Orwell a écrit que celui qui contrôle le passé contrôle aussi le
présent. La falsification de l'histoire est un instrument principal du totalitarisme. On peut
généraliser: toute société, toute civilisation, tout pays ne peut
prendre conscience de soi qu'en se donnant une vision de son passé.
Elle peut être vraie, ou bien fausse. Ou encore, et plus souvent à
moitié vraie, ou radicalement fausse. Nous approchons de
cette deuxième situation.
La IIIe République avait construit, dans ses manuels, une histoire
de France en général un peu embellie, mais généreuse et dans
l'ensemble nuancée. Elle valorisait la Révolution française, qui
l'avait fondée, mais ne cachait pas ses horreurs. Elle ne rejetait pas
l'Ancien Régime, ni ses gloires, ni ses faiblesses. Elle visait à
l'honnêteté. Elle s'efforçait autant que possible à développer chez
ses enfants le « sens historique » et la vertu d'impartialité. Savoir
et comprendre avant de juger, tel était son idéal.
Aujourd'hui l'historien passe du rôle de juge équitable à celui
du procureur enragé. D'un procureur qui pratique systématiquement
la rétroactivité des lois c'est-à-dire qui applique au passé des règles de civilisation qui
ne sont promulguées qu'aujourd'hui. Ainsi les croisades sont jugées du
point de vue de l'humanitarisme moderne, la féodalité du point de vue
des droits de l'homme, sans comprendre qu'elles obéissaient à des
principes différents, qui, regardés de près, ne sont ni plus ni moins
justifiés que nos principes modernes qu'exalte l'idée contestable
quand elle est généralisée abusivement, l'idée de progrès. C'est
l'anéantissement du sens historique.
Mais plus grave encore est l'anéantissement de l'impartialité. La
vision de l'histoire qu'on enseigne est une vision accusatrice qui
procède par l'imposition de clichés et d'idées reçues. A toute
entité on jettera un stéréotype historique associé et abominable. A
l'Eglise catholique, l'inquisition, ou Pie XII. A la droite, la
Commune de Paris, Vichy. A la France, la Collaboration, la
colonisation, etc.
L'inquisition est
regrettable à jamais. Mais pourquoi perdre à son propos le sens des
proportions ? Elle a fait 12 000 morts en trois siècles. 12 000 de
trop certes, mais pourquoi ne pas mettre en regard les quelque 100
000 sorciers et sorcières qu'on a brûlés en pays protestants et
catholiques en moins d'un siècle vers le temps d'Henri 1V avec
beaucoup moins de précautions judiciaires ? Et, plutôt que maudire,
réfléchir en historien sur ces deux phénomènes ? Il y a des
critiques politiques sérieuses à adresser à Pie XII, mais des éloges
aussi et il ne mérite en aucune façon les insultes du style «
pape de Hitler » qu'on lui prodigue.
De la Commune,
George Sand écrivait qu' elle ne «plaignait pas l'écrasement d'une
pareille démagogie ». et Zola que les Versaillais étaient « la
partie saine de la France, la raisonnable, la pondérée, la paysanne
qui supprimait la partie folle ». Crise de folie, en effet, qui
incendia les Tuileries, l'Hôtel de Ville, qui faillit anéantir le
Louvre (les communards fusillèrent le pompier qui le sauva), qui mit
dans Notre-Dame un bûcher que les internes de l'Hôtel-Dieu défirent
au dernier moment, etc. Cet épisode lamentable et jugé si honteux
par Ernest Lavisse que, dans son manuel républicain, il le passa
tout simplement sous silence, fait encore l'objet d'un culte
instauré, par le Parti communiste. Culte auquel s'est rallié M.
Tiberi quand il donna à une place de Paris le nom de ses
incendiaires, et, apprend-on, le Sénat, qui projette de mettre une
plaque au Luxembourg en l'honneur de ceux qui avaient programmé la
destruction de son palais par le feu. Peut-on espérer, si cette
nouvelle est confirmée, qu'il mette alors une plaque conjointe aux
Versaillais ? Une des faiblesses de la droite française et de la
gauche modérée est qu'elle s'en laisse imposer par la vision
historique fabriquée il y a soixante-cinq ans par la propagande
kominternienne de Willy Müzenberg.
Ainsi de suite. Dans
Historiquement correct, Jean Sévillia. énumère les principaux
clichés, par exemple la Révolution, l'abolition de l'esclavage,
l'antisémitisme et l'anticléricalisme 1900 Vichy, la guerre
d'Algérie. Ce sont autant de chapitres clairs précis, informés. Il
n'a pas eu de mal à rétablir la vérité, sans tomber dans l'erreur
contraire qu consisterait à louer ce qui est condamné par l'historically
correctness. En effet, il existe sur tous ces sujets une
abondante littérature historique, documentée, irréfutable, nuancée,
et sur laquelle les historiens sérieux s'entendent. Mais ils ne sont
pas entendus et sont découragés. lls sauront gré à Jean Sévillia
d'avoir eu le courage de se faire leur porte-parole.
(1)
Historiquement correct de Jean Sévillia, Perrin, 21,50 €, 456
pages.