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Quand Bernard [Antony] m’a
annoncé que c’était le thème de cette journée et m’a demandé d’y
participer, je me suis demandé ce que j’allais vous dire. Je tiens une
chronique, qui paraît dans chaque numéro de Reconquête, intitulée
Chronique de la culture de mort et des résistances de la vie. Il serait
sans grand intérêt que je vous récite cette chronique, même en insistant
sur tel ou tel événement. Alors quoi faire ? Eh bien je me suis dit que
j’allais prendre Bernard au mot. C’est-à-dire en rester à ces
expressions : Culture de vie, culture de mort. Pour voir avec vous ce
qu’elles veulent dire. Car ce n’est pas forcément évident.
J’ai pensé à cela en me
souvenant d’un texte de notre ami Philippe Maxence, rédacteur en chef de
L’Homme Nouveau, sur son blog Caelum et Terra.
C’était en avril dernier. Il
avait employé l’expression « anti-culture de mort », et un correspondant
lui avait écrit en commentaire qu’il s’était sans doute trompé, et qu’il
avait voulu dire « culture de mort ».
Philippe Maxence répondit par
une explication, dont voici l’essentiel :
Nous avons été habitués à
opposer, dans un parallèle facile, la culture de vie à la culture de
mort. J’ai moi-même employé cette terminologie très souvent.
En fait, en toute logique, la
culture est ce qui perfectionne l’homme et non ce qui l’avilit ; ce qui
lui permet de vivre, selon sa dignité d’homme, et non ce qui le fait
mourir ou le détruire.
C’est donc par extension et
abus, facilité de langage aussi, que nous parlons de « culture de mort
». Parlerions-nous de la culture du meurtre, de la culture de
l’assassinat, de la culture du viol ? (...)
Selon la philosophie
traditionnelle le mal est un non-être, une privation de bien. La mort
représente ce mal qui est la privation de ce bien qu’est la vie.
Il ne peut y avoir de culture
de mort. On ne perfectionne pas le non-être ; on ne perfectionne pas
l’absence de bien ; on ne perfectionne pas ce qui s’oppose à la vie de
l’homme.
Ce que nous appelons la «
culture de mort », par facilité sémantique et argument de style
publicitaire, est en fait une « anti-culture » de mort. La défense de la
vie passe aussi par une réappropriation d’une sémantique précise et d’un
éclaircissement des concepts.
Le premier, me semble-t-il,
le cardinal Ratzinger a mis le doigt sur ce problème, en employant à
dessein le terme « d’anti-culture ».
Devenu Pape, il n’a pas
cessé.
« Anti-culture de mort » ?
De fait, le pape Benoît XVI utilise l’expression « anti-culture »
dans sa première encyclique : « À l’anti-culture de la mort, qui
s’exprime par exemple dans la drogue, s’oppose ainsi l’amour qui ne se
recherche pas lui-même, mais qui, précisément en étant disponible à “se
perdre“ pour l’autre, se révèle comme culture de la vie. »
Nos amis du Salon Beige ont repris à leur compte la thèse de Philippe
Maxence. Un lecteur leur a fait remarquer que le pape actuel ne disait
par anti-culture de mort mais anti-culture de LA mort, il ne disait pas
culture de vie mais culture de LA vie.
Ces différences ont-elles une signification ?
D’abord il convient de remarquer que le pape n’écrit pas en français.
Il a écrit son encyclique en allemand. En allemand, il dit Kultur des
Lebens. Ce qui se traduit littéralement par « culture de la vie ».
Tandis que « culture de vie » se dirait littéralement Lebenskultur.
Or, à partir de là, on constate que dans les textes de Jean-Paul II,
« culture de vie » est traduit en allemand exactement de la même façon :
Kultur des Lebens. En italien cultura della vita. De même Kultur des
Todes, cultura della morte.
On peut remarquer aussi que Jean-Paul II écrivait en polonais. Or en
polonais les articles n’existent pas. Ainsi kultura zycia et kultura
smierci se traduisent indifféremment par « culture de vie » ou « culture
de la vie », « culture de mort » ou « culture de la mort ». Les
encycliques sont ensuite traduites en latin, qui est la version
officielle, et traduites du latin dans les autres langues. En latin,
comme en polonais, il n’y a pas d’articles. Cultura vitae et cultura
mortis se traduisent indifféremment par « culture de vie » ou « culture
de la vie », « culture de mort » ou « culture de la mort ».
Alors que les expressions sont restées les mêmes (compte non tenu de
l’« anti » culture de mort) on peut se demander pourquoi les traducteurs
ont changé leur traduction en français. Il serait intéressant de savoir
si c’est le pape qui le leur a demandé.
Ou s’ils se sont trouvés contraints de la modifier à cause de l’« anti »,
qui modifie le sens de ces expressions.
Je m’explique.
Le mot culture a deux significations. Le pape est allemand. Et dans
la tradition allemande (qui a récemment déteint en France) une culture
est l’ensemble des modes de vie, de production, etc, d’un peuple donné :
tout ce qui constitue ce que nous appelons quant à nous une
civilisation. En français on ne peut pas dire, ou l’on ne dit pas
spontanément, « une civilisation de mort ». On peut dire une
civilisation de la mort, mais cette civilisation est suicidaire, c’est
donc une anti-civilisation. Une anti-culture de la mort.
C’est en pensant à ce sens du mot culture qu’on peut faire
l’équivalence que faisait souvent Jean-Paul II entre culture de vie et
civilisation de l’amour, et que fait aussi Benoît XVI dans la phrase que
j’ai citée de son encyclique. De fait, alors, il faudrait dire culture
de la vie, comme on dit civilisation de l’amour.
Culture et civilisation
Dans la tradition française, le mot culture est resté beaucoup plus
proche de son origine, qui est l’agri-culture. La culture c’est qui
permet de se cultiver, c’est ce que l’obtient lorsqu’on se cultive. Elle
est liée à l’art, à la littérature, etc. En théorie, se cultiver, c’est
orner et élever son esprit grâce à l’art et à la littérature, etc. Mais
on ne voit que trop que l’art et la littérature peuvent au contraire
avilir l’esprit. Il y a une culture de subversion, qui va jusqu’à la
subversion de la nature (la « culture homosexuelle » n’en est qu’un
exemple). Il y a même une culture satanique. On peut si l’on veut parler
d’anti-culture, il n’en reste pas moins qu’officiellement tout cela
reste dans le domaine de la culture. On peut parler alors de culture de
mort. De même que dans les champs on peut cultiver des plantes toxiques.
Pour prendre un seul exemple, l’Afghanistan produit 80 % de l’héroïne
consommée sur la planète grâce à la culture du pavot. C’est une culture
qui apporte la mort. Une culture de mort.
Au Salon Beige Jeanne Smits a répondu qu’elle n’était pas d’accord
avec Philippe Maxence et a justifié ainsi l’expression culture de mort :
« cultiver la mort, augmenter par tous les moyens le nombre de morts
physiques et spirituelles, être mû par un désir de mort, labourer un
champ pour y enfouir une semence stérile ou vouée à la destruction. »
J’ajoute que, contrairement à ce qu’affirme Philippe Maxence, on peut
très bien, hélas, perfectionner ce qui s’oppose à la vie de l’homme, et
on ne l’a même que trop vu au cours des dernières décennies. Pour
prendre un seul exemple, la pilule abortive, c’est bien un
perfectionnement de l’avortement.
Je crois donc que nous pouvons très bien, nous Français, garder
l’opposition culture de vie culture de mort.
Jean-Paul II
Un autre argument est que cette antithèse est liée pour toujours au
pape Jean-Paul II, qui la soulignait de façon très explicite, comme dans
cette phrase d’Evangelium vitæ : « Quand on recherche les racines les
plus profondes du combat entre la culture de vie et la culture de mort,
on ne peut s'arrêter à la conception pervertie de la liberté. Il faut
arriver au cœur du drame vécu par l'homme contemporain: l'éclipse du
sens de Dieu et du sens de l'homme. »
Ce n’est pas très gentil pour Jean-Paul II de dire que c’est par abus
et facilité de langage. Car si en latin et en polonais il n’y a pas de
différences, Jean-Paul II connaissait assez le français pour demander de
rectifier la traduction s’il considérait qu’elle était fautive. Or il
employa sans doute lui-même ces expressions en français.
Un autre argument est encore qu’il faut se faire comprendre de nos
contemporains. Or je défie quiconque de faire comprendre immédiatement
ce que veut dire « combattre l’anti-culture de la mort ».
Je remarque d’ailleurs que ceux qui justifient l’expression
« anti-culture de mort » ne l’utilisent pas. Et comme ils ne veulent
plus dire « culture de mort », ils abandonnent l’antithèse culture de
mort culture de vie, ce qui est fort dommage.
La mort et la vie s’affrontèrent…
D’autre part, Philippe Maxence fonde son argumentation sur le fait
que selon les philosophes le mal est un non-être, une privation de bien,
que la mort représente ce mal et qu’il ne peut donc pas y avoir de
culture de mort parce qu’on ne perfectionne pas le non-être.
Moi je veux bien, mais je ne suis pas philosophe. Je suis même, je
l’avoue, allergique à la philosophie. Et je constate que la mort est une
réalité. Que les forces du mal sont une réalité. Que le diable est une
réalité.
Sans doute saint Augustin aurait-il été d’accord avec Philippe
Maxence. Dans son combat contre les manichéens, il s’attachait à
présenter la doctrine chrétienne de façon à empêcher d’imaginer qu’il y
ait deux principes éternels antagonistes : un principe du bien et un
principe du mal. Ce qui pourrait se traduire par une culture de vie et
une culture de mort.
Mais il n’y a plus de manichéens.
Et voici ce que nous dit la liturgie pascale depuis le XIe siècle :
Victimæ paschali laudes, immolent christiani.
Agnus redemit oves, Christus innocens patri reconciliavit peccatores.
Mors et vita duello conflixere mirando, dux vitæ mortuus, regnat
vivus.
Traduction :
Les chrétiens immolent des louanges à la victime pascale
L’agneau a racheté les brebis, le Christ innocent a réconcilié les
pécheurs avec le Père
La mort et la vie se sont affrontées dans un combat prodigieux
Le seigneur de la vie, mort, règne vivant.
L’antithèse est ici soulignée comme elle pourrait difficilement
l’être davantage. La mort et la vie sont deux réalités antagonistes,
deux ennemis qui s’affrontent dans un combat… à mort.
Si la mort et la vie s’affrontent ainsi, c’est qu’il y a derrière
elles une culture de mort et une culture de vie.
Comme chacun le sait je suis breton. Et en Bretagne, loin d’être un
non-être, la mort est personnifiée, c’est l’Ankou, avec sa faux et sa
carriole grinçante. L’Eglise ne s’est jamais opposée aux histoires de l’Ankou.
Au contraire, on trouve l’Ankou représenté soit en statue dans certaines
églises, soit sculpté sur des ossuaires. Dans l’église de La Martyre,
qui a l’un des plus beaux enclos paroissiaux, l’Ankou est figuré
au-dessus du baptistère. C’est un raccourci d’un réalisme quelque peu
brutal…
Il s’agit de l’évangile
Face au combat incessant de Jean-Paul II contre la culture de mort,
et comme c’était l’essentiel de ce que les médias retenaient de son
action, on pouvait se dire, et je me le suis dit moi-même :
D’une part c’est un signe terrible du degré de décadence où nous
sommes qu’un pape se trouve obligé de marteler un enseignement, sur
l’avortement, l’euthanasie, les manipulations génétiques, etc., qui
n’appartient pas en soi à la doctrine catholique, qui relève simplement
de la morale naturelle.
D’autre part, heureusement qu’il y a encore un homme d’influence pour
rappeler ces principes de morale naturelle, et l’on se félicite
évidemment que cet homme soit notre pape.
En réalité, c’est une erreur de perspective.
Et cela se voit dès les premiers mots de son encyclique sur la vie,
qui selon la tradition fait son titre : Evangelium vitæ. L’évangile de
la vie. Il ne s’agit pas de la loi naturelle, il s’agit de l’évangile.
Et l’évangile de la vie parle de la vie divine.
Voici le troisième paragraphe de l’encyclique : « Exprimant ce qui
est au cœur de sa mission rédemptrice, Jésus dit : Je suis venu pour
qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance. En vérité, il veut
parler de la vie nouvelle et éternelle qui est la communion avec le
Père, à laquelle tout homme est appelé par grâce dans le Fils, par
l'action de l'Esprit sanctificateur. C'est précisément dans cette « vie
» que les aspects et les moments de la vie de l'homme acquièrent tous
leur pleine signification. »
Le mot « vie » a été placé entre guillemets : ce n’est pas la vie au
sens courant, mais la vie qui est communion avec le Père. Et,
dans la phrase suivante, Jean-Paul II le souligne : « L'homme est
appelé à une plénitude de vie qui va bien au-delà des dimensions de son
existence sur terre, puisqu'elle est la participation à la vie même de
Dieu. »
L’opposition entre culture de mort et culture de vie ne prend son
véritable sens qu’à ce niveau-là. Il n’y a opposition entre ces deux
expressions que si la vie qui s’oppose à la mort n’est pas une vie
mortelle.
En français le mot vie a deux sens : la vie qui fait que je suis
vivant, et la durée de ma vie : comme lorsqu’on raconte la vie d’un
homme célèbre. Il est évident que nous prenons ici le mot dans son
premier sens. Mais il est important de garder à l’esprit que le mot a
deux significations, et que nous parlons ici du principe même de la vie.
La culture de mort est un blasphème contre l’Incarnation
Je voudrais signaler que dans d’autres langues il y a deux mots, et
cela éclaire mon propos. En grec il y a zoï, et bios. Bios a donné
biologie et biographie. Bios est la vie qui se termine par la mort. Zoï
est la vie sans mort. La vie de l’évangile n’est pas n’est pas bios.
Elle est zoï. J’imagine qu’en hébreu il en est de même. Je ne connais
pas l’hébreu, mais je vois qu’en arabe il y a plusieurs mots pour parler
de la vie. Un seul est qualifié pour parler de la vie éternelle, donc de
la vraie vie, hayat. Les autres veulent dire existence ici et
maintenant, durée de la vie. Et si je ne connais pas l’hébreu, je vois
que dans la traduction latine de la Bible, la Vulgate, quand on parle de
la durée de la vie de quelqu’un, le mot utilisé, n’est pas vita, mais
dies : les jours. Il nous en est resté quelque chose, quand on parle de
quelqu’un dans ses vieux jours, quand on parle de finir ses jours. Du
reste, en latin classique, même, le verbe vivere veut dire avoir la vie,
être vivant, et non pas vivre dans la durée. Vivre, dans le sens de la
durée, ne se dit pas vivere, mais agere vitam. Littéralement : pousser
la vie.
Cela dit pour souligner que lorsqu’on oppose culture de vie et
culture de mort, il s’agit de la vie immortelle. Il s’agit de la vie qui
nous a été révélée par l’Incarnation.
D’une part, l’Incarnation justifie le fait que l’Eglise s’occupe de
morale naturelle, car elle n’est plus seulement naturelle, comme le
souligne Jean-Paul II dans Evangelium vitæ : « En vertu du mystère du
Verbe de Dieu qui s'est fait chair, tout homme est confié à la
sollicitude maternelle de l'Eglise. Aussi toute menace contre la dignité
de l'homme et contre sa vie ne peut-elle que toucher le cœur même de
l'Eglise; elle ne peut que l'atteindre au centre de sa foi en
l'Incarnation rédemptrice du Fils de Dieu et dans sa mission d'annoncer
l'Evangile de la vie dans le monde entier et à toute créature. »
Ainsi, la culture de mort est infiniment plus qu’un attentat contre
la loi naturelle. Elle est un blasphème contre l’Incarnation.
L’avortement le montre à l’évidence : tout avortement est une
manifestation anti-christique, une manifestation diabolique contre le
Christ qui a été embryon et fœtus dans le sein de la Vierge Immaculée.
C’est pourquoi Jean-Paul II soulignait, tout au début d’Evangelium vitæ,
comment toute naissance humaine prend son sens dans la naissance du
Sauveur : « A l'aube du salut, il y a la naissance d'un enfant,
proclamée comme une joyeuse nouvelle : “Je vous annonce une grande joie,
qui sera celle de tout le peuple: aujourd'hui vous est né un Sauveur,
qui est le Christ Seigneur, dans la cité de David.“ Assurément, la
naissance du Sauveur a libéré cette grande joie, mais, à Noël, le sens
plénier de toute naissance humaine se trouve également révélé, et la
joie messianique apparaît ainsi comme le fondement et l'accomplissement
de la joie qui accompagne la naissance de tout enfant. »
Dans sa lettre aux dominicains réunis en chapitre général, le 10
juillet 2001, Jean-Paul II résumait ainsi toutes les conséquences de la
négation de l’Incarnation :
Notre époque nie l'Incarnation de plusieurs manières pratiques, et
les conséquences de cette négation sont évidentes et perturbantes. En
premier lieu, la relation de l'individu avec Dieu est vue comme purement
personnelle et privée, de telle sorte que Dieu est séparé des processus
qui gouvernent l'activité sociale, politique et économique. Cela conduit
à une grande diminution des possibilités humaines, puisque c'est
seulement le "Christ qui les révèle pleinement et qui manifeste
pleinement l'homme à lui-même" (Gaudium et Spes, 22). Lorsque le Christ
est exclu et nié, notre vision de l'humanité se dissipe et quand nous
nous y attendons le moins, l'espérance cède la place au désespoir, la
joie à la dépression. On voit aussi apparaître une profonde méfiance de
la raison et des capacités humaines à saisir la vérité. En fait, le
concept même de la vérité est mis en doute et questionné. Il y a un
appauvrissement mutuel quand la foi et la raison dégénèrent en fidéisme
d'une part et rationalisme d'autre part (cf. Fides et Ratio, 48). La vie
n'est plus valorisée et aimée et il en résulte une certaine culture de
mort, avec les ombres de l'avortement et de l'euthanasie. Le corps et la
sexualité humaine ne sont plus dignement valorisés ni aimés, et il s'en
suit une dégradation du sexe qui se manifeste dans une vague de
confusion morale, d'infidélité et de violence pornographique. La
création elle-même n'est plus valorisée ni aimée, d'où le spectre de
l'égoïsme destructif qui résulte d'un mauvais usage et de
l'environnement et de son exploitation.
La vie par la mort du Christ
D’autre part, par son Incarnation, le Verbe de Dieu est venu nous
dire que la vie humaine participe, en son cœur le plus profond, de la
vie divine. Il est venu nous dire qu’il est lui-même la Vie. « Je suis
la voie, la vérité, et la vie. » C’est lui qui a créé la vie humaine,
pour que la vie humaine soit participante de la vie divine. En cela
aussi, il est venu accomplir la loi de Moïse, lui donner toute sa
signification. Car dans le Deutéronome on pouvait déjà lire qu’il faut
« suivre la loi pour vivre » (avec le mot vivre pris absolument), et que
« la loi, ce n’est pas pour vous une vaine parole, car elle est votre
vie ». Ce n’est pas une vaine parole, puisque c’est la parole de Dieu,
Dieu le Verbe, qui est notre vie. Et l’Ecclésiastique ajoute que celui
qui craint Dieu, Dieu le nourrit du pain de la vie et de l’intelligence,
et lui donne à boire l’eau de la sagesse (cibabit illum pane vitæ et
intellectus, et aqua sapientiæ salutaris potabit illum). Le pain de la
vie, ou le pain de vie. C’est bien évidemment du Christ dont il est ici
question. « Je suis le pain vivant descendu du ciel. »
L’opposition entre vie et mort est à ce niveau-là. Mors et vita
duello conflixere mirando. La mort et la vie se sont affrontées dans un
prodigieux combat. Où cela ? Dans le Christ. Dux vitae mortuus, regnat
vivus. Le Seigneur de la vie, mort, règne vivant. Dieu s’est incarné
pour mourir de la mort humaine afin de donner aux hommes la vie divine.
Il a pris la mort sur lui, en lui. Sur la Croix, Dieu est mort. Il est
mort, et il règne, vivant. Car il a tué la mort. En lui. Pour nous.
C’est ce que chante sans cesse la liturgie byzantine à Pâques et
pendant le temps pascal : Christos anesti ek nekron, thanato thanaton
patissas, ke tis en tis mnimassi zoin kharissamenos. Le Christ est
ressuscité des morts, par sa mort il a vaincu la mort, et à ceux qui
sont dans les tombeaux il a donné la vie. La vie, zoïn.
Et c’est par le baptême que la vie nous est donnée (ou plutôt nous
est rendue). Le baptême qui est immersion dans la mort du Christ. C’est
en entrant dans sa mort que la vie nous est donnée, comme le dit
l’épître aux Romains :
Nous qui sommes morts au péché, comment vivrions-nous encore en lui ?
Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c'est
en sa mort que nous avons été baptisés ? Car nous avons été ensevelis
avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est
ressuscité d'entre les morts par la gloire du Père, de même nous aussi
nous marchions dans une vie nouvelle. Car si nous avons été plantés avec
lui dans une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une
résurrection semblable; sachant que notre vieil homme a été crucifié
avec lui, afin que le corps du péché soit détruit, et que désormais nous
ne soyons plus esclaves du péché. Car celui qui est mort est justifié du
péché. Or, si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous
vivrons aussi avec le Christ, sachant que le Christ ressuscité d'entre
les morts ne meurt plus, que la mort n'aura plus d'empire sur Lui. Car
en tant qu'Il est mort au péché, Il est mort une fois pour toutes; mais
en tant qu'Il vit, Il vit à Dieu. Vous donc aussi, regardez-vous comme
morts au péché, et comme vivants à Dieu en Jésus-Christ notre Seigneur.
Nous avons vu que la vie est liée à l’amour, et cela se voit jusque
dans l’amour humain qui transmet la vie. La vie est également liée à la
vérité et à la liberté. Forcément, puisque en définitive la vie est la
vie divine, et que l’amour, la vérité, la liberté, etc., sont des
attributs de Dieu. Etant entendu que l’amour est, en outre, le nom et
l’essence de Dieu. Dieu est amour. L’amour qui donne la vie.
Cela enrichit l’antithèse culture de vie culture de mort. La culture
de mort, c’est tout ce qui s’oppose à l’amour, à la liberté et à la
vérité. Et je me permets d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un
non-être et d’une privation de bien. La culture de mort se manifeste de
façon très concrète, pas par des absences ou des omissions. L’avortement
n’est pas une absence de bien, c’est un mal très réel.
La vie et la lumière
Il y a un autre aspect de ce mystère que je voudrais évoquer, qui est
en lui-même un autre mystère. Et l’antithèse culture de mort culture de
vie permet précisément d’éclairer ce mystère-là. Je veux parler du lien
très fort qui est fait par saint Jean entre la vie et la lumière.
Dès le début de son évangile, saint Jean nous dit à propos du Verbe :
« En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes et la
lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas comprise...
Il était la vraie lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde. »
Saint Jean a repris ce thème dans le sublime début de sa première
épitre, qu’on ne peut lire sans frémir de toute son âme :
Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que
nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains
ont touché du Verbe de vie – car la Vie s’est manifestée, nous l’avons
vue, nous en rendons témoignage, et nous vous annonçons cette vie
éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue – ce
que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi
soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le
Père et avec son Fils Jésus Christ. Tout ceci nous vous l’écrivons pour
que notre joie soit complète. Or voici le message que nous avons entendu
de lui et que nous vous annonçons : Dieu est lumière, en lui point de
ténèbres. Si nous disons que nous sommes en communion avec lui alors que
nous marchons dans les ténèbres nous mentons, nous ne faisons pas la
vérité. Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même
dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres, et le
sang de Jésus, son Fils, nous purifie de tout péché.
Il y a donc une correspondance très étroite entre la vie et la
lumière. Dans le Christ. En lui était la vie et la vie était la lumière
des hommes. Le verbe de vie nous a annoncé que Dieu est lumière. Le
Christ dit : Je suis la voie, la vérité et la vie, il dit aussi : Je
suis la lumière du monde.
On trouve déjà cela dans le psaume 35 : « Filii autem hominum in
tegmine alarum tuarum sperabunt. Inebriabuntur ab ubertate domus tuæ, et
torrente voluptatis tuæ potabis eos : quoniam apud te est fons vitæ, et
in lumine tuo videbimus lumen. » (Les enfants des hommes espéreront, à
couvert sous tes ailes. Ils seront enivrés de l'abondance de ta maison,
et tu les feras boire au torrent de ta volupté. Car en toi est la source
de la vie, et dans ta lumière nous verrons la lumière.)
En ce qui concerne le fait que le Verbe est la vraie lumière, cela se
trouve aussi, du moins en préparation, dans les psaumes, quand il est
dit que « Ta parole est lumière pour mes pas ».
A l’antithèse entre la vie et la mort, correspond une antithèse entre
la lumière et les ténèbres. L’épître aux Romains nous demande de rejeter
les œuvres des ténèbres et de revêtir les armes de lumière. La liturgie
a placé cette phrase dans l’office du matin, bien sûr. Car c’est le
symbolisme de la nuit et du jour.
De même, le psaume 55 dit : « Eripuisti animam meam de morte,
et pedes meos de lapsu, ut placeam coram Deo in lumine viventium »
(Tu as arraché mon âme de la mort, et mes pieds de la chute, afin que je
plaise à Dieu dans la lumière des vivants).
Comme la vie est la lumière des hommes, la mort est ténèbres. Chacun
comprend bien que la mort est ténèbres. Sur le plan matériel, corporel,
quand on meurt on ne voit plus la lumière.
Puisque la vie est le contraire de la mort, la vie est lumière.
On en a une image dans notre naissance corporelle. Notre naissance
est passage des ténèbres du ventre de la mère à la lumière de la vie. Et
de même que la mort corporelle est ténèbres, la naissance corporelle, la
sortie du ventre de la mère, nous fait accéder à la lumière.
Si nous avons du mal à comprendre l’équivalence entre la vie et la
lumière, c’est qu’en réalité, dans ce monde, nous sommes spirituellement
dans les ténèbres. La naissance devient alors le symbole de la mort.
Lorsque nous pensons à notre mort, nous nous voyons quittant la lumière
pour les ténèbres (« Mehr Licht », mettez-moi plus de lumière, disait
Goethe mourant), et en réalité c’est l’inverse, nous quittons les
ténèbres du monde pour la lumière éternelle. La lumière éternelle qui
est la vie éternelle. In lumine tuo videbimus lumen.
On retrouve là bien sûr tout le symbolisme du baptême, que les
orientaux appellent le sacrement de l’illumination.
Et c’est tout le symbolisme des guérisons d’aveugles dans l’Evangile.
C’est aussi ce que nous dit, d’une certaine façon, le psaume 138,
même si ces versets concernent avant tout la vie mystique :
« Et dixi : Forsitan tenebræ conculcabunt me ; et nox illuminatio mea
in deliciis meis. Quia tenebræ non obscurabuntur a te, et nox sicut dies
illuminabitur. Sicut tenebræ ejus, ita et lumen ejus. » (Et j'ai dit :
Peut-être que les ténèbres vont me terrasser ; et la nuit est ma lumière
dans mes délices. Car les ténèbres n'ont pas d'obscurité pour toi; et la
nuit brille comme le jour, et ses ténèbres sont comme la lumière.)
Le psaume 4 nous dit : « Signatum est super nos lumen vultus tui
Domine, dedisti laetitiam in corde meo. » (La lumière de ta face est
gravée sur nous, tu as mis la joie en mon cœur.) Car, bien sûr, la
lumière apporte la joie. Dans l’hymne byzantin des vêpres, on célèbre le
Christ comme Phos hilaron, lumière joyeuse, au moment où vient la nuit :
« Lumière joyeuse de la sainte gloire du Père immortel, céleste, saint,
bienheureux, ô Jésus Christ. Parvenus au coucher du soleil, contemplant
la lumière vespérale, chantons le Père et le Fils et le Saint-Esprit,
Dieu. Tu es digne dans tous les temps d’être célébré par les voix
saintes, ô Fils de Dieu, Auteur de vie, aussi le monde te glorifie. »
L’arbre de vie et la lumière de la Jérusalem céleste
Dieu est lumière, en lui point de ténèbres. Dieu est vie, en lui pas
de mort. Le mot mort est lui aussi à prendre de façon absolue. Le mot
immortel n’est pas adéquat pour parler de Dieu. A priori “immortel“ veut
dire : qui ne meurt pas. C’est très insuffisant pour qualifier Dieu. Les
Byzantins disent athanatos. A-thanatos, c’est-à-dire sans mort. Dont la
mort est absente.
C’est pourquoi la mort est absente du paradis des origines, créé par
Dieu.
Et c’est pourquoi au milieu du paradis, il y a l’arbre de vie. Dans
les Bibles en français, prétendument traduites de l’original hébreu, on
ne dit pas paradis, on dit Eden. C’est-à-dire qu’on refuse de traduire
le mot. Mais c’est la tradition juive elle-même qui traduit Eden par
jardin des délices, d’après la racine ‘dn. Jardin des délices, paradis
de volupté (paradis étant le mot grec pour jardin). Cette volupté de la
communion divine, celle dont parle le psaume 35. Ces délices sont ceux
dont il est question également dans les psaumes et dans d’autres livres
prophétiques.
Au milieu du paradis, il y a donc l’arbre de vie. Et en chassant Adam
et Eve, Dieu dit : « Que l’homme n’étende pas maintenant la main et ne
cueille aussi le fruit de l’arbre de vie, n’en mange et ne vive pour
toujours. »
L’arbre de vie est l’axe du paradis, comme depuis Pâques la croix est
l’axe du monde. Et de ce nouvel arbre de vie nous cueillons les fruits :
les sacrements de la foi.
Je voudrais vous signaler quelque chose de très curieux. Le mot
“paradis“ est quasiment inusité dans la Bible, en dehors des chapitres 2
et 3 de la Genèse. On ne le trouve qu’une seule fois dans les évangiles.
C’est quand le Christ sur la Croix dit au larron : « Aujourd’hui tu
seras avec moi dans le paradis. » Jésus parle toujours du Royaume,
jamais du paradis. Or le larron lui dit bien : « Souviens-toi de moi
quand tu viendras dans ton Royaume. » Et Jésus lui répond :
« Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » En employant ce mot,
en renvoyant ainsi, en cette circonstance, à la Genèse, Jésus souligne
que la Croix est le nouvel arbre de vie. Ou plutôt la manifestation de
l’arbre de vie dans le monde du péché.
On voit là le problème que posent les traductions modernes de la
Bible. Dans la Genèse on ne traduit pas l’hébreu Eden, et dans
l’évangile, on traduit le grec paradisos par paradis. Si bien qu’on ne
peut plus faire le rapprochement, ou que du moins il n’est plus évident.
Dans l’Apocalypse il y a aussi une fois le mot paradis : « Que celui
qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Eglises : A celui qui
vaincra je donnerai à manger de l’arbre de vie, qui est dans le paradis
de mon Dieu. »
Cette mention souligne que l’Apocalypse, qui clôt la révélation
biblique, est étroitement liée à la Genèse qui l’ouvre.
Ainsi, à la fin de l’Apocalypse, la vision de la Jérusalem descendue
d’en haut est le nouveau visage du paradis du début de la Genèse. Au
centre du paradis, il y a l’arbre de vie. Et au centre de la Jérusalem
céleste, il y a l’agneau. L’agneau immolé depuis le début du monde. Il
n’y a pas de lumière venant du soleil, venant de l’extérieur de la ville
descendue du ciel. La ville est illuminée par la gloire de Dieu,
« l’agneau lui tient lieu de flambeau ». Ainsi la vie de l’arbre de vie
est-elle devenue la lumière de l’agneau. La vie est devenue lumière.
Elle l’était dès l’origine, mais c’est pour nous faire comprendre en
quoi la vie est lumière. Et c’est la Croix qui le manifeste, selon la
superbe formule de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, autrement dit
Edith Stein : « La Croix est toute lumière : le bois de la Croix est
devenu lumière du Christ. »
La vie est lumière, la mort est ténèbres. La culture de vie apporte
la lumière du Royaume, la culture de mort étend les ténèbres de l’enfer.
L’adversaire
Il est intéressant ici de revenir à l’expression « Anti-culture de la
mort ». Il est intéressant de savoir comment cela se dit en latin,
surtout quand on sait que Benoît XVI est féru de latin. Vous vous
souvenez qu’au cours de sa première messe de pape, il a prononcé son
homélie en latin.
Or dans le texte latin de son encyclique Deus caritas est,
« anti-culture de la mort » se dit adversa cultura mortis.
Adversa : le mot lui-même suggère que la culture de mort est
diabolique. Car le diable est l’adversaire. Il est notre adversaire qui
rôde dans les ténèbres, comme un lion cherchant qui dévorer. Ce n’est
pas de moi, c’est de saint Pierre. Et c’est dans la prière du soir,
quand la lumière fait place aux ténèbres.
De ce point de vue, « adversa cultura mortis » peut se traduire par
culture satanique de mort.
A quoi saint Pierre ajoute : « Résistez lui, forts dans la foi. »
Résister à la culture de mort en promouvant la culture de vie, cela
ne peut se faire qu’en étant forts dans la foi. On en revient ici à ce
que disait Jean-Paul II au début d’Evangelium vitae et à ce qu’il disait
concernant l’Incarnation.
Dans « culture de vie », il faut prendre le mot vie au sens le plus
fort, c’est la vie éternelle. Et la culture de vie, c’est la défense de
l’Incarnation, car l’Incarnation est l’Incarnation du Verbe de vie qui
est la lumière des hommes.
Alors bien sûr, dans le combat quotidien, toutes les bonnes volontés
sont bienvenues. Des agnostiques, des juifs, des musulmans, peuvent y
participer. Mais nous, nous savons que lorsque nous défendons la vie
humaine, nous défendons infiniment plus que la vie humaine. Nous sommes
les témoins de la Vie divine, de la Lumière divine, pour tout dire, du
Royaume.
I Cor 15
Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra son pouvoir royal à
Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal.
C'est lui en effet qui doit régner jusqu'au jour où il aura mis sous
ses pieds tous ses ennemis.
Et le dernier ennemi qu'il détruira, c'est la mort.
jeudi 29 janvier 2009
Le franc-parler du cardinal de Madrid
Présent mardi 3.08.2010
http://www.present.fr/article-15191-7148.html
En matière de lutte contre la culture de mort, les évêques
d’Espagne sont soutenus – on devrait plutôt dire « poussés » – par
une « mobilisation citoyenne » assez forte pour faire descendre plus
d’un million de personnes dans la rue. A côté de discours hésitants,
voire ambigus, comme celui du cardinal-archevêque de Madrid que
j’avais rapporté dans ces colonnes le 28 juillet, voici que le même
cardinal Rouco Varela vient de parler très clair lors d’une
conférence sur « L’immense valeur de la vie » prononcée devant la
Fondation Université du Roi Juan Carlos, à Aranjuez. Prudence,
louvoiements, et parfois une certaine pusillanimité dans les
relations avec le pouvoir n’empêchent pas le franc-parler par
ailleurs, et c’est tant mieux.
Le cardinal a donc franchement dénoncé, à propos de la loi
d’avortement de plein droit pendant les 14 premières semaines de
grossesse qui vient d’entrer en vigueur en Espagne, le « suicide »
des cultures qui « ne protègent pas la vie ».
Son analyse dépassait le cadre de la seule Espagne pour viser
tout le continent européen. Le cardinal Rouco Varela accuse les
sociétés européennes d’avoir choisi le « chemin fatal du “non”
radical à la vie ». La « crise démographique » qu’elles traversent,
« toutes, sans exception » mais avec l’Espagne « en tête »,
les a quasiment menées au bord de la « disparition totale »,
juge-t-il.
Le cardinal a même osé faire le lien avec l’idéologie tyrannique
du nazisme :
« Une anthropologie sociobiologique qui nie le caractère
spécifique de la vie humaine s’est frayé un chemin depuis les années
1990, jouissant d’une influence croissante sur le plan social et
politique, charriant des théories selon lesquelles un petit de singe
en bonne santé dispose d’un plus grand droit de vivre qu’un fœtus et
même qu’un bébé porteur de quelque tare physique ou psychique. Le
plus triste, c’est que cette anthropologie a trouvé un excellent
bouillon de culture dans les sociétés européennes postmodernes, en
portant progressivement atteinte au système juridique de l’Etat de
droit. »
Le cardinal Rouco Varela demande qu’on regarde en face le fait
que la relève des générations n’est plus assurée depuis trente ans
au moins :
« Dans ces sociétés le divorce s’est généralisé, tout comme la
chute accélérée de la nuptialité, une négation impressionnante du
droit à la vie de ceux qui sont le plus sans défense, des malades en
phase terminale et des anciens. Que peut-on espérer d’autre pour
l’avenir de ces sociétés européennes que la décadence physique et
spirituelle, et la disparition progressive de leurs cultures ? »
La réponse donnée par les sociétés européennes : le recours à
l’immigration, a également été critiquée par le cardinal de
Madrid.
« C’est une option trop hâtive sur le plan sociologique, et
très courte de vue ; et même si cela peut paraître paradoxal, elle
est très intéressée et égoïste. Elle ne résout pas, à moyen terme,
les problèmes économiques et sociaux de la crise, et elle n‘éloigne
pas à moyen terme, et à plus forte raison à long terme, le danger de
la disparition de la culture. Notre culture n’aura jamais le moyen
de subsister de cette façon, et encore moins si elle renonce à la
vitalité propre et originelle que seuls garantissent le mariage et
la famille. (…)
« Si une culture donnée ne favorise pas la culture de vie,
elle opère sa propre négation parce qu’il est évident que dans la
morale de la société des familles, le principe du “Tu ne tueras pas”
et de la protection de la vie a été essentiel. »
Rappelant que l’Espagne porte de nombreuses marques d’une culture
qui a toujours défendu la vie parce qu’elle défendait le « principe
évangélique de l’amour », le cardinal a ajouté :
« Le droit à la vie est tombé victime le premier d’un
mouvement d’idéologisation multiculturelle et sociale
inspirée par la négation du caractère transcendant de la personne
humaine et de la valeur absolue que renferme sa vie. »
JEANNE SMITS