de l'herméneutique de la Passion ....

INDEX

Sommaire :

L'herméneutique : dans chaque tradition, il existe une herméneutique spirituelle qui vise le salut et l'Eveil de chacun, plutôt que son infantilisation et son asservissement.

à propos de l'Evangile:

la croix dérange....La croix de Jésus....elle demeure à jamais pour tous « ceux que Dieu appelle, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1, 23-24). Approchons-nous donc avec confiance de ce trône où Dieu fait grâce et faisons monter vers le Seigneur crucifié pour nous, l’encens de notre reconnaissance et de notre adoration...... Homélie par Père Joseph-Marie Verlinde

 

Le Christ dans sa passion arrache l’humanité au mal,....«C’était nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. (...) C’est par ses blessures que nous sommes guéris»"

 

Le don de l'Esprit.... en réalité, des deux aspects du salut - la justification de l'impie et le don de l'Esprit - c'est le deuxième qui est le plus important pour Paul  ..... la foi est "fondamentalement un don de Dieu et non le fruit de notre volonté?"...."Nous devons prendre conscience du don immense, du privilège incroyable qu'est le pouvoir de croire, nous en émerveiller et ne jamais cesser de remercier Dieu le Père pour cela. S'exclamer, émerveillé, comme l'aveugle-né guéri par Jésus: 'Je vois, je vois!'" a conclu le prédicateur italien. ..père Cantalamessa

 

à propos du film de Mel Gibson " La Passion":

 

 La Passion selon Gibson et Thomas d'Aquin : ...La mentalité individualiste comprend : « Il l’a bien mérité » ; je crois que les anciens pensaient : « Nous l’avons bien mérité » — car c’est au peuple souillé par le crime que ce sacrifice était dû. ....réponse à La Croix

 

nous croyons que c'est la plus grande histoire jamais racontée et que le message d'amour qui en découle est destiné à tous les hommes et à toutes les femmes.....par Paul Harvey, 84 ans, un présentateur bien connu de la station de radio américaine ABC.

 

Mel Gibson : une violence au service de la foi ...Toutes les foules du monde passent aisément d'un extrême à l'autre, de l'adulation passionnée à la détestation, à la destruction frénétique d'un seul et même individu. .... C'est l'attitude qui nous a permis de découvrir l'innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur histoire, n'ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C'est là qu'est l'inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c'est la clef, il faut l'espérer, de leur réconciliation future. ...René Girard

 

Le cardinal Lustiger recommande la pratique du Chemin de Croix "Je suis très réservé sur toute théâtralisation de la Passion, même si je comprends que cela puisse se faire, et encore plus sur son expression par l’image électronique ou chimique"  et la suite ... le communiqué de l'Episcopat  ...le visage du Christ transparaît moins que nos obsessions contemporaines : angoisse du mal, fascination pour la violence, recherche de coupables. ..l'essentiel de la personne et du message du Christ : l'amour porté à sa perfection dans le don de soi consenti.
 

une belle défense du film de Mel Gibson, La Passion du Christ.

L'actualité :

France: Des jeunes font connaître le Christ à l'occasion de la sortie du film de Mel Gibson

 

Sous l'effet de "La Passion" : ....Dévoré par les remords, il allait se rendre le 7 mars dans une église

 Et la Résurrection .....

cardinal Ratzinger

 

mes notes :  ...

 ....N'obéissez plus ... sans adhérer ...

Et plus généralement comment espérer de ceux qui abrutissent les gens ...l'éducation du regard, et de l’intelligence des gens ...de leurs fonctions de discernement ... n'est-ce pas là, la mission principale de l'Eglise en cette civilisation de l'image ?

 

 
 

Sagesse et herméneutique.

Jean-Yves LELOUP

http://www.fezfestival.org/prg2003/fr/renc/leloup.php

Philosophe, psychologue, fondateur de l'Institut pour la Rencontre et l'Etude des Civilisations, Jean-Yves Leloup a publié de nombreux ouvrages aux éditions Albin Michel, notamment "l'Absurde et la Grâce", "l'Evangile de Jean", "Prendre soin de l'être" .... à participé à l'ouvrage Aimer désespérément de Marie de Solemne

Toute parole, tout enseignement est "livré à nos interprétations". Selon les qualités de coeur et d'intelligence de celui qui interprète, les informations communiquées par les textes sacrés auront des incidences diverses sur la vie de ceux qui écoutent : les pires et les meilleures, source d'alliances ou de conflits.
Au nom de Dieu et des livres qu'il a inspirés on continue encore aujourd'hui à tuer : d'où l'importance de rappeler que dans chaque tradition, il existe une herméneutique spirituelle qui vise le salut et l'Eveil de chacun, plutôt que son infantilisation et son asservissement.
Passer de la lettre qui tue à la parole qui sauve, c'est le chemin de la sagesse, le patient labour de l'herméneute des textes sacrés, pour que le processus de mondialisation actuel cesse de nous proposer les interprétations les plus réductrices et dévastatrices des livres inspirés et révélés.

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la croix dérange

 

Auteur:Père Joseph-Marie Verlinde, homélie à propos des lectures du mercredi, 2ème semaine de Carême ...10 mars 2004

Source : http://www.homelie.info/

Quel bouleversant contraste entre la douloureuse confidence de Jésus aux apôtres, qu’il prend à part pour leur parler de sa Passion désormais proche, et la demande de la mère de Jacques et Jean, rêvant de gloire pour ses fils, et revendiquant pour eux une place privilégiée aux côtés du Maître. Rien dans le récit ne nous permet de penser que les deux frères désapprouvent la démarche de leur mère, bien au contraire. L’enthousiasme avec lequel ils répondent à l’interrogation de Jésus suggère plutôt qu’ils attendaient impatiemment sa réaction. Déconcertante solitude de Jésus au milieu des siens, qui ne semblent pas vraiment prêter attention à ses propos.
A moins qu’ils ne puissent tout simplement pas entendre ce qu’il leur dit. Sommes-nous d’ailleurs sûrs de prêter une oreille attentive aux paroles dans lesquelles Notre-Seigneur annonce sa Passion ? La croix demeurera toujours un scandale pour le vieil homme qui survit encore en nous ; soit il se révolte et la rejette avec violence, accusant le christianisme d’anti-humanisme morbide et culpabilisant ; soit il l’ignore, la refoule, et ne veut garder que la lumière de la résurrection, interprétée comme un gage de bénédiction intramondaine. De nos jours il faut ajouter un troisième « traitement » de cette information encombrante : la croix ne concernerait que le destin personnel de Jésus, le « karma » qu’il aurait à assumer en raison de ses actions mauvaises dans ses incarnations précédentes…
En un mot : la croix dérange ; nos contemporains veulent bien du Christ, mais pas de sa croix ; ils écoutent avec plaisir le Sermon sur la montagne, admirent le courage de Jésus qui affronte sereinement la malveillance de ses ennemis, mais occultent sa croix jugée intolérable, scandaleuse. Pour ces « croyants » de la postmodernité contemporaine, l’Evangile est un idéal vers lequel l’humanité devrait tendre pour vivre en paix, dans une fraternité universelle fondée sur la découverte de notre commune humanité, et dès lors de notre égalité de droits et de devoirs. Un verset comme « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » sera cité comme exprimant l’essence même du christianisme, qui représenterait, au sein des religions, la voie de l’abnégation.
Tout n’est pas faux bien sûr dans ces affirmations, mais la religion qu’elles fondent a perdu la spécificité évangélique. Car en amputant le verset cité de sa seconde partie, on le prive aussi de son sens profond et véritable : « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ». Le christianisme n’est pas la religion de l’amour (philos) mais de la charité (agape), c’est-à-dire de l’amour purifié au creuset de la croix et surnaturalisé par le Feu de la Pentecôte. Le mouvement qui porte le chrétien à devenir « le serviteur » - voire « l’esclave » - de ses frères n’est pas une simple « phil-anthropie » - aussi louable soit-elle, mais une « agap-anthropie ». Or cette transformation s’opère dans la mesure où le croyant consent à suivre son Maître sur le chemin de la croix, c’est-à-dire de la mort au vieil homme, pour laisser le Christ lui-même poursuivre son œuvre de réconciliation en lui : « Avec le Christ je suis fixé à la croix, témoigne saint Paul : je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ma vie aujourd’hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi » (Ga 2, 20).
N’ayons pas honte de la croix de Jésus. Elle sera toujours cause de « scandale » pour les uns, et continuera à être dénoncée comme folie par les autres ; mais elle demeure à jamais pour tous « ceux que Dieu appelle, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1, 23-24). Approchons-nous donc avec confiance de ce trône où Dieu fait grâce et faisons monter vers le Seigneur crucifié pour nous, l’encens de notre reconnaissance et de notre adoration.
 

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Le don de l'Esprit

 

Le p. Cantalamessa encourage l'Eglise à croire à l'action de l'Esprit Saint
 

CITE DU VATICAN, vendredi 26 mars 2004 (ZENIT.org) - Pour comprendre que la passion, la mort et la résurrection du Christ, la Pâque, constitue l'événement le plus important de l'histoire, il faut comprendre la signification spirituelle de l'Ecriture, affirme le prédicateur du pape, le père Raniero Cantalamessa.
 

Le thème de la deuxième méditation de carême que le père Cantalamessa a proposée ce vendredi au pape et à ses collaborateurs de la Curie romaine était donc le sens spirituel ou allégorique des récits du Nouveau Testament concernant ces moments particuliers de la vie de Jésus.
Dans sa première méditation, le prédicateur capucin a expliqué le sens historique de ces récits. Il a aujourd'hui analysé le sens techniquement "allégorique" des Ecritures, c'est-à-dire "les choses qu'il faut croire" en les lisant.
 

Certaines formules sont particulièrement claires, comme: "Il est mort pour nos péchés; il est ressuscité pour que nous soyons justifiés". "Il est mort", "il est ressuscité", indiquent des faits. Ce sont des affirmations historiques; "pour nos péchés", "pour que nous soyons justifiés" ne sont pas des affirmations historiques mais de foi. Elles indiquent le sens mystique, ou pour nous, des faits", explique le prédicateur.
 

"Tout bien réfléchi, c'est précisément cette signification de foi qui, dans un autre sens, fait de la mort et de la résurrection du Christ des événements "historiques", si par fait "historique" nous n'entendons pas seulement le fait divers à l'état pur, mais le fait plus sa signification", poursuit le père Cantalamessa.

"En ce sens la mort du Christ est le fait le plus 'historique' de l'histoire du monde, fait-il observer, car c'est celui qui a eu la plus grande influence sur le destin de l'humanité. Nous voyons également aujourd'hui que tout ce qui concerne cet événement a le pouvoir de secouer les consciences et de susciter des réactions opposées".

"Celui qui le premier et de manière inégalable a analysé la signification pour la foi de l'événement pascal du Christ, est l'apôtre Paul, poursuit le prédicateur du pape. Paul souligne deux éléments distincts, bien qu'inséparables, comme deux côtés d'une même médaille, dans le salut opéré par le Christ : une composante négative, la suppression des péchés, ou justification de l'impie et une composante positive, le don de l'Esprit et de la vie nouvelle".
 

"Après la Réforme, a poursuivi le prédicateur italien, les polémiques théologiques ont fait que, de ces deux éléments, en commentant l'Epître aux Romains, on a souligné presque exclusivement dans le passé, l'élément négatif, celui de la suppression des péchés".

"Mais en réalité, continue le père Cantalamessa, des deux aspects du salut - la justification de l'impie et le don de l'Esprit - c'est le deuxième qui est le plus important pour Paul. Il en parle dans toutes ses lettres, alors qu'il ne parle de la justification que dans les lettres dans lesquelles il doit défendre sa propre mission".
 

"La justification de l'impie et la rémission des péchés n'est pour Paul que la condition pour recevoir le don plus beau et plus complet de la Pâque du Christ, son Esprit", explique le frère capucin.
 

"Beaucoup sont convaincus que la naissance et le développement étonnant du mouvement pentecôtiste et charismatique au sein des différentes Eglises chrétiennes s'expliquent comme une réaction à une insistance trop unilatérale sur le problème de la justification par la foi qui a laissé dans l'ombre la doctrine et l'expérience de l'Esprit".
 

"Cette 'troisième force', comme elle est appelée, a pris en un peu plus d'un siècle des proportions imprévisibles, et constitue aujourd'hui, si l'on en croit les statistiques, la composante à la croissance la plus rapide au sein du christianisme".
 

"Celle-ci pourrait aider à trouver finalement la solution à des problèmes que l'on traîne depuis des siècles et à propos desquels ni la déclaration conjointe de l'Eglise catholique et de la Fédération luthérienne des Eglises (signée en 1999 à Augsburg, ndlr) n'est parvenue à trouver un plein accord", poursuit-il.
 

"Dans la théologie et la spiritualité du mouvement pentecôtiste (…) on est convaincu, comme du côté catholique, que l'Esprit Saint transforme vraiment la personne, en lui donnant un cœur nouveau et en demeurant en elle", explique-t-il.
 

"Ce serait bien triste si tout cela restait confiné au sein d'un seul mouvement ecclésial et ne contaminait pas, par réflexion, dans la substance si non dans les formes, toute l'Eglise, comme un 'courant de grâce' bénéfique qui se répand en elle. Il n'y a pas que quelques personnes dans l'Eglise à avoir besoin d'une nouvelle Pentecôte. Tous les baptisés en ont besoin", affirme le père Cantalamessa.
 

Le prédicateur du pape rappelle qu'il ne suffit pas de savoir à quoi on croit (la libération du péché et le don de l'Esprit), il faut aussi se préoccuper "de l'intensité avec laquelle on croit".
 

Que pouvons-nous faire pour faire grandir notre foi? S'interroge le père Cantalamessa, si la foi est "fondamentalement un don de Dieu et non le fruit de notre volonté?"
 

"Nous devons prendre conscience du don immense, du privilège incroyable qu'est le pouvoir de croire, nous en émerveiller et ne jamais cesser de remercier Dieu le Père pour cela. S'exclamer, émerveillé, comme l'aveugle-né guéri par Jésus: 'Je vois, je vois!'" a conclu le prédicateur italien.

 

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Le Christ dans sa Passion arrache l’humanité au mal : pas "résignation" mais "confiance"

CITE DU VATICAN, mercredi 22 septembre 2004 (ZENIT.org) - Le Christ dans sa passion arrache l’humanité au mal, non par une "résignation aveugle et passive", mais une "confiance pure et absolue" en son Père, affirme Jean-Paul II : sa solidarité avec les hommes les transforme, les libère, les sauve.
 

Jean-Paul II a tenu l’audience générale du mercredi à Rome, place Saint-Pierre : il était venu spécialement de Castelgandolfo.
 

Le pape a commenté le cantique de la première épître de saint Pierre que l’Eglise latine chante aux secondes vêpres du 2e dimanche liturgique.
 

"Le cantique de la première Lettre de Pierre met devant nos yeux le visage du Christ souffrant et nous rappelle la prière de l’Église des origines", expliquait le pape en français.
 

"Il évoque tout d’abord la figure mystérieuse du Serviteur souffrant, décrit dans le célèbre quatrième Chant du Serviteur du prophète Isaïe, chant qui annonce la Passion du Christ et qui en donne le sens : «C’était nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. (...) C’est par ses blessures que nous sommes guéris»", soulignait le pape.
 

"C’est lui, le Christ, qui s’avance sur le chemin de la Passion, sans répondre à l’injustice et à la violence, mais en s’en remettant «à Celui qui juge avec justice», continuait le pape. Ce n’est pas de la résignation aveugle et passive, mais c’est l’expression d’une confiance pure et absolue, qui transparaît dans les dernières paroles prononcées sur la Croix : «Père, entre tes mains, je remets mon esprit». Il est le Sauveur, né de la Vierge avec son corps humain, notre frère. Il est aussi toujours le Fils de Dieu, et sa solidarité avec nous devient transformatrice, libératrice et salvifique. «C’est par ses blessures que nous avons été guéris»."
 

A l’adresse des visiteurs de langue française, le pape ajoutait : "Je salue cordialement les pèlerins de langue française présents ce matin, en particulier le groupe des Sœurs dominicaines de Paris et les pèlerins du Québec. En vous souhaitant un bon pèlerinage à Rome, je vous confie tous au Seigneur Jésus qui nous a aimés du plus grand amour, donnant sa vie pour nous".
 

Enfin, aux jeunes, aux malades, et aux jeunes mariés, Jean-Paul II a souhaité qu’ils soient "fidèles à l’idéal évangélique et qu’ils le réalisent dans leur vie quotidienne".

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La Passion selon Gibson et Thomas d'Aquin : réponse à La Croix

Vincent Aubin, professeur de philosophie| 8 mars 2004

http://www.libertepolitique.com/det_decryptage.php?id=2484

 

Dans La Croix, du 26 février, Michel Kubler, rédacteur en chef religieux, s’interroge : « Que signifient cette souffrance et cette mort si elles ne laissent aucune liberté de prendre position par rapport à la personne qui les a endurées ? Or Jésus, pour être le Sauveur de toute l’humanité, ne saurait apparaître objectivement comme un tel recordman universel de la douleur… L’enjeu n’est pas qu’une accumulation, jusqu’à la nausée, vienne démontrer une crédibilité ; il s’agit, pour un homme et son message, de susciter cette libre adhésion qui se nomme la foi. »

N’ayant pas vu le film, j’en suis réduit à m’interroger sur le sens de ces propos qui revêtent, me semble-t-il, une signification générale. Peu versé dans la théologie, j’aimerais bien que l’on m’explique pourquoi l’Église a jugé bon de mettre dans la bouche du Christ, dans la liturgie de la Passion, ces paroles des Lamentations (1, 12) : « Vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s’il est une douleur pareille à la douleur qui me tourmente.< » Thomas d’Aquin, qui n’était pas, je crois, un exalté, ni même un « fondamentaliste », s’appuyait sur ce verset pour soutenir que « la douleur de la passion du Christ fut la plus grande de toutes les douleurs » (Somme de théologie, III, q. 46, art. 6). Il en donne des raisons que je trouve assez convaincantes.
Le même théologien, moins sensible sans doute que Michel Kubler au paradoxe qu’il y aurait à présenter le Sauveur de l’humanité comme un recordman de la douleur, estimait au contraire fort adéquat qu’il fût à la fois l’un et l’autre. On me pardonnera de citer le texte, un peu long peut-être, mais dont la lecture prendra moins de temps que le film de Mel Gibson :

« [Le Christ] a souffert tous les genres de la souffrance humaine. Ce qui peut être considéré de trois points de vue. D’abord, du côté de l’humanité. Il a souffert en effet, et par les païens et par les Juifs  et par les hommes et par les femmes — comme il ressort de l’épisode des servantes accusant Pierre. Il a souffert aussi par les princes et leurs ministres, et par le peuple, comme le dit le Psaume 2 : Pourquoi cette agitation dans les nations, et ces vains projets dans les peuples ? Les rois de la terre ont siégé, et les princes se sont rassemblés, contre le Seigneur et contre son Oint. Il a souffert également par ses familiers et ses connaissances, puisque Judas l’a livré, et Pierre renié.
« La même chose ressort si l’on considère ce en quoi un homme peut souffrir. Le Christ en effet a souffert dans ses amis, qui l’abandonnent ; dans sa réputation, par les blasphèmes proférés contre lui ; dans son honneur et sa gloire par les moqueries et les insultes à lui infligées ; dans ses biens quand il fut dépouillé même de ses vêtements ; dans son âme par la tristesse, la fatigue et l’angoisse ; dans son corps par les coups et la flagellation.
« Enfin cela peut être considéré quant aux parties de son corps. Le Christ en effet a souffert dans sa tête par ceux qui clouaient la couronne d’épines ; dans ses mains et ses pieds transpercés par les clous ; dans son visage par les soufflets et les crachats ; et dans tout son corps sous les coups de fouets. Il souffrit aussi selon tous les sens de son corps : selon le toucher, flagellé et percé de clous ; selon le goût, buvant fiel et vinaigre ; selon l’odorat, étant suspendu au gibet dans un lieu empesté par les cadavres des morts, appelé calvaire ; selon l’ouïe, harcelé par la voix des blasphémateurs et des railleurs ; selon la vue, voyant sa mère et le disciple qu’il aimait en pleurs. » (Somme de théologie, III, q. 46, art. 5)
Cette énumération peut nous sembler pesamment scolastique. Je n’imagine pourtant pas Thomas l’écrivant autrement que plongé dans la contemplation bouleversée du Crucifié. Loin de moi l’idée de comparer Mel Gibson à saint Thomas : je constate cependant que l’idée d’une souffrance extrême et totale ne paraît pas excessive au Docteur commun de l’Église.
Notre époque pousse la peur de la souffrance jusqu’au déni. Elle en refuse non seulement la mise en scène, mais même la simple vision. L’Antiquité, familière de celle-ci, se délectait aussi de celle-là. Le supplice d’un condamné ne pouvait être que — littéralement — spectaculaire. Les tourments du coupable, loin d’émouvoir de compassion les spectateurs, s’inscrivaient dans un rite nécessaire à la purification du corps social : faire preuve de pitié, fût-ce en abrégeant les souffrances du supplicié, le retirer à la vue de tous avant le terme de son agonie, était d’autant plus inconcevable que cela aurait diminué, voire compromis, l’efficacité de la purification. On n’a guère d’exemple, à lire les historiens classiques, que l’atrocité d’un supplice public ait suscité autre chose qu’une profonde satisfaction. Justice était faite. La mentalité individualiste comprend : « Il l’a bien mérité » ; je crois que les anciens pensaient : « Nous l’avons bien mérité » — car c’est au peuple souillé par le crime que ce sacrifice était dû.

Que, dans le cas de la Passion du Christ, la liberté de la foi en sa divinité ait pu être diminuée par le spectacle de ses tourments, me semble relever d’un pur anachronisme : elle fut au contraire d’autant plus grande que le châtiment désignait évidemment « le plus beau des enfants des hommes » comme le plus misérable d’entre eux.

Vincent Aubin est professeur agrégé de philosophie.

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Mel Gibson : une violence au service de la foi
 

Par René Girard, Jean-François Mongibeaux et Etienne de Montety

[Le Figaro; 27 mars 2004] http://www.lefigaro.fr/magazine/20040326.FIG0420.html
 

Bien avant la sortie de son film aux Etats-Unis, Mel Gibson avait organisé pour les sommités journalistiques et religieuses des projections privées. S'il comptait s'assurer ainsi la bienveillance des gens en place, il a mal calculé son coup, ou peut-être a-t-il fait preuve, au contraire, d'un machiavélisme supérieur.

Les commentaires ont tout de suite suivi et, loin de louer le film ou même de rassurer le public, ce ne furent partout que vitupérations affolées et cris d'alarme angoissés au sujet des violences antisémites qui risquaient de se produire à la sortie des cinémas. Même le New Yorker, si fier de l'humour serein dont, en principe, il ne se départ jamais, a complètement perdu son sang-froid et très sérieusement accusé le film d'être plus semblable à la propagande nazie que toute autre production cinématographique depuis la Seconde Guerre mondiale.

Rien ne justifie ces accusations. Pour Mel Gibson, la mort du Christ est l'oeuvre de tous les hommes, à commencer par Gibson lui-même. Lorsque son film s'écarte un peu des sources évangéliques, ce qui arrive rarement, ce n'est pas pour noircir les Juifs mais pour souligner la pitié que Jésus inspire à certains d'entre eux, à un Simon de Cyrène par exemple, dont le rôle est augmenté, ou à une Véronique, la femme qui, selon une tradition ancienne, a offert à Jésus, pendant la montée au Golgotha, un linge sur lequel se sont imprimés les traits de son visage.
 

Plus les choses se calment, plus il devient clair, rétrospectivement, que ce film a déclenché dans les médias les plus influents du monde une véritable crise de nerfs qui a plus ou moins contaminé par la suite l'univers entier. Le public n'avait rien à voir à l'affaire puisqu'il n'avait pas vu le film. Il se demandait avec curiosité, forcément, ce qu'il pouvait bien y avoir dans cette Passion pour semer la panique dans un milieu pas facile en principe à effaroucher. La suite était facile à prévoir : au lieu des deux mille six cents écrans initialement prévus, ils furent plus de quatre mille à projeter The Passion of the Christ à partir du mercredi des Cendres, jour choisi, de toute évidence, pour son symbolisme pénitentiel.
 

Dès la sortie du film, la thèse de l'antisémitisme a perdu du terrain mais les adversaires du film se sont regroupés autour d'un second grief, la violence excessive qui, à les en croire, caractériserait ce film. Cette violence est grande, indubitablement, mais elle n'excède pas, il me semble, celle de bien d'autres films que les adversaires de Mel Gibson ne songent pas à dénoncer. Cette Passion a bouleversé, très provisoirement sans doute, l'échiquier des réactions médiatiques au sujet de la violence dans les spectacles. Tous ceux qui, d'habitude, s'accommodent très bien de celle-ci ou voient même dans ses progrès constants autant de victoires de la liberté sur la tyrannie, voilà qu'ils la dénoncent dans le film de Gibson avec une véhémence extraordinaire. Tous ceux qui, au contraire, se font d'habitude un devoir de dénoncer la violence, sans obtenir jamais le moindre résultat, non seulement tolèrent ce même film mais fréquemment ils le vénèrent.
 

Jamais on n'avait filmé avec un tel réalisme
Pour justifier leur attitude, les opposants empruntent à leurs adversaires habituels tous les arguments qui leur paraissent excessifs et même ridicules dans la bouche de ces derniers. Ils redoutent que cette Passion ne «désensibilise» les jeunes, ne fasse d'eux de véritables drogués de la violence, incapables d'apprécier les vrais raffinements de notre culture. On traite Mel Gibson de «pornographe» de la violence, alors qu'en réalité il est un des très rares metteurs en scène à ne pas systématiquement mêler de l'érotisme à la violence.

Certains critiques poussent l'imitation de leurs adversaires si loin qu'ils mêlent le religieux à leurs diatribes. Ils reprochent à ce film son «impiété», ils vont jusqu'à l'accuser, tenez-vous bien, d'être «blasphématoire».
 

Cette Passion a provoqué, en somme, entre des adversaires qui se renvoient depuis toujours les mêmes arguments, un étonnant chassé-croisé. Cette double palinodie se déroule avec un naturel si parfait que l'ensemble a toute l'apparence d'un ballet classique, d'autant plus élégant qu'il n'a pas la moindre conscience de lui-même.

Quelle est la force invisible mais souveraine qui manipule tous ces critiques sans qu'ils s'en aperçoivent ? A mon avis, c'est la Passion elle-même. Si vous m'objectez qu'on a filmé celle-ci bien des fois dans le passé sans jamais provoquer ni l'indignation formidable ni l'admiration, aussi formidable sans doute mais plus secrète, qui déferlent aujourd'hui sur nous, je vous répondrai que jamais encore on n'avait filmé la Passion avec le réalisme implacable de Gibson.
 

C'est la saccharine hollywoodienne d'abord qui a dominé le cinéma religieux, avec des Jésus aux cheveux si blonds et aux yeux si bleus qu'il n'était pas question de les livrer aux outrages de la soldatesque romaine. Ces dernières années, il y a eu des Passions plus réalistes, mais moins efficaces encore, car agrémentées de fausses audaces postmodernistes, sexuelles de préférence, sur lesquelles les metteurs en scène comptaient pour pimenter un peu les Evangiles jugés par eux insuffisamment scandaleux. Ils ne voyaient pas qu'en sacrifiant à l'académisme de «la révolte» ils affadissaient la Passion, ils la banalisaient.
Pour restituer à la crucifixion sa puissance de scandale, il suffit de la filmer telle quelle, sans rien y ajouter, sans rien en retrancher. Mel Gibson a-t-il réalisé ce programme jusqu'au bout ? Pas complètement sans doute, mais il en a fait suffisamment pour épouvanter tous les conformismes.

Le principal argument contre ce que je viens de dire consiste à accuser le film d'infidélité à l'esprit des Evangiles. Il est vrai que les Evangiles se contentent d'énumérer toutes les violences que subit le Christ, sans jamais les décrire de façon détaillée, sans jamais faire voir la Passion «comme si on y était».
 

C'est parfaitement exact, mais tirer de la nudité et de la rapidité du texte évangélique un argument contre le réalisme de Mel Gibson, c'est escamoter l'histoire. C'est ne pas voir que, au premier siècle de notre ère, la description réaliste au sens moderne ne pouvait pas être pratiquée, car elle n'était pas encore inventée. L'impulsion première dans le développement du réalisme occidental vient très probablement de la Passion. Les Evangiles n'ont pas délibérément rejeté une possibilité qui n'existait pas à leur époque. Il est clair que, loin de fuir le réalisme, ils le recherchent, mais les ressources font défaut. Les récits de la Passion contiennent plus de détails concrets que toutes les oeuvres savantes de l'époque. Ils représentent un premier pas en avant vers le toujours plus de réalisme qui définit le dynamisme essentiel de notre culture dans ses époques de grande vitalité. Le premier moteur du réalisme, c'est le désir de nourrir la méditation religieuse qui est essentiellement une méditation sur la Passion du Christ.
 

En enseignant le mépris du réalisme et du réel lui-même, l'esthétique moderne a complètement faussé l'interprétation de l'art occidental. Elle a inventé, entre l'esthétique d'un côté, le technique et le scientifique de l'autre, une séparation qui n'a commencé à exister qu'avec le modernisme, lequel n'est peut-être qu'une appellation flatteuse de notre décadence. La volonté de faire vrai, de peindre les choses comme si on y était a toujours triomphé auparavant et, pendant des siècles, elle a produit des chefs-d'oeuvre dont Gibson dit qu'il s'est inspiré. Il mentionne lui-même, me dit-on, le Caravage. Il faut songer aussi à certains Christ romans, aux crucifixions espagnoles, à un Jérôme Bosch, à tous les Christ aux outrages...
 

Loin de mépriser la science et la technique, la grande peinture de la Renaissance et des siècles modernes met toutes les inventions nouvelles au service de sa volonté de réalisme. Loin de rejeter la perspective, le trompe-l'oeil, on accueille tout cela avec passion. Qu'on songe au Christ mort de Mantegna...


Pour comprendre ce qu'a voulu faire Mel Gibson, il me semble qu'il faut se libérer de tout les snobismes modernistes et postmodernistes et envisager le cinéma comme un prolongement et un dépassement du grand réalisme littéraire et pictural. Si les techniques contemporaines passent souvent pour incapables de transmettre l'émotion religieuse, c'est parce que jamais encore de grands artistes ne les ont transfigurées. Leur invention a coïncidé avec le premier effondrement de la spiritualité chrétienne depuis le début du christianisme.
 

Si les artistes de la Renaissance avaient disposé du cinéma, croit-on vraiment qu'ils l'auraient dédaigné ? C'est avec la tradition réaliste que Mel Gibson s'efforce de renouer. L'aventure tentée par lui consiste à utiliser à fond les ressources incomparables de la technique la plus réaliste qui fût jamais, le cinéma. Les risques sont à la mesure de l'ambition qui caractérise cette entreprise, inhabituelle aujourd'hui, mais fréquente dans le passé.
 

Si l'on entend réellement filmer la Passion et la crucifixion, il est bien évident qu'on ne peut pas se contenter de mentionner en quelques phrases les supplices subis par le Christ. Il faut les représenter. Dans la tragédie grecque, il était interdit de représenter la mort du héros directement, on écoutait un messager qui racontait ce qui venait de se passer. Au cinéma, il n'est plus possible d'éluder l'essentiel. Court-circuiter la flagellation ou la mise en croix, par exemple, ce serait reculer devant l'épreuve décisive. Il faut représenter ces choses épouvantables «comme si on y était». Faut-il s'indigner si le résultat ne ressemble guère à un tableau préraphaélite ?

Au-delà d'un certain nombre de coups, la flagellation romaine, c'était la mort certaine, un mode d'exécution comme les autres, en somme, au même titre que la crucifixion. Mel Gibson rappelle cela dans son film. La violence de sa flagellation est d'autant plus insoutenable qu'elle est admirablement filmée, ainsi que tout le reste de l'oeuvre d'ailleurs.

 

Mel Gibson se situe dans une certaine tradition mystique face à la Passion : «Quelle goutte de sang as-tu versée pour moi ?», etc. Il se fait un devoir de se représenter les souffrances du Christ aussi précisément que possible, pas du tout pour cultiver l'esprit de vengeance contre les Juifs ou les Romains, mais pour méditer sur notre propre culpabilité.

Cette attitude n'est pas la seule possible, bien sûr, face à la Passion. Et il y aura certainement un mauvais autant qu'un bon usage de son film, mais on ne peut pas condamner l'entreprise a priori, on ne peut pas l'accuser les yeux fermés de faire de la Passion autre chose qu'elle n'est. Jamais personne, dans l'histoire du christianisme, n'avait encore essayé de représenter la Passion telle que réellement elle a dû se dérouler.

Dans la salle où j'ai vu ce film, sa projection était précédée de trois ou quatre coming attractions remplies d'une violence littéralement imbécile, ricanante, pétrie d'insinuations sado-masochistes, dépourvue de tout intérêt non seulement religieux mais aussi narratif, esthétique ou simplement humain. Comment ceux qui consomment quotidiennement ces abominations, qui les commentent, qui en parlent à leurs amis, peuvent-ils s'indigner du film de Mel Gibson ? Voilà qui dépasse mon entendement.
 

Il faut donc commencer par absoudre le film du reproche absurde «d'aller trop loin», «d'exagérer à plaisir les souffrances du Christ». Comment pourrait-on exagérer les souffrances d'un homme qui doit subir, l'un après l'autre, les deux supplices les plus terribles inventés par la cruauté romaine ?
 

Une fois reconnue la légitimité globale de l'entreprise, il est permis de regretter que Mel Gibson soit allé plus loin dans la violence que le texte évangélique ne l'exige. Il fait commencer les brutalités contre Jésus tout de suite après son arrestation, ce que les Evangiles ne suggèrent pas. Ne serait-ce que pour priver ses critiques d'un argument spécieux, le metteur en scène aurait mieux fait, je pense, de s'en tenir à l'indispensable. L'effet global serait tout aussi puissant et le film ne prêterait pas le flanc au reproche assez hypocrite de flatter le goût contemporain pour la violence.
 

D'où vient ce formidable pouvoir évocateur qu'a sur la plupart des hommes toute représentation de la Passion fidèle au texte évangélique ? Il y a tout un versant anthropologique de la description évangélique, je pense, qui n'est ni spécifiquement juif, ni spécifiquement romain, ni même spécifiquement chrétien et c'est la dimension collective de l'événement, c'est ce qui fait de lui, essentiellement, un phénomène de foule.
 

Une des choses que le Pilate de Mel Gibson dit à la foule ne figure pas dans les Evangiles mais me paraît fidèle à leur esprit : «Il y a cinq jours, vous désiriez faire de cet homme votre roi et maintenant vous voulez le tuer.» C'est une allusion à l'accueil triomphal fait à Jésus le dimanche précédent, le dimanche dit des Rameaux dans le calendrier liturgique. La foule qui fait un triomphe à Jésus ce dimanche-là est celle-là même qui hurlera à la mort cinq jours plus tard. Mel Gibson a raison, je pense, de souligner le revirement de cette foule, l'inconstance cruelle des foules, leur étrange versatilité. Toutes les foules du monde passent aisément d'un extrême à l'autre, de l'adulation passionnée à la détestation, à la destruction frénétique d'un seul et même individu. Il y a d'ailleurs un grand texte de la Bible qui ressemble beaucoup plus à la Passion évangélique qu'on ne le perçoit d'habitude, et c'est le Livre de Job. Après avoir été le chef de son peuple pendant de nombreuses années, Job est brutalement rejeté par ce même peuple qui le menace de mort par l'intermédiaire de trois porte-parole toujours désignés, assez cocassement, comme «les amis de Job».
 

Le propre d'une foule agitée, affolée, c'est de ne pas se calmer avant d'avoir assouvi son appétit de violence sur une victime dont l'identité le plus souvent ne lui importe guère. C'est ce que sait fort bien Pilate qui, en sa qualité d'administrateur, a de l'expérience en la matière. Le procurateur propose à la foule, pour commencer, de faire crucifier Barrabas à la place de Jésus. Devant l'échec de cette première manoeuvre très classique, à laquelle il recourt visiblement trop tard, Pilate fait flageller Jésus dans l'espoir de satisfaire aux moindres frais, si l'on peut dire, l'appétit de violence qui caractérise essentiellement ce type de foule.
 

Si Pilate procède ainsi, ce n'est pas parce qu'il est plus humain que les Juifs, ce n'est pas forcément non plus à cause de son épouse. L'explication la plus vraisemblable, c'est que, pour être bien noté à Rome qui se flatte de faire régner partout la pax romana, un fonctionnaire romain préférera toujours une exécution légale à une exécution imposée par la multitude.
 

D'un point de vue anthropologique, la Passion n'a rien de spécifiquement juif. C'est un phénomène de foule qui obéit aux mêmes lois que tous les phénomènes de foule. Une observation attentive en repère l'équivalent un peu partout dans les nombreux mythes fondateurs qui racontent la naissance des religions archaïques et antiques.

Presque toutes les religions, je pense, s'enracinent dans des violences collectives analogues à celles que décrivent ou suggèrent non seulement les Evangiles et le Livre de Job mais aussi les chants du Serviteur souffrant dans le deuxième Isaïe, ainsi que de nombreux psaumes. Les chrétiens et les juifs pieux, bien à tort, ont toujours refusé de réfléchir à ces ressemblances entre leurs livres sacrés et les mythes. Une comparaison attentive révèle que, au-delà de ces ressemblances et grâce à elles on peut repérer entre le mythique d'un côté et, de l'autre, le judaïque et le chrétien une différence à la fois ténue et gigantesque qui rend le judéo-chrétien incomparable sous le rapport de la vérité la plus objective. A la différence des mythes qui adoptent systématiquement le point de vue de la foule contre la victime, parce qu'ils sont conçus et racontés par les lyncheurs, et ils tiennent toujours, par conséquent, la victime pour coupable (l'incroyable combinaison de parricide et d'inceste dont OEdipe est accusé, par exemple), nos Ecritures à nous tous, les grands textes bibliques et chrétiens innocentent les victimes des mouvements de foules, et c'est bien ce que font les Evangiles dans le cas de Jésus. C'est ce que montre Mel Gibson.
 

Tandis que mythes répètent sans fin l'illusion meurtrière des foules persécutrices, toujours analogues à celles de la Passion, parce que cette illusion apaise la communauté et lui fournit l'idole autour de laquelle elle se rassemble, les plus grands textes bibliques, et finalement les Evangiles, révèlent le caractère essentiellement trompeur et criminel des phénomènes de foule sur lesquels reposent les mythologies du monde entier.
 

Il y a deux grandes attitudes à mon avis dans l'histoire humaine, il y a celle de la mythologie qui s'efforce de dissimuler la violence, car, en dernière analyse, c'est sur la violence injuste que les communautés humaines reposent. Et c'est ce que nous faisons tous si nous nous abandonnons à notre instinct. Nous essayons de recouvrir du manteau de Noé la nudité de la violence humaine. Et nous marchons à reculons s'il le faut, pour ne pas nous exposer, en regardant de trop près la violence, à sa puissance contagieuse.
 

Cette attitude est trop universelle pour être condamnée. C'est l'attitude d'ailleurs des plus grands philosophes grecs et en particulier de Platon, qui condamne Homère et tous les poètes parce qu'ils se permettent de décrire dans leurs oeuvres les violences attribuées par les mythes aux dieux de la cité. Le grand philosophe voit dans cette audacieuse révélation une source de désordre, un péril majeur pour toute la société.
 

Cette attitude est certainement l'attitude religieuse la plus répandue, la plus normale, la plus naturelle à homme et, de nos jours, elle est plus universelle que jamais, car les croyants modernisés, aussi bien les chrétiens que les juifs, l'ont au moins partiellement adoptée.
 

L'autre attitude est beaucoup plus rare et elle est même unique au monde. Elle est réservée tout entière aux grands moments de l'inspiration biblique et chrétienne. Elle consiste non pas à pudiquement dissimuler mais, au contraire, à révéler la violence dans toute son injustice et son mensonge, partout où il est possible de la repérer. C'est l'attitude du Livre de Job et c'est l'attitude des Evangiles. C'est la plus audacieuse des deux et, à mon avis, c'est la plus grande. C'est l'attitude qui nous a permis de découvrir l'innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur histoire, n'ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C'est là qu'est l'inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c'est la clef, il faut l'espérer, de leur réconciliation future. C'est la tendance héroïque à mettre la vérité au-dessus même de l'ordre social. C'est à cette aventure-là, il me semble, que le film de Mel Gibson s'efforce d'être fidèle.
 

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Commentaires de Paul Harvey à propos du film "La Passion" de Mel Gibson

http://tradition.free.fr/

Paul Harvey, 84 ans, est un présentateur bien connu de la station de radio américaine ABC. Son émission, "Nouvelles et commentaires", est reprise par 1600 autres stations dans tout le pays. Sa carrière radiophonique dure depuis soixante ans. Il est connu comme "la voix la plus écoutée de l'histoire de la radio".

Voici ce que dit Paul Harvey à propos du film " La Passion " de Mel Gibson (sorti le Mercredi des Cendres dans plusieurs pays anglo-saxons).


Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre ! J'étais inquiet d'avoir été invité à une représentation privée du film de Mel Gibson " LA PASSION ", mais j'avais aussi lu tous les commentaires très réservés et j'étais très indécis ! J'ai grandi dans une ville juive et ma foi en a été très influencée. Tout au long de ma vie, j'ai eu une aversion profonde pour tout ce qui pouvait encourager, même indirectement, toute forme de pensée, de paroles ou d'actions antisémites.

J'allai à cette projection privée de " LA PASSION ", se déroulant à Washington (dans le District de Columbia) et je saluai quelques visages familiers. L'environnement était typiquement " washingtonien ", avec des gens qui vous saluent d'un sourire, mais semblent presque absents, ayant un objectif inavoué. Le film fut présenté très brièvement, sans tambour ni trompette, puis les lumières s'éteignirent et le film commença. Depuis la première scène émouvante du Jardin de Gethsémani, en passant par le portrait si tendre et humain de la mission sur terre de Jésus, à travers la trahison, son arrestation, la flagellation, le Chemin de la Croix, la rencontre avec les deux larrons, la mort sur la Croix, jusqu'à la scène finale du tombeau désert, ce n'était pas un film comme un autre; c'était une rencontre ne ressemblant à rien de ce que j'avais pu expérimenter jusque là !

En plus d'être un chef-d'oeuvre au plan de la réalisation cinématographique mais aussi un chef-d'oeuvre artistique, " LA PASSION " m'a entraîné dans des réflexions plus profondes, plus douloureuses, plus intenses que tout ce que j'avais éprouvé jusqu'ici, y compris même mon mariage, mon ordination et la naissance de mon enfant. Franchement je ne serai plus jamais le même. Quand le film se termina, tous ces gens influents de Washington (District de Columbia) qui avaient été invités pour cette projection privée s'agitaient encore mais cette fois parce qu'ils étaient réellement saisis par l'émotion et pris de sanglots. Je ne suis pas sûr qu'il y ait alors eu une seule personne n'ayant pas les larmes aux yeux! La foule qui avait été accueillie chaleureusement avant le film était maintenant plus que silencieuse! Plus personne ne pouvait parler parce que les mots ne pouvaient exprimer ce que l'on ressentait. Nous avions expérimenté une forme d'art si exceptionnelle et qui n'arrive quasi jamais dans une vie : celle qui permet au ciel de toucher terre!

Une scène du film est maintenant gravée à tout jamais dans ma mémoire. Un Jésus, brutalisé, blessé, qui va bientôt encore retomber sous le poids de la Croix. Sa mère s'est frayé un chemin sur la Via Dolorosa. Comme elle court vers lui, elle revoit dans un " flash-back " Jésus enfant, tombant sur la route de terre à l'extérieur de leur maison. Alors qu'elle cherche à le protéger de cette chute, elle tente de toucher son visage d'adulte meurtri.

Jésus la regarde alors avec des yeux si pleins d'amour pur, une expression si sincère (et c'est comme s'il regardait chacun de nous à travers l'écran) et il dit " Voici que je fais toutes choses nouvelles".

Ces mots sont extraits du dernier livre du Nouveau Testament : le livre des Révélations. Soudainement, le sens de toute cette souffrance devenait si clair et les blessures, plus tôt dans le film qui étaient si difficiles à voir sur son visage, son dos, en fait sur tout son corps, prenaient une dimension d'une beauté si intense. Toutes ses souffrances avaient été offertes volontairement par amour.

Après la fin du film et que nous ayons eu la chance de récupérer un peu de toutes ses émotions, une période de questions et de réponses s'ensuivit.

Les éloges unanimes pour le film, venant d'une foule très disparate, furent aussi stupéfiants que les compliments étaient démonstratifs. Parmi les questions posées, inévitablement la fameuse question qui semble rattachée à ce film, même s'il n'est pas encore à l'affiche pour le grand public. "Pourquoi ce film est-il considéré par certains comme antisémite?".


Franchement, après avoir vu " LA PASSION " (mais vous vous ne l'avez pas encore vu), c'est une question à laquelle il est impossible de répondre. Un " homme de loi " pour qui j'ai beaucoup d'admiration était assis en avant de moi. Il leva la main et répondit : " Après avoir vu ce film, je ne puis comprendre comment quiconque peut insinuer qu'il est même suggéré que ce sont les juifs qui ont tué Jésus. Ce n'est pas du tout cela". Et il continua: "Ce film m'a permis de réaliser que ce sont mes péchés qui ont tué Jésus ".

Je partage cet avis. Il n'y pas une parcelle d'antisémitisme qui puisse être relevée dans ce film si puissant. S'il y en avait eu j'aurais été le premier à le clamer. Ce film raconte avec une grande foi l'histoire de l'Evangile d'une manière dramatiquement belle, sensible et avec un engagement profond. Ceux qui allèguent cela, ou bien n'ont pas été voir le film, ou bien ont un but inavoué qui expliquent leurs critiques.

Ce n'est pas un film " chrétien ", dans le sens qu'il va toucher seulement ceux qui s'identifient comme disciples du Christ. C'est une histoire profondément humaine, si belle, qui touchera profondément tous les hommes et toutes les femmes. C'est une oeuvre d'art merveilleuse. Oui, il est vrai que le producteur est un catholique et que, Dieu merci, il est resté fidèle aux textes des Evangiles; si cela n'est pas un comportement acceptable, alors nous sommes tous dans le pétrin! La vérité historique demande d'être fidèle aux sources et les Chrétiens ont le droit de le proclamer.

Après tout, nous croyons que c'est la plus grande histoire jamais racontée et que le message d'amour qui en découle est destiné à tous les hommes et à toutes les femmes. Le plus grand de tous les droits est celui d'écouter et d'entendre la vérité.

Nous serions bien avisés de nous rappeler que les textes des Evangiles auxquels "LA PASSION" est si fidèle ont été écrits par des juifs qui suivaient un autre juif dont la vie et les écrits ont changé à tout jamais l'histoire du monde. Le problème n'est pas le message mais ceux qui l'ont déformé et utilisé plus pour la haine que pour l'amour. La solution n'est pas de censurer le message, mais plutôt de promouvoir le genre de merveilleux cadeau d'amour qu'est le plus grand film de Mel Gibson "LA PASSION". Il doit être vu par le plus grand nombre possible de personnes.

J'ai l'intention de faire tout ce que je peux pour que ce soit le cas. Je suis passionné par ce film "LA PASSION".

Faites-le aussi. Ne ratez surtout pas ce film.

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Le cardinal Lustiger recommande la pratique du Chemin de Croix

 

CITE DU VATICAN, Jeudi 26 février 2004 (ZENIT.org) – Le cardinal Lustiger affirme préférer l’icône" à la "photographie" représentant un sujet religieux et à l’icône le "sacrement", le chemin de Croix que les fidèles "font" à sa représentation : le chrétien, rappelle-t-il, vit dans la dimension du "sacrement".
Lors de la rencontre de vendredi dernier 20 février avec les journalistes, lors de la visite ad limina des évêques de la région d’Île de France, le cardinal Lustiger s’est refusé à donner un point de vue sur le film de Mel Gibson "La Passion". Il précisait qu’il avait un point de vue "très personnel" sur le rapport entre les récits évangéliques et ses représentations.
Il expliquait : "Je suis très réservé sur toute théâtralisation de la Passion, même si je comprends que cela puisse se faire, et encore plus sur son expression par l’image électronique ou chimique".

"Comme Chrétiens, soulignait l’archevêque de Paris, nous vivons dans le domaine du sacrement. A chaque Eucharistie c’est tout le mystère de la Passion et de la Résurrection qui nous est donné: il ne nous est pas donné sous la forme d’un spectacle que l’on regarde, mais sous la forme d’un acte de la puissance divine qui se communique. La figuration peut-être une régression absolue. Cela touche beaucoup l’affectivité, l’imagination, mais c’est très ambigu. Je ne dis pas que cela est "mal". Je laisse la liberté à chacun, mais je préfère une icône à la photographie d’un acteur qui joue le Christ, et je préfère encore le sacrement à l’icône. Cela m’est plus utile pour la prière et je pense que c’est plus utile pour le peuple chrétien aussi".
Le cardinal évoquait l’exemple du film de Pasolini sur l’Evangile selon saint Matthieu, où il voit une "subtilité double". D’une part, expliquait le cardinal Lustiger, Pasolini a choisi de prendre "un Evangile complet, et pas une recomposition du récit". D’autre part, il utilise un "double filtre" : "Il lit la Passion à travers le regard de sa mère" et "il l’a exprimée du point de vue stylistique à travers l’iconographie picturale italienne".
Le cardinal disait reconnaître dans la "subtilité des deux filtres", le signe d’un "homme de culture catholique fine, même si on ne sait pas s’il était croyant". Le film présente "une double distance, grâce aux yeux de sa mère qui dans le film, représentait Marie au pied de la Croix, et à travers les tableaux qu’il avait contemplés dans son enfance". Il résumait : "le film était déjà supporté par toute une mémoire".


L’archevêque proposait un autre exemple dans la liturgie : "Quand j’entends des prêtres ou des diacres qui "mettent le ton" comme des acteurs, cela me gêne", avoue-t-il : "je préfère la vieille tradition liturgique catholique qui consiste au contraire à chanter sur un air codifié, comme le font les Byzantins de leur côté, et non pas à chanter comme à l’Opéra ; nous aussi nous avons une tradition, il y a un hiératisme réel du texte, il n’est pas irréel, il est réel, ce n’est pas un spectacle".
"Quand nous faisons un Chemin de Croix, que faisons-nous ? quelle est la piété du Chemin de Croix, interrogeait le cardinal, c’est que les fidèles "font" le Chemin. Ils ne s’assoient pas dans un fauteuil pour regarder quelqu’un faire le Chemin de Croix. Ils marchent. Certains même portent une croix, ce qui est tout à fait différent".
"Les arts plastiques, continuait l’archevêque, ont le mérite d’être des transpositions évidentes. Tout art plastique est une interprétation. Et donc, à ce titre, on peut aimer, ne pas aimer, y être sensible, ne pas y être sensible. Je pense que nous n’avons pas réfléchi à ce que représente notre septième art. Ce sont des problèmes terribles pour notre civilisation, indépendamment de ce film".
Il citait le festival chrétien du cinéma qui a lieu chaque année à Paris : des spécialistes sélectionnent des films pour voir comment s’exprime "une certaine profondeur humaine et spirituelle à partir de tel ou tel thème".
Le cardinal insistait sur l’importance de l’interprétation, des clefs "herméneutiques" en faisant remarquer : "Faute d’une éducation du regard, et de l’intelligence, la télévision risque d’abrutir les gens plus que de les éduquer. Il faudrait que l’outil télévisuel fasse lui-même une herméneutique, une interprétation de ce qu’il donne".

ZF04022605

SUITE du 30.03.04...

CITE DU VATICAN, Mardi 30 mars 2004 (ZENIT.org) – "La sincérité du cinéaste n'est pas en doute et le film attirera des hommes et des femmes qui cherchent peut-être à savoir qui est Jésus" : Le Comité permanent pour l'information et la communication de la conférence des évêques de France publie aujourd’hui cette prise de position sur le film "La Passion du Christ" de Mel Gibson (cf. www.cef.fr)

Communiqué

Le film "La Passion du Christ" de Mel Gibson sort en France mercredi 31 mars. Ce film a suscité dès avant sa sortie en salle, une polémique et des réactions contrastées.

La sincérité du cinéaste n'est pas en doute et le film attirera des hommes et des femmes qui cherchent peut-être à savoir qui est Jésus. Dans ce film pourtant, le visage du Christ transparaît moins que nos obsessions contemporaines : angoisse du mal, fascination pour la violence, recherche de coupables.
 

Le cinéaste, imprégné d'une certaine culture cinématographique, a choisi de mettre en images les dernières heures de la vie du Christ, avec une volonté affichée de reconstitution historique.

Ces choix ne sont pas sans conséquence :

* Le choix d'isoler la Passion de la vie et de la prédication du Christ d'une part, et des récits sur le Ressuscité d'autre part, raccourcit le message des évangiles de manière problématique. Les quelques flashes-back, trop allusifs, ne permettent pas de prendre en compte les motifs complexes qui ont peu à peu suscité l'adhésion des foules à Jésus, et la controverse sur sa personne, ses intentions, son mystère.

 

* En particulier, ce parti pris d'isoler la Passion de la prédication du Christ conduit à ne rien montrer des controverses entre Jésus et les pharisiens, les scribes et les chefs des prêtres : le film les prend à l'heure de l'arrestation et de la comparution du Christ, dans une colère démente. Ainsi, indépendamment de savoir si le film est intentionnellement antisémite, il pourrait être utilisé pour conforter des opinions antisémites.
 

* Si le film rappelle crûment l'atrocité des supplices subis et de la mort sur la croix, il le fait avec une complaisance choquante dans le spectacle de la violence. Cette violence, qui submerge le spectateur, finit par occulter le sens de la Passion et plus largement, l'essentiel de la personne et du message du Christ : l'amour porté à sa perfection dans le don de soi consenti.
 

* Cette violence extrême justifie que le film soit interdit aux moins de 12 ans. N'est-il pas paradoxal qu'un film sur Jésus ne puisse être montré à des enfants ?

Comité permanent pour l'information et la communication :

+ Mgr Jean-Michel di Falco, président du COPIC

+ Mgr Georges Pontier, vice-président de la Conférence des évêques de France

+ Mgr Thierry Brac de la Perrière

+ Mgr Jean-Charles Descubes

+ Mgr Jacques Perrier

+ Mgr Jean-Yves Riocreux

ZF04033009

 

..... et la Suite de la Suite ...

 

CITE DU VATICAN, Mercredi 31 mars 2004 (ZENIT.org)

 

Le P. Philippe Vallin, c.o., Secrétaire de la Commission Doctrinale de la conférence des évêques de France publie cette note doctrinale sur le fils de Mel Gibson, Passion, en remarquant: "ce témoignage d’un Chrétien sincère doit être pourtant soumis plus que d’autres à la vigilance des pasteurs de l’Eglise". Il en explique les motifs. Nous avons publié hier le communiqué de la commission Communication de la conférence des évêques de France.

Note doctrinale sur Passion, le film de Mel Gibson

1. Il faut saluer l’engagement personnel d’un comédien et d’un cinéaste de talent, qui met les ressources considérables de son art au service d’un témoignage de foi. Il n’y a pas de raison de douter de la sincérité de cet élan pour le Christ, le "Serviteur souffrant".


2. En même temps, aucun Chrétien n’est assuré de produire un témoignage chimiquement pur. Il serait injuste de faire le reproche à Mel Gibson de personnaliser son regard sur le Seigneur, en le mélangeant des couleurs de sa spiritualité propre. Ce film, donc, comme toutes les œuvres d’art imaginées à partir des récits des quatre évangiles, représente les mystères de Jésus selon un angle de vue, et il ne peut pas échapper aux déformations, certaines de grande portée, imposées par ses choix.


3. Ce témoignage d’un Chrétien sincère doit être pourtant soumis plus que d’autres à la vigilance des pasteurs de l’Eglise, et ceci pour deux motifs :

* Mel Gibson a réussi un film efficace, dont la prouesse technique, dans le genre d’un Gladiator, rencontrera les goûts du public habitué au cinéma, et en particulier du public des jeunes, même très peu informé des convictions chrétiennes : la violence, et ses codes actuels de représentation spectaculaire, dans le mélange qu’on en fait avec des notions sacrées, allusives ou indistinctes, correspond à des attentes très puissantes du public, mais très suspectes. Certains appellent "gothique" cet univers de sensations fortes et mêlées. Les diableries y ont une part exagérée comme tout justement dans le film de Gibson, lequel sort plusieurs fois ici de la lettre des Ecritures… Ceci dit, quel artiste chrétien peut se dispenser, au nom du geste pur d’une esthétique universelle introuvable, de correspondre en quelque façon au public tel qu’il le trouve, tel qu’il est ?

* Un film n’est pas dans notre monde le volet d’un retable caché en quelque musée de province discret : le Crucifié du retable d’Issenheim à Colmar est, lui aussi, insoutenable de violence littérale. Mais son impact suit des logiques culturelles moins "invasives" qu’un film dont le lancement est mondial.


4. Au jugement du théologien, l’option esthétique la plus périlleuse de ce film réside dans le parti pris d’isoler la passion de la prédication de Jésus, d’un premier côté, et des récits sur le Ressuscité, d’un autre côté. La littéralité de la violence revêt dans l’isolement des scènes de la Passion une brutalité presque absurde, à peine illustrée par des retours en arrière sur la vie publique du Christ, et les trois ans de sa prédication. Il est possible, non pas certain, que les millions d’Américains spectateurs du film aient quant à eux une culture biblique suffisante, pour suppléer et donc affronter le terrible manque de motifs et de raisons dans lequel l’histoire de Jésus est ici plongée dès la première scène de l’agonie.

En tout cas, pour ce qui concerne les publics français, ceux en particulier que risque de fasciner l’esthétique du film, célébrée probablement par le bouche à oreille des jeunes, il est regrettable que soient occultés tous les motifs complexes qui ont peu à peu fait monter à la fois l’adhésion des foules à Jésus, et aussi la controverse sur sa personne, ses intentions, son mystère. Les mentions du film sont ici beaucoup trop allusives, en particulier à l’adresse de spectateurs peu éclairés sur la foi chrétienne.

Or, Jésus a choqué ; ce que la théologie a pris l’habitude de nommer ses prétentions (pardonner les péchés, transgresser la lettre du sabbat en maître de l’esprit du sabbat, relativiser le fait du temple de Jérusalem etc.), a provoqué des questions légitimes parmi les Juifs ses frères. Les réponses qu’il a apportées n’étaient pas mécaniquement convaincantes et supposaient qu’un Pharisien, un centurion romain, un publicain, un lépreux, s’en remettent à son autorité inouïe par un acte de foi, renouvelé à la racine.

L’heure de la Passion ne vient qu’après de nombreuses autres heures de la vie du Christ parmi les hommes, − non parmi les brutes −, heures lourdes ou heureuses, claires et obscures, iréniques ou polémiques. Des phrases du Verbe incarné, vraie Parole de Dieu, ont longuement précédé les terribles silences de "l’agneau muet mené à l’abattoir", et elles voulaient toujours être comprises "conformément aux Ecritures". Le spectateur moins averti est exposé au risque de ne comprendre dans ces deux heures d’horrible lynchage qu’une espèce d’événement erratique, un déchaînement de violence furieuse, démente, incompréhensible en tout. Pire : il n’est pas exclu que l’attitude de Jésus soit interprétée selon les catégories ambiantes du système paradoxal de la non-violence, ou même de la structuration névrotique de la corrélation sado-masochiste. Celui qui ne se défend pas appellerait en somme sur lui-même les coups. Les évangiles, loin de ce genre de perspectives, sont très nuancés, multiples, et surtout ils sont saturés de la grande liberté du Sauveur : ils échappent tout à fait à des mécanismes aussi grossiers.

De l’autre côté, la résurrection est ici montrée, contre l’esprit des évangiles, comme un événement en solitaire et perceptible de soi, antérieur à la logique de rencontre et de témoignage des apparitions. Or, les récits d’apparition supposent la mystérieuse liaison d’amour du Ressuscité aux témoins qu’il choisit avec soin, et la communion retrouvée entre les disciples.


5. Cette option d’isolement de la Passion conduit à une autre équivoque théologique de grande portée : le péché du monde, et en face de lui, l’intention de salut et de pardon qui dirige l’existence du Fils de Dieu venu parmi les hommes, ne sont pas dans la nécessité, là encore toute mécanique, de se négocier au prix du sang. Comme si Dieu, en sa Toute-Puissance, était de toute éternité soumis à une règle souveraine qui l’oblige et le contraigne, lui aussi, le Dieu infiniment libre : l’injustice des hommes ne pourrait être compensée, corrigée, guérie que par la justice de Dieu le Père mais au prix des souffrances et de la mort du Fils.

"Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne", dit au contraire Jésus. "Nul n’a pris la vie" du Christ, encore moins une espèce de règle abstraite de compensation. C’est au contraire l’amour de Dieu et sa miséricorde qui ont représenté devant nous, pour nous convertir le cœur, la logique tueuse du péché. Logique à l’œuvre dans l’histoire de ce monde et entre nous, logique qui s’en prend même à l’Homme juste, à l’Homme bon, à l’Innocent. Alors, rejoint jusqu’à l’intime par la logique du péché de ce monde − c’est l’agonie −, le Christ Jésus va pourtant vivre et même exposer en sa mort l’extrême de son amour : sa totale liberté d’aimer va dominer la nécessité mécanique du péché.

Il n’y a plus rien ici d’aliénant, rien de calculé, rien d’abstrait : cet homme-là qui est Dieu, et lui seul, a pu nous aimer au-delà de nos péchés à l’heure incomparable, unique, inespérée de la Passion. En ce sens, il a "satisfait" suggère le Concile de Trente après saint Anselme : autre mot pour faire valoir comme M. Gibson la mystérieuse prophétie du Serviteur souffrant (Is 53).

Il ne faut pas dire que notre cinéaste soit étranger à ce mystère de la miséricorde divine. Mais la nécessité du sang réparateur est ici en grand péril de masquer la décision filiale de l’amour. Les raisons de la miséricorde ont eu chez lui moins de place pour s’expliquer que les déraisons, et même les démences du péché. Encore une fois, des Chrétiens très assurés de leur foi pourraient eux les suppléer. Mais les autres…


6. La croix que l’Eglise célèbre est celle que Jésus a demandé aux disciples de prendre sur leurs épaules pour le suivre et l’imiter. Or, le film de Gibson montre la croix inimitable, repoussante, absurde. Il semble pourtant qu’on puisse croire, avec l’Evangile de Jean, que la Mère de Dieu et "le disciple bien aimé" devant Jésus crucifié aient su dépasser dans un acte de foi abyssale l’extrême de la douleur, et qu’ils aient reçu alors d’y contempler quelque chose de l’extrême de l’amour. C’était cet amour seul qu’il faudrait imiter. Avant nous et pour toute l’Eglise, l’une et l’autre commençaient peut-être à éprouver ce que les témoins du jour de Pâques allaient communiquer à tous les Chrétiens, le mystère résumé en ce cri qu’on voudrait lancer à l’adresse de Mel Gibson : "Cette croix, nous l’avons trouvée belle !". François d’Assise, Jean de la Croix, Maximilien Kolbe n’ont pas embrassé une autre croix que celle de l’amour extrême, la croix glorieuse, la croix de vie.

A voir ce film, on se demanderait presque si les seuls disciples authentiques du Jésus de M. Gibson ne seraient pas ces candidats exotiques à l’imitation du Crucifié que la télévision nous montre chaque Vendredi Saint, entrant dans une mimétique exacte des tourments du Christ (coups, plaies, clous), mais si extérieure aux profondeurs de l’amour, et au juste si déplacée. Un indice d’équilibre nous est ici procuré par la liturgie de l’Eglise : on n’y pratique la lecture publique de la Passion qu’au Dimanche des Rameaux et au Vendredi Saint. Mais en revanche, à chaque eucharistie, la croix du Seigneur se lie à sa gloire dans la puissance du Dieu qui est amour.


7. On doit s’interdire d’instruire un procès d’intention contre l’auteur de ce film sur le sujet de l’antisémitisme. Mais il demeure vrai qu’objectivement, le parti qu’il a pris de ne rien montrer de la violence des controverses entre Jésus et les Pharisiens, les scribes, les chefs de prêtres, aboutit à cet effet de mutilation mécanique : les Juifs du Sanhédrin sont ici largement privés de l’expression des motifs, reçus de la Révélation elle-même, qu’ils avaient eus d’être au moins surpris, heurtés, contredits, par la prédication du Rabbi de Nazareth. On les prend à l’heure du procès comme à l’heure d’une colère démente, invincible et sournoise. C’est au moins mentir à la dramatique intégrale des évangiles. Or, à la différence des soudards romains, qui ne se trouveront pas d’héritiers dans la France de 2004, le peuple juif par le don de Dieu a pour lui une continuité historique irrécusable. Comment ne serait-il pas blessé à la représentation tronquée du choc que Jésus, le Médiateur d’une Alliance Nouvelle, a sciemment provoqué au milieu de ses frères par sa prétention d’accomplir ? Choc du plus grand amour, assurément ; mais celui d’entre nous qui le sait, le sait par le don de l’Esprit-Saint.

Ce film sera vu par beaucoup : puissent-ils s’approcher davantage du mystère de Jésus par les débats où ils entreront selon la sagesse de la foi, ayant laissé s’amortir en eux les turbulences de la sensibilité.

Ph. Vallin, c.o.
ZF04033110


 

 

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 ... Et la Résurrection

trouvé sur Scripta Manet

http://tradition.free.fr/citations/R.html#Ratzinger_Mgr

"En conséquence, la Résurrection ne peut pas être un événement historique dans le même sens que la Crucifixion. Elle n'est décrite en tant que telle par aucun récit, et sa réalisation n'est pas déterminée autrement que par l'expression de type eschatologique de : "le troisième jour". "

(Joseph, cardinal Ratzinger, "Les principes de la théologie catholique - Esquisse et matériaux", Collection Croire et Savoir, ed. Téqui 1985, p.208)

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France: Des jeunes font connaître le Christ à l'occasion de la sortie du film de Mel Gibson
 

ROME, mardi 30 mars 2004 (ZENIT.org) - A l'occasion de la sortie en France du film de Mel Gibson, la Passion du Christ, les membres du Forum pour la Nouvelle Evangélisation www.nouvelle-evangelisation.fr ont voulu mener une action d'évangélisation de rue afin de faire connaître la personne de Jésus-Christ par-delà les polémiques que suscite le film.
 

A partir du 31 mars un dépliant en couleurs intitulé "Qui est Jésus-christ ?" sera diffusé à 100.000 exemplaires dans toute la France, dans les gares, sur les marchés, les lycées. A partir du 31 mars également, sera ouvert un site internet www.qui-est-jesus.com afin de faire connaître le Christ et son message de manière plus complète.

ZF04033004

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Sous l'effet de "La Passion"

Présent du  30.03.2004

Dan Leach, un Américain de 21 ans, qui avait camouflé le meurtre de sa compagne enceinte en suicide, a confessé son crime, il y a quelques jours, après avoir été bouleversé par le film de Mel Gibson.

Le corps de son amie, Ashley Wilson, 19 ans, avait en effet été retrouvé pendu dans son appartement le 19 janvier dernier. Sans raison réelle de soupçonner Leach, la police avait alors conclu au suicide.

Mais, allant voir La Passion de Mel Gibson au début du mois, Leach devait en sortir transformé. Dévoré par les remords, il allait se rendre le 7 mars dans une église afin de confesser son crime, puis se constituer prisonnier dans un commissariat de Fort Bend County, au sud-ouest de Houston.

Interrogé sur la cas Dan Leach, le lieutenant de police Jim Pokluda, pas vraiment surpris, a expliqué vendredi : « La Passion est un film très fort. Il peut pousser un homme à réfléchir à deux fois à propos d'un péché qu'il a commis »... Pour cela aussi, ce film sera le bienvenu en France.


FRANCK DELÉTRAZ


 

Voir aussi :
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le pouvoir... par Machiavel, la Bible, l'Evangile ... et les autres ...

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mes résonances....

Merci de transmettre le message également au cardinal Lustiger ... si cela vous est possible.

Bien cordialement

Robert

-----Message d'origine-----

De : Zenit-Français [mailto:infofrench@zenit.org]

Envoyé : samedi 28 février 2004 13:53

À : Robert Sablong

Objet : Re: La Croix et le cardinal

Merci de votre message qui a été transmis aux journalistes de Zenit.

Cordialement,

Geneviève Sidaner

Agence ZENIT

----- Original Message -----

From: Robert Sablong

To: infofrench@zenit.org

Sent: Saturday, February 28, 2004 1:05 PM

Subject: La Croix et le cardinal

Le cardinal Lustiger recommande la pratique du Chemin de Croix" paru ce jour à la suite de la rencontre de vendredi dernier 20 février avec les journalistes.

Extraits: "..... le cardinal Lustiger s’est refusé à donner un point de vue sur le film de Mel Gibson "La Passion".". Il précisait qu’il avait un point de vue "très personnel" sur le rapport entre les récits évangéliques et ses représentations.
Il expliquait : "Je suis très réservé sur toute théâtralisation de la Passion, même si je comprends que cela puisse se faire, et encore plus sur son expression par l’image électronique ou chimique".

....

Le cardinal insistait sur l’importance de l’interprétation, des clefs "herméneutiques" en faisant remarquer : "Faute d’une éducation du regard, et de l’intelligence, la télévision risque d’abrutir les gens plus que de les éduquer. Il faudrait que l’outil télévisuel fasse lui-même une herméneutique, une interprétation de ce qu’il donne".

Ce texte me fait beaucoup de peine ....

Lors d'une conférence de presse .... le cardinal est sensé exprimer, je suppose, le point de vue .. de l'Eglise et non son point de vue personnel. ... et de plus vous reprenez cela au nom de Zenit, le monde vu de Rome....
Ne vaudrait-il pas mieux que la sortie de ce film donne à l'Eglise l'occasion de faire elle-même pour les croyants et les non-croyants , "une herméneutique " de la Passion .....de la Croix ? D'autant que cela est d'actualité !

Et plus généralement comment espérer de ceux qui abrutissent les gens ...l'éducation du regard, et de l’intelligence des gens ...de leurs fonctions de discernement ... n'est-ce pas là, la mission principale de l'Eglise en cette civilisation de l'image ?

Quel est la position de l'Eglise quant à une herméneutique au regard des philosophes contemporains ...Exemple .. René Girard ? Michel Henri ?

Remercions toutefois le cardinal ...pour nous faire éprouver un début de pratique du chemin de Croix .... assis devant un écran électronique .....
Mais sommes nous dans le vrai ?

En toute sympathie ....

Paule et Robert Sablong

NB .... je serais extrêmement heureux de pouvoir discuter et participer aux actions de l'Eglise dans l'esprit de l'éducation du regard et de l’intelligence des gens ... ces fonctions du discernement ...

à votre disposition.
Robert

 

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N'obéissez plus ... sans adhérer ...

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7 mars 2008

Le Saint-Père a nommé aujourd'hui Mgr Pascal Ide, Chef de bureau près la Congrégation pour l'éducation catholique. Le Père Ide est notamment l'auteur de Le Zygote est-il une personne humaine ? et il a écrit une belle défense du film de Mel Gibson, La Passion du Christ.

 

Réactions de Pascal IDE, prêtre et cinéphile
par webmaster

 

La Passion du Christ de Mel Gibson "Tout l’immense appareil de l’incarnation et de la rédemption n’a-t-il pas été dressé pour désentraver l’homme, pour l’empêcher de rester tombé dans l’esclavage et j’ai presque envie de dire dans l’habitude du péché originel. Car le péché était surtout devenu une immense habitude. Et l’esclavage est l’habitude pour ainsi dire la plus habituée ."
-  Après avoir vu le film de Mel Gibson, je suis resté immobile sur mon fauteuil, soulagé que le générique me permette de demeurer recueilli, soulagé aussi que mes voisins, ainsi qu’on me l’a souvent raconté depuis , ne sortent pas trop vite du silence. "Le reste est silence ." Quand on me demandait ensuite ce que j’avais pensé du film, il m’était difficile de répondre. La question était trop générale : comment donner une réponse qui vaille pour un autre ? Comment parler de ce film sans ne parler que de soi ? Je ne pense pas d’abord à la violence inimaginable. Je songe surtout à la rencontre avec Celui qui, pour un chrétien, est tout et qui lui est Tout.
-  Puis, l’inanité de certaines objections pourtant répétées, la justesse de questions profondes et difficiles, des demandes multiples m’ont invité à sortir de ma réserve. Je me suis aussi rendu compte que, paradoxalement, plus une réalité est intime, plus elle est communicable, mais en profondeur. Le Christ, être personnel par excellence, n’est-il pas aussi la seule véritable Personne universelle, lui qui, élevé de terre sur la Croix, a voulu attirer tous les hommes à lui (Jn 12,32) ? Pour moi, le film de Mel Gibson est un grand moment de cinéma, esthétique, spirituel et, j’oserais dire, théologique. Il n’en demeure pas moins imparfait, voire périlleux, comme je le dirais en son temps.
-  Après m’être affronté aux difficultés le plus souvent opposées à ce film - elles sont principalement au nombre de trois : il favorise la haine antisémite ; il n’honore pas la vérité du christianisme ; il met en scène une violence insoutenable -, je tenterai une brève relecture théologique.

1) Un film antisémite ? Cette objection se présente sous deux formes.
- Un antisémitisme intentionnel ? D’abord, le film montre à l’évidence que la responsabilité de la faute n’est en rien l’apanage d’une classe d’humanité : les juifs comme les païens, ainsi que l’affirme le début de l’épître aux Romains, sont tous coupables et sous le coup de la "colère de Dieu" (Rm 1 et 2). Et même si les premiers sont les "accusateurs" et les initiateurs, Pilate est beaucoup plus qu’un exécutant. A la violence des gardes juifs qui blessent Jésus au visage et le ligote étroitement répond la violence autrement plus sanguinaire de la chiourme impériale qui perd ici toute la superbe que certains films, très idéalisants, se sont complu à donner à la Roma æterna. Dans le même ordre d’idées, il est clairement montré que les responsables sont non le peuple juif, mais Caïphe et les (certains) grands prêtres qui, d’un côté, manipulent la foule et de l’autre, intriguent auprès des autorités romaines. "L’accusation d’antisémitisme ne tient pas", dit Patrick Jarreau dans Le Monde. "Rien, dans le film, n’affirme ou ne suggère une culpabilité collective des juifs. Ceux qui réclament la mort du Christ ne sont pas les juifs en tant que tels, mais les prêtres de Jérusalem, ou la majorité d’entre eux, et la partie du peuple qui les suit. Jamais n’apparaît, non plus, l’idée d’une faute qui descendrait le cours des générations juives ." Plus encore, se refusant à tout manichéisme, la réalisation s’attache à montrer que, dans toutes les catégories sociales, des personnes se refusent à cette ignominieuse condamnation : un des membres du Grand Conseil qu’on devine être Nicodème dénonce la forfaiture et se fait violemment exclure. Surtout, le premier responsable du mal est dénoncé tout au long du film et dès le début dans une scène riche de résonance biblique et théologique : au jardin de Gethsémani apparaît un très inquiétant personnage, androgyne, dans son visage comme dans sa voix ; alors qu’il murmure : "Comment un homme peut-il porter seul le poids du péché ?", un serpent pâle sort de sous son vêtement et s’approche de Jésus. Celui-ci tourne alors son regard vers le Ciel : "Père, tout est possible à toi", et son talon écrase la tête venimeuse. N’est-il pas signifié que le combat initié à la Genèse (Gn 3,15) atteint ici son sommet et que l’ennemi par excellence vaincu par le Nouvel Adam est, non pas l’homme, a fortiori telle catégorie d’hommes, mais l’Adversaire, étymologiquement le Satan ? Par ailleurs, dans un passage émouvant, à la fin du Chemin de Croix, Jésus croise le regard des prêtres qui l’attendent et le scrutent. Or, au même moment, l’on voit et entend Jésus prononcer les paroles de la parabole du Bon Pasteur : "Je suis le bon pasteur. Je donne ma vie pour mes brebis. Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne. J’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la reprendre." (Jn 10,11.14.17-18) Comment mieux dire qu’il offre sa vie pour ceux qui l’observent sans nulle compassion ? Comment mieux dire que si ses accusateurs veulent lui ôter la vie, Jésus y consent de tout son être, car, continue Jésus : "tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père" (Jn 10,18b) ? Or, comme l’affirme une autre parole de Jésus rappelée à un autre moment, "il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime" (Jn 15,13). C’est donc que, loin d’exclure les Juifs, loin de haïr son peuple, au moment où certains de ses représentants - et pas seulement eux - lui manifestent le plus de haine, Jésus l’aime jusqu’à l’extrême (Jn 13,1). Ces paroles sont d’autant plus notables qu’elles sont tirées d’un Evangile dont on a parfois pu dire, à tort, qu’il entretenait l’antisémitisme . Dans le même ordre d’idées, Mel Gibson a fait choix de mentionner que deux membres du Sanhédrin s’opposent à la condamnation, alors que, dans les Evangiles, il est dit que "tous" étaient contre lui. Le cinéaste a donc choisi, contre la littéralité du texte, mais bien dans son esprit et en conformité avec d’autres passages (Jn 7,50-52), d’adoucir la violence de la foule unanime dans le lynchage. Plus tard, sur la croix, Jésus répètera la prière de pardon - "Père, pardonne-leur" - d’abord destinée aux bourreaux romains, au moment où Caïphe vient l’insulter. Et celui que la tradition appelle "le bon larron" ne se trompe pas sur l’intention du Christ qui dit à Caïphe passant devant lui à dos de mulet : "Ecoutez, il prie pour vous." Dans son attitude même, Jésus invite à l’amour de tout homme. Enfin, loin d’induire un marcionisme, ce prétendu christianisme rompant les amarres avec ses origines juives, le film témoigne au contraire de la greffe de l’olivier sauvage (le païen porté par la racine) sur l’olivier franc (la racine juive) (cf. Rm 11,16-24) : depuis la citation d’Is 53,4 ("C’était nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé") qui ouvre l’histoire, jusqu’à l’emploi de la langue araméenne (alors qu’il eût été tellement plus facile et nullement choquant d’employer une langue actuelle), en passant par l’identité juive de Jésus constamment soulignée voire célébrée : "Cette Passion se révèle peut-être, contre toute attente, écrit Michel Kubler, comme le premier film où la judéité de Jésus est si bien soulignée : à plusieurs reprises, il répond par un psaume à ce qu’il doit subir, et Marie, apprenant l’arrestation de son fils, en cherche le sens avec les mots de la Haggadah, le rituel de la Pâque juive." Et le journaliste de La Croix conclut : "Il faut dire d’abord, très nettement, que celui-ci n’a rien d’antisémite […]. À aucun moment n’est suggérée une culpabilité du peuple juif comme tel dans la mort de Jésus ."
- Un antisémitisme non-intentionnel ? L’objection peut prendre une autre forme : et si, contre l’intention même de Mel Gibson, le film pouvait inciter à l’antisémitisme ? L’on touche là un point qui sera développé plus loin : une bonne intégration de l’image suppose la formation de la volonté et de l’intelligence. Quant à la volonté libre, le film ne peut susciter d’attitude antisémite que chez celui qui y est prédisposé. C’est trop donner à l’image que de croire qu’elle puisse secréter par elle-même une attitude intérieure et trop peu octroyer à la place du choix . Quant à l’intelligence, La Passion du Christ nous jette en plein procès et présuppose connues les pièces du dossier. Dans leur ignorance, les chefs de prêtres, les Pharisiens, les scribes, semblent muer par une haine aveugle, alors qu’un certain nombre agissaient en croyant être fidèles à la Révélation biblique. Voilà pourquoi, surtout face au constat que la majorité des spectateurs n’a malheureusement plus aucune connaissance des Écritures, on pourra regretter que Mel Gibson n’ait pas inséré une ou plusieurs scènes de controverse en flashback. Voilà aussi pourquoi, on le redira, un travail de formation - et déjà d’information - sera plus que nécessaire ; à moins que le film lui-même ne suscite un intérêt pour la lecture de la Bible.

2) Un film contraire à la vérité ? Cette difficulté se présente sous deux formes : le film ne respecte pas la vérité des Evangiles ; il ne respecte pas la vérité même de l’événement du salut. a) Un film irrespectueux de la vérité biblique ?
- Un manque de fidélité à l’Evangile ? Mel Gibson, dit-on, rajoute au texte scripturaire. La liste de ces additions serait fastidieuse. Notons par exemple les chutes multiples sur le Chemin de Croix, la désarticulation du bras de Jésus pour permettre l’enfoncement du clou, le crèvement des orbites du mauvais larron par le corbeau. Par ailleurs, le scénario manque à la fidélité littérale : pourquoi Pierre trahit-il, dans le palais du Sanhédrin et non pas dehors, comme le disent les Evangiles (Mt 26,69 et //) ? pourquoi la tunique du Christ est-elle déchirée, alors que l’Evangile selon saint Jean dit expressément le contraire (Jn 19,24) ? De plus, certaines interprétations manquent de crédibilité : Mel Gibson a opté pour la position du clou adoptée par la majorité des représentations plastiques, le milieu de la paume ; il a choisi de faire porter à Jésus la croix en son entier et non le seul patibulum (la barre transversale). Enfin, certaines interprétations manquent à un juste sens des Ecritures, et cela est singulièrement vrai de la Résurrection. Le principe de ces critiques selon lequel il importe que le cinéaste colle au plus près à la réalité du récit mérite l’attention. En effet, la vérité est une composante essentielle de la crédibilité. Et l’on dira plus bas que l’émotion artistique liée au spectacle n’est nullement indifférente à ce souci de fidélité. Assurément, Mel Gibson a voulu honorer la vérité des faits . Un certain nombre d’exégètes se sont inclinés devant la rigueur de la reconstitution historique et le respect des sources archéologiques . Qu’en est-il dans la réalité ? Certaines options sont discutables et peuvent être discutées à l’infini. La plus critiquable est, à mon sens, comme le note l’objection, l’interprétation qui est donnée de la Résurrection manque au moins deux réalités fortement soulignées par les Ecritures Saintes : le miracle de la sortie hors du tombeau échappe à toute vision ; les témoins arrivent lorsque la pierre est roulée ; Jésus "est vu" (ophtè), autrement dit c’est par le témoignage de ceux qui l’ont vu, singulièrement les Apôtres, que l’on sait qu’il est ressuscité. Maintenant, cela ne signifie pas que cette ultime scène, si nécessaire et si difficile à mettre en scène, soit sans mérite : sobrement, la résurrection est montré par le lent passage à la station debout (le verbe grec utilisé pour "ressusciter", égéiro, signifie aussi "se lever") ; la rupture est souligné par le corps intègre et nu, la continuité par les mains stigmatisées. Ainsi, dans une admirable inclusion, la parole d’Is 54,3 qui ouvrait le film se trouve ici réalisé dans "le premier-né d’entre les morts" (Col 1,18). On notera que les ajouts (ou les rares changements) portent sur des détails et nullement sur le cœur du texte et du message évangélique. En fait, la question la plus importante est celle-ci : ces ajouts et ces modifications sont-ils accidentels ou dictés par une intention d’ensemble ? dans le second cas, que vaut, historiquement et théologiquement, cette interprétation ? Personne ne s’est offensé que Johann Sebastian Bach ajoute au récit de l’Evangile dans les admirables chorals - sans parler des récitatifs - de la Passion selon saint Jean ou de la Passion selon saint Matthieu. Parce que ces textes, qui permettent d’entrer l’auditeur, dans le sens profond de la passion, font corps avec celle-ci. Pour ma part, j’estime que ces apports constituent une relecture unifiée, conforme à la foi catholique et riche de suggestions théologiques et spirituelles (pour autant que l’on puisse distinguer ces deux points de vue, surtout dans le cas de la Passion). C’est ce que je tenterai de montrer, très succinctement, en dernière partie de cet article. De plus, la critique d’infidélité porte plus souvent sur les scènes qui semblent surenchérir en violence, alors que d’autres scènes (par exemple avec Marie ou l’Apôtre Jean), tout autant inventées (au sens d’ajoutées) suscitent en général non pas l’opprobre, mais l’approbation. Nous sommes donc renvoyés à la question du statut de la violence filmée.

Enfin, certains ajouts sont tirés de sources étrangères dont on va maintenant traiter.
- Une inspiration étrangère à l’Evangile ? Mel Gibson l’a explicitement dit, il s’est notamment inspiré des visions de la mystique allemande Anne-Catherine Emmerich (1774-1824) ; or, celles-ci sont, au mieux, des "révélations privées" ; mêlées à l’Evangile, elles ne peuvent que brouiller la pureté de la source de notre foi qu’est la Révélation divine (qui, pour autant, ne se réduit pas à la Scriptura sola, mais est l’Ecriture lue dans la Tradition de Église et régulée par le Magistère). Je n’entrerai pas dans le débat sur le statut des révélations privées à l’égard de l’unique révélation publique . Je rappellerai seulement une distinction. Du point de vue de l’objet révélé, selon l’adage qui appelle une juste évaluation, "la Révélation est close à la mort du dernier Apôtre" ; par conséquent, nulle révélation privée ne pourra enrichir le trésor du Mystère dévoilé par le Christ d’une vérité nouvelle, et encore moins s’y substituer : la Parole de Dieu demeure toujours la source et le terme. En revanche, du point de vue du sujet croyant, ces révélations peuvent, et parfois considérablement, aider non seulement à la conversion, mais au progrès spirituel . Au nom de quoi dénier à Dieu le droit de multiplier les chemins par lesquels il veut conduire les âmes toujours plus près de lui ? Les papes, disait Jean XXIII, "se font un devoir de recommander à l’attention des fidèles - quand après mûr examen ils le jugent opportun pour le bien général - les lumières surnaturelles qu’il plaît à Dieu de dispenser librement à certaines âmes privilégiées, non pour proposer des doctrines nouvelles, mais pour guider notre conduite ." Venons-en à l’usage que le cinéaste peut faire de ces révélations dans un film sur la Passion. En fait, la question est plus générale. La seule Sainte Ecriture ne contient pas tous les éléments pour un scénario de film (ou pour la trame d’une pièce de théâtre). Elle est à la fois plus riche - aucune mise en scène ne pourra jamais en épuiser les virtualités - et plus pauvre - quantité de détails sont passés sous silence, et comment pourrait-il en être autrement ? Toute représentation filmée de la Passion est donc nécessairement une interprétation . Le cinéaste américain Brian de Palma disait lors d’une interview que, quelle que soit la précision du script, le photographe, le cinéaste passe son temps à faire des choix, y compris et à commencer pour les détails les plus anodins : doit-on mettre des chaises de sky rouge ou de sky noir ? Or, ces choix sont commandés par une certaine vision, souvent non raisonnée, inconsciente . Inversement, plus la décision est consciente, plus elle est libre et donc plus intégré sera le scénario. Un film sur la Passion ne peut se soustraire à cette loi générale. Même le cinéaste qui s’est voulu le plus littéraliste comme Pasolini dans son Evangile selon saint Matthieu , a bien dû rédiger un scénario, faire des découpages, choisir tel lieu, tel vêtement, tel personnage, etc., bref, en permanence, ajouter, sinon au texte, voire aux gestes, du moins aux éléments qui composent obigatoirement un récit en images. La question devient alors : puisque les Ecritures ne peuvent m’aider, à quelle source puiser les représentations, les images que je vais montrer de la Passion ? Le choix est, on le comprend désormais, laissé au choix du cinéaste. Mais, c’est ce que l’objection, dont on a dénoncé le fond littéraliste, voire historiciste, néglige, il est nécessaire. Dès lors, la question est : à quelle source puiser ? Mel Gibson avait le choix entre mieux cerner la réalité historique de la Passion, se laisser aller à sa seule inspiration, ou s’inspirer d’une mystique ayant transcrit en visions. Mais la seule approche archéologique, si précise soit-elle, d’une part laisse dans l’ombre quantités de détails que le cinéaste doit trancher, d’autre part, en reste à une perspective humaine qui est inadéquate, à elle seule, au Mystère. Valait-il mieux se fier à son intuition ou à celle d’une personne qui a passionnément aimé le Christ ? Mel Gibson a conjugué les trois sources. b) Un film irrespectueux de la vérité de l’événement ? Cette objection mérite qu’on s’y arrête avec attention. Elle touche le cœur même de notre foi.
- Une représentation tronquée ? Mel Gibson n’a filmé que les douze ou dix-huit dernières heures de la vie du Christ et la Résurrection est à peine évoquée ; or, cette existence ne fait sens qu’en totalité ; amputé de la vie cachée, de la vie publique et de son ouverture à la vie supra-mondaine, elle perd en vérité, donc en puissance d’évangélisation, ce qu’elle perd en totalité. Ce qui est partiel devient, ici, partial. Là encore cette objection me paraît entamer un mauvais procès. D’abord, Mel Gibson ne trompe pas son public : le titre - "The Passion of Christ" - couvre exactement le sujet traité. Ensuite, les flashback embrassent autant la vie cachée du Christ à Nazareth que sa vie publique. Enfin, de même que le Christ est tout entier dans chaque hostie et chaque parcelle d’hostie, de même la totalité de son mystère se donne à voir à chaque moment de son existence, mais plus encore à cette Heure pour laquelle il est venu, c’est-à-dire la Passion. L’eunuque de la reine Candas n’est-il pas bouleversé par le récit du Serviteur souffrant sans encore connaître la vie de Jésus (Ac 8,26-40) et encore moins sa résurrection ?
- Oser répéter l’unique ? Le Christ est le Révélateur du Dieu invisible (Jn 1,18). Or, unique et irrépétable est la figure du Christ : seul celui que le Père a choisi peut le traduire sans le trahir. Dieu, dans son libre et amoureux dessein d’amour a choisi de se donner à voir, entendre et toucher (1 Jn 1,1) dans le Fils unique incarné en Jésus : "Qui m’a vu, a vu le Père." (Jn 14,6) Voilià pourquoi nul film sur le Christ ne peut pleinement respecter son mystère. Un signe n’en est-il pas que tout acteur jouant Jésus déçoit, tout film qui prétend nous raconter la vie de Jésus, même s’il ne crée pas un scandale, demeure en-deçà des attentes et suscite des polémiques sans fin. En ce domaine, une certaine retenue, voire ascèse invite à en rester à la pure source des Ecritures relue en Église. L’unicité de l’événement de l’Incarnation introduit donc un interdit : celui de répéter, de se représenter. En outre, pas plus qu’il ne s’agit de sombrer dans une gnose déniant au mystère insondable du Dieu vivant le droit de sortir de son silence pour se dire dans une forme finie, pas plus ne s’agit-il de cantonner sa présence à la seule existence historique de Jésus, sous Ponce Pilate et sur la terre de Galilée. Mais là encore, laissons à Dieu l’initiative de choisir la manière dont il veut demeurer présent parmi nous (Mt 28,20), à savoir sa Parole et ses sacrements. Or, la Parole n’est pas un reportage sur la vita Christi ni le sacrement une pure et simple répétition des gestes du Christ. Cette critique ne réveille-t-elle pas la querelle de l’iconoclasme ? Combien de personnes, et notamment de Saints, se sont convertis ou ont été profondément touchés en contemplant un tableau, une icône du Christ en Croix. Qui ne sait que saint François d’Assise dit s’être converti face au Christ crucifié de l’église de Saint Damien et sainte Thérèse d’Avila en contemplant un Christ aux outrages (autrement dit flagellé et conspué). On sait que le thème de fresque le plus souvent peint par Fra Angelico dans les cellules de ses frères du Couvent de San Marco, à Florence, est celui de la Crucifixion. On fera valoir qu’il existe une différence entre l’icône et l’image, a fortiori le type d’image qu’est le cinéma. Interroger cette différence reviendrait à élaborer une théologie de l’image qui manque aujourd’hui cruellement. Toutefois, même "dans un monde où l’image abonde et où son rapport au réel se défait ", le principe basilien sur lequel s’est fondé le second Concile de Nicée pour défendre l’iconodulie - "L’honneur rendu à l’image s’en va au modèle original " - demeure véridique en son fond et s’applique à la représentation, que celle-ci soit ou non une icône. Pour actualiser ce point, je m’aiderai d’un écrit trop peu connu fait par l’un de nos plus grands penseurs chrétiens contemporains, Maurice Blondel. A trois reprises, en 1890, en 1900 et en 1910, le philosophe français a assisté à la représentation du "Mystère de la Passion" donnée par les habitants du village d’Oberammergau, en Haute-Bavière ; il en fit une brève étude d’"esthétique religieuse" publiée dans La Quinzaine en 1900, texte qu’il complèta et édita sous forme de brochure en 1910 . Quand il assiste la première fois au spectacle de la Passion, il ressent une "appréhension" et se formule des objections qui ressemblent étrangement à celles que suscite le film de Mel Gibson : "D’une part, en effet, il me semblait que l’immense attente serait presque inévitablement déçue, que la moindre imperfection dans le jeu des acteurs deviendrait insupportable, que la plus légère apparence d’artifice théâtral et de recherche plastique risquerait de répugner, que toute addition au texte sacré et tout arrangement choquerait les âmes croyantes ou respectueuses comme une profanation sacrilège. D’autre part, le récit évangélique, que ranime la méditation solitaire ou le pieux commentaire de la prédication, résisterait-il à la lumière crue, aux exigences logiques, à la psychologie collective, à l’optique impitoyable du théâtre ?" Bref, comment oser rapprocher le verbe et le substantif : "jouer la Passion " ? Or Maurice Blondel constate à son grand étonnement que toutes "ces difficultés, en apparence si insurmontables, s’évanouissent comme par enchantement " quand il voit la représentation. Mettre en scène la Passion est possible ; plus encore, ce Mystère est "bienfaisant et fécond ". Possible. En effet, "l’art n’est pas un simple délassement, un caprice de la fantaisie" ; et si l’on peut penser cela du théâtre, combien le pense-t-on encore davantage du cinéma. En sa vérité, "l’art tient aux racines les plus intimes du cœur". Or, "la Passion, c’est à la fois le Drame par excellence et c’est notre drame à nous ; elle est tout ensemble quelque chose de vraiment universel et quelque chose d’ineffablement intime et singulier." Par conséquent, "l’objet qu’on nous présente en spectacle à Oberammergau répond avec une incomparable précision aux exigences de l’art, sans perdre son caractère surnaturel ." Plus proche de nous, le théologien suisse Hans Urs von Balthasar, dans les cinq gros volumes de sa Dramatique divine, montrera que l’on peut penser l’action de Dieu vis-à-vis de l’homme, action qui culmine à la Croix, comme un drame où il retrouve, transposés et accomplis, tous les éléments du théâtre humain . Bienfaisant et fécond. Une première raison, pour être générale, est décisive : "le propre de la vérité chrétienne, c’est d’être incarnée ; pas une affirmation dogmatique qui ne soit d’abord acte et vie ". En effet, en 1904, Blondel a écrit le texte capital, Histoire et dogme, en vue d’éclairer les discussions suscitées par la crise modernites et notamment par l’œuvre d’Alfred Loisy. Ainsi, dit-il, "l’histoire vivante ne se mesure point uniquement aux textes, là surtout où la vérité spirituelle dépasse tous les moyens positifs d’information chez les témoins eux-mêmes, eussent-ils été des professionnels de l’érudition et de la critique. Il y a une vérification d’un autre ordre, qui ne supplée pas au reste, mais à laquelle rien ne supplée. Et c’est une forme de cette expérimentation métaphysique et psychologique qui s’offre à nous à Oberammergau, dans l’optique grossissante du théâtre populaire ." Dans la conclusion, Blondel fulminera contre les critiques modernistes des "intellectuels d’outre-Rhin" et demande que "les braves gens […] nous préservent de la théologie abstraite, plus préjudiciable encore aux intérêts suprêmes de la vie chrétienne, que "la science des règles" ne peut l’être à la fécondité de l’art ." Que l’on ne se trompe pas : Blondel oppose non pas la vérité du bon sens paysan à l’intellectualisme cérébral, mais, rendant ainsi hommage à l’intelligence au service de laquelle il a dédié sa vie, deux régimes de la pensée : l’une, pneumatique, qui honore l’intégralité de la réalité concrète et l’autre, noétique, qui l’ampute abstraitement . Or, cette séparation du Jésus historique et du Christ de la foi, qui est au cœur de la crise moderniste, loin d’être datée, est toujours d’actualité. Un ouvrage tout récent l’atteste . Et il n’est pas impossible que certaines résistances profondes contre le film viennent d’un refus a priori de toute représentation d’un Jésus historique au nom du principe selon lequel seul importe le Christ de la foi. De ce dualisme au "docétisme sotériologique" qu’atteste le texte suivant, il n’y a qu’un pas : "Jésus de Nazareth […] n’a que peu souffert". Il "a passé moins de 24 heures dans un poste de police, où il a été passé à tabac entre les transferts d’un local judiciaire ou administratif à un autre. Il a connu, ainsi que dans son transfert sur le lieu de l’éxécution, le mélange de coups, d’insultes et de moqueries que connaissent les clients de toutes les polices du monde […]. Il fallut même abréger la durée du supplice pour que tout soit fini avant la grande fête religieuse locale. Il a eu somme toute beaucoup de chance […]. C’est peu respecter ton Seigneur que de penser qu’il prétendrait avoir souffert plus que toi […] sous prétexte qu’il était [sic pour l’imparfait !] Dieu. Or ceci est absurde ." Il y a différentes manières de "réduire à néant la croix du Christ" (1 Co 1,17) et le réductionnisme grinçant de l’auteur de ces lignes n’est pas le moins périlleux. On sait aussi que l’on a pu préférer ou qu’on préfère encore parfois la croix (sans crucifié représenté) au crucifix ; or, le signe du chrétien est celui-ci et non celle-là . Le philosophe français analyse ensuite les différentes raisons pour lesquelles ce Mystère produit un tel effet sur l’âme. Il en dénombre six : les tableaux vivants, le chœur qui commente et livre les intentions, le personnage du Christ, la participation des acteurs ; la coopération des spectateurs et la collaboration de la nature. Je ne retiendrai que la troisième et la quatrième raisons qui sont étroitement unies. Blondel souligne volontiers la vie spirituelle et intérieure des interprètes : Rosa Lang qui joue Marie en 1890 s’est "préparée à son rôle en soignant les malades du village" et "la pièce finie, est partie pour le couvent" ; plus généralement, depuis l’enfance, chaque habitant du village qui jouera un rôle dans la pièce "a grandi dans l’attente du rôle inconnu qui lui sera confié" et "il s’y prépare avec une ferveur de tout son être ". Ce qui vaut pour le théâtre vaut aussi pour le cinéma. Si l’admirable "biographie" de Gandhi que nous a proposée le film de Richard Attenborough en 1980 fut un succès mérité aussi salué, cela tient avant tout à la performance de l’acteur Ben Kingsley dont on sait que, pendant des mois, il épousa de l’intérieur la manière de vivre et la spiritualité du Mahatma. Mais qui peut prétendre imiter le Christ, demandera-t-on ? C’est à la fois infiniment plus difficile et infiniment plus facile que de jouer le rôle de Gandhi. Car la grâce est, au sens le plus rigoureux, christoconformante , elle fait du chrétien un alter Christus qui peut dire en vérité, à la suite de saint Paul, cette parole follement audacieuse : "Ce n’est plus moi mais le Christ qui vit en moi." (Ga 2,20) Or, l’on sait combien l’équipe du film, sous la direction de Mel Gibson, a travaillé dans un véritable climat spirituel, combien Jim Caviezel a tenu à vivre son rôle dans un esprit de prière, demandant que la messe soit célébrée quotidiennement . On pourra objecter que toutes ces remarques de Blondel valent pour une représentation théâtrale. S’appliquent-elles à ce type de spectacle spécifique qu’est le cinéma ? Et notamment à ce qui le caractérise en propre, à savoir l’image-temps et l’image-mouvement ? Ce sujet mériterait un développement qu’il n’y a pas la place et que je n’ai pas la compétence de faire. Je ferais simplement appel à un argument d’autorité. Balthasar dit un moment que s’il a choisi le théâtre et non le cinéma comme paradigme pour élaborer sa Theodramatik, c’est parce que le cinéma ne présente pas la puissance dramatique du théâtre . Par conséquent, les objections portées contre la capacité qu’a le cinéma de représenter le drame de la Passion devrait valoir a fortiori contre le théâtre.
- Un manque d’intériorité ? Certains ont pu reprocher au film son absence d’intériorité : hors scène admirable de densité et d’intériorité contenue au jardin des Oliviers, la musique omniprésente, le bruit permanent, la succession de scènes violentes continuelles dénuées de toute pause, l’absence de représentation du combat spirituel du Christ, tout contribue à projeter le spectateur hors de lui-même ; or, l’on sait que seul le silence permet l’entrée en soi-même - a fortiori la conversion intérieure (cf. Lc 15,17). En privilégiant un spectaculaire centrifuge - que d’aucuns qualifieront, non sans simplisme, d’hollywoodien voire d’américain -, Mel Gibson ne manque-t-il pas son objectif qui est de toucher les cœurs voire d’évangéliser ? La demande, plus encore le besoin, d’appropriation est ô combien légitime. On le notait au début : un signe de la nécessité de ce travail d’intériorisation est que le public qui rentre bavard demeure sans parole lors du générique final et émerge comme difficilement de son silence en sortant de la salle. Mais, tout d’abord, l’objection tend à virtualiser une réalité qui résiste : à l’invasion de la bande-son caractéristique la civilisation méditerranéenne, s’ajoute une foule dont la furie fait régresser sa parole en vociférations animales. Que l’on puisse faire valoir que plus bruyant que les hurlements féroces est le silence profondément impressionnant de Jésus alors que les coups sans nombre pleuvent sur lui, que les scènes de violence sont en permanence entrecoupées de retours en arrière mais de plans filmant - souvent au ralenti, ce qui brouille le son - les visages des spectateurs, montre assez le caractère aléatoire ou plutôt subjectif de l’objection. En effet, enfin, les besoins d’intériorité sont divers - et donc diversement évalués - selon les spectateurs : pour certains, il doit avoir lieu pendant le film, pour d’autres, il peut n’avoir lieu qu’après. Plus encore, le montage a pensé l’alternance des scènes présentes, souvent violentes, et les scènes passées qui non seulement sont apaisantes mais livrent la signification spirituelle et donc permettent de passer des sens au sens : "Plus les scènes sont brutales, note le Père Rosica, plus puissantes se font les retours sur l’enseignement de Jésus au Mont des Béatitudes, Jésus s’identifiant au Bon Pasteur, Jésus offrant sa vie dans le pain et le vin de la Dernière Cène ." 3) Un film "gore" ? Un bon nombre de personnes sont surtout arrêtées par cette dernière difficulté : "Je crains que le film soit trop violent" ; "Je suis confronté tous les jours à la souffrance des personnes que je croise et dont je m’occupe ; ce serait trop". Certains disent avoir fait des cauchemars après le visionnement du film. A ces craintes s’ajoutent une objection : oubliant la sobriété du texte évangélique, le héros de la trilogie Mad Max ne sacrifie-t-il pas au spectaculaire, voire ne nourrit-il pas une fascination très ambiguë pour la violence ? a) Une objection : Alors que l’Evangile se contente d’une simple phrase : "Pilate prit alors Jésus et le fit flageller" (Jn 19,1 ; cf. Mt 27,26 et Mc 15,15), le réalisateur nous inflige douze minutes d’une effroyable boucherie. Et, mutatis mutandis, on pourrait dire la même chose du Chemin de croix. Deux remarques préliminaires. Tout d’abord, on sait que la violence subie par le Christ fut bien plus terrible que ce qui est ici montrée et que tout ce qu’on pourra en filmer. Mel Gibson a lui-même limité le nombre de coups de fouet ; comparé au Crucifié du linceul de Turin qui fut frappé cent-vingt fois, Jésus reçoit dans le film "seulement" quatre-ving coups de fouet. A l’accusation de violence gratuite, le correspondant du journal Le Monde à Washington, Patrick Jarreau, répond : "On observera que la mise à mort de Jésus, telle qu’elle est décrite pas les Evangiles, n’a rien d’aimable. Les procédés employés par Gibson pour montrer la haine qui se déchaîne et les souffrances subies sont légitimes. La représentation qu’il en donne peut être jugée trop littérale, mais aucune image de son film ne dénote une complaisance perverse dans la peinture de la douleur ." Ensuite, après avoir entendu telle ou telle réaction, il n’est pas inutile, pour prendre du recul, d’expliquer que la peau que nous voyons est une fausse peau revêtue par l’acteur chaque matin avant le tournage. La question demeure : le film est-il impudique ? suscite-t-il le voyeurisme ? Pour y répondre, je m’aiderai de l’analyse que le chroniqueur d’Études, Jean Collet, propose d’une scène du film de John Ford, La charge héroïque, dont il dit qu’elle est "la scène de violence sans doute la plus remarquable de l’œuvre de Ford ". Le capitaine Nathan (John Wayne), accompagné de deux jeunes officiers, le lieutenant Cohill et le sous-lieutenant Pennell, surprend la rencontre d’un trafiquant d’armes, Rynders, et d’un chef indien. Celui-ci, devant le mépris affiché par l’odieux trafiquant, lui décoche une flèche en plein cœur et les hommes de Rynders, tentant de fuir, sont pris par les Indiens et jetés dans le feu. Quelle mort atroce ! Pourtant, Ford traite la scène avec pudeur. Comment ? 1. Les plans sont brefs (depuis le meurtre de Rynders jusqu’au départ des trois soldats, la séquence dure 1 minute 30), peu nombreux (trois au total) et composent une image floue (le feu en premier plan éblouit ; les mouvements trop rapides des personnages et leur nombre empêchent d’apercevoir précisément les gestes). 2. On voit surtout la scène à travers le regard des trois hommes. 3. Et ces hommes, loin de pactiser avec la violence du châtiment légitime dans son principe (Rynders est l’un des responsables d’une guerre cruelle), sont écœurés : le Capitaine Nathan lui-même, militaire aguerri, demande du tabac pour chiquer. Et Jean Collet de louer cette leçon de cinéma qui se refuse à "dissocier l’esthétique et l’éthique" : "la violence n’est pas donnée en spectacle […]. Là où il est si tentant de produire la fascination de la violence et l’escalade de la haine. Je ne vois pas d’autre manière morale de mettre en scène la violence au cinéma. […] On ne peut filmer la violence qu’à travers un regard humain" qui "compatit avec la victime." N’est-ce pas justement ce que fait Mel Gibson ? 1. Certes, la représentation de flagellation et le chemin de croix est longue pour des raisons que je tenterai d’expliquer plus bas, mais une étude précise des plans montrerait que ceux-ci sont souvent brefs et ne s’attardent pas sur le corps déchiré de Jésus ; jamais un cadrage ne m’a paru gratuit ou complaisant. Le Ecce homo n’évoque-t-il pas la vision qu’eut Thérèse d’Avila ? 2. La caméra filme plus souvent les spectateurs ou les bourreaux que le corps martyrisé. 3. Enfin, les spectateurs éprouvent de la compassion face à l’insupportable, et celle-ci prend différentes formes : le plus souvent les pleurs (ceux de Marie avant même que Jésus soit déchiqueté par le fouet ; sanglot de Marie-Madeleine pendant la flagellation ; larmes de Jean après), mais aussi le détournement de tête ou le départ (un certain nombre de grands prêtres ne restent pas après la première série de coups de fouet), le tremblement des mains (celui du jeune homme qui tend le récipient avec lequel Pilate se lave les mains). Plus encore, et ceci constitue un apport supplémentaire par rapport au film de John Ford, le regard d’un certain nombre d’observateurs (autant juifs que romains) évolue, se convertit, pourrait-on dire : il passe de la fascination (pire, de la haine) à la stupéfaction, voire à la pitié. Cette rédemption du regard, "lampe du corps" (Mt 6,22), symbolise celle de la personne. Elle épouse la conversion décrite par le quatrième chant du Serviteur : en effet, les foules passent de l’accusation - "nous le considérions comme puni, frappé par Dieu" - à la conviction - "ce sont nos souffrances qu’il portait" (Is 53,4). Or, c’est par la médiation de la vision du Serviteur que s’opère ce changement tout intérieur : "les multitudes avaient été saisies d’épouvante à sa vue […] devant lui des rois resteront boueche close, pour avoir vu ce qui ne leur avait pas été raconté" (Is 52,14-15) La passion du Christ met en place trois autres protections contre le voyeurisme que je ne ferai qu’évoquer : 1. Même déparé, le corps silencieux de Jésus garde une profonde majesté et se trouve enveloppé de mystère. 2. Bien des plans sont inspirés par les artistes les plus prestigieux, comme Matthias Grünewald, Le Tintoret, Le Greco, etc., voire empruntés à des chefs d’œuvres incontestés de l’art plastique, notamment pictural chrétien. 3. Si Nathan et les deux officiers demeurent des témoins horrifiés qui se refusent au voyeurisme, ils ne nous disent pas comment ils vivront par la suite cette violence ; en regard, et la synthèse reviendra sur ce point capital, avec la figure de Marie, mais aussi avec celle, discrète mais très présente de l’apôtre Jean, il nous est montré comment accueillir et vivre l’insoutenable. b) Les craintes :
- Ma relation personnelle à la souffrance en général : Quand j’étais en paroisse, une expérience m’avait frappé : des paroissiens offraient un déjeuner à des personnes démunies ; un jour, l’idée vint de leur proposer une sorte de ciné-club. Ingénument, j’imaginais qu’elles auraient aimé des films actuels, ceux qui sortaient sur les écrans et qu’ils n’avaient pas vu, et des films d’aventures, qui ne vont jamais sans quelques coups de poing et de révolver. Or, la réponse fut unanime : "Aujourd’hui, les films sont trop violents. Nous voulons des films d’amour, des films qui se terminent bien, où les personnages sont gentils les uns avec les autres." Sous-entendu : ne redoublez pas la violence que je vis tous les jours avec celle des autres. La relation à la violence est éminemment subjective. Un signe : à la sortie du film de Mel Gibson, si chacun s’entend pour dire qu’il a visionné des images violentes, certains n’en seront pas affectés (au moins consciemment), d’autres si ; et parmi ces derniers, tel dira avoir été heurté par tel moment de la flagellation, un autre avoir pleuré quand la croix est sauvagement retournée, etc. Le vécu de la violence est donc éminemment divers, car éminemment personnel : la violence ressentie est une interaction entre le spectacle et notre histoire ; or, cette histoire met en jeu notre caractère, notre héritage, notre culture et notre liberté . Pour autant, les mécanismes en jeu ne sont pas sans présenter des points communs. Je ne dis pas que le film n’est qu’un test projectif, que le film de violence est seulement un film qui me fait violence. Mais la question des critères objectifs de violence fut abordée dans le paragraphe précédent. L’image éveille avant tout des émotions, des sentiments. Comme tout sentiment, la crainte demande à être écoutée et respectée ; comme tout sentiment aussi, d’une part elle constitue une expression de mon intériorité qui demande à être interprétée par l’intelligence et, d’autre part, elle constitue une force, une affection qui demande à être intégrée par la volonté. Dit autrement, le sentiment n’est pas une "chose" indépendante à adorer ou à mépriser-occulter, mais une richesse à accueillir comme mesure de notre vérité intérieure et à mesurer à notre bien personnel. Dans un des rares ouvrages consacrés aux relations entre la violence et la télévision , le psychanalyste Serge Tisseron renvoie dos à dos les deux interprétations classiques. La thèse de l’influence immédiate estime que la vision d’images violentes engendre directement, à plus ou moins long terme des comportements de même nature. Pourtant, pour le dire de manière abrupte, chacun a fait l’expérience d’avoir vu des films de gangster ou des westerns sans, pour autant, avoir acheté un révolver à la sortie. Par réaction, la thèse de l’absence d’influence avance qu’il faut totalement dissocier la représentation des scènes violentes de leur accomplissement. Mais si le monde des images n’exerçait aucune influence sur nos comportements, pourquoi le budget annuel de la publicité serait-il, en France, de l’ordre des 10 milliards d’euro ? Le défaut de chacune de ces visions est une notion fausse de la "boîte noire", je veux dire de notre intériorité. Dans le premier cas, elle suppose qu’entre le stimulus qu’est l’image cinématographique (ou télévisée) et la réponse, il n’y a rien. Dans le second cas, imagination et esprit, images et liberté agissante ne communiquent pas, voire ne peuvent communiquer. Le premier schéma, moniste, nous animalise ; le second, dualiste, nous angélise. La vérité est autrement complexe. Pour faire court, l’image de la violence m’invite à un triple travail : a) en amont, un travail de relecture : qu’est-ce qui, dans mon histoire, explique l’attrait ou le besoin d’images de violence ou, inversement, la répulsion démesurée à leur égard ? Serge Tisseron a constaté que, contrairement à une idée courante, les enfants grands consommateurs de BD qu’il avait en thérapie "ne regardent pas les images de violence - notamment sexuelle - parce qu’ils cherchent des modèles à imiter, mais au contraire parce qu’ils cherchent à se donner des représentations qui leur font défaut ." Une trop grande sensibilité à la violence me parle non pas seulement du spectacle présent, mais de mon histoire passée qui se rejoue . Une trop grande anesthésie face à une violence réelle me parle tout autant d’un besoin de protection et de mise à distance de ce que je ressens comme insupportable. b) à même l’image, un travail d’interprétation et de discernement : quels moyens le film met-il à ma disposition pour comprendre d’où vient la violence filmée ? quelle évaluation de cette violence le scénario propose-t-il ? c) en aval, un travail de décision et d’intégration : quels moyens sont à ma disposition pour "assimiler" la violence, par quels filtres passent les images : la parole ou seulement l’action (donc le rejeu, plus ou moins symbolisé) ? au-delà de la prime émotion, quelle attitude décidé-je d’adopter face à la violence : la fascination (voire la répétition), la fuite, le rejet, etc. ? Cette brève analyse montre que nous ne sommes pas démunis face aux images violentes. Il en découle quelques critères de discernement :
- Trop jeune, dénuée de vie intérieure, une personne risque de s’identifier à une image de violence et manque de recul pour l’assimiler.
- Trop blessée par une histoire douloureuse, par des images encore très présentes de violence subie, par elle ou par des proches, le spectateur manquera aussi de capacité à se distancier.
- Trop fascinée par des films de violence, incapable de voir un film n’engendrant pas de sensations fortes, la personne gagnera à interroger les raisons d’un besoin qui peut aller jusqu’à la dépendance et sur la nécessité intérieure à laquelle répond cette saturation d’images "dopées à l’adrénaline".
- Plus le visionnement d’images "gothiques" est suivi d’une mise en mots, plus aisé et enrichissant est le travail d’intégration.
- Plus la violence est expliquée, compréhensible, moins elle fascine.
- Plus l’image violente est porteuse d’un jugement éthique humanisant, plus elle peut être intégrée. Cette grille d’analyse montre que l’on ne peut répondre à la place d’autrui à la question : le film ne va-t-il pas induire un rejet, une mésinterprétation du message évangélique ou un surcroît de violence ? Mais, assurément, l’absence de culture biblique de la majorité du public, donc l’ignorance du sens de la souffrance de Jésus, l’actuelle fascination et demande pour les films sur-violents, etc., ne favorisent pas une juste compréhension et une assimilation constructive des images de la Passion du Christ, même si le film porte avec lui un sens juste de la violence subie par le Sauveur. Aussi un prosélytisme qui pousserait systématiquement autrui à voir le film est-il contraire non seulement au respect de la liberté, mais à la logique de la juste relation à l’image. Cette analyse invite aussi à une vigilance pastorale particulière et, si c’est possible, à un accompagnement, une formation. Certains chrétiens me demandent parfois : "Faut-il voir le film ?" Hormis le critère éthique évident selon lequel on ne peut bien parler d’un tel film que si on l’a vu (un film, surtout ce film, ce sont d’abord des images et une image ne peut se restituer en mots), les explications précédentes montrent donc que je ne peux répondre à cette question. La seule réponse est personnelle, comme l’est notre relation à l’identité du Christ, à sa vie et à la violence.
- Ma relation personnelle à la souffrance du Christ : Cette première analyse n’est pas suffisante. Car ce n’est pas n’importe quelle violence qui m’est montrée, mais la violence faite à Jésus, faite à celui qui, pour le chrétien, est le centre de sa vie. Si déjà la violence faite à autrui ou à soi peut retentir jusqu’au plus profond de notre cœur, combien plus l’injuste souffrance qui frappe Celui qui a donné sa vie, alors que nous étions pécheurs (cf. Rm 5,8). A ce sujet, je dirai la chose suivante. Il y a une

pédagogie divine. Même s’il n’y a pas de foi sans adhésion à l’intégralité du Credo, c’est par tout un chemin que Dieu nous révèle progressivement le contenu de notre foi, que celle-ci peu à peu se fait chair. S’il n’y a pas de gradualité dans la foi (objective, la fides qua, autrement dit le Credo), la foi (subjective, la fides quæ, autrement dit la vertu théologale), en revanche, elle, est graduelle : comme toute vertu, elle est appelée à croître, et, comme théologale, à grandir sans mesure. Il y a un temps pour découvrir l’existence de Dieu qui n’est qu’amour miséricordieux, sa proximité, son absence de toute compromission avec toute violence. Mais il y a un temps où le fidèle du Christ est confronté à ce que son Sauveur a vécu à la Passion ; nous ne pouvons indéfiniment ajourner le moment où nous disons avec Paul : "Il m’a aimé et s’est livré pour moi." (Ga 2,20) Je ne peux contourner cette vérité : cette souffrance inouïe, Jésus l’a vécue pour moi. On sait combien, pour tous les Saints, cette Heure, qui était le but vers lequel tendait toute la vie de Jésus, est aussi devenue pour eux leur Heure. Or, face au drame du Christ et l’émotion intense qu’il suscite en nous, note Maurice Blondel, "nous ne nous bornons pas à voir les choses se faire ; nous imaginons que nous les faisons nous-mêmes. […] On sait bien, sans doute, que ce n’est pas le christ qui est là ; et pourtant l’on sent, comme on ne l’avait jamais fait, qu’on aurait pu se rencontrer ainsi avec lui. […] Sommes-nous assurés de n’avoir de la pusillanimité de Pierre, […] rien des routines, des étroitesses et des ambitions pharisaïques, rien de l’aveugle grossièreté des soldats ? Tous les rôles, nous les prenons nous-mêmes ." Et c’est la vision, la perception, non la narration, des souffrances du Serviteur qui décide de la conversion radicale des nations (Is 53,4). On ne pense pas sans image . On ne prie pas non plus sans image . Max Scheler a noté avec force le lien existant entre les affects et les valeurs. Quiconque médite la Passion, fait le Chemin de Croix en a une représentation, éprouve des émotions. Images et sentiments, loin d’être accessoires ou simplement adjuvants, permettent de mieux adhérer à la vérité pleinement incarnée de notre salut. On sait l’impact des images, a fortiori les images télévisées ou cinématographiques qui, intégrant le mouvement, le son, sont plus proches de la réalité vécue, et donc sont beaucoup plus prégnantes. D’où les questions : le spectateur ne risque-t-il pas d’en rester à cette représentation et de préférer le réalisme concret du film à la narration discrète mais bien réaliste des récits évangéliques ? Le film de Mel Gibson va remplir le trésor de la mémoire avec des images neuves, nourrir l’affectivité. Il va permettre à bon nombre de fidèles de donner une véritable épaisseur historique et de rappeler la vérité si souvent occultée de ce que le Christ a enduré pour moi. "Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée", disait-il à sainte Angèle de Foligno. Pastoralement, il s’agira donc d’accompagner le travail de ce film en moi, chez autrui. Comment aider à ce que ces images, les émotions qu’elles véhiculent, nourrissent l’amour du Christ et du prochain, conduisent à la vraie source que constituent la Parole de Dieu et les sacrements ? 4) Suggestion de relecture théologique : Une approche seulement cinématographique ou historique passerait à côté de l’essentiel. Ou plutôt, l’un des grands intérêts de La Passion du Christ est de conjuguer histoire et théologie, apportant ainsi comme une réponse concrète à la question moderniste si centrale en théologie fondamentale. On l’a dit plus haut, le film de Mel Gibson est riche d’une vision implicite qui, j’ose le dire, mériterait une étude théologique soigneuse et respectueuse du mode propre d’expression qu’elle a choisi, à savoir le cinéma. A mon sens, celle-ci s’articule autour de quatre pôles - le mal voulu (le malum culpæ) ; le mal subi (le malum pœnæ) ; le salut offert ; le salut reçu - et de trois personnages ou types de personnages - Jésus qui est à la fois le sujet du mal subi et l’auteur du salut offert ; les pécheurs qui sont les responsables du mal voulu ; Marie, mais aussi d’autres justes, qui sont les premiers bénéficiaires accueillant le salut. Je proposerai quelques indications trop brèves et nécessairement schématiques.
- Le mal voulu : La Passion du Christ nous montre que le mal du péché est universel, libre et infini. Universel. Au tout début du film, Marie-Madeleine demande, angoissée, à Marie : "Pourquoi cette nuit est-elle si différente de toutes les autres ? - Car tous les hommes étaient esclaves du péché et maintenant ils ne le seront plus." Tous : les Juifs comme les païens. On sait que Mel Gibson a tenu à jouer le rôle d’un soldat romain enfonçant le clou dans l’une des mains de Jésus. Il n’est pas une seule catégorie de personnes qui ne soit complice. Sont même concernés le règne infrahumain de la nature (le cadavre de l’âne signifie symboliquement à Judas qui a employé sa longe pour se pendre que le péché l’a frappé à mort ; le corbeau n’est pas sans évoquer une justice immanente qui a choqué plus d’un spectateur) et le règne angélique, avec la présence constante du Malin, depuis Gethsémani jusqu’à la mort au Golgotha. Et si nous sommes universellement convaincus d’avoir crucifié le Seigneur de gloire, c’est parce que nous sommes universellement appelés au salut. De ce point de vue, l’admirable évolution - conversion - de Simon de Cyrène est exemplaire du chemin que chaque homme est appelé à accomplir : réquisitionné de force (Mt 27,32 //), il refuse, non sans lâcheté, de s’arracher à sa douce vie familiale ; mais, progressivement, il va comme s’identifier à Jésus et porter celui dont il pressent qu’Il le porte, au point de s’opposer à toute la soldatesque avec une "assurance" que seul donne l’Esprit-Saint (cf. par exemple Ac 2,29 ; 4,13). Libre. Se refusant à tout unanimisme, le film ne cesse de montrer des exceptions, à conjurer la fatalité, à responsabiliser celui qui croit trouver dans l’attitude de l’autre les raisons de la sienne. Combien de badauds voyeurs se pressant sur la Via dolorosa ont été bouleversés en rencontrant le regard du supplicié. Même le "brigand" (Jn 18,40) Barabbas, que le scénario présente comme une brute grossière s’imaginant sottement que le choix de la foule est positif, a un mouvement de recul et de silence quand il regarde Jésus ou plutôt quand il est regardé par Lui. Même Judas, que l’Ecriture appelle "le fils de perdition" (Jn 17,12), croise, à l’instar de Pierre, le regard de Celui qu’il a trahi et lui offre sa miséricorde . Même Pilate dont le film montre, avec profondeur, tout le déchirant combat intérieur ("Ma vérité…") apparaît très clairement comme celui qui, bien que prévenu par le songe de sa femme aimée, Claudia, se prévaut de la logique du pouvoir pour abandonner à une mort ignominieuse un homme qu’il sait pertinemment innocent et, au total, préfère chercher à sauver sa vie face aux représailles de César. Infini. C’est peut-être l’une des plus puissantes réussites du film, c’est en tout cas une révélation pour un certain nombre de spectateurs de nous montrer qu’infini est l’endurcissement du cœur de l’homme face à la souffrance qu’il inflige - ou celle qui est infligée à l’autre homme. Le soldat s’enivre du sang qu’il verse, le spectacle de le voir jaillir. Il est très intentionnel et significatif que la scène de la flagellation nous apparaisse non seulement longue, trop longue, mais au sens propre, interminable : atterrés, épouvantés, nous comprenons soudain qu’aucune régulation interne n’autolimite l’homme qui s’abandonne à l’hubris de la violence. De même, sur le chemin de Croix, ces chutes répétées (on n’en dénombre pas moins de sept), loin d’être complaisantes, nous font à nouveau expérimenter que le temps de la violence est indéfini… A chaque fois, il faudra l’intervention extérieure d’un officier pour désaoûler la chiourme. La logique vertigineuse du sadisme compulsif qui n’a d’autre limite que son propre rassasiement, c’est-à-dire aucune , se redouble de la logique auto-accrue de ce que René Girard appelle "l’emballement mimétique" : à partir du moment où quelqu’un a osé initier en frappant le premier, il sera de plus en plus difficile que la foule s’arrête d’elle-même .
- Le mal subi : Tout le péché des hommes se concentre, s’abat sur l’homme de douleurs, la seule personne absolument innocente, avec Marie. Le mal subi s’identifie surtout, dans ce film, à la douleur physique. Les coups, instrument universel de la violence, se multiplient, coups de poing, coups de fouet. Le sang versé gicle. Mais, plus encore, le corps livré est défiguré. Jamais aucun film n’avait osé montrer combien Jésus avait été aussi défiguré par la Passion. Pourtant, c’est bien ce qu’affirme le quatrième chant du Serviteur (Is 53,2). Dès la comparution au Sanhédrin, donc très tôt, le visage de Jésus apparaît, sauvagement frappé, la paupière tuméfiée interdisant d’ouvrir l’œil. Étroitement entravé dans ses liens, sa marche est réduite à un sautillement ridicule. Puis, progressivement, c’est le corps entier du plus beau des enfants des hommes qui devient méconnaissable (jusqu’à ce coup de fléau qui touche le visage pourtant interdit). Si la majorité des spectateurs est si marquée par la scène de la flagellation, cela ne tient-il pas autant à la souffrance inouïe que Jésus y subit, qu’à la progressive perte d’apparence humaine frappant l’intégralité de son corps. Enfin, sur la Croix, les pieds qui portaient inlassablement la bonne nouvelle du salut sont immobilisés, après les mains qui bénissent et que, dans un superbe flashback, Jean fixe avec vénération au moment où Jésus dit qu’il est "la voie, la vérité et la vie" (Jn 14,6). Outre qu’elle atteste le véritable détachement que l’acteur a accepté de vivre à l’égard de l’image qu’il donne de lui-même, cette défiguration est un symbole de la déshumanisation du péché. Voire, paradoxalement, elle favorise la mise en scène du Christ qu’une représentation risque toujours de décevoir. Le mal spirituel n’est pas oublié. Il est au centre de la première scène, au jardin de Gethsémani. On pourra toutefois regretter l’insistance trop grande sur la souffrance physique, oubliant l’abîme de la détresse intérieure que Jésus n’a cessé de vivre et qui atteint son sommet dans le cri de déréliction emprunté au début du psaume 22 : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?" (Mt 27,46 ; Mc 15,34) Pour ma part, je trouve dommageable que le cinéaste n’ait pas donné un relief particulier à cette parole, et donc ait manqué le mystère insondable où Jésus "nous a assumé dans l’égarement de notre péché par rapport à Dieu au point de pouvoir dire en notre nom sur la croix : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?" (Mc 15,34) " - éventuellement, en mettant en scène le démon. Si le film nous propose une lecture spirituelle de la flagellation, de la Via dolorosa et de la crucifixion, il manque celle de Jésus agonisant sur la croix dans une insondable nuit spirituelle.
- Le salut offert : Celui qui subit à cause de nous cette passion de souffrance est le même qui vit pour nous la Passion d’amour. Le salut du Iéshouah est un acte libre, aimant, universel et efficace. Libre. C’est en toute liberté que Jésus s’engage. A chaque moment décisif, ce choix est souligné avec force : dès le jardin des oliviers, nous entendons Jésus accepter la volonté du Père, au moment de l’arrestation, au début de la flagellation (où Jésus murmure : "Père, je suis prêt."), au début du portement de croix (on discutera du choix qu’a fait Mel Gibson de faire porter à Jésus une croix entière, mais le cœur est souvent touché de l’élan avec lequel Jésus embrasse cette croix), etc. La non-violence de Jésus n’est en rien suspecte d’entretenir quelque complicité malsaine avec le masochisme ou quelque pulsion meurtrière : sa souffrance est sans jouissance ; de même, il se redresse, il regarde ses bourreaux en face : il n’adopte pas l’attitude de soumission qui multiplierait le mépris. Enfin, si le silence de Jésus peut supporter deux interprétations (le don d’amour ou l’indifférence stoïcienne), les paroles des flash-backs sont suffisamment nombreux et explicites pour ne laisser place à aucune ambiguïté : il est dit et répété que Jésus ne subit pas la violence, mais y consent librement par amour pour nous les hommes. Aimant. La liberté est au service du don de soi. S’il n’y a pas de plus grand amour que de livrer sa vie pour son ennemi, c’est une belle trouvaille que de faire non seulement dire, mais répéter à Jésus, au moment même où s’enfoncent les clous dans ses mains, ces paroles si improbables et si révolutionnaires : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font." (Lc 23,33) L’absolue non-violence (en pensée, en parole et en action) de qui est l’autre nom de l’amour. Ce que Jésus vit, ses paroles le prescrivent. Dans la lumière du mystère pascal, le commandement de l’amour universel cesse d’être une invivable et culpabilisante utopie pour devenir un appel à un don de soi sans retour et sans restriction seulement possible que dans la lumière du Christ (1 Jn 4,10-11) et la grâce de l’Esprit (Rm 5,5). Au fur et à mesure où la Passion avance, les retours se multiplient et se concentrent sur le dernier repas de Jésus avec ses disciples, le lavement des pieds, la Sainte Cène et le discours des adieux. Autant de gestes et de paroles qui témoignent de son amour extrême. L’étroit entrelacement demanderait une exégèse précise que, après une seule vision, je suis incapable de proposer. Mais cet engagement libre et aimant est plus qu’humain ; il est divin. Voire, dans ces heures extrêmes, ce n’est pas seulement le Verbe incarné, ce sont les trois Personnes divines elles-mêmes qui vivent pour l’homme la passion d’amour. Dans son regard tourné vers le Ciel (cf. Jn 17,1 ; cf. Mt 6,9 ) comme en ses paroles, Jésus ne cesse d’être le Fils bien-aimé du Père (Mt 3,17 ; 17,5 ; etc.), "obéissant" à celui-ci "jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix" (Ph 2,6-8) ; "insulté, il ne rendait pas l’insulte, souffrant ne menaçait pas, mais s’en remettait à Celui qui juge avec justice" (1 P 2,23) . On n’aura pas manqué d’observer la présence de la colombe (cf. Mt 3,6) ; plus discrète, mais tout aussi réelle est la présence de l’Esprit dans le souffle que, de manière très audible, au moment de sa mort sur la Croix, Jésus "transmet" (Mt 27,50). Universel. Je veux dire par là que le salut de Jésus est sans nulle exclusive, offert à tout homme (cf. Mt 18,14). Une ellipse le suggère : au moment du retour sur l’épisode de la femme adultère, Jésus trace sur le sol un étrange signe dont le sens échappe mais qui se grave dans la mémoire de la femme ; or, au moment où la croix est élevée, la caméra fixe à la fois le regard de Marie-Madeleine et la forme de l’attache dans laquelle la corde qui sert à dresser la Croix, forme qui rappelle étrangement le dessin dans la poussière. N’est-il pas ainsi suggéré ce qu’expérimente brusquement alors la pécheresse pardonnée : c’est au prix de son sang que Jésus lui a obtenu le salut dont elle a bénéficié, c’est pour moi que maintenant il s’offre ; et la violence à laquelle il consent maintenant par amour rachète celle de tous les hommes qui ont voulu la lapider ? C’est peut-être la mise en scène du redressement de la Croix, une fois la crucifixion achevée, qui montre au mieux l’universalité de cette offrande sacrificielle. En effet, un moment, la caméra épouse le mouvement du regard de Jésus qui, passant en position verticale, embrasse soudain "la multitude " : "Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi." (Jn 12,32 ; cf. Jn 3,14-15) Attirance qui, loin de nier la liberté, la suscite . Et ce salut est à ce point offert à tous les hommes que, dans une superbe intuition, Mel Gibson superpose le redressement de la Croix à l’élévation du pain consacré par Jésus la veille au soir, lors de la Cène : "Voici mon corps", "voici mon sang versé pour la multitude" (Mt 26,26-28). Efficace. Certains, on l’a dit, ont regretté que la Résurrection ne soit pas plus clairement affirmée. En tout cas, le film exprime très clairement que la Croix de Jésus est glorieuse et victorieuse. La haine multipliée à l’infini n’a jamais raison de son amour. Une spectatrice notait : "Je me demandais quand cette boucherie allait s’arrêter. J’en pleurais, je hurlais intérieurement. Mais je ne pouvais pas haïr les bourreaux de Jésus quand je le voyais pardonner." En une inclusion significative, le diable dont Jésus a écrasé la tête de serpent au début de sa Passion, se retrouve, à la fin, précipité au plus profond de l’abîme sans nom, dans le dernier bolge de l’enfer. La victoire de Jésus a remporté définitivement la victoire sur son Adversaire. "Par sa Croix", Jésus "fait la paix" (Ep 2,16). Il a fait "la paix par le sang de sa Croix" (Col 1,20).
- Le salut accueilli : L’apport le plus marquant, sinon même le plus original du film tient dans le rôle joué par Marie, extraordinairement interprétée par l’actrice juive Maia Morgestern. Encore faut-il le comprendre. Le sens n’est-il pas celui-ci : le don du salut ne peut pleinement se comprendre sans son accueil ? Or, Marie est non seulement celle qui a enfanté Jésus, mais celle qui, la première (au sens chronologique et, plus encore, ontologique), a accueilli la rédemption et la seule à l’avoir fait de manière plénière . Voilà pourquoi Marie est première Église . Marie-Église est celle qui cherche Jésus, comme l’épouse en quête de son Bien-Aimé . Une fois Jésus condamné par le Sanhédrin, on voit Marie, accompagnée de Marie-Madeleine. Son regard erre, manifestement en recherche. Soudain, elle s’immoblise, elle s’agenouille, son visage s’approche du sol, son oreille se colle à la pierre ; à ce moment, un lent travelling de la caméra traverse le sol et, à la hauteur même du visage, on découvre un anneau, des chaînes emprisonnant des poignets ; alors Jésus tressaille, tourne son visage vers la voûte sombre : il sait ; il sait que Marie est là, il n’est pas seul. Comment ne pas entendre résonner la parole du Cantique des Cantiques : "La nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime" (Ct 3,1) ? Marie est celle qui console Jésus. C’est ce que manifeste singulièrement une scène, souvent relevée. Marie a demandé à Jean de pouvoir croiser Jésus sur le chemin de Croix. Son Fils arrive à son niveau et, sous la trop pesante croix, chute. Mais voilà que, soudain, l’épreuve est trop forte ; prostrée, elle ne peut pas aller à sa rencontre. C’est alors que, dans un retour en arrière, Marie se souvient d’une scène à Nazareth où, Jésus petit enfant, était tombé ; très alarmée, entendant le cri de son fils, Marie lâche aussitôt son travail et se précipite pour relever Jésus en pleurs : "Je suis là !" A ce souvenir, Marie se redresse, passe miraculeusement entre les soldats et prend le visage couvert de sang et de crachats de Jésus entre ses mains. Marie est celle qui recueille le don de Jésus. Le scénario nous réserve une autre surprise. Pendant la flagellation, Claudia, femme de Pilate, apporte à Marie des linges blancs. On songe aussitôt au suaire qui servira à envelopper le corps de Jésus. Tout autre en sera l’usage. Une fois le lieu du supplice déserté, Marie s’approche et s’agenouille sur le dallage couvert du sang de Jésus. Alors, elle prend les linges et, dans un geste à la fois très doux et très précis, elle recueille le sang de son Fils. Plus tard, elle demande de s’approcher de Jésus sur la Croix et, avec un infini respect, pose son visage sur les pieds sanglants. Ce sang rédempteur qu’elle a recueilli dans un linge, ce sang qui maintenant couvre son visage, elle en sera aspergé quand il jaillira du Cœur transpercé par la lance du soldat. Marie est celle qui aide Jésus à se mettre debout, autrement dit à aller jusqu’au bout de sa mission. A la flagellation, Marie est celle qui décide Jésus de passer du fini (déjà abominable) à l’infini dont nous parlions ci-dessus. En effet, déjà épuisé par la badine, frappé aux jambes, Jésus s’affaisse ; c’est alors qu’il croise le regard de Marie ; contre toute attente, Jésus se redresse ; interprétant alors comme un geste de défi ce qui, en vérité, est un acte de courage fou et humble , l’officier commande ce qui va devenir le plus sanguinaire des supplices. De même, à la fin du Chemin de Croix, alors que Jésus, abattu, "mordant la poussière", n’a plus la force de se lever, malgré les menaces, il croise, une nouvelle fois, le regard de sa mère et, une nouvelle fois aussi, y puise la force inouïe de se redresser et de se coucher sur la croix. Marie que les Apôtres appellent significativement "la Mère ", enfin, est celle qui offre Jésus au Père. Celui qu’au pied de la Croix elle appelle "chair de ma chair" est aussi "cœur de mon cœur". Dans une scène plus classique et manifestement inspirée de la première Pietà de Michel-Ange, Marie accueille le corps de Jésus à la descente de la Croix, une main délicatement posée sous la tête de son Fils et l’autre ouverte vers le Ciel. Il ne s’agit nullement de nier que Marie soit la première sauvée. Avant d’être épouse et mère, elle est "fille de son Fils". Lorsqu’elle s’approche de Jésus sur le Chemin de Croix, elle entend cette parole : "Voici que maintenant je fais toutes choses nouvelles." (Ap 21,5) C’est ce qu’exprime, dès le début du film, une audacieuse ellipse : nous voyons Jésus écraser la tête du serpent ; or, dans l’Ecriture, il est dit que c’est la femme qui écrase la tête du serpent (Gn 3,15 ; Ap 12,17 ) ; n’est-il pas ainsi signifié que Marie n’a rien qu’elle ne l’ait reçu du Christ ? n’intercède-t-elle pas pour le salut seulement parce qu’elle en est la première bénéficiaire ? Ces gestes de Marie sont aussi partagés par d’autres femmes du film : ainsi, avant la flagellation, Pilate trouve la force de dire "non" à la foule qui veut crucifier Jésus dans le regard de sa femme ; plus encore, ils sont imités : telle Marie-Madeleine qui, voyant Marie recueillir le sang de Jésus après la flagellation, dégrafe son voile, s’agenouille à ses côtés, et se met à faire de même, telle Véronique qui voit en Jésus un homme ayant besoin de son réconfort. Tous ces gestes gratuits, "pour rien", ne prennent sens que dans l’amour, lui-même, pour rien, parce que totalement désintéressé. Or, "la dignité de la femme se mesure dans l’ordre de l’amour ". Ces gestes sont des gestes de femme , des gestes qui caractérisent en propre ce que Jean-Paul II appelle le "génie féminin ". Les gestes de Marie, première Église, sont les gestes de l’Église, épouse du Christ . La manière dont le Cardinal Journet résume, avec puissance, la pensée de Grignion de Montfort sur la Vierge, signifie assez bien l’intuition mariale et ecclésiologique du film : "Le saint qui n’aimait tant Marie que parce qu’elle fait entrer plus avant dans la profondeur du mystère de Jésus, était prédestiné à comprendre sa parenté avec ce qu’il appelait l’Église des derniers temps. L’amour de la Vierge pour l’Église, et de l’Église pour la Vierge, voilà, selon lui, la force qui soutiendra l’Église dans les combats avant-coureurs de la fin du monde ." Combien de spectateurs, là encore, se sont sentis très intimement rejoints et se sont appropriés l’attitude mariale, pour en bénéficier ou pour en faire bénéficier autrui. A chaque fois joue, multipliée, la grande loi de l’image : l’attention se porte du signe au signifié, de l’image à ce qui est représenté. Marie est celle qui ne cesse de rechercher l’homme incarcéré, quelle que soit sa prison, jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvé, celle qui console l’éprouvé sur son chemin de Croix, celle qui permet que pas une goutte de sang innocent versé soit perdu, celle qui donne la force, celle qui, "à l’heure de notre mort", nous offre au Père.
- La dynamique du salut : Les quatre pôles qui viennent d’être décrits sont dynamiquement articulés. La passion du Christ est porteur d’une théologie de la rédemption, du sacrifice, de l’imitation qu’il serait riche d’élaborer. Dans l’intention et la mise en œuvre, le film désire aussi donner les moyens de conduire du plus immédiat - la vision abrupte de la violence faite au Christ - à la reconnaissance que, dans l’Agneau immolé, ma propre violence est pardonnée, voire que je peux pardonner à celui qui me violente. Trois réactions entendues à la sortie du film montrent ce possible passage autant que la grande variété des médiations : "Un moment, quand Simon de Cyrène prend à partie les soldats sur le chemin de Croix, je me suis dit : « J’espère qu’il va enfin leur montrer la vérité ! » Et, brusquement, j’ai pris conscience de la violence qui m’habitait et du décalage entre ma disposition intérieure et l’attitude de Jésus." "Pendant la scène de la flagellation, je me disais : mais ils vont arrêter ; ce n’est pas possible, ils vont tout de même prendre conscience de ce qu’ils font. Et non… J’ai soudain réalisé que la violence pouvait ne pas s’achever, qu’il était possible de s’acharner même sur un cadavre. Et m’est revenue en mémoire une personne à qui j’en voulais, m’étant juré que je ne m’ouvrirais de nouveau à elle que si elle faisait le premier pas : ma fermeture promettait de durer aussi longtemps que mon amertume, c’est-à-dire sans fin. Etais-je si différent des bourreaux ?…" "En voyant la trahison de Pierre, je fus bouleversé. J’ai songé à ma propre démission, à mes tentations de lâcheté." Mais ce passage de l’image au pardon n’a rien de nécessaire. On peut s’arrêter en chemin : en demeurant fasciné par la violence, en accusant l’autre, en se culpabilisant. Il y va de notre histoire, de notre liberté, de notre ouverture à la grâce. Voilà pourquoi Paul Thibaud, président de l’Amitié judéochrétienne de France, pose la bonne question sur ce film qui, selon lui, "suscite la méfiance", lorsqu’il écrit : "Attendons néanmoins d’avoir vu pour savoir si les larmes que le film fait couler ne sont qu’attendrissement sur soi et désir encore une fois de mettre le Christ au service de nos passions, de notre besoin de désigner les coupables, ou si, à travers cette émotion, se manifeste la conscience de la différence entre nous et celui que nous voudrions accompagner, un désir de salut et de conversion ."
- Confirmation en creux : Loin d’être un documentaire historique, le film de Mel Gibson est une relecture spirituelle de la Passion du Christ. L’image, réaliste et artistique, propose une articulation puissante et originale du mal (voulu et subi) et de son remède salvifique (offert et accueilli). Il fait ressortir en creux la connexion étroite et insoupçonnée existant entre le déni de ces quatre pôles : la minimisation du péché grave ; la relativisation de la souffrance du Christ ; la réduction de l’efficacité salvifique (par exemple à un récit) ; l’effacement de la véritable identité ecclésiale et de la mission centrale de la Mère du Sauveur. Qui offusque un des pôles, singulièrement la vérité de la Passion, ne court-il pas le risque d’affaiblir l’un des trois autres, tôt ou tard ? Ce film sur le Christ, le Messie (terme d’origine hébraïque qui se traduit en grec par "Christ"), apporte aussi un utile contre-point aux représentations messianiques multiples qui envahissent un cinéma surtout tenté par les messies de puissance - le dernier en date est la figure clairement christique de Neo, l’Elu, venu sauver Zion, dans la trilogie Matrix - mais aussi par des figures tout aussi ambiguës, de type chamanique. Le Messie non-violent et aimant de l’Évangile que met en scène Mel Gibson, montre que la seule victoire définitive sur la violence passe non par la destruction de l’ennemi - qui mériterait de demeurer en vie ? - mais par sa conversion. Mais il ne suffit pas de voir mourir l’Innocent qui pardonner pour refuser définitivement de pactiser avec le mal : il faut la décision de la volonté, précédée par la grâce.

5) Conclusion : L’exhortation apostolique post-synodale pour l’Europe s’ouvre sur un paragraphe intitulé "l’obscurcissement de l’espérance ". Face à l’acédie, cette tristesse de l’âme qui est la cause directe de notre désespérance, on se souvient de la forte exhortation de l’épître aux Hébreux : "Jésus qui, au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix dont il méprisa l’infamie et qui est assis désormais à la droite du trône de Dieu. Songez à celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défailler par lassitude de vos âmes. Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans la lutte contre le péché." (He 12,2-4) La passion du Christ pourrait-il aider à lutter contre cette tiédeur mortelle où conduit l’euphorie perpétuelle et le désir de jouir à tout prix d’une époque fascinée par le vide et dénuée de toute gravité ? Tous les arts se sont confrontés, un moment ou l’autre, au mystère fondamental de la foi, le Mystère pascal, en particulier la mort de Jésus sur la Croix. Cela est vrai de la poésie, de la musique, du théâtre, de la sculpture, de la peinture, de l’architecture. Pourquoi dénier ce droit à cet art nouvellement venu qu’est le cinéma ? De fait, une des plus grandes originalités du film de Mel Gibson est - à ma connaissance - d’être le premier entièrement consacré à la passion du Christ. C’est la nouveauté même du cinéma qui est en jeu et que la Passion révèle. Cette nouveauté tient notamment en la puissance de figuration et de proximité que cet art introduit entre spectacle et spectateur. Le film, qui conjugue le récit (propre à l’art romanesque), l’image (propre aux arts plastiques), voire la danse et le son (propre à la musique), est doué d’une puissance de réalisme que seul, à leur manière, égalent le théâtre ou l’opéra. Le risque d’un détournement, d’un dévoiement, qui serait ici voyeurisme, mainmise sur le mystère, est proportionnel à la puissance d’évocation du cinéma. Des cinéastes chrétiens comme Bresson ou Dreyer, pour ne citer que des auteurs incontestés, nous ont bien montré que l’on peut ne pas confondre l’essence du cinéma avec ses excès et ses mésusages. Sachant que celui-ci est devenu, et de loin, le premier moyen de distraction de Français et de nombre d’Occidentaux, ne serait-il pas regrettable de se priver de ce moyen pour proclamer la Bonne nouvelle du Salut ? Si, selon le Concile Vatican II, "l’Église n’a jamais considéré aucun style artistique comme lui appartenant en propre, mais […], elle a admis les genres de chaque époque ", comment ne prendrait-elle pas en compte ce dernier né qu’est le septième art ?

 

 

 

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