Texte paru dans le Figaro le 14.10.02
par MAURICE-RUBEN HAYOUN*
Le
golem à l'origine du clonage ?
Les idées les plus révolutionnaires ont parfois des origines très
anciennes. La volonté de reproduire un être à l'identique n'est pas
d'hier ni d'avant-hier ; elle a effleuré les civilisations les plus
reculées dans le temps. Le golem fait partie de ces archétypes que
l'on a oubliés depuis.
Une seule occurrence biblique est connue de ce terme étrange –
Golem – dont le sens n'est pas clair. S'agit-il d'un mythe ou d'une
légende ? En fait, le mythe a donné naissance à une légende puisque
les motifs élémentaires (la terre, la résistance au feu et à l'eau) y
sont compris, à l'exception du dernier, le feu qui reste dévolu à
Dieu. Il existe ici de manière incontestable un arrière-plan
gnostique, celui d'une rivalité entre Dieu et les hommes.
Derrière ce symbole tellurique, c'est tout le mythe de la création
qui se profile : l'homme peut-il imiter Dieu ? Peut-on créer un homme
autrement qu'en s'unissant à une femme ? N'est-ce pas là la
problématique du clonage où l'homme cherche à se reproduire à
l'identique en s'affranchissant des lois de la reproduction ?
Le golem, c'est le mythe de la création d'Adam revisité : Adam est
à Dieu ce que le Golem est à l'homme, une créature, qui est
nécessairement imparfaite puisque dépourvue d'âme et de parole. Enfin,
ce mythe du Golem a largement imprégné de manière directe ou indirecte
l'ensemble de la culture européenne, et notamment les thèmes de Faust
et de l'apprenti-sorcier.
Dans la pensée judéo-chrétienne cette idée du Golem révèle la lutte
entre des conceptions contradictoires : l'une gnostique, véhiculant
une certaine rivalité entre Dieu et les hommes, et l'autre subrogeant
tous les éléments et la vie elle-même au monothéisme. .......
Comme on le laissait entendre, le mythe a donné naissance à la
légende dans l'imaginaire juif qui a vu dans le golem une formidable
libération de sa faculté fabulatrice : le golem devint l'instrument de
libération des juifs de leurs oppresseurs, une sorte de Messie du
ghetto.
.....
Dans leurs spéculations sur la création de l'univers et de l'homme
par Dieu, les Sages se demandaient s'il était possible à l'homme d'en
faire autant, c'est-à-dire de modeler une poussière ou une terre
vierge, de réciter diverses combinaisons de lettres de l'alphabet et
d'en faire jaillir de cette mixture incantatoire une sorte d'homocunlus.
Leur attention fut attirée par un curieux verset de la Genèse (12 ; 5)
qui parle des « âmes qu'ils (Abraham et Sarah) avaient faites à Haran
».
Les Sages ont voulu trouver dans ce verset de la Genèse l'idée que
l'on pouvait réellement « faire des âmes » : ils se demandèrent si, au
fond, un Sage antique n'était pas parvenu à insuffler un souffle de
vie dans une motte de terre. Tel fut le noyau des spéculations du
début du Moyen Âge jusqu'à la Renaissance.
....
Peut-on dire qu'un tel golem n'a pu germer que dans un imaginaire
profondément traumatisé par des siècles de persécutions sanglantes ?
N'est-ce, au fond, qu'un ersatz de Messie vengeur qui protégeait les
reclus du ghetto ? En tout état de cause, c'est pratiquement la seule
figure légendaire d'importance que le judaïsme ait transmise à son
environnement européen. Elle enflamma l'imagination de tant
d'écrivains dont Goethe lui-même, Jacob Grimm, E. T. A. Hoffmann et A.
de Chamisso. Comment s'explique un tel engouement ? La figure
légendaire du Golem fascinait tout le monde, à commencer par les
populations juives d'Europe pour lesquelles cette création d'un
homonculus n'était pas vraiment une nouveauté. L'imaginaire européen
ne fut pas épargné par un tel engouement : c'est probablement de là
que dérive le thème de l'apprenti-sorcier (der Zauberlehrling) qui
perd le contrôle de sa créature. Nous sommes peut-être en présence
de l'archétype du Faust, un homme qui voulut, comme Icare, repousser
les frontières de la puissance humaine, conserver une éternelle
jouvence et percer au jour les mystères de l'existence. Ce mythe
du golem a peut-être été ; sans le savoir, l'ancêtre lointain du
clonage.
* Philosophe et écrivain, professeur à l'université de Heidelberg,
spécialiste du judaïsme médiéval et moderne.