurent stables afin de remplir leur fonction (ainsi une cellule du foie
ne doit pas se transformer en cellule de la peau). À l'inverse, les
cellules souches ont la propriété unique de rester indifférenciées jusqu'à
ce qu'un signal précis vienne leur indiquer qu'elles doivent se
métamorphoser en cellules spécialisées. Au fur et à mesure que les organes
se forment, le potentiel de diflërenciation des cellules souches se
restreint. Mais elles ne disparaissent pas complètement. On sait depuis
longtemps que les tissus à renouvellement permanent et rapide comme le
sang et la peau hébergent des cellules souches. Elles ont été mises en
évidence récemment dans le muscle, lfoie, le pancréas et même le cerveau.
Elles se sont révélées d'une plasticité
insoupçonnée : transplantées dans un organe différent de leur organe
d'origine eHes peuvent se transformer en cellules spécialisées d'un type
différent de celui pour lequel elles se trouvaient initialement
programmées. La nature s'est même montrée généreuse car on les trouve
aussi dans la moelle osseuse, le sang et le sang du cordon
ombilical. On les appelle cellules souches d'organes ou cellules souches
aduftes (parce que présentes chez l'adulte). Elles constituent dans
l'organisme adulte un pool de cellules souches ayant gardé la,
caractéristique des cellules de l'embryon précoce, a savoir la capacité de
donner naissance à tous les types de cellules spécialisées. Leur rôle
naturel est la réparation tissulaire. C'est une découverte considérable
qui vient bouleverser nos connaissances. Cellules souches embryonnaires
et. cellules souches adultes, bien que présentant des similitudes,
diffèrent cependant sur un point capital : les cellules souches
embryonnaires prolifèrent à l'infini ; les cellules souches adultes ne
manifestent leur capacité de prolifération et de différenciation que
lorsque cela est nécessaire au maintien de l'intégrité de l'organisme. Un
des mécanismes de contrôle des cellules souches adultes présentes dans le
sang a d'ailleurs été mis en évidence ; s'il arrive à ces cellules
d'amorcer leur différenciation hors de toute nécessite de réparation,
elles sont reconnues et détruites par une population spécifique de
lymphocytes T pour éviter la formation de tumeurs. Ainsi donc, pour la
thérapie cellulaire, seules les cellules souches adultes peuvent être
utilisées, car l'organisme sait les contrôler. Les cellules souches
embryonnaires, en revanche, sont dérivées d'embryons humains précoces mais
ne se trouvent pas telles quelles dans l'embryon. Elles résultent de
manipulations de laboratoire qui transforment en lignées cellulaires des
cellules qui, laissée à leur place dans l'embryon, se seraient développées
harmonieusement pour donner naissance à un nouvel être humain. Les
cellules de ces lignées, que personne ne sait vraiment définir,
prolifèrent à l'infini, propriété qu'elles partagent avec les cellules
cancéreuses. Les celIules souches embryonnaires, qu'ellessoient issues
d'embryons surnuméraires ou du clonage thérapeutique, en raison même de
leur immaturité, n'ont pas pu acquérir les caractéristiques immunologiques
nécessaires à leur régulation. Cette particularité combinée à leur fort
potentiel de prolifération les rend dangereuses. Le fait est reconnu. Il
est même reconnu par l'un des pionniers de la recherche sur les cellules
souches embryonnaires aux USA, le Dr John Gearhart, qui vient de concéder
que les cellules souches embryonnaires humaines ne pourront
vraisemblablement jamais être utilisées en thérapeutique du fait de leur
risque cancérigène.
NOUS avons dope éte stupéfies d'apprendre que la veifle de
la démission du précédent gouvernement, le ministre de la Recherche avait
pris sur lui, le 30 avril 2002, d'autoriser l'importation « en contrebande
» de cellules souches provenant non pas de personnes adultes donneuses,
mais d'embryons humains, préalablement détruits, pour le compte d'un
laboratoire, en vue d'être livrées à la recherche.
L'articL1245-4 du Code de la Santé publique,sous stricte
conditions, autorise l'importation de cellules souches issues de personnes
adultes donneuses, mais ni d'embryons humains ni d'éléments de ceux-ci.
A quoi sert la loi bioéthique, si elle peut être impunément
violée par un ministre ? Quant à mettre à égalité la recherche sur les
cellules souches embryonnaires et sur les cellules souches adultes, c'est
une erreur de méthode avérée.
Grégory Béntehou, professeur d'éthique à la chaire Essec
Santé ;
Bernard Eddman, avocat à la Cour, EHESS ;
Christophe Eoche-Duval,
juriste ;
Pr Claude
Hurlet, conseiller d'Etat, ancien membre du Comité consultatif
national d'éthique
Pr Lucien Israël, professeur émérite de cancérologie,
membre de l'Institut,
et Jean-Marie le Mené, président de la Fondation
Jérôme-Lejeune.