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de
l'herméneutique de la Passion .... |
INDEX |
Sommaire
:
L'herméneutique : dans chaque tradition,
il existe une herméneutique spirituelle qui vise le salut et l'Eveil de
chacun, plutôt que son infantilisation et son asservissement.
à propos de l'Evangile:
la croix
dérange....La croix de Jésus....elle demeure à jamais pour tous « ceux
que Dieu appelle, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1, 23-24).
Approchons-nous donc avec confiance de ce trône où Dieu fait grâce et
faisons monter vers le Seigneur crucifié pour nous, l’encens de notre
reconnaissance et de notre adoration...... Homélie par
Père Joseph-Marie Verlinde
Le Christ dans sa passion arrache l’humanité au mal,....«C’était
nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. (...)
C’est par ses blessures que nous sommes guéris»"
Le don de l'Esprit.... en réalité,
des deux aspects du salut - la justification de l'impie et le don de
l'Esprit - c'est le deuxième qui est le plus important pour Paul
..... la foi est "fondamentalement un don de Dieu et non le fruit de notre
volonté?"...."Nous devons prendre conscience du don immense, du privilège
incroyable qu'est le pouvoir de croire, nous en émerveiller et ne jamais
cesser de remercier Dieu le Père pour cela. S'exclamer, émerveillé, comme
l'aveugle-né guéri par Jésus: 'Je vois, je vois!'" a conclu le prédicateur
italien. ..père Cantalamessa
à propos du film de Mel
Gibson " La Passion":
La
Passion selon Gibson et Thomas d'Aquin : ...La mentalité
individualiste comprend : « Il l’a bien mérité » ; je crois que les
anciens pensaient : « Nous l’avons bien mérité » — car c’est au peuple
souillé par le crime que ce sacrifice était dû. ....réponse à La Croix
nous croyons que c'est la plus grande histoire
jamais racontée et que le message d'amour qui en découle est destiné à
tous les hommes et à toutes les femmes.....par
Paul Harvey, 84 ans, un présentateur
bien connu de la station de radio américaine ABC.
Mel Gibson : une violence au service de la foi
...Toutes les foules du monde passent aisément
d'un extrême à l'autre, de l'adulation passionnée à la détestation, à la
destruction frénétique d'un seul et même individu. .... C'est
l'attitude qui nous a permis de découvrir l'innocence de la plupart des
victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur
histoire, n'ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C'est
là qu'est l'inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c'est
la clef, il faut l'espérer, de leur réconciliation future. ...René
Girard
Le cardinal Lustiger recommande la pratique du Chemin
de Croix "Je suis très réservé sur toute
théâtralisation de la Passion, même si je comprends que cela puisse se
faire, et encore plus sur son expression par l’image électronique ou
chimique" et la suite
... le communiqué de l'Episcopat ...le visage du Christ
transparaît moins que nos obsessions contemporaines : angoisse du mal,
fascination pour la violence, recherche de coupables. ..l'essentiel de la
personne et du message du Christ : l'amour porté à sa perfection dans le
don de soi consenti.
une belle défense du film de Mel Gibson, La
Passion du Christ.
L'actualité :
France: Des jeunes font connaître le Christ
à l'occasion de la sortie du film de Mel Gibson
Sous l'effet de "La Passion" : ....Dévoré
par les remords, il allait se rendre le 7 mars dans une église
Et la Résurrection .....
cardinal Ratzinger
mes notes
: ...
....N'obéissez plus ... sans adhérer ...
Et plus généralement comment espérer de ceux qui abrutissent les gens
...l'éducation du regard, et de l’intelligence des gens ...de leurs
fonctions de discernement ... n'est-ce pas là, la mission principale de
l'Eglise en cette civilisation de l'image ?
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Sagesse et
herméneutique.
Jean-Yves LELOUP
http://www.fezfestival.org/prg2003/fr/renc/leloup.php
Philosophe, psychologue, fondateur de l'Institut
pour la Rencontre et l'Etude des Civilisations, Jean-Yves Leloup a
publié de nombreux ouvrages aux éditions Albin Michel, notamment
"l'Absurde et la Grâce", "l'Evangile de Jean", "Prendre soin de l'être"
.... à participé à l'ouvrage Aimer désespérément de Marie de Solemne
Toute parole, tout enseignement est "livré à nos
interprétations". Selon les qualités de coeur et d'intelligence de celui
qui interprète, les informations communiquées par les textes sacrés
auront des incidences diverses sur la vie de ceux qui écoutent : les
pires et les meilleures, source d'alliances ou de conflits.
Au nom de Dieu et des livres qu'il a inspirés on continue encore
aujourd'hui à tuer : d'où l'importance de rappeler que dans chaque
tradition, il existe une herméneutique spirituelle qui vise le salut et
l'Eveil de chacun, plutôt que son infantilisation et son asservissement.
Passer de la lettre qui tue à la parole qui sauve, c'est le chemin de la
sagesse, le patient labour de l'herméneute des textes sacrés, pour que
le processus de mondialisation actuel cesse de nous proposer les
interprétations les plus réductrices et dévastatrices des livres
inspirés et révélés.
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la croix dérange
Auteur:Père Joseph-Marie Verlinde,
homélie à propos des lectures du
mercredi, 2ème semaine de Carême ...10 mars 2004
Source :
http://www.homelie.info/
Quel bouleversant contraste entre la
douloureuse confidence de Jésus aux apôtres, qu’il prend à part pour
leur parler de sa Passion désormais proche, et la demande de la mère
de Jacques et Jean, rêvant de gloire pour ses fils, et revendiquant
pour eux une place privilégiée aux côtés du Maître. Rien dans le récit
ne nous permet de penser que les deux frères désapprouvent la démarche
de leur mère, bien au contraire. L’enthousiasme avec lequel ils
répondent à l’interrogation de Jésus suggère plutôt qu’ils attendaient
impatiemment sa réaction. Déconcertante solitude de Jésus au milieu
des siens, qui ne semblent pas vraiment prêter attention à ses propos.
A moins qu’ils ne puissent tout simplement pas entendre ce qu’il leur
dit. Sommes-nous d’ailleurs sûrs de prêter une oreille attentive aux
paroles dans lesquelles Notre-Seigneur annonce sa Passion ? La croix
demeurera toujours un scandale pour le vieil homme qui survit encore
en nous ; soit il se révolte et la rejette avec violence, accusant le
christianisme d’anti-humanisme morbide et culpabilisant ; soit il
l’ignore, la refoule, et ne veut garder que la lumière de la
résurrection, interprétée comme un gage de bénédiction intramondaine.
De nos jours il faut ajouter un troisième « traitement » de cette
information encombrante : la croix ne concernerait que le destin
personnel de Jésus, le « karma » qu’il aurait à assumer en raison de
ses actions mauvaises dans ses incarnations précédentes…
En un mot : la croix dérange ; nos contemporains veulent bien du
Christ, mais pas de sa croix ; ils écoutent avec plaisir le Sermon sur
la montagne, admirent le courage de Jésus qui affronte sereinement la
malveillance de ses ennemis, mais occultent sa croix jugée
intolérable, scandaleuse. Pour ces « croyants » de la postmodernité
contemporaine, l’Evangile est un idéal vers lequel l’humanité devrait
tendre pour vivre en paix, dans une fraternité universelle fondée sur
la découverte de notre commune humanité, et dès lors de notre égalité
de droits et de devoirs. Un verset comme « le Fils de l’homme n’est
pas venu pour être servi, mais pour servir » sera cité comme exprimant
l’essence même du christianisme, qui représenterait, au sein des
religions, la voie de l’abnégation.
Tout n’est pas faux bien sûr dans ces affirmations, mais la religion
qu’elles fondent a perdu la spécificité évangélique. Car en amputant
le verset cité de sa seconde partie, on le prive aussi de son sens
profond et véritable : « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être
servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ».
Le christianisme n’est pas la religion de l’amour (philos) mais de la
charité (agape), c’est-à-dire de l’amour purifié au creuset de la
croix et surnaturalisé par le Feu de la Pentecôte. Le mouvement qui
porte le chrétien à devenir « le serviteur » - voire « l’esclave » -
de ses frères n’est pas une simple « phil-anthropie » - aussi louable
soit-elle, mais une « agap-anthropie ». Or cette transformation
s’opère dans la mesure où le croyant consent à suivre son Maître sur
le chemin de la croix, c’est-à-dire de la mort au vieil homme, pour
laisser le Christ lui-même poursuivre son œuvre de réconciliation en
lui : « Avec le Christ je suis fixé à la croix, témoigne saint Paul :
je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ma vie
aujourd’hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils
de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi » (Ga 2, 20).
N’ayons pas honte de la croix de Jésus. Elle sera toujours cause de «
scandale » pour les uns, et continuera à être dénoncée comme folie par
les autres ; mais elle demeure à jamais pour tous « ceux que Dieu
appelle, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1, 23-24).
Approchons-nous donc avec confiance de ce trône où Dieu fait grâce et
faisons monter vers le Seigneur crucifié pour nous, l’encens de notre
reconnaissance et de notre adoration.
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Le don de l'Esprit
Le p. Cantalamessa encourage
l'Eglise à croire à l'action de l'Esprit Saint
CITE DU VATICAN, vendredi 26 mars 2004 (ZENIT.org) - Pour comprendre que
la passion, la mort et la résurrection du Christ, la Pâque, constitue
l'événement le plus important de l'histoire, il faut comprendre la
signification spirituelle de l'Ecriture, affirme le prédicateur du pape,
le père Raniero Cantalamessa.
Le thème de la deuxième méditation de carême que le père Cantalamessa a
proposée ce vendredi au pape et à ses collaborateurs de la Curie romaine
était donc le sens spirituel ou allégorique des récits du Nouveau
Testament concernant ces moments particuliers de la vie de Jésus.
Dans sa première méditation, le prédicateur capucin a expliqué le sens
historique de ces récits. Il a aujourd'hui analysé le sens techniquement
"allégorique" des Ecritures, c'est-à-dire "les choses qu'il faut croire"
en les lisant.
Certaines formules sont particulièrement claires, comme: "Il est mort pour
nos péchés; il est ressuscité pour que nous soyons justifiés". "Il est
mort", "il est ressuscité", indiquent des faits. Ce sont des affirmations
historiques; "pour nos péchés", "pour que nous soyons justifiés" ne sont
pas des affirmations historiques mais de foi. Elles indiquent le sens
mystique, ou pour nous, des faits", explique le prédicateur.
"Tout bien réfléchi, c'est précisément cette signification de foi qui,
dans un autre sens, fait de la mort et de la résurrection du Christ des
événements "historiques", si par fait "historique" nous n'entendons pas
seulement le fait divers à l'état pur, mais le fait plus sa
signification", poursuit le père Cantalamessa.
"En ce sens la mort du Christ est le fait le plus 'historique' de
l'histoire du monde, fait-il observer, car c'est celui qui a eu la plus
grande influence sur le destin de l'humanité. Nous voyons également
aujourd'hui que tout ce qui concerne cet événement a le pouvoir de secouer
les consciences et de susciter des réactions opposées".
"Celui qui le premier et de manière inégalable a analysé la signification
pour la foi de l'événement pascal du Christ, est l'apôtre Paul, poursuit
le prédicateur du pape. Paul souligne deux éléments distincts, bien
qu'inséparables, comme deux côtés d'une même médaille, dans le salut opéré
par le Christ : une composante négative, la suppression des péchés, ou
justification de l'impie et une composante positive, le don de l'Esprit et
de la vie nouvelle".
"Après la Réforme, a poursuivi le prédicateur italien, les polémiques
théologiques ont fait que, de ces deux éléments, en commentant l'Epître
aux Romains, on a souligné presque exclusivement dans le passé, l'élément
négatif, celui de la suppression des péchés".
"Mais en réalité, continue le père Cantalamessa, des deux aspects du salut
- la justification de l'impie et le don de l'Esprit - c'est le deuxième
qui est le plus important pour Paul. Il en parle dans toutes ses lettres,
alors qu'il ne parle de la justification que dans les lettres dans
lesquelles il doit défendre sa propre mission".
"La justification de l'impie et la rémission des péchés n'est pour Paul
que la condition pour recevoir le don plus beau et plus complet de la
Pâque du Christ, son Esprit", explique le frère capucin.
"Beaucoup sont convaincus que la naissance et le développement étonnant du
mouvement pentecôtiste et charismatique au sein des différentes Eglises
chrétiennes s'expliquent comme une réaction à une insistance trop
unilatérale sur le problème de la justification par la foi qui a laissé
dans l'ombre la doctrine et l'expérience de l'Esprit".
"Cette 'troisième force', comme elle est appelée, a pris en un peu plus
d'un siècle des proportions imprévisibles, et constitue aujourd'hui, si
l'on en croit les statistiques, la composante à la croissance la plus
rapide au sein du christianisme".
"Celle-ci pourrait aider à trouver finalement la solution à des problèmes
que l'on traîne depuis des siècles et à propos desquels ni la déclaration
conjointe de l'Eglise catholique et de la Fédération luthérienne des
Eglises (signée en 1999 à Augsburg, ndlr) n'est parvenue à trouver un
plein accord", poursuit-il.
"Dans la théologie et la spiritualité du mouvement pentecôtiste (…) on est
convaincu, comme du côté catholique, que l'Esprit Saint transforme
vraiment la personne, en lui donnant un cœur nouveau et en demeurant en
elle", explique-t-il.
"Ce serait bien triste si tout cela restait confiné au sein d'un seul
mouvement ecclésial et ne contaminait pas, par réflexion, dans la
substance si non dans les formes, toute l'Eglise, comme un 'courant de
grâce' bénéfique qui se répand en elle. Il n'y a pas que quelques
personnes dans l'Eglise à avoir besoin d'une nouvelle Pentecôte. Tous les
baptisés en ont besoin", affirme le père Cantalamessa.
Le prédicateur du pape rappelle qu'il ne suffit pas de savoir à quoi on
croit (la libération du péché et le don de l'Esprit), il faut aussi se
préoccuper "de l'intensité avec laquelle on croit".
Que pouvons-nous faire pour faire grandir notre foi? S'interroge le père
Cantalamessa, si la foi est "fondamentalement un don de Dieu et non le
fruit de notre volonté?"
"Nous devons prendre conscience du don immense, du privilège incroyable
qu'est le pouvoir de croire, nous en émerveiller et ne jamais cesser de
remercier Dieu le Père pour cela. S'exclamer, émerveillé, comme
l'aveugle-né guéri par Jésus: 'Je vois, je vois!'" a conclu le
prédicateur italien.
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Le Christ dans sa Passion
arrache l’humanité au mal : pas "résignation" mais "confiance"
CITE DU VATICAN,
mercredi 22 septembre 2004 (ZENIT.org) - Le Christ dans sa passion arrache
l’humanité au mal, non par une "résignation aveugle et passive", mais une
"confiance pure et absolue" en son Père, affirme Jean-Paul II : sa
solidarité avec les hommes les transforme, les libère, les sauve.
Jean-Paul II a
tenu l’audience générale du mercredi à Rome, place Saint-Pierre : il était
venu spécialement de Castelgandolfo.
Le pape a
commenté le cantique de la première épître de saint Pierre que l’Eglise
latine chante aux secondes vêpres du 2e dimanche liturgique.
"Le cantique de
la première Lettre de Pierre met devant nos yeux le visage du Christ
souffrant et nous rappelle la prière de l’Église des origines", expliquait
le pape en français.
"Il évoque tout
d’abord la figure mystérieuse du Serviteur souffrant, décrit dans le
célèbre quatrième Chant du Serviteur du prophète Isaïe, chant qui annonce
la Passion du Christ et qui en donne le sens : «C’était nos souffrances
qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. (...) C’est par ses
blessures que nous sommes guéris»", soulignait le pape.
"C’est lui, le
Christ, qui s’avance sur le chemin de la Passion, sans répondre à
l’injustice et à la violence, mais en s’en remettant «à Celui qui juge
avec justice», continuait le pape. Ce n’est pas de la résignation aveugle
et passive, mais c’est l’expression d’une confiance pure et absolue, qui
transparaît dans les dernières paroles prononcées sur la Croix : «Père,
entre tes mains, je remets mon esprit». Il est le Sauveur, né de la Vierge
avec son corps humain, notre frère. Il est aussi toujours le Fils de Dieu,
et sa solidarité avec nous devient transformatrice, libératrice et
salvifique. «C’est par ses blessures que nous avons été guéris»."
A l’adresse des
visiteurs de langue française, le pape ajoutait : "Je salue cordialement
les pèlerins de langue française présents ce matin, en particulier le
groupe des Sœurs dominicaines de Paris et les pèlerins du Québec. En vous
souhaitant un bon pèlerinage à Rome, je vous confie tous au Seigneur Jésus
qui nous a aimés du plus grand amour, donnant sa vie pour nous".
Enfin, aux
jeunes, aux malades, et aux jeunes mariés, Jean-Paul II a souhaité qu’ils
soient "fidèles à l’idéal évangélique et qu’ils le réalisent dans leur vie
quotidienne".
ZF04092201
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La Passion selon Gibson et
Thomas d'Aquin : réponse à La
Croix
Vincent Aubin, professeur de
philosophie| 8 mars 2004
http://www.libertepolitique.com/det_decryptage.php?id=2484
Dans La Croix, du 26 février, Michel Kubler, rédacteur en chef
religieux, s’interroge : « Que signifient cette souffrance et cette mort
si elles ne laissent aucune liberté de prendre position par rapport à la
personne qui les a endurées ? Or Jésus, pour être le Sauveur de toute
l’humanité, ne saurait apparaître objectivement comme un tel recordman
universel de la douleur… L’enjeu n’est pas qu’une accumulation, jusqu’à la
nausée, vienne démontrer une crédibilité ; il s’agit, pour un homme et son
message, de susciter cette libre adhésion qui se nomme la foi. »
N’ayant pas vu le film, j’en suis réduit à m’interroger sur le sens de
ces propos qui revêtent, me semble-t-il, une signification générale. Peu versé dans la théologie, j’aimerais bien
que l’on m’explique pourquoi l’Église a jugé bon de mettre dans la bouche
du Christ, dans la liturgie de la Passion, ces paroles des Lamentations
(1, 12) : « Vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s’il est
une douleur pareille à la douleur qui me tourmente.< » Thomas d’Aquin, qui
n’était pas, je crois, un exalté, ni même un « fondamentaliste »,
s’appuyait sur ce verset pour soutenir que « la douleur de la passion du
Christ fut la plus grande de toutes les douleurs » (Somme de théologie,
III, q. 46, art. 6). Il en donne des raisons que je trouve assez
convaincantes.
Le même théologien, moins sensible sans doute que Michel Kubler au
paradoxe qu’il y aurait à présenter le Sauveur de l’humanité comme un
recordman de la douleur, estimait au contraire fort adéquat qu’il fût à la
fois l’un et l’autre. On me pardonnera de citer le texte, un peu long
peut-être, mais dont la lecture prendra moins de temps que le film de Mel
Gibson :
« [Le Christ] a souffert tous les genres de la souffrance humaine. Ce
qui peut être considéré de trois points de vue. D’abord, du côté de
l’humanité. Il a souffert en effet, et par les païens et par les Juifs
et par les hommes et par les femmes — comme il ressort de l’épisode des
servantes accusant Pierre. Il a souffert aussi par les princes et leurs
ministres, et par le peuple, comme le dit le Psaume 2 : Pourquoi cette
agitation dans les nations, et ces vains projets dans les peuples ? Les
rois de la terre ont siégé, et les princes se sont rassemblés, contre le
Seigneur et contre son Oint. Il a souffert également par ses familiers et
ses connaissances, puisque Judas l’a livré, et Pierre renié.
« La même chose ressort si l’on considère ce en quoi un homme peut
souffrir. Le Christ en effet a souffert dans ses amis, qui l’abandonnent ;
dans sa réputation, par les blasphèmes proférés contre lui ; dans son
honneur et sa gloire par les moqueries et les insultes à lui infligées ;
dans ses biens quand il fut dépouillé même de ses vêtements ; dans son âme
par la tristesse, la fatigue et l’angoisse ; dans son corps par les coups
et la flagellation.
« Enfin cela peut être considéré quant aux parties de son corps. Le Christ
en effet a souffert dans sa tête par ceux qui clouaient la couronne
d’épines ; dans ses mains et ses pieds transpercés par les clous ; dans
son visage par les soufflets et les crachats ; et dans tout son corps sous
les coups de fouets. Il souffrit aussi selon tous les sens de son corps :
selon le toucher, flagellé et percé de clous ; selon le goût, buvant fiel
et vinaigre ; selon l’odorat, étant suspendu au gibet dans un lieu empesté
par les cadavres des morts, appelé calvaire ; selon l’ouïe, harcelé par la
voix des blasphémateurs et des railleurs ; selon la vue, voyant sa mère et
le disciple qu’il aimait en pleurs. » (Somme de théologie, III, q. 46,
art. 5)
Cette énumération peut nous sembler pesamment scolastique. Je n’imagine
pourtant pas Thomas l’écrivant autrement que plongé dans la contemplation
bouleversée du Crucifié. Loin de moi l’idée de comparer Mel Gibson à saint
Thomas : je constate cependant que l’idée d’une souffrance extrême et
totale ne paraît pas excessive au Docteur commun de l’Église.
Notre époque pousse la peur de la souffrance jusqu’au déni. Elle en refuse
non seulement la mise en scène, mais même la simple vision. L’Antiquité,
familière de celle-ci, se délectait aussi de celle-là. Le supplice d’un
condamné ne pouvait être que — littéralement — spectaculaire. Les
tourments du coupable, loin d’émouvoir de compassion les spectateurs,
s’inscrivaient dans un rite nécessaire à la purification du corps social :
faire preuve de pitié, fût-ce en abrégeant les souffrances du supplicié,
le retirer à la vue de tous avant le terme de son agonie, était d’autant
plus inconcevable que cela aurait diminué, voire compromis, l’efficacité
de la purification. On n’a guère d’exemple, à lire les historiens
classiques, que l’atrocité d’un supplice public ait suscité autre chose
qu’une profonde satisfaction. Justice était faite. La mentalité
individualiste comprend : « Il l’a bien mérité » ; je crois que les
anciens pensaient : « Nous l’avons bien mérité » — car c’est au peuple
souillé par le crime que ce sacrifice était dû.
Que, dans le cas de la Passion du Christ, la liberté de la foi en sa
divinité ait pu être diminuée par le spectacle de ses tourments, me semble
relever d’un pur anachronisme : elle fut au contraire d’autant plus grande
que le châtiment désignait évidemment « le plus beau des enfants des
hommes » comme le plus misérable d’entre eux.
Vincent Aubin est professeur agrégé de philosophie.
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Mel Gibson : une violence au
service de la foi
Par René Girard, Jean-François Mongibeaux et Etienne de Montety
[Le Figaro; 27 mars 2004] http://www.lefigaro.fr/magazine/20040326.FIG0420.html
Bien avant la sortie de son film aux Etats-Unis, Mel
Gibson avait organisé pour les sommités journalistiques et religieuses
des projections privées. S'il comptait s'assurer ainsi la bienveillance
des gens en place, il a mal calculé son coup, ou peut-être a-t-il fait
preuve, au contraire, d'un machiavélisme supérieur.
Les commentaires ont tout de suite suivi et, loin de louer le film ou
même de rassurer le public, ce ne furent partout que vitupérations
affolées et cris d'alarme angoissés au sujet des violences antisémites
qui risquaient de se produire à la sortie des cinémas. Même le New
Yorker, si fier de l'humour serein dont, en principe, il ne se départ
jamais, a complètement perdu son sang-froid et très sérieusement accusé
le film d'être plus semblable à la propagande nazie que toute autre
production cinématographique depuis la Seconde Guerre mondiale.
Rien ne justifie ces accusations. Pour Mel Gibson, la
mort du Christ est l'oeuvre de tous les hommes, à commencer par Gibson
lui-même. Lorsque son film s'écarte un peu des sources évangéliques, ce
qui arrive rarement, ce n'est pas pour noircir les Juifs mais pour
souligner la pitié que Jésus inspire à certains d'entre eux, à un Simon
de Cyrène par exemple, dont le rôle est augmenté, ou à une Véronique, la
femme qui, selon une tradition ancienne, a offert à Jésus, pendant la
montée au Golgotha, un linge sur lequel se sont imprimés les traits de
son visage.
Plus les choses se calment, plus il devient clair,
rétrospectivement, que ce film a déclenché dans les médias les plus
influents du monde une véritable crise de nerfs qui a plus ou moins
contaminé par la suite l'univers entier. Le public n'avait rien à voir à
l'affaire puisqu'il n'avait pas vu le film. Il se demandait avec
curiosité, forcément, ce qu'il pouvait bien y avoir dans cette Passion
pour semer la panique dans un milieu pas facile en principe à
effaroucher. La suite était facile à prévoir : au lieu des deux mille
six cents écrans initialement prévus, ils furent plus de quatre mille à
projeter The Passion of the Christ à partir du mercredi des Cendres,
jour choisi, de toute évidence, pour son symbolisme pénitentiel.
Dès la sortie du film, la thèse de l'antisémitisme a
perdu du terrain mais les adversaires du film se sont regroupés autour
d'un second grief, la violence excessive qui, à les en croire,
caractériserait ce film. Cette violence est grande, indubitablement,
mais elle n'excède pas, il me semble, celle de bien d'autres films que
les adversaires de Mel Gibson ne songent pas à dénoncer. Cette Passion a
bouleversé, très provisoirement sans doute, l'échiquier des réactions
médiatiques au sujet de la violence dans les spectacles. Tous ceux qui,
d'habitude, s'accommodent très bien de celle-ci ou voient même dans ses
progrès constants autant de victoires de la liberté sur la tyrannie,
voilà qu'ils la dénoncent dans le film de Gibson avec une véhémence
extraordinaire. Tous ceux qui, au contraire, se font d'habitude un
devoir de dénoncer la violence, sans obtenir jamais le moindre résultat,
non seulement tolèrent ce même film mais fréquemment ils le vénèrent.
Jamais on n'avait filmé avec un tel réalisme
Pour justifier leur attitude, les opposants empruntent à leurs
adversaires habituels tous les arguments qui leur paraissent excessifs
et même ridicules dans la bouche de ces derniers. Ils redoutent que
cette Passion ne «désensibilise» les jeunes, ne fasse d'eux de
véritables drogués de la violence, incapables d'apprécier les vrais
raffinements de notre culture. On traite Mel Gibson de «pornographe» de
la violence, alors qu'en réalité il est un des très rares metteurs en
scène à ne pas systématiquement mêler de l'érotisme à la violence.
Certains critiques poussent l'imitation de leurs adversaires si loin
qu'ils mêlent le religieux à leurs diatribes. Ils reprochent à ce film
son «impiété», ils vont jusqu'à l'accuser, tenez-vous bien, d'être
«blasphématoire».
Cette Passion a provoqué, en somme, entre des
adversaires qui se renvoient depuis toujours les mêmes arguments, un
étonnant chassé-croisé. Cette double palinodie se déroule avec un
naturel si parfait que l'ensemble a toute l'apparence d'un ballet
classique, d'autant plus élégant qu'il n'a pas la moindre conscience de
lui-même.
Quelle est la force invisible mais souveraine qui manipule tous ces
critiques sans qu'ils s'en aperçoivent ? A mon avis, c'est la Passion
elle-même. Si vous m'objectez qu'on a filmé celle-ci bien des fois dans
le passé sans jamais provoquer ni l'indignation formidable ni
l'admiration, aussi formidable sans doute mais plus secrète, qui
déferlent aujourd'hui sur nous, je vous répondrai que jamais encore on
n'avait filmé la Passion avec le réalisme implacable de Gibson.
C'est la saccharine hollywoodienne d'abord qui a
dominé le cinéma religieux, avec des Jésus aux cheveux si blonds et aux
yeux si bleus qu'il n'était pas question de les livrer aux outrages de
la soldatesque romaine. Ces dernières années, il y a eu des Passions
plus réalistes, mais moins efficaces encore, car agrémentées de fausses
audaces postmodernistes, sexuelles de préférence, sur lesquelles les
metteurs en scène comptaient pour pimenter un peu les Evangiles jugés
par eux insuffisamment scandaleux. Ils ne voyaient pas qu'en sacrifiant
à l'académisme de «la révolte» ils affadissaient la Passion, ils la
banalisaient.
Pour restituer à la crucifixion sa puissance de scandale, il suffit de
la filmer telle quelle, sans rien y ajouter, sans rien en retrancher.
Mel Gibson a-t-il réalisé ce programme jusqu'au bout ? Pas complètement
sans doute, mais il en a fait suffisamment pour épouvanter tous les
conformismes.
Le principal argument contre ce que je viens de dire consiste à accuser
le film d'infidélité à l'esprit des Evangiles. Il est vrai que les
Evangiles se contentent d'énumérer toutes les violences que subit le
Christ, sans jamais les décrire de façon détaillée, sans jamais faire
voir la Passion «comme si on y était».
C'est parfaitement exact, mais tirer de la nudité et
de la rapidité du texte évangélique un argument contre le réalisme de
Mel Gibson, c'est escamoter l'histoire. C'est ne pas voir que, au
premier siècle de notre ère, la description réaliste au sens moderne ne
pouvait pas être pratiquée, car elle n'était pas encore inventée.
L'impulsion première dans le développement du réalisme occidental vient
très probablement de la Passion. Les Evangiles n'ont pas délibérément
rejeté une possibilité qui n'existait pas à leur époque. Il est clair
que, loin de fuir le réalisme, ils le recherchent, mais les ressources
font défaut. Les récits de la Passion contiennent plus de détails
concrets que toutes les oeuvres savantes de l'époque. Ils représentent
un premier pas en avant vers le toujours plus de réalisme qui définit le
dynamisme essentiel de notre culture dans ses époques de grande
vitalité. Le premier moteur du réalisme, c'est le désir de nourrir la
méditation religieuse qui est essentiellement une méditation sur la
Passion du Christ.
En enseignant le mépris du réalisme et du réel
lui-même, l'esthétique moderne a complètement faussé l'interprétation de
l'art occidental. Elle a inventé, entre l'esthétique d'un côté, le
technique et le scientifique de l'autre, une séparation qui n'a commencé
à exister qu'avec le modernisme, lequel n'est peut-être qu'une
appellation flatteuse de notre décadence. La volonté de faire vrai, de
peindre les choses comme si on y était a toujours triomphé auparavant
et, pendant des siècles, elle a produit des chefs-d'oeuvre dont Gibson
dit qu'il s'est inspiré. Il mentionne lui-même, me dit-on, le Caravage.
Il faut songer aussi à certains Christ romans, aux crucifixions
espagnoles, à un Jérôme Bosch, à tous les Christ aux outrages...
Loin de mépriser la science et la technique, la grande
peinture de la Renaissance et des siècles modernes met toutes les
inventions nouvelles au service de sa volonté de réalisme. Loin de
rejeter la perspective, le trompe-l'oeil, on accueille tout cela avec
passion. Qu'on songe au Christ mort de Mantegna...
Pour comprendre ce qu'a voulu faire Mel Gibson, il me semble qu'il faut
se libérer de tout les snobismes modernistes et postmodernistes et
envisager le cinéma comme un prolongement et un dépassement du grand
réalisme littéraire et pictural. Si les techniques contemporaines
passent souvent pour incapables de transmettre l'émotion religieuse,
c'est parce que jamais encore de grands artistes ne les ont
transfigurées. Leur invention a coïncidé avec le premier effondrement de
la spiritualité chrétienne depuis le début du christianisme.
Si les artistes de la Renaissance avaient disposé du
cinéma, croit-on vraiment qu'ils l'auraient dédaigné ? C'est avec la
tradition réaliste que Mel Gibson s'efforce de renouer. L'aventure
tentée par lui consiste à utiliser à fond les ressources incomparables
de la technique la plus réaliste qui fût jamais, le cinéma. Les risques
sont à la mesure de l'ambition qui caractérise cette entreprise,
inhabituelle aujourd'hui, mais fréquente dans le passé.
Si l'on entend réellement filmer la Passion et la
crucifixion, il est bien évident qu'on ne peut pas se contenter de
mentionner en quelques phrases les supplices subis par le Christ. Il
faut les représenter. Dans la tragédie grecque, il était interdit de
représenter la mort du héros directement, on écoutait un messager qui
racontait ce qui venait de se passer. Au cinéma, il n'est plus possible
d'éluder l'essentiel. Court-circuiter la flagellation ou la mise en
croix, par exemple, ce serait reculer devant l'épreuve décisive. Il faut
représenter ces choses épouvantables «comme si on y était». Faut-il
s'indigner si le résultat ne ressemble guère à un tableau préraphaélite
?
Au-delà d'un certain nombre de coups, la flagellation
romaine, c'était la mort certaine, un mode d'exécution comme les autres,
en somme, au même titre que la crucifixion. Mel Gibson rappelle cela
dans son film. La violence de sa flagellation est d'autant plus
insoutenable qu'elle est admirablement filmée, ainsi que tout le reste
de l'oeuvre d'ailleurs.
Mel Gibson se situe dans une certaine tradition mystique
face à la Passion : «Quelle goutte de sang as-tu versée pour moi ?»,
etc. Il se fait un devoir de se représenter les souffrances du Christ
aussi précisément que possible, pas du tout pour cultiver l'esprit de
vengeance contre les Juifs ou les Romains, mais pour méditer sur notre
propre culpabilité.
Cette attitude n'est pas la seule possible, bien sûr, face à la Passion.
Et il y aura certainement un mauvais autant qu'un bon usage de son film,
mais on ne peut pas condamner l'entreprise a priori, on ne peut pas
l'accuser les yeux fermés de faire de la Passion autre chose qu'elle
n'est. Jamais personne, dans l'histoire du christianisme, n'avait encore
essayé de représenter la Passion telle que réellement elle a dû se
dérouler.
Dans la salle où j'ai vu ce film, sa projection était précédée de trois
ou quatre coming attractions remplies d'une violence littéralement
imbécile, ricanante, pétrie d'insinuations sado-masochistes, dépourvue
de tout intérêt non seulement religieux mais aussi narratif, esthétique
ou simplement humain. Comment ceux qui consomment quotidiennement ces
abominations, qui les commentent, qui en parlent à leurs amis,
peuvent-ils s'indigner du film de Mel Gibson ? Voilà qui dépasse mon
entendement.
Il faut donc commencer par absoudre le film du reproche
absurde «d'aller trop loin», «d'exagérer à plaisir les souffrances du
Christ». Comment pourrait-on exagérer les souffrances d'un homme qui
doit subir, l'un après l'autre, les deux supplices les plus terribles
inventés par la cruauté romaine ?
Une fois reconnue la légitimité globale de l'entreprise,
il est permis de regretter que Mel Gibson soit allé plus loin dans la
violence que le texte évangélique ne l'exige. Il fait commencer les
brutalités contre Jésus tout de suite après son arrestation, ce que les
Evangiles ne suggèrent pas. Ne serait-ce que pour priver ses critiques
d'un argument spécieux, le metteur en scène aurait mieux fait, je pense,
de s'en tenir à l'indispensable. L'effet global serait tout aussi
puissant et le film ne prêterait pas le flanc au reproche assez
hypocrite de flatter le goût contemporain pour la violence.
D'où vient ce formidable pouvoir évocateur qu'a sur la
plupart des hommes toute représentation de la Passion fidèle au texte
évangélique ? Il y a tout un versant anthropologique de la description
évangélique, je pense, qui n'est ni spécifiquement juif, ni
spécifiquement romain, ni même spécifiquement chrétien et c'est la
dimension collective de l'événement, c'est ce qui fait de lui,
essentiellement, un phénomène de foule.
Une des choses que le Pilate de Mel Gibson dit à la foule
ne figure pas dans les Evangiles mais me paraît fidèle à leur esprit :
«Il y a cinq jours, vous désiriez faire de cet homme votre roi et
maintenant vous voulez le tuer.» C'est une allusion à l'accueil
triomphal fait à Jésus le dimanche précédent, le dimanche dit des
Rameaux dans le calendrier liturgique. La foule qui fait un triomphe à
Jésus ce dimanche-là est celle-là même qui hurlera à la mort cinq jours
plus tard. Mel Gibson a raison, je pense, de souligner le revirement de
cette foule, l'inconstance cruelle des foules, leur étrange versatilité.
Toutes les foules du monde passent aisément d'un extrême à l'autre, de
l'adulation passionnée à la détestation, à la destruction frénétique
d'un seul et même individu. Il y a d'ailleurs un grand texte de la Bible
qui ressemble beaucoup plus à la Passion évangélique qu'on ne le perçoit
d'habitude, et c'est le Livre de Job. Après avoir été le chef de son
peuple pendant de nombreuses années, Job est brutalement rejeté par ce
même peuple qui le menace de mort par l'intermédiaire de trois
porte-parole toujours désignés, assez cocassement, comme «les amis de
Job».
Le propre d'une foule agitée, affolée, c'est de ne pas se
calmer avant d'avoir assouvi son appétit de violence sur une victime
dont l'identité le plus souvent ne lui importe guère. C'est ce que sait
fort bien Pilate qui, en sa qualité d'administrateur, a de l'expérience
en la matière. Le procurateur propose à la foule, pour commencer, de
faire crucifier Barrabas à la place de Jésus. Devant l'échec de cette
première manoeuvre très classique, à laquelle il recourt visiblement
trop tard, Pilate fait flageller Jésus dans l'espoir de satisfaire aux
moindres frais, si l'on peut dire, l'appétit de violence qui caractérise
essentiellement ce type de foule.
Si Pilate procède ainsi, ce n'est pas parce qu'il est
plus humain que les Juifs, ce n'est pas forcément non plus à cause de
son épouse. L'explication la plus vraisemblable, c'est que, pour être
bien noté à Rome qui se flatte de faire régner partout la pax romana, un
fonctionnaire romain préférera toujours une exécution légale à une
exécution imposée par la multitude.
D'un point de vue anthropologique, la Passion n'a rien de
spécifiquement juif. C'est un phénomène de foule qui obéit aux mêmes
lois que tous les phénomènes de foule. Une observation attentive en
repère l'équivalent un peu partout dans les nombreux mythes fondateurs
qui racontent la naissance des religions archaïques et antiques.
Presque toutes les religions, je pense, s'enracinent dans des violences
collectives analogues à celles que décrivent ou suggèrent non seulement
les Evangiles et le Livre de Job mais aussi les chants du Serviteur
souffrant dans le deuxième Isaïe, ainsi que de nombreux psaumes. Les
chrétiens et les juifs pieux, bien à tort, ont toujours refusé de
réfléchir à ces ressemblances entre leurs livres sacrés et les mythes.
Une comparaison attentive révèle que, au-delà de ces ressemblances et
grâce à elles on peut repérer entre le mythique d'un côté et, de
l'autre, le judaïque et le chrétien une différence à la fois ténue et
gigantesque qui rend le judéo-chrétien incomparable sous le rapport de
la vérité la plus objective. A la différence des mythes qui adoptent
systématiquement le point de vue de la foule contre la victime, parce
qu'ils sont conçus et racontés par les lyncheurs, et ils tiennent
toujours, par conséquent, la victime pour coupable (l'incroyable
combinaison de parricide et d'inceste dont OEdipe est accusé, par
exemple), nos Ecritures à nous tous, les grands textes bibliques et
chrétiens innocentent les victimes des mouvements de foules, et c'est
bien ce que font les Evangiles dans le cas de Jésus. C'est ce que montre
Mel Gibson.
Tandis que mythes répètent sans fin l'illusion meurtrière
des foules persécutrices, toujours analogues à celles de la Passion,
parce que cette illusion apaise la communauté et lui fournit l'idole
autour de laquelle elle se rassemble, les plus grands textes bibliques,
et finalement les Evangiles, révèlent le caractère essentiellement
trompeur et criminel des phénomènes de foule sur lesquels reposent les
mythologies du monde entier.
Il y a deux grandes attitudes à mon avis dans l'histoire
humaine, il y a celle de la mythologie qui s'efforce de dissimuler la
violence, car, en dernière analyse, c'est sur la violence injuste que
les communautés humaines reposent. Et c'est ce que nous faisons tous si
nous nous abandonnons à notre instinct. Nous essayons de recouvrir du
manteau de Noé la nudité de la violence humaine. Et nous marchons à
reculons s'il le faut, pour ne pas nous exposer, en regardant de trop
près la violence, à sa puissance contagieuse.
Cette attitude est trop universelle pour être condamnée.
C'est l'attitude d'ailleurs des plus grands philosophes grecs et en
particulier de Platon, qui condamne Homère et tous les poètes parce
qu'ils se permettent de décrire dans leurs oeuvres les violences
attribuées par les mythes aux dieux de la cité. Le grand philosophe voit
dans cette audacieuse révélation une source de désordre, un péril majeur
pour toute la société.
Cette attitude est certainement l'attitude religieuse la
plus répandue, la plus normale, la plus naturelle à homme et, de nos
jours, elle est plus universelle que jamais, car les croyants
modernisés, aussi bien les chrétiens que les juifs, l'ont au moins
partiellement adoptée.
L'autre attitude est beaucoup plus rare et elle est même
unique au monde. Elle est réservée tout entière aux grands moments de
l'inspiration biblique et chrétienne. Elle consiste non pas à
pudiquement dissimuler mais, au contraire, à révéler la violence dans
toute son injustice et son mensonge, partout où il est possible de la
repérer. C'est l'attitude du Livre de Job et c'est l'attitude des
Evangiles. C'est la plus audacieuse des deux et, à mon avis, c'est la
plus grande. C'est l'attitude qui nous a permis de découvrir
l'innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus
religieux, au cours de leur histoire, n'ont jamais cessé de massacrer et
de persécuter. C'est là qu'est l'inspiration commune au judaïsme et au
christianisme, et c'est la clef, il faut l'espérer, de leur
réconciliation future. C'est la tendance héroïque à mettre la vérité
au-dessus même de l'ordre social. C'est à cette aventure-là, il me
semble, que le film de Mel Gibson s'efforce d'être fidèle.
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Commentaires de Paul
Harvey à propos du film "La Passion" de Mel Gibson
http://tradition.free.fr/
Paul Harvey, 84 ans, est un présentateur
bien connu de la station de radio américaine ABC. Son émission, "Nouvelles
et commentaires", est reprise par 1600 autres stations dans tout le pays.
Sa carrière radiophonique dure depuis soixante ans. Il est connu comme "la
voix la plus écoutée de l'histoire de la radio".
Voici ce que dit Paul Harvey à propos du film " La Passion " de Mel Gibson
(sorti le Mercredi des Cendres dans plusieurs pays anglo-saxons).
Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre ! J'étais inquiet d'avoir été
invité à une représentation privée du film de Mel Gibson " LA PASSION ",
mais j'avais aussi lu tous les commentaires très réservés et j'étais très
indécis ! J'ai grandi dans une ville juive et ma foi en a été très
influencée. Tout au long de ma vie, j'ai eu une aversion profonde pour
tout ce qui pouvait encourager, même indirectement, toute forme de pensée,
de paroles ou d'actions antisémites.
J'allai à cette projection privée de " LA PASSION ", se déroulant à
Washington (dans le District de Columbia) et je saluai quelques visages
familiers. L'environnement était typiquement " washingtonien ", avec des
gens qui vous saluent d'un sourire, mais semblent presque absents, ayant
un objectif inavoué. Le film fut présenté très brièvement, sans tambour ni
trompette, puis les lumières s'éteignirent et le film commença. Depuis la
première scène émouvante du Jardin de Gethsémani, en passant par le
portrait si tendre et humain de la mission sur terre de Jésus, à travers
la trahison, son arrestation, la flagellation, le Chemin de la Croix, la
rencontre avec les deux larrons, la mort sur la Croix, jusqu'à la scène
finale du tombeau désert, ce n'était pas un film comme un autre; c'était
une rencontre ne ressemblant à rien de ce que j'avais pu expérimenter
jusque là !
En plus d'être un chef-d'oeuvre au plan de la réalisation
cinématographique mais aussi un chef-d'oeuvre artistique, " LA PASSION "
m'a entraîné dans des réflexions plus profondes, plus douloureuses, plus
intenses que tout ce que j'avais éprouvé jusqu'ici, y compris même mon
mariage, mon ordination et la naissance de mon enfant. Franchement je ne
serai plus jamais le même. Quand le film se termina, tous ces gens
influents de Washington (District de Columbia) qui avaient été invités
pour cette projection privée s'agitaient encore mais cette fois parce
qu'ils étaient réellement saisis par l'émotion et pris de sanglots. Je ne
suis pas sûr qu'il y ait alors eu une seule personne n'ayant pas les
larmes aux yeux! La foule qui avait été accueillie chaleureusement avant
le film était maintenant plus que silencieuse! Plus personne ne pouvait
parler parce que les mots ne pouvaient exprimer ce que l'on ressentait.
Nous avions expérimenté une forme d'art si exceptionnelle et qui n'arrive
quasi jamais dans une vie : celle qui permet au ciel de toucher terre!
Une scène du film est maintenant gravée à tout jamais dans ma mémoire. Un
Jésus, brutalisé, blessé, qui va bientôt encore retomber sous le poids de
la Croix. Sa mère s'est frayé un chemin sur la Via Dolorosa. Comme elle
court vers lui, elle revoit dans un " flash-back " Jésus enfant, tombant
sur la route de terre à l'extérieur de leur maison. Alors qu'elle cherche
à le protéger de cette chute, elle tente de toucher son visage d'adulte
meurtri.
Jésus la regarde alors avec des yeux si pleins d'amour pur, une expression
si sincère (et c'est comme s'il regardait chacun de nous à travers
l'écran) et il dit " Voici que je fais toutes choses nouvelles".
Ces mots sont extraits du dernier livre du Nouveau Testament : le livre
des Révélations. Soudainement, le sens de toute cette souffrance devenait
si clair et les blessures, plus tôt dans le film qui étaient si difficiles
à voir sur son visage, son dos, en fait sur tout son corps, prenaient une
dimension d'une beauté si intense. Toutes ses souffrances avaient été
offertes volontairement par amour.
Après la fin du film et que nous ayons eu la chance de récupérer un peu de
toutes ses émotions, une période de questions et de réponses s'ensuivit.
Les éloges unanimes pour le film, venant d'une foule très disparate,
furent aussi stupéfiants que les compliments étaient démonstratifs. Parmi
les questions posées, inévitablement la fameuse question qui semble
rattachée à ce film, même s'il n'est pas encore à l'affiche pour le grand
public. "Pourquoi ce film est-il considéré par certains comme
antisémite?".
Franchement, après avoir vu " LA PASSION " (mais vous vous ne l'avez pas
encore vu), c'est une question à laquelle il est impossible de répondre.
Un " homme de loi " pour qui j'ai beaucoup d'admiration était assis en
avant de moi. Il leva la main et répondit : " Après avoir vu ce film, je
ne puis comprendre comment quiconque peut insinuer qu'il est même suggéré
que ce sont les juifs qui ont tué Jésus. Ce n'est pas du tout cela". Et il
continua: "Ce film m'a permis de réaliser que ce sont mes péchés qui ont
tué Jésus ".
Je partage cet avis. Il n'y pas une parcelle d'antisémitisme qui puisse
être relevée dans ce film si puissant. S'il y en avait eu j'aurais été le
premier à le clamer. Ce film raconte avec une grande foi l'histoire de
l'Evangile d'une manière dramatiquement belle, sensible et avec un
engagement profond. Ceux qui allèguent cela, ou bien n'ont pas été voir le
film, ou bien ont un but inavoué qui expliquent leurs critiques.
Ce n'est pas un film " chrétien ", dans le sens qu'il va toucher seulement
ceux qui s'identifient comme disciples du Christ. C'est une histoire
profondément humaine, si belle, qui touchera profondément tous les hommes
et toutes les femmes. C'est une oeuvre d'art merveilleuse. Oui, il est
vrai que le producteur est un catholique et que, Dieu merci, il est resté
fidèle aux textes des Evangiles; si cela n'est pas un comportement
acceptable, alors nous sommes tous dans le pétrin! La vérité historique
demande d'être fidèle aux sources et les Chrétiens ont le droit de le
proclamer.
Après tout, nous croyons que c'est la plus grande histoire jamais racontée
et que le message d'amour qui en découle est destiné à tous les hommes et
à toutes les femmes. Le plus grand de tous les droits est celui d'écouter
et d'entendre la vérité.
Nous serions bien avisés de nous rappeler que les textes des Evangiles
auxquels "LA PASSION" est si fidèle ont été écrits par des juifs qui
suivaient un autre juif dont la vie et les écrits ont changé à tout jamais
l'histoire du monde. Le problème n'est pas le message mais ceux qui l'ont
déformé et utilisé plus pour la haine que pour l'amour. La solution n'est
pas de censurer le message, mais plutôt de promouvoir le genre de
merveilleux cadeau d'amour qu'est le plus grand film de Mel Gibson "LA
PASSION". Il doit être vu par le plus grand nombre possible de personnes.
J'ai l'intention de faire tout ce que je peux pour que ce soit le cas. Je
suis passionné par ce film "LA PASSION".
Faites-le aussi. Ne ratez surtout pas ce film.
haut de page
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Le cardinal Lustiger
recommande la pratique du Chemin de Croix
CITE DU VATICAN, Jeudi 26 février 2004 (ZENIT.org) – Le
cardinal Lustiger affirme préférer l’icône" à la "photographie"
représentant un sujet religieux et à l’icône le "sacrement", le chemin
de Croix que les fidèles "font" à sa représentation : le chrétien,
rappelle-t-il, vit dans la dimension du "sacrement".
Lors de la rencontre de vendredi dernier 20 février avec les
journalistes, lors de la visite ad limina des évêques de la région d’Île
de France, le cardinal Lustiger s’est refusé à donner un point de vue
sur le film de Mel Gibson "La Passion". Il précisait qu’il avait un
point de vue "très personnel" sur le rapport entre les récits
évangéliques et ses représentations.
Il expliquait : "Je suis très réservé sur toute
théâtralisation de la Passion, même si je comprends que cela puisse se
faire, et encore plus sur son expression par l’image électronique ou
chimique".
"Comme Chrétiens, soulignait l’archevêque de Paris, nous vivons dans le
domaine du sacrement. A chaque Eucharistie c’est tout le mystère de la
Passion et de la Résurrection qui nous est donné: il ne nous est pas
donné sous la forme d’un spectacle que l’on regarde, mais sous la forme
d’un acte de la puissance divine qui se communique. La figuration
peut-être une régression absolue. Cela touche beaucoup l’affectivité,
l’imagination, mais c’est très ambigu. Je ne dis pas que cela est "mal".
Je laisse la liberté à chacun, mais je préfère une icône à la
photographie d’un acteur qui joue le Christ, et je préfère encore le
sacrement à l’icône. Cela m’est plus utile pour la prière et je pense
que c’est plus utile pour le peuple chrétien aussi".
Le cardinal évoquait l’exemple du film de Pasolini sur l’Evangile selon
saint Matthieu, où il voit une "subtilité double". D’une part,
expliquait le cardinal Lustiger, Pasolini a choisi de prendre "un
Evangile complet, et pas une recomposition du récit". D’autre part, il
utilise un "double filtre" : "Il lit la Passion à travers le regard de
sa mère" et "il l’a exprimée du point de vue stylistique à travers
l’iconographie picturale italienne".
Le cardinal disait reconnaître dans la "subtilité des deux filtres", le
signe d’un "homme de culture catholique fine, même si on ne sait pas
s’il était croyant". Le film présente "une double distance, grâce aux
yeux de sa mère qui dans le film, représentait Marie au pied de la
Croix, et à travers les tableaux qu’il avait contemplés dans son
enfance". Il résumait : "le film était déjà supporté par toute une
mémoire".
L’archevêque proposait un autre exemple dans la liturgie : "Quand
j’entends des prêtres ou des diacres qui "mettent le ton" comme des
acteurs, cela me gêne", avoue-t-il : "je préfère la vieille tradition
liturgique catholique qui consiste au contraire à chanter sur un air
codifié, comme le font les Byzantins de leur côté, et non pas à chanter
comme à l’Opéra ; nous aussi nous avons une tradition, il y a un
hiératisme réel du texte, il n’est pas irréel, il est réel, ce n’est pas
un spectacle".
"Quand nous faisons un Chemin de Croix, que
faisons-nous ? quelle est la piété du Chemin de Croix, interrogeait le
cardinal, c’est que les fidèles "font" le Chemin. Ils ne s’assoient pas
dans un fauteuil pour regarder quelqu’un faire le Chemin de Croix. Ils
marchent. Certains même portent une croix, ce qui est tout à fait
différent".
"Les arts plastiques, continuait l’archevêque, ont le
mérite d’être des transpositions évidentes. Tout art plastique est une
interprétation. Et donc, à ce titre, on peut aimer, ne pas aimer, y être
sensible, ne pas y être sensible. Je pense que nous n’avons pas réfléchi
à ce que représente notre septième art. Ce sont des problèmes terribles
pour notre civilisation, indépendamment de ce film".
Il citait le festival chrétien du cinéma qui a lieu
chaque année à Paris : des spécialistes sélectionnent des films pour
voir comment s’exprime "une certaine profondeur humaine et spirituelle à
partir de tel ou tel thème".
Le cardinal insistait sur l’importance de l’interprétation, des clefs
"herméneutiques" en faisant remarquer : "Faute d’une éducation du
regard, et de l’intelligence, la télévision risque d’abrutir les gens
plus que de les éduquer. Il faudrait que l’outil télévisuel fasse
lui-même une herméneutique, une interprétation de ce qu’il donne".
ZF04022605
SUITE du 30.03.04...
CITE DU VATICAN, Mardi 30 mars 2004 (ZENIT.org) – "La
sincérité du cinéaste n'est pas en doute et le film attirera des
hommes et des femmes qui cherchent peut-être à savoir qui est Jésus" :
Le Comité permanent pour l'information et la communication de la
conférence des évêques de France publie aujourd’hui cette prise de
position sur le film "La Passion du Christ" de Mel Gibson (cf.
www.cef.fr)
Communiqué
Le film "La Passion du Christ" de Mel Gibson sort en
France mercredi 31 mars. Ce film a suscité dès avant sa sortie en
salle, une polémique et des réactions contrastées.
La sincérité du cinéaste n'est pas en doute et le film
attirera des hommes et des femmes qui cherchent peut-être à savoir qui
est Jésus. Dans ce film pourtant, le visage du Christ transparaît
moins que nos obsessions contemporaines : angoisse du mal, fascination
pour la violence, recherche de coupables.
Le cinéaste, imprégné d'une certaine culture
cinématographique, a choisi de mettre en images les dernières heures
de la vie du Christ, avec une volonté affichée de reconstitution
historique.
Ces choix ne sont pas sans conséquence :
* Le choix d'isoler la Passion de la vie et de la prédication du
Christ d'une part, et des récits sur le Ressuscité d'autre part,
raccourcit le message des évangiles de manière problématique. Les
quelques flashes-back, trop allusifs, ne permettent pas de prendre en
compte les motifs complexes qui ont peu à peu suscité l'adhésion des
foules à Jésus, et la controverse sur sa personne, ses intentions, son
mystère.
* En particulier, ce parti pris d'isoler la Passion de
la prédication du Christ conduit à ne rien montrer des controverses
entre Jésus et les pharisiens, les scribes et les chefs des prêtres :
le film les prend à l'heure de l'arrestation et de la comparution du
Christ, dans une colère démente. Ainsi, indépendamment de savoir si le
film est intentionnellement antisémite, il pourrait être utilisé pour
conforter des opinions antisémites.
* Si le film rappelle crûment l'atrocité des supplices
subis et de la mort sur la croix, il le fait avec une complaisance
choquante dans le spectacle de la violence. Cette violence, qui
submerge le spectateur, finit par occulter le sens de la Passion et
plus largement, l'essentiel de la personne et du message du Christ
: l'amour porté à sa perfection dans le don de soi consenti.
* Cette violence extrême justifie que le film soit
interdit aux moins de 12 ans. N'est-il pas paradoxal qu'un film sur
Jésus ne puisse être montré à des enfants ?
Comité permanent pour l'information et la communication
:
+ Mgr Jean-Michel di Falco, président du COPIC
+ Mgr Georges Pontier, vice-président de la Conférence
des évêques de France
+ Mgr Thierry Brac de la Perrière
+ Mgr Jean-Charles Descubes
+ Mgr Jacques Perrier
+ Mgr Jean-Yves Riocreux
ZF04033009
..... et la Suite de la Suite ...
CITE DU VATICAN, Mercredi 31 mars 2004 (ZENIT.org)
Le P. Philippe Vallin, c.o., Secrétaire de la
Commission Doctrinale de la conférence des évêques de France publie
cette note doctrinale sur le fils de Mel Gibson, Passion, en
remarquant: "ce témoignage d’un Chrétien sincère doit être pourtant
soumis plus que d’autres à la vigilance des pasteurs de l’Eglise". Il
en explique les motifs. Nous avons publié hier le communiqué de la
commission Communication de la conférence des évêques de France.
Note doctrinale sur Passion, le film de Mel Gibson
1. Il faut saluer l’engagement personnel d’un comédien et d’un
cinéaste de talent, qui met les ressources considérables de son art au
service d’un témoignage de foi. Il n’y a pas de raison de douter de la
sincérité de cet élan pour le Christ, le "Serviteur souffrant".
2. En même temps, aucun Chrétien n’est assuré de produire un
témoignage chimiquement pur. Il serait injuste de faire le reproche à
Mel Gibson de personnaliser son regard sur le Seigneur, en le
mélangeant des couleurs de sa spiritualité propre. Ce film, donc,
comme toutes les œuvres d’art imaginées à partir des récits des quatre
évangiles, représente les mystères de Jésus selon un angle de vue, et
il ne peut pas échapper aux déformations, certaines de grande portée,
imposées par ses choix.
3. Ce témoignage d’un Chrétien sincère doit être pourtant soumis plus
que d’autres à la vigilance des pasteurs de l’Eglise, et ceci pour
deux motifs :
* Mel Gibson a réussi un film efficace, dont la prouesse technique,
dans le genre d’un Gladiator, rencontrera les goûts du public habitué
au cinéma, et en particulier du public des jeunes, même très peu
informé des convictions chrétiennes : la violence, et ses codes
actuels de représentation spectaculaire, dans le mélange qu’on en fait
avec des notions sacrées, allusives ou indistinctes, correspond à des
attentes très puissantes du public, mais très suspectes. Certains
appellent "gothique" cet univers de sensations fortes et mêlées. Les
diableries y ont une part exagérée comme tout justement dans le film
de Gibson, lequel sort plusieurs fois ici de la lettre des Ecritures…
Ceci dit, quel artiste chrétien peut se dispenser, au nom du geste pur
d’une esthétique universelle introuvable, de correspondre en quelque
façon au public tel qu’il le trouve, tel qu’il est ?
* Un film n’est pas dans notre monde le volet d’un retable caché en
quelque musée de province discret : le Crucifié du retable d’Issenheim
à Colmar est, lui aussi, insoutenable de violence littérale. Mais son
impact suit des logiques culturelles moins "invasives" qu’un film dont
le lancement est mondial.
4. Au jugement du théologien, l’option esthétique la plus périlleuse
de ce film réside dans le parti pris d’isoler la passion de la
prédication de Jésus, d’un premier côté, et des récits sur le
Ressuscité, d’un autre côté. La littéralité de la violence revêt dans
l’isolement des scènes de la Passion une brutalité presque absurde, à
peine illustrée par des retours en arrière sur la vie publique du
Christ, et les trois ans de sa prédication. Il est possible, non pas
certain, que les millions d’Américains spectateurs du film aient quant
à eux une culture biblique suffisante, pour suppléer et donc affronter
le terrible manque de motifs et de raisons dans lequel l’histoire de
Jésus est ici plongée dès la première scène de l’agonie.
En tout cas, pour ce qui concerne les publics français, ceux en
particulier que risque de fasciner l’esthétique du film, célébrée
probablement par le bouche à oreille des jeunes, il est regrettable
que soient occultés tous les motifs complexes qui ont peu à peu fait
monter à la fois l’adhésion des foules à Jésus, et aussi la
controverse sur sa personne, ses intentions, son mystère. Les mentions
du film sont ici beaucoup trop allusives, en particulier à l’adresse
de spectateurs peu éclairés sur la foi chrétienne.
Or, Jésus a choqué ; ce que la théologie a pris l’habitude de nommer
ses prétentions (pardonner les péchés, transgresser la lettre du
sabbat en maître de l’esprit du sabbat, relativiser le fait du temple
de Jérusalem etc.), a provoqué des questions légitimes parmi les Juifs
ses frères. Les réponses qu’il a apportées n’étaient pas mécaniquement
convaincantes et supposaient qu’un Pharisien, un centurion romain, un
publicain, un lépreux, s’en remettent à son autorité inouïe par un
acte de foi, renouvelé à la racine.
L’heure de la Passion ne vient qu’après de nombreuses autres heures de
la vie du Christ parmi les hommes, − non parmi les brutes −, heures
lourdes ou heureuses, claires et obscures, iréniques ou polémiques.
Des phrases du Verbe incarné, vraie Parole de Dieu, ont longuement
précédé les terribles silences de "l’agneau muet mené à l’abattoir",
et elles voulaient toujours être comprises "conformément aux
Ecritures". Le spectateur moins averti est exposé au risque de ne
comprendre dans ces deux heures d’horrible lynchage qu’une espèce
d’événement erratique, un déchaînement de violence furieuse, démente,
incompréhensible en tout. Pire : il n’est pas exclu que l’attitude de
Jésus soit interprétée selon les catégories ambiantes du système
paradoxal de la non-violence, ou même de la structuration névrotique
de la corrélation sado-masochiste. Celui qui ne se défend pas
appellerait en somme sur lui-même les coups. Les évangiles, loin de ce
genre de perspectives, sont très nuancés, multiples, et surtout ils
sont saturés de la grande liberté du Sauveur : ils échappent tout à
fait à des mécanismes aussi grossiers.
De l’autre côté, la résurrection est ici montrée, contre l’esprit des
évangiles, comme un événement en solitaire et perceptible de soi,
antérieur à la logique de rencontre et de témoignage des apparitions.
Or, les récits d’apparition supposent la mystérieuse liaison d’amour
du Ressuscité aux témoins qu’il choisit avec soin, et la communion
retrouvée entre les disciples.
5. Cette option d’isolement de la Passion conduit à une autre
équivoque théologique de grande portée : le péché du monde, et en face
de lui, l’intention de salut et de pardon qui dirige l’existence du
Fils de Dieu venu parmi les hommes, ne sont pas dans la nécessité, là
encore toute mécanique, de se négocier au prix du sang. Comme si Dieu,
en sa Toute-Puissance, était de toute éternité soumis à une règle
souveraine qui l’oblige et le contraigne, lui aussi, le Dieu
infiniment libre : l’injustice des hommes ne pourrait être compensée,
corrigée, guérie que par la justice de Dieu le Père mais au prix des
souffrances et de la mort du Fils.
"Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne", dit au
contraire Jésus. "Nul n’a pris la vie" du Christ, encore moins une
espèce de règle abstraite de compensation. C’est au contraire l’amour
de Dieu et sa miséricorde qui ont représenté devant nous, pour nous
convertir le cœur, la logique tueuse du péché. Logique à l’œuvre dans
l’histoire de ce monde et entre nous, logique qui s’en prend même à
l’Homme juste, à l’Homme bon, à l’Innocent. Alors, rejoint jusqu’à
l’intime par la logique du péché de ce monde − c’est l’agonie −, le
Christ Jésus va pourtant vivre et même exposer en sa mort l’extrême de
son amour : sa totale liberté d’aimer va dominer la nécessité
mécanique du péché.
Il n’y a plus rien ici d’aliénant, rien de calculé, rien d’abstrait :
cet homme-là qui est Dieu, et lui seul, a pu nous aimer au-delà de nos
péchés à l’heure incomparable, unique, inespérée de la Passion. En ce
sens, il a "satisfait" suggère le Concile de Trente après saint
Anselme : autre mot pour faire valoir comme M. Gibson la mystérieuse
prophétie du Serviteur souffrant (Is 53).
Il ne faut pas dire que notre cinéaste soit étranger à ce mystère de
la miséricorde divine. Mais la nécessité du sang réparateur est ici en
grand péril de masquer la décision filiale de l’amour. Les raisons de
la miséricorde ont eu chez lui moins de place pour s’expliquer que les
déraisons, et même les démences du péché. Encore une fois, des
Chrétiens très assurés de leur foi pourraient eux les suppléer. Mais
les autres…
6. La croix que l’Eglise célèbre est celle que Jésus a demandé aux
disciples de prendre sur leurs épaules pour le suivre et l’imiter. Or,
le film de Gibson montre la croix inimitable, repoussante, absurde. Il
semble pourtant qu’on puisse croire, avec l’Evangile de Jean, que la
Mère de Dieu et "le disciple bien aimé" devant Jésus crucifié aient su
dépasser dans un acte de foi abyssale l’extrême de la douleur, et
qu’ils aient reçu alors d’y contempler quelque chose de l’extrême de
l’amour. C’était cet amour seul qu’il faudrait imiter. Avant nous et
pour toute l’Eglise, l’une et l’autre commençaient peut-être à
éprouver ce que les témoins du jour de Pâques allaient communiquer à
tous les Chrétiens, le mystère résumé en ce cri qu’on voudrait lancer
à l’adresse de Mel Gibson : "Cette croix, nous l’avons trouvée belle
!". François d’Assise, Jean de la Croix, Maximilien Kolbe n’ont pas
embrassé une autre croix que celle de l’amour extrême, la croix
glorieuse, la croix de vie.
A voir ce film, on se demanderait presque si les seuls disciples
authentiques du Jésus de M. Gibson ne seraient pas ces candidats
exotiques à l’imitation du Crucifié que la télévision nous montre
chaque Vendredi Saint, entrant dans une mimétique exacte des tourments
du Christ (coups, plaies, clous), mais si extérieure aux profondeurs
de l’amour, et au juste si déplacée. Un indice d’équilibre nous est
ici procuré par la liturgie de l’Eglise : on n’y pratique la lecture
publique de la Passion qu’au Dimanche des Rameaux et au Vendredi
Saint. Mais en revanche, à chaque eucharistie, la croix du Seigneur se
lie à sa gloire dans la puissance du Dieu qui est amour.
7. On doit s’interdire d’instruire un procès d’intention contre
l’auteur de ce film sur le sujet de l’antisémitisme. Mais il demeure
vrai qu’objectivement, le parti qu’il a pris de ne rien montrer de la
violence des controverses entre Jésus et les Pharisiens, les scribes,
les chefs de prêtres, aboutit à cet effet de mutilation mécanique :
les Juifs du Sanhédrin sont ici largement privés de l’expression des
motifs, reçus de la Révélation elle-même, qu’ils avaient eus d’être au
moins surpris, heurtés, contredits, par la prédication du Rabbi de
Nazareth. On les prend à l’heure du procès comme à l’heure d’une
colère démente, invincible et sournoise. C’est au moins mentir à la
dramatique intégrale des évangiles. Or, à la différence des soudards
romains, qui ne se trouveront pas d’héritiers dans la France de 2004,
le peuple juif par le don de Dieu a pour lui une continuité historique
irrécusable. Comment ne serait-il pas blessé à la représentation
tronquée du choc que Jésus, le Médiateur d’une Alliance Nouvelle, a
sciemment provoqué au milieu de ses frères par sa prétention
d’accomplir ? Choc du plus grand amour, assurément ; mais celui
d’entre nous qui le sait, le sait par le don de l’Esprit-Saint.
Ce film sera vu par beaucoup : puissent-ils s’approcher davantage du
mystère de Jésus par les débats où ils entreront selon la sagesse de
la foi, ayant laissé s’amortir en eux les turbulences de la
sensibilité.
Ph. Vallin, c.o.
ZF04033110
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______________________________
... Et
la Résurrection
trouvé sur Scripta Manet
http://tradition.free.fr/citations/R.html#Ratzinger_Mgr
"En conséquence, la Résurrection ne
peut pas être un événement historique dans le même sens que la
Crucifixion. Elle n'est décrite en tant que telle par aucun récit,
et sa réalisation n'est pas déterminée autrement que par l'expression de
type eschatologique de : "le troisième jour". "
(Joseph, cardinal Ratzinger, "Les
principes de la théologie catholique - Esquisse et matériaux",
Collection Croire et Savoir, ed. Téqui 1985, p.208)
haut de page
______________________________
France: Des jeunes font connaître le
Christ à l'occasion de la sortie du film de Mel Gibson
ROME, mardi 30 mars 2004 (ZENIT.org) - A l'occasion de la
sortie en France du film de Mel Gibson, la Passion du Christ, les
membres du Forum pour la Nouvelle Evangélisation
www.nouvelle-evangelisation.fr ont voulu mener une action
d'évangélisation de rue afin de faire connaître la personne de
Jésus-Christ par-delà les polémiques que suscite le film.
A partir du 31 mars un dépliant en couleurs intitulé "Qui
est Jésus-christ ?" sera diffusé à 100.000 exemplaires dans toute la
France, dans les gares, sur les marchés, les lycées. A partir du 31 mars
également, sera ouvert un site internet www.qui-est-jesus.com afin de
faire connaître le Christ et son message de manière plus complète.
ZF04033004
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______________________________
Sous l'effet de "La
Passion"
Présent du 30.03.2004
Dan Leach, un Américain de 21 ans, qui avait camouflé le
meurtre de sa compagne enceinte en suicide, a confessé son crime, il y a
quelques jours, après avoir été bouleversé par le film de Mel Gibson.
Le corps de son amie, Ashley Wilson, 19 ans, avait en
effet été retrouvé pendu dans son appartement le 19 janvier dernier. Sans
raison réelle de soupçonner Leach, la police avait alors conclu au
suicide.
Mais, allant voir La Passion de Mel Gibson au début du
mois, Leach devait en sortir transformé. Dévoré par les remords, il allait
se rendre le 7 mars dans une église afin de confesser son crime, puis se
constituer prisonnier dans un commissariat de Fort Bend County, au
sud-ouest de Houston.
Interrogé sur la cas Dan Leach, le lieutenant de police
Jim Pokluda, pas vraiment surpris, a expliqué vendredi : « La Passion est
un film très fort. Il peut pousser un homme à réfléchir à deux fois à
propos d'un péché qu'il a commis »... Pour cela aussi, ce film sera le
bienvenu en France.
FRANCK DELÉTRAZ
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Voir aussi : |
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le pouvoir...
par Machiavel, la Bible, l'Evangile ... et les autres ... |
 |
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haut de page |
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mes résonances....
Merci de transmettre le message également au cardinal
Lustiger ... si cela vous est possible.
Bien cordialement
Robert
-----Message d'origine-----
De : Zenit-Français [mailto:infofrench@zenit.org]
Envoyé : samedi 28 février 2004 13:53
À : Robert Sablong
Objet : Re: La Croix et le cardinal
Merci de votre message qui a été transmis aux
journalistes de Zenit.
Cordialement,
Geneviève Sidaner
Agence ZENIT
----- Original Message -----
From: Robert Sablong
To: infofrench@zenit.org
Sent: Saturday, February 28, 2004 1:05 PM
Subject: La Croix et le cardinal
Le cardinal Lustiger recommande la pratique du Chemin de Croix" paru ce
jour à la suite de la rencontre de vendredi dernier 20 février avec les
journalistes.
Extraits: "..... le cardinal Lustiger s’est refusé à
donner un point de vue sur le film de Mel Gibson "La Passion".". Il
précisait qu’il avait un point de vue "très personnel" sur le rapport
entre les récits évangéliques et ses représentations.
Il expliquait : "Je suis très réservé sur toute théâtralisation de la
Passion, même si je comprends que cela puisse se faire, et encore plus
sur son expression par l’image électronique ou chimique".
....
Le cardinal insistait sur l’importance de l’interprétation, des clefs
"herméneutiques" en faisant remarquer : "Faute d’une éducation du
regard, et de l’intelligence, la télévision risque d’abrutir les gens
plus que de les éduquer. Il faudrait que l’outil télévisuel fasse
lui-même une herméneutique, une interprétation de ce qu’il donne".
Ce texte me fait beaucoup de peine ....
Lors d'une conférence de presse .... le cardinal est sensé exprimer, je
suppose, le point de vue .. de l'Eglise et non son point de vue
personnel. ... et de plus vous reprenez cela au nom de Zenit, le monde
vu de Rome....
Ne vaudrait-il pas mieux que la sortie de ce film donne à l'Eglise
l'occasion de faire elle-même pour les croyants et les non-croyants ,
"une herméneutique " de la Passion .....de la Croix ? D'autant que cela
est d'actualité !
Et plus généralement comment espérer de ceux qui abrutissent les gens
...l'éducation du regard, et de l’intelligence des gens ...de leurs
fonctions de discernement ... n'est-ce pas là, la mission principale de
l'Eglise en cette civilisation de l'image ?
Quel est la position de l'Eglise quant à une herméneutique au regard des
philosophes contemporains ...Exemple .. René Girard ? Michel Henri ?
Remercions toutefois le cardinal ...pour nous faire éprouver un début de
pratique du chemin de Croix .... assis devant un écran électronique
.....
Mais sommes nous dans le vrai ?
En toute sympathie ....
Paule et Robert Sablong
NB .... je serais extrêmement heureux de pouvoir discuter et participer
aux actions de l'Eglise dans l'esprit de l'éducation du regard et de
l’intelligence des gens ... ces fonctions du discernement ...
à votre disposition.
Robert
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______________________________
N'obéissez plus ... sans adhérer ...
______________________________
7 mars 2008
Le Saint-Père
a nommé aujourd'hui Mgr Pascal Ide,
Chef de bureau près la Congrégation pour l'éducation catholique.
Le Père Ide est notamment l'auteur de
Le Zygote
est-il une personne humaine ? et il a écrit une
belle défense du film de Mel Gibson, La Passion du Christ.
Réactions de Pascal IDE, prêtre et
cinéphile
par
webmaster
La Passion du Christ de
Mel Gibson "Tout l’immense appareil de l’incarnation et de la rédemption
n’a-t-il pas été dressé pour désentraver l’homme, pour l’empêcher de
rester tombé dans l’esclavage et j’ai presque envie de dire dans
l’habitude du péché originel. Car le péché était surtout devenu une
immense habitude. Et l’esclavage est l’habitude pour ainsi dire la plus
habituée ."
Après avoir vu le film de Mel Gibson, je suis resté immobile sur mon
fauteuil, soulagé que le générique me permette de demeurer recueilli,
soulagé aussi que mes voisins, ainsi qu’on me l’a souvent raconté depuis
, ne sortent pas trop vite du silence. "Le reste est silence ." Quand on
me demandait ensuite ce que j’avais pensé du film, il m’était difficile
de répondre. La question était trop générale : comment donner une
réponse qui vaille pour un autre ? Comment parler de ce film sans ne
parler que de soi ? Je ne pense pas d’abord à la violence inimaginable.
Je songe surtout à la rencontre avec Celui qui, pour un chrétien, est
tout et qui lui est Tout.
Puis, l’inanité de certaines objections pourtant répétées, la justesse
de questions profondes et difficiles, des demandes multiples m’ont
invité à sortir de ma réserve. Je me suis aussi rendu compte que,
paradoxalement, plus une réalité est intime, plus elle est communicable,
mais en profondeur. Le Christ, être personnel par excellence, n’est-il
pas aussi la seule véritable Personne universelle, lui qui, élevé de
terre sur la Croix, a voulu attirer tous les hommes à lui (Jn 12,32) ?
Pour moi, le film de Mel Gibson est un grand moment de cinéma,
esthétique, spirituel et, j’oserais dire, théologique. Il n’en demeure
pas moins imparfait, voire périlleux, comme je le dirais en son temps.
Après m’être affronté aux difficultés le plus souvent opposées à ce film
- elles sont principalement au nombre de trois : il favorise la haine
antisémite ; il n’honore pas la vérité du christianisme ; il met en
scène une violence insoutenable -, je tenterai une brève relecture
théologique.
1) Un film antisémite ?
Cette objection se présente sous deux formes.
Un
antisémitisme intentionnel ? D’abord, le film montre à l’évidence que la
responsabilité de la faute n’est en rien l’apanage d’une classe
d’humanité : les juifs comme les païens, ainsi que l’affirme le début de
l’épître aux Romains, sont tous coupables et sous le coup de la "colère
de Dieu" (Rm 1 et 2). Et même si les premiers sont les "accusateurs" et
les initiateurs, Pilate est beaucoup plus qu’un exécutant. A la violence
des gardes juifs qui blessent Jésus au visage et le ligote étroitement
répond la violence autrement plus sanguinaire de la chiourme impériale
qui perd ici toute la superbe que certains films, très idéalisants, se
sont complu à donner à la Roma æterna. Dans le même ordre d’idées, il
est clairement montré que les responsables sont non le peuple juif, mais
Caïphe et les (certains) grands prêtres qui, d’un côté, manipulent la
foule et de l’autre, intriguent auprès des autorités romaines.
"L’accusation d’antisémitisme ne tient pas", dit Patrick Jarreau dans Le
Monde. "Rien, dans le film, n’affirme ou ne suggère une culpabilité
collective des juifs. Ceux qui réclament la mort du Christ ne sont pas
les juifs en tant que tels, mais les prêtres de Jérusalem, ou la
majorité d’entre eux, et la partie du peuple qui les suit. Jamais
n’apparaît, non plus, l’idée d’une faute qui descendrait le cours des
générations juives ." Plus encore, se refusant à tout manichéisme, la
réalisation s’attache à montrer que, dans toutes les catégories
sociales, des personnes se refusent à cette ignominieuse condamnation :
un des membres du Grand Conseil qu’on devine être Nicodème dénonce la
forfaiture et se fait violemment exclure. Surtout, le premier
responsable du mal est dénoncé tout au long du film et dès le début dans
une scène riche de résonance biblique et théologique : au jardin de
Gethsémani apparaît un très inquiétant personnage, androgyne, dans son
visage comme dans sa voix ; alors qu’il murmure : "Comment un homme
peut-il porter seul le poids du péché ?", un serpent pâle sort de sous
son vêtement et s’approche de Jésus. Celui-ci tourne alors son regard
vers le Ciel : "Père, tout est possible à toi", et son talon écrase la
tête venimeuse. N’est-il pas signifié que le combat initié à la Genèse (Gn
3,15) atteint ici son sommet et que l’ennemi par excellence vaincu par
le Nouvel Adam est, non pas l’homme, a fortiori telle catégorie
d’hommes, mais l’Adversaire, étymologiquement le Satan ? Par ailleurs,
dans un passage émouvant, à la fin du Chemin de Croix, Jésus croise le
regard des prêtres qui l’attendent et le scrutent. Or, au même moment,
l’on voit et entend Jésus prononcer les paroles de la parabole du Bon
Pasteur : "Je suis le bon pasteur. Je donne ma vie pour mes brebis. Ma
vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne. J’ai le pouvoir de la
donner et j’ai le pouvoir de la reprendre." (Jn 10,11.14.17-18) Comment
mieux dire qu’il offre sa vie pour ceux qui l’observent sans nulle
compassion ? Comment mieux dire que si ses accusateurs veulent lui ôter
la vie, Jésus y consent de tout son être, car, continue Jésus : "tel est
le commandement que j’ai reçu de mon Père" (Jn 10,18b) ? Or, comme
l’affirme une autre parole de Jésus rappelée à un autre moment, "il n’y
a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime" (Jn
15,13). C’est donc que, loin d’exclure les Juifs, loin de haïr son
peuple, au moment où certains de ses représentants - et pas seulement
eux - lui manifestent le plus de haine, Jésus l’aime jusqu’à l’extrême (Jn
13,1). Ces paroles sont d’autant plus notables qu’elles sont tirées d’un
Evangile dont on a parfois pu dire, à tort, qu’il entretenait
l’antisémitisme . Dans le même ordre d’idées, Mel Gibson a fait choix de
mentionner que deux membres du Sanhédrin s’opposent à la condamnation,
alors que, dans les Evangiles, il est dit que "tous" étaient contre lui.
Le cinéaste a donc choisi, contre la littéralité du texte, mais bien
dans son esprit et en conformité avec d’autres passages (Jn 7,50-52),
d’adoucir la violence de la foule unanime dans le lynchage. Plus tard,
sur la croix, Jésus répètera la prière de pardon - "Père, pardonne-leur"
- d’abord destinée aux bourreaux romains, au moment où Caïphe vient
l’insulter. Et celui que la tradition appelle "le bon larron" ne se
trompe pas sur l’intention du Christ qui dit à Caïphe passant devant lui
à dos de mulet : "Ecoutez, il prie pour vous." Dans son attitude même,
Jésus invite à l’amour de tout homme. Enfin, loin d’induire un
marcionisme, ce prétendu christianisme rompant les amarres avec ses
origines juives, le film témoigne au contraire de la greffe de l’olivier
sauvage (le païen porté par la racine) sur l’olivier franc (la racine
juive) (cf. Rm 11,16-24) : depuis la citation d’Is 53,4 ("C’était nos
souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé") qui ouvre
l’histoire, jusqu’à l’emploi de la langue araméenne (alors qu’il eût été
tellement plus facile et nullement choquant d’employer une langue
actuelle), en passant par l’identité juive de Jésus constamment
soulignée voire célébrée : "Cette Passion se révèle peut-être, contre
toute attente, écrit Michel Kubler, comme le premier film où la judéité
de Jésus est si bien soulignée : à plusieurs reprises, il répond par un
psaume à ce qu’il doit subir, et Marie, apprenant l’arrestation de son
fils, en cherche le sens avec les mots de la Haggadah, le rituel de la
Pâque juive." Et le journaliste de La Croix conclut : "Il faut dire
d’abord, très nettement, que celui-ci n’a rien d’antisémite […]. À aucun
moment n’est suggérée une culpabilité du peuple juif comme tel dans la
mort de Jésus ."
Un
antisémitisme non-intentionnel ? L’objection peut prendre une autre
forme : et si, contre l’intention même de Mel Gibson, le film pouvait
inciter à l’antisémitisme ? L’on touche là un point qui sera développé
plus loin : une bonne intégration de l’image suppose la formation de la
volonté et de l’intelligence. Quant à la volonté libre, le film ne peut
susciter d’attitude antisémite que chez celui qui y est prédisposé.
C’est trop donner à l’image que de croire qu’elle puisse secréter par
elle-même une attitude intérieure et trop peu octroyer à la place du
choix . Quant à l’intelligence, La Passion du Christ nous jette en plein
procès et présuppose connues les pièces du dossier. Dans leur ignorance,
les chefs de prêtres, les Pharisiens, les scribes, semblent muer par une
haine aveugle, alors qu’un certain nombre agissaient en croyant être
fidèles à la Révélation biblique. Voilà pourquoi, surtout face au
constat que la majorité des spectateurs n’a malheureusement plus aucune
connaissance des Écritures, on pourra regretter que Mel Gibson n’ait pas
inséré une ou plusieurs scènes de controverse en flashback. Voilà aussi
pourquoi, on le redira, un travail de formation - et déjà d’information
- sera plus que nécessaire ; à moins que le film lui-même ne suscite un
intérêt pour la lecture de la Bible.
2) Un film contraire à la
vérité ? Cette difficulté se présente sous deux formes : le film ne
respecte pas la vérité des Evangiles ; il ne respecte pas la vérité même
de l’événement du salut. a) Un film irrespectueux de la vérité
biblique ?
Un
manque de fidélité à l’Evangile ? Mel Gibson, dit-on, rajoute au texte
scripturaire. La liste de ces additions serait fastidieuse. Notons par
exemple les chutes multiples sur le Chemin de Croix, la désarticulation
du bras de Jésus pour permettre l’enfoncement du clou, le crèvement des
orbites du mauvais larron par le corbeau. Par ailleurs, le scénario
manque à la fidélité littérale : pourquoi Pierre trahit-il, dans le
palais du Sanhédrin et non pas dehors, comme le disent les Evangiles (Mt
26,69 et //) ? pourquoi la tunique du Christ est-elle déchirée, alors
que l’Evangile selon saint Jean dit expressément le contraire (Jn
19,24) ? De plus, certaines interprétations manquent de crédibilité :
Mel Gibson a opté pour la position du clou adoptée par la majorité des
représentations plastiques, le milieu de la paume ; il a choisi de faire
porter à Jésus la croix en son entier et non le seul patibulum (la barre
transversale). Enfin, certaines interprétations manquent à un juste sens
des Ecritures, et cela est singulièrement vrai de la Résurrection. Le
principe de ces critiques selon lequel il importe que le cinéaste colle
au plus près à la réalité du récit mérite l’attention. En effet, la
vérité est une composante essentielle de la crédibilité. Et l’on dira
plus bas que l’émotion artistique liée au spectacle n’est nullement
indifférente à ce souci de fidélité. Assurément, Mel Gibson a voulu
honorer la vérité des faits . Un certain nombre d’exégètes se sont
inclinés devant la rigueur de la reconstitution historique et le respect
des sources archéologiques . Qu’en est-il dans la réalité ? Certaines
options sont discutables et peuvent être discutées à l’infini. La plus
critiquable est, à mon sens, comme le note l’objection, l’interprétation
qui est donnée de la Résurrection manque au moins deux réalités
fortement soulignées par les Ecritures Saintes : le miracle de la sortie
hors du tombeau échappe à toute vision ; les témoins arrivent lorsque la
pierre est roulée ; Jésus "est vu" (ophtè), autrement dit c’est par le
témoignage de ceux qui l’ont vu, singulièrement les Apôtres, que l’on
sait qu’il est ressuscité. Maintenant, cela ne signifie pas que cette
ultime scène, si nécessaire et si difficile à mettre en scène, soit sans
mérite : sobrement, la résurrection est montré par le lent passage à la
station debout (le verbe grec utilisé pour "ressusciter", égéiro,
signifie aussi "se lever") ; la rupture est souligné par le corps
intègre et nu, la continuité par les mains stigmatisées. Ainsi, dans une
admirable inclusion, la parole d’Is 54,3 qui ouvrait le film se trouve
ici réalisé dans "le premier-né d’entre les morts" (Col 1,18). On notera
que les ajouts (ou les rares changements) portent sur des détails et
nullement sur le cœur du texte et du message évangélique. En fait, la
question la plus importante est celle-ci : ces ajouts et ces
modifications sont-ils accidentels ou dictés par une intention
d’ensemble ? dans le second cas, que vaut, historiquement et
théologiquement, cette interprétation ? Personne ne s’est offensé que
Johann Sebastian Bach ajoute au récit de l’Evangile dans les admirables
chorals - sans parler des récitatifs - de la Passion selon saint Jean ou
de la Passion selon saint Matthieu. Parce que ces textes, qui permettent
d’entrer l’auditeur, dans le sens profond de la passion, font corps avec
celle-ci. Pour ma part, j’estime que ces apports constituent une
relecture unifiée, conforme à la foi catholique et riche de suggestions
théologiques et spirituelles (pour autant que l’on puisse distinguer ces
deux points de vue, surtout dans le cas de la Passion). C’est ce que je
tenterai de montrer, très succinctement, en dernière partie de cet
article. De plus, la critique d’infidélité porte plus souvent sur les
scènes qui semblent surenchérir en violence, alors que d’autres scènes
(par exemple avec Marie ou l’Apôtre Jean), tout autant inventées (au
sens d’ajoutées) suscitent en général non pas l’opprobre, mais
l’approbation. Nous sommes donc renvoyés à la question du statut de la
violence filmée.
Enfin, certains ajouts
sont tirés de sources étrangères dont on va maintenant traiter.
Une
inspiration étrangère à l’Evangile ? Mel Gibson l’a explicitement dit,
il s’est notamment inspiré des visions de la mystique allemande
Anne-Catherine Emmerich (1774-1824) ; or, celles-ci sont, au mieux,
des "révélations privées" ; mêlées à l’Evangile, elles ne peuvent que
brouiller la pureté de la source de notre foi qu’est la Révélation
divine (qui, pour autant, ne se réduit pas à la Scriptura sola, mais
est l’Ecriture lue dans la Tradition de Église et régulée par le
Magistère). Je n’entrerai pas dans le débat sur le statut des
révélations privées à l’égard de l’unique révélation publique . Je
rappellerai seulement une distinction. Du point de vue de l’objet
révélé, selon l’adage qui appelle une juste évaluation, "la Révélation
est close à la mort du dernier Apôtre" ; par conséquent, nulle
révélation privée ne pourra enrichir le trésor du Mystère dévoilé par
le Christ d’une vérité nouvelle, et encore moins s’y substituer : la
Parole de Dieu demeure toujours la source et le terme. En revanche, du
point de vue du sujet croyant, ces révélations peuvent, et parfois
considérablement, aider non seulement à la conversion, mais au progrès
spirituel . Au nom de quoi dénier à Dieu le droit de multiplier les
chemins par lesquels il veut conduire les âmes toujours plus près de
lui ? Les papes, disait Jean XXIII, "se font un devoir de recommander
à l’attention des fidèles - quand après mûr examen ils le jugent
opportun pour le bien général - les lumières surnaturelles qu’il plaît
à Dieu de dispenser librement à certaines âmes privilégiées, non pour
proposer des doctrines nouvelles, mais pour guider notre conduite ."
Venons-en à l’usage que le cinéaste peut faire de ces révélations dans
un film sur la Passion. En fait, la question est plus générale. La
seule Sainte Ecriture ne contient pas tous les éléments pour un
scénario de film (ou pour la trame d’une pièce de théâtre). Elle est à
la fois plus riche - aucune mise en scène ne pourra jamais en épuiser
les virtualités - et plus pauvre - quantité de détails sont passés
sous silence, et comment pourrait-il en être autrement ? Toute
représentation filmée de la Passion est donc nécessairement une
interprétation . Le cinéaste américain Brian de Palma disait lors
d’une interview que, quelle que soit la précision du script, le
photographe, le cinéaste passe son temps à faire des choix, y compris
et à commencer pour les détails les plus anodins : doit-on mettre des
chaises de sky rouge ou de sky noir ? Or, ces choix sont commandés par
une certaine vision, souvent non raisonnée, inconsciente .
Inversement, plus la décision est consciente, plus elle est libre et
donc plus intégré sera le scénario. Un film sur la Passion ne peut se
soustraire à cette loi générale. Même le cinéaste qui s’est voulu le
plus littéraliste comme Pasolini dans son Evangile selon saint
Matthieu , a bien dû rédiger un scénario, faire des découpages,
choisir tel lieu, tel vêtement, tel personnage, etc., bref, en
permanence, ajouter, sinon au texte, voire aux gestes, du moins aux
éléments qui composent obigatoirement un récit en images. La question
devient alors : puisque les Ecritures ne peuvent m’aider, à quelle
source puiser les représentations, les images que je vais montrer de
la Passion ? Le choix est, on le comprend désormais, laissé au choix
du cinéaste. Mais, c’est ce que l’objection, dont on a dénoncé le fond
littéraliste, voire historiciste, néglige, il est nécessaire. Dès
lors, la question est : à quelle source puiser ? Mel Gibson avait le
choix entre mieux cerner la réalité historique de la Passion, se
laisser aller à sa seule inspiration, ou s’inspirer d’une mystique
ayant transcrit en visions. Mais la seule approche archéologique, si
précise soit-elle, d’une part laisse dans l’ombre quantités de détails
que le cinéaste doit trancher, d’autre part, en reste à une
perspective humaine qui est inadéquate, à elle seule, au Mystère.
Valait-il mieux se fier à son intuition ou à celle d’une personne qui
a passionnément aimé le Christ ? Mel Gibson a conjugué les trois
sources. b) Un film irrespectueux de la vérité de l’événement ? Cette
objection mérite qu’on s’y arrête avec attention. Elle touche le cœur
même de notre foi.
Une
représentation tronquée ? Mel Gibson n’a filmé que les douze ou
dix-huit dernières heures de la vie du Christ et la Résurrection est à
peine évoquée ; or, cette existence ne fait sens qu’en totalité ;
amputé de la vie cachée, de la vie publique et de son ouverture à la
vie supra-mondaine, elle perd en vérité, donc en puissance
d’évangélisation, ce qu’elle perd en totalité. Ce qui est partiel
devient, ici, partial. Là encore cette objection me paraît entamer un
mauvais procès. D’abord, Mel Gibson ne trompe pas son public : le
titre - "The Passion of Christ" - couvre exactement le sujet traité.
Ensuite, les flashback embrassent autant la vie cachée du Christ à
Nazareth que sa vie publique. Enfin, de même que le Christ est tout
entier dans chaque hostie et chaque parcelle d’hostie, de même la
totalité de son mystère se donne à voir à chaque moment de son
existence, mais plus encore à cette Heure pour laquelle il est venu,
c’est-à-dire la Passion. L’eunuque de la reine Candas n’est-il pas
bouleversé par le récit du Serviteur souffrant sans encore connaître
la vie de Jésus (Ac 8,26-40) et encore moins sa résurrection ?
Oser
répéter l’unique ? Le Christ est le Révélateur du Dieu invisible (Jn
1,18). Or, unique et irrépétable est la figure du Christ : seul celui
que le Père a choisi peut le traduire sans le trahir. Dieu, dans son
libre et amoureux dessein d’amour a choisi de se donner à voir,
entendre et toucher (1 Jn 1,1) dans le Fils unique incarné en Jésus :
"Qui m’a vu, a vu le Père." (Jn 14,6) Voilià pourquoi nul film sur le
Christ ne peut pleinement respecter son mystère. Un signe n’en est-il
pas que tout acteur jouant Jésus déçoit, tout film qui prétend nous
raconter la vie de Jésus, même s’il ne crée pas un scandale, demeure
en-deçà des attentes et suscite des polémiques sans fin. En ce
domaine, une certaine retenue, voire ascèse invite à en rester à la
pure source des Ecritures relue en Église. L’unicité de l’événement de
l’Incarnation introduit donc un interdit : celui de répéter, de se
représenter. En outre, pas plus qu’il ne s’agit de sombrer dans une
gnose déniant au mystère insondable du Dieu vivant le droit de sortir
de son silence pour se dire dans une forme finie, pas plus ne
s’agit-il de cantonner sa présence à la seule existence historique de
Jésus, sous Ponce Pilate et sur la terre de Galilée. Mais là encore,
laissons à Dieu l’initiative de choisir la manière dont il veut
demeurer présent parmi nous (Mt 28,20), à savoir sa Parole et ses
sacrements. Or, la Parole n’est pas un reportage sur la vita Christi
ni le sacrement une pure et simple répétition des gestes du Christ.
Cette critique ne réveille-t-elle pas la querelle de l’iconoclasme ?
Combien de personnes, et notamment de Saints, se sont convertis ou ont
été profondément touchés en contemplant un tableau, une icône du
Christ en Croix. Qui ne sait que saint François d’Assise dit s’être
converti face au Christ crucifié de l’église de Saint Damien et sainte
Thérèse d’Avila en contemplant un Christ aux outrages (autrement dit
flagellé et conspué). On sait que le thème de fresque le plus souvent
peint par Fra Angelico dans les cellules de ses frères du Couvent de
San Marco, à Florence, est celui de la Crucifixion. On fera valoir
qu’il existe une différence entre l’icône et l’image, a fortiori le
type d’image qu’est le cinéma. Interroger cette différence reviendrait
à élaborer une théologie de l’image qui manque aujourd’hui
cruellement. Toutefois, même "dans un monde où l’image abonde et où
son rapport au réel se défait ", le principe basilien sur lequel s’est
fondé le second Concile de Nicée pour défendre l’iconodulie -
"L’honneur rendu à l’image s’en va au modèle original " - demeure
véridique en son fond et s’applique à la représentation, que celle-ci
soit ou non une icône. Pour actualiser ce point, je m’aiderai d’un
écrit trop peu connu fait par l’un de nos plus grands penseurs
chrétiens contemporains, Maurice Blondel. A trois reprises, en 1890,
en 1900 et en 1910, le philosophe français a assisté à la
représentation du "Mystère de la Passion" donnée par les habitants du
village d’Oberammergau, en Haute-Bavière ; il en fit une brève étude
d’"esthétique religieuse" publiée dans La Quinzaine en 1900, texte
qu’il complèta et édita sous forme de brochure en 1910 . Quand il
assiste la première fois au spectacle de la Passion, il ressent une
"appréhension" et se formule des objections qui ressemblent
étrangement à celles que suscite le film de Mel Gibson : "D’une part,
en effet, il me semblait que l’immense attente serait presque
inévitablement déçue, que la moindre imperfection dans le jeu des
acteurs deviendrait insupportable, que la plus légère apparence
d’artifice théâtral et de recherche plastique risquerait de répugner,
que toute addition au texte sacré et tout arrangement choquerait les
âmes croyantes ou respectueuses comme une profanation sacrilège.
D’autre part, le récit évangélique, que ranime la méditation solitaire
ou le pieux commentaire de la prédication, résisterait-il à la lumière
crue, aux exigences logiques, à la psychologie collective, à l’optique
impitoyable du théâtre ?" Bref, comment oser rapprocher le verbe et le
substantif : "jouer la Passion " ? Or Maurice Blondel constate à son
grand étonnement que toutes "ces difficultés, en apparence si
insurmontables, s’évanouissent comme par enchantement " quand il voit
la représentation. Mettre en scène la Passion est possible ; plus
encore, ce Mystère est "bienfaisant et fécond ". Possible. En effet,
"l’art n’est pas un simple délassement, un caprice de la fantaisie" ;
et si l’on peut penser cela du théâtre, combien le pense-t-on encore
davantage du cinéma. En sa vérité, "l’art tient aux racines les plus
intimes du cœur". Or, "la Passion, c’est à la fois le Drame par
excellence et c’est notre drame à nous ; elle est tout ensemble
quelque chose de vraiment universel et quelque chose d’ineffablement
intime et singulier." Par conséquent, "l’objet qu’on nous présente en
spectacle à Oberammergau répond avec une incomparable précision aux
exigences de l’art, sans perdre son caractère surnaturel ." Plus
proche de nous, le théologien suisse Hans Urs von Balthasar, dans les
cinq gros volumes de sa Dramatique divine, montrera que l’on peut
penser l’action de Dieu vis-à-vis de l’homme, action qui culmine à la
Croix, comme un drame où il retrouve, transposés et accomplis, tous
les éléments du théâtre humain . Bienfaisant et fécond. Une première
raison, pour être générale, est décisive : "le propre de la vérité
chrétienne, c’est d’être incarnée ; pas une affirmation dogmatique qui
ne soit d’abord acte et vie ". En effet, en 1904, Blondel a écrit le
texte capital, Histoire et dogme, en vue d’éclairer les discussions
suscitées par la crise modernites et notamment par l’œuvre d’Alfred
Loisy. Ainsi, dit-il, "l’histoire vivante ne se mesure point
uniquement aux textes, là surtout où la vérité spirituelle dépasse
tous les moyens positifs d’information chez les témoins eux-mêmes,
eussent-ils été des professionnels de l’érudition et de la critique.
Il y a une vérification d’un autre ordre, qui ne supplée pas au reste,
mais à laquelle rien ne supplée. Et c’est une forme de cette
expérimentation métaphysique et psychologique qui s’offre à nous à
Oberammergau, dans l’optique grossissante du théâtre populaire ." Dans
la conclusion, Blondel fulminera contre les critiques modernistes des
"intellectuels d’outre-Rhin" et demande que "les braves gens […] nous
préservent de la théologie abstraite, plus préjudiciable encore aux
intérêts suprêmes de la vie chrétienne, que "la science des règles" ne
peut l’être à la fécondité de l’art ." Que l’on ne se trompe pas :
Blondel oppose non pas la vérité du bon sens paysan à
l’intellectualisme cérébral, mais, rendant ainsi hommage à
l’intelligence au service de laquelle il a dédié sa vie, deux régimes
de la pensée : l’une, pneumatique, qui honore l’intégralité de la
réalité concrète et l’autre, noétique, qui l’ampute abstraitement .
Or, cette séparation du Jésus historique et du Christ de la foi, qui
est au cœur de la crise moderniste, loin d’être datée, est toujours
d’actualité. Un ouvrage tout récent l’atteste . Et il n’est pas
impossible que certaines résistances profondes contre le film viennent
d’un refus a priori de toute représentation d’un Jésus historique au
nom du principe selon lequel seul importe le Christ de la foi. De ce
dualisme au "docétisme sotériologique" qu’atteste le texte suivant, il
n’y a qu’un pas : "Jésus de Nazareth […] n’a que peu souffert". Il "a
passé moins de 24 heures dans un poste de police, où il a été passé à
tabac entre les transferts d’un local judiciaire ou administratif à un
autre. Il a connu, ainsi que dans son transfert sur le lieu de l’éxécution,
le mélange de coups, d’insultes et de moqueries que connaissent les
clients de toutes les polices du monde […]. Il fallut même abréger la
durée du supplice pour que tout soit fini avant la grande fête
religieuse locale. Il a eu somme toute beaucoup de chance […]. C’est
peu respecter ton Seigneur que de penser qu’il prétendrait avoir
souffert plus que toi […] sous prétexte qu’il était [sic pour
l’imparfait !] Dieu. Or ceci est absurde ." Il y a différentes
manières de "réduire à néant la croix du Christ" (1 Co 1,17) et le
réductionnisme grinçant de l’auteur de ces lignes n’est pas le moins
périlleux. On sait aussi que l’on a pu préférer ou qu’on préfère
encore parfois la croix (sans crucifié représenté) au crucifix ; or,
le signe du chrétien est celui-ci et non celle-là . Le philosophe
français analyse ensuite les différentes raisons pour lesquelles ce
Mystère produit un tel effet sur l’âme. Il en dénombre six : les
tableaux vivants, le chœur qui commente et livre les intentions, le
personnage du Christ, la participation des acteurs ; la coopération
des spectateurs et la collaboration de la nature. Je ne retiendrai que
la troisième et la quatrième raisons qui sont étroitement unies.
Blondel souligne volontiers la vie spirituelle et intérieure des
interprètes : Rosa Lang qui joue Marie en 1890 s’est "préparée à son
rôle en soignant les malades du village" et "la pièce finie, est
partie pour le couvent" ; plus généralement, depuis l’enfance, chaque
habitant du village qui jouera un rôle dans la pièce "a grandi dans
l’attente du rôle inconnu qui lui sera confié" et "il s’y prépare avec
une ferveur de tout son être ". Ce qui vaut pour le théâtre vaut aussi
pour le cinéma. Si l’admirable "biographie" de Gandhi que nous a
proposée le film de Richard Attenborough en 1980 fut un succès mérité
aussi salué, cela tient avant tout à la performance de l’acteur Ben
Kingsley dont on sait que, pendant des mois, il épousa de l’intérieur
la manière de vivre et la spiritualité du Mahatma. Mais qui peut
prétendre imiter le Christ, demandera-t-on ? C’est à la fois
infiniment plus difficile et infiniment plus facile que de jouer le
rôle de Gandhi. Car la grâce est, au sens le plus rigoureux,
christoconformante , elle fait du chrétien un alter Christus qui peut
dire en vérité, à la suite de saint Paul, cette parole follement
audacieuse : "Ce n’est plus moi mais le Christ qui vit en moi." (Ga
2,20) Or, l’on sait combien l’équipe du film, sous la direction de Mel
Gibson, a travaillé dans un véritable climat spirituel, combien Jim
Caviezel a tenu à vivre son rôle dans un esprit de prière, demandant
que la messe soit célébrée quotidiennement . On pourra objecter que
toutes ces remarques de Blondel valent pour une représentation
théâtrale. S’appliquent-elles à ce type de spectacle spécifique qu’est
le cinéma ? Et notamment à ce qui le caractérise en propre, à savoir
l’image-temps et l’image-mouvement ? Ce sujet mériterait un
développement qu’il n’y a pas la place et que je n’ai pas la
compétence de faire. Je ferais simplement appel à un argument
d’autorité. Balthasar dit un moment que s’il a choisi le théâtre et
non le cinéma comme paradigme pour élaborer sa Theodramatik, c’est
parce que le cinéma ne présente pas la puissance dramatique du théâtre
. Par conséquent, les objections portées contre la capacité qu’a le
cinéma de représenter le drame de la Passion devrait valoir a fortiori
contre le théâtre.
Un
manque d’intériorité ? Certains ont pu reprocher au film son absence
d’intériorité : hors scène admirable de densité et d’intériorité
contenue au jardin des Oliviers, la musique omniprésente, le bruit
permanent, la succession de scènes violentes continuelles dénuées de
toute pause, l’absence de représentation du combat spirituel du
Christ, tout contribue à projeter le spectateur hors de lui-même ; or,
l’on sait que seul le silence permet l’entrée en soi-même - a fortiori
la conversion intérieure (cf. Lc 15,17). En privilégiant un
spectaculaire centrifuge - que d’aucuns qualifieront, non sans
simplisme, d’hollywoodien voire d’américain -, Mel Gibson ne
manque-t-il pas son objectif qui est de toucher les cœurs voire
d’évangéliser ? La demande, plus encore le besoin, d’appropriation est
ô combien légitime. On le notait au début : un signe de la nécessité
de ce travail d’intériorisation est que le public qui rentre bavard
demeure sans parole lors du générique final et émerge comme
difficilement de son silence en sortant de la salle. Mais, tout
d’abord, l’objection tend à virtualiser une réalité qui résiste : à
l’invasion de la bande-son caractéristique la civilisation
méditerranéenne, s’ajoute une foule dont la furie fait régresser sa
parole en vociférations animales. Que l’on puisse faire valoir que
plus bruyant que les hurlements féroces est le silence profondément
impressionnant de Jésus alors que les coups sans nombre pleuvent sur
lui, que les scènes de violence sont en permanence entrecoupées de
retours en arrière mais de plans filmant - souvent au ralenti, ce qui
brouille le son - les visages des spectateurs, montre assez le
caractère aléatoire ou plutôt subjectif de l’objection. En effet,
enfin, les besoins d’intériorité sont divers - et donc diversement
évalués - selon les spectateurs : pour certains, il doit avoir lieu
pendant le film, pour d’autres, il peut n’avoir lieu qu’après. Plus
encore, le montage a pensé l’alternance des scènes présentes, souvent
violentes, et les scènes passées qui non seulement sont apaisantes
mais livrent la signification spirituelle et donc permettent de passer
des sens au sens : "Plus les scènes sont brutales, note le Père Rosica,
plus puissantes se font les retours sur l’enseignement de Jésus au
Mont des Béatitudes, Jésus s’identifiant au Bon Pasteur, Jésus offrant
sa vie dans le pain et le vin de la Dernière Cène ." 3) Un film
"gore" ? Un bon nombre de personnes sont surtout arrêtées par cette
dernière difficulté : "Je crains que le film soit trop violent" ; "Je
suis confronté tous les jours à la souffrance des personnes que je
croise et dont je m’occupe ; ce serait trop". Certains disent avoir
fait des cauchemars après le visionnement du film. A ces craintes
s’ajoutent une objection : oubliant la sobriété du texte évangélique,
le héros de la trilogie Mad Max ne sacrifie-t-il pas au spectaculaire,
voire ne nourrit-il pas une fascination très ambiguë pour la
violence ? a) Une objection : Alors que l’Evangile se contente d’une
simple phrase : "Pilate prit alors Jésus et le fit flageller" (Jn
19,1 ; cf. Mt 27,26 et Mc 15,15), le réalisateur nous inflige douze
minutes d’une effroyable boucherie. Et, mutatis mutandis, on pourrait
dire la même chose du Chemin de croix. Deux remarques préliminaires.
Tout d’abord, on sait que la violence subie par le Christ fut bien
plus terrible que ce qui est ici montrée et que tout ce qu’on pourra
en filmer. Mel Gibson a lui-même limité le nombre de coups de fouet ;
comparé au Crucifié du linceul de Turin qui fut frappé cent-vingt
fois, Jésus reçoit dans le film "seulement" quatre-ving coups de
fouet. A l’accusation de violence gratuite, le correspondant du
journal Le Monde à Washington, Patrick Jarreau, répond : "On observera
que la mise à mort de Jésus, telle qu’elle est décrite pas les
Evangiles, n’a rien d’aimable. Les procédés employés par Gibson pour
montrer la haine qui se déchaîne et les souffrances subies sont
légitimes. La représentation qu’il en donne peut être jugée trop
littérale, mais aucune image de son film ne dénote une complaisance
perverse dans la peinture de la douleur ." Ensuite, après avoir
entendu telle ou telle réaction, il n’est pas inutile, pour prendre du
recul, d’expliquer que la peau que nous voyons est une fausse peau
revêtue par l’acteur chaque matin avant le tournage. La question
demeure : le film est-il impudique ? suscite-t-il le voyeurisme ? Pour
y répondre, je m’aiderai de l’analyse que le chroniqueur d’Études,
Jean Collet, propose d’une scène du film de John Ford, La charge
héroïque, dont il dit qu’elle est "la scène de violence sans doute la
plus remarquable de l’œuvre de Ford ". Le capitaine Nathan (John
Wayne), accompagné de deux jeunes officiers, le lieutenant Cohill et
le sous-lieutenant Pennell, surprend la rencontre d’un trafiquant
d’armes, Rynders, et d’un chef indien. Celui-ci, devant le mépris
affiché par l’odieux trafiquant, lui décoche une flèche en plein cœur
et les hommes de Rynders, tentant de fuir, sont pris par les Indiens
et jetés dans le feu. Quelle mort atroce ! Pourtant, Ford traite la
scène avec pudeur. Comment ? 1. Les plans sont brefs (depuis le
meurtre de Rynders jusqu’au départ des trois soldats, la séquence dure
1 minute 30), peu nombreux (trois au total) et composent une image
floue (le feu en premier plan éblouit ; les mouvements trop rapides
des personnages et leur nombre empêchent d’apercevoir précisément les
gestes). 2. On voit surtout la scène à travers le regard des trois
hommes. 3. Et ces hommes, loin de pactiser avec la violence du
châtiment légitime dans son principe (Rynders est l’un des
responsables d’une guerre cruelle), sont écœurés : le Capitaine Nathan
lui-même, militaire aguerri, demande du tabac pour chiquer. Et Jean
Collet de louer cette leçon de cinéma qui se refuse à "dissocier
l’esthétique et l’éthique" : "la violence n’est pas donnée en
spectacle […]. Là où il est si tentant de produire la fascination de
la violence et l’escalade de la haine. Je ne vois pas d’autre manière
morale de mettre en scène la violence au cinéma. […] On ne peut filmer
la violence qu’à travers un regard humain" qui "compatit avec la
victime." N’est-ce pas justement ce que fait Mel Gibson ? 1. Certes,
la représentation de flagellation et le chemin de croix est longue
pour des raisons que je tenterai d’expliquer plus bas, mais une étude
précise des plans montrerait que ceux-ci sont souvent brefs et ne
s’attardent pas sur le corps déchiré de Jésus ; jamais un cadrage ne
m’a paru gratuit ou complaisant. Le Ecce homo n’évoque-t-il pas la
vision qu’eut Thérèse d’Avila ? 2. La caméra filme plus souvent les
spectateurs ou les bourreaux que le corps martyrisé. 3. Enfin, les
spectateurs éprouvent de la compassion face à l’insupportable, et
celle-ci prend différentes formes : le plus souvent les pleurs (ceux
de Marie avant même que Jésus soit déchiqueté par le fouet ; sanglot
de Marie-Madeleine pendant la flagellation ; larmes de Jean après),
mais aussi le détournement de tête ou le départ (un certain nombre de
grands prêtres ne restent pas après la première série de coups de
fouet), le tremblement des mains (celui du jeune homme qui tend le
récipient avec lequel Pilate se lave les mains). Plus encore, et ceci
constitue un apport supplémentaire par rapport au film de John Ford,
le regard d’un certain nombre d’observateurs (autant juifs que
romains) évolue, se convertit, pourrait-on dire : il passe de la
fascination (pire, de la haine) à la stupéfaction, voire à la pitié.
Cette rédemption du regard, "lampe du corps" (Mt 6,22), symbolise
celle de la personne. Elle épouse la conversion décrite par le
quatrième chant du Serviteur : en effet, les foules passent de
l’accusation - "nous le considérions comme puni, frappé par Dieu" - à
la conviction - "ce sont nos souffrances qu’il portait" (Is 53,4). Or,
c’est par la médiation de la vision du Serviteur que s’opère ce
changement tout intérieur : "les multitudes avaient été saisies
d’épouvante à sa vue […] devant lui des rois resteront boueche close,
pour avoir vu ce qui ne leur avait pas été raconté" (Is 52,14-15) La
passion du Christ met en place trois autres protections contre le
voyeurisme que je ne ferai qu’évoquer : 1. Même déparé, le corps
silencieux de Jésus garde une profonde majesté et se trouve enveloppé
de mystère. 2. Bien des plans sont inspirés par les artistes les plus
prestigieux, comme Matthias Grünewald, Le Tintoret, Le Greco, etc.,
voire empruntés à des chefs d’œuvres incontestés de l’art plastique,
notamment pictural chrétien. 3. Si Nathan et les deux officiers
demeurent des témoins horrifiés qui se refusent au voyeurisme, ils ne
nous disent pas comment ils vivront par la suite cette violence ; en
regard, et la synthèse reviendra sur ce point capital, avec la figure
de Marie, mais aussi avec celle, discrète mais très présente de
l’apôtre Jean, il nous est montré comment accueillir et vivre
l’insoutenable. b) Les craintes :
Ma
relation personnelle à la souffrance en général : Quand j’étais en
paroisse, une expérience m’avait frappé : des paroissiens offraient un
déjeuner à des personnes démunies ; un jour, l’idée vint de leur
proposer une sorte de ciné-club. Ingénument, j’imaginais qu’elles
auraient aimé des films actuels, ceux qui sortaient sur les écrans et
qu’ils n’avaient pas vu, et des films d’aventures, qui ne vont jamais
sans quelques coups de poing et de révolver. Or, la réponse fut
unanime : "Aujourd’hui, les films sont trop violents. Nous voulons des
films d’amour, des films qui se terminent bien, où les personnages
sont gentils les uns avec les autres." Sous-entendu : ne redoublez pas
la violence que je vis tous les jours avec celle des autres. La
relation à la violence est éminemment subjective. Un signe : à la
sortie du film de Mel Gibson, si chacun s’entend pour dire qu’il a
visionné des images violentes, certains n’en seront pas affectés (au
moins consciemment), d’autres si ; et parmi ces derniers, tel dira
avoir été heurté par tel moment de la flagellation, un autre avoir
pleuré quand la croix est sauvagement retournée, etc. Le vécu de la
violence est donc éminemment divers, car éminemment personnel : la
violence ressentie est une interaction entre le spectacle et notre
histoire ; or, cette histoire met en jeu notre caractère, notre
héritage, notre culture et notre liberté . Pour autant, les mécanismes
en jeu ne sont pas sans présenter des points communs. Je ne dis pas
que le film n’est qu’un test projectif, que le film de violence est
seulement un film qui me fait violence. Mais la question des critères
objectifs de violence fut abordée dans le paragraphe précédent.
L’image éveille avant tout des émotions, des sentiments. Comme tout
sentiment, la crainte demande à être écoutée et respectée ; comme tout
sentiment aussi, d’une part elle constitue une expression de mon
intériorité qui demande à être interprétée par l’intelligence et,
d’autre part, elle constitue une force, une affection qui demande à
être intégrée par la volonté. Dit autrement, le sentiment n’est pas
une "chose" indépendante à adorer ou à mépriser-occulter, mais une
richesse à accueillir comme mesure de notre vérité intérieure et à
mesurer à notre bien personnel. Dans un des rares ouvrages consacrés
aux relations entre la violence et la télévision , le psychanalyste
Serge Tisseron renvoie dos à dos les deux interprétations classiques.
La thèse de l’influence immédiate estime que la vision d’images
violentes engendre directement, à plus ou moins long terme des
comportements de même nature. Pourtant, pour le dire de manière
abrupte, chacun a fait l’expérience d’avoir vu des films de gangster
ou des westerns sans, pour autant, avoir acheté un révolver à la
sortie. Par réaction, la thèse de l’absence d’influence avance qu’il
faut totalement dissocier la représentation des scènes violentes de
leur accomplissement. Mais si le monde des images n’exerçait aucune
influence sur nos comportements, pourquoi le budget annuel de la
publicité serait-il, en France, de l’ordre des 10 milliards d’euro ?
Le défaut de chacune de ces visions est une notion fausse de la "boîte
noire", je veux dire de notre intériorité. Dans le premier cas, elle
suppose qu’entre le stimulus qu’est l’image cinématographique (ou
télévisée) et la réponse, il n’y a rien. Dans le second cas,
imagination et esprit, images et liberté agissante ne communiquent
pas, voire ne peuvent communiquer. Le premier schéma, moniste, nous
animalise ; le second, dualiste, nous angélise. La vérité est
autrement complexe. Pour faire court, l’image de la violence m’invite
à un triple travail : a) en amont, un travail de relecture : qu’est-ce
qui, dans mon histoire, explique l’attrait ou le besoin d’images de
violence ou, inversement, la répulsion démesurée à leur égard ? Serge
Tisseron a constaté que, contrairement à une idée courante, les
enfants grands consommateurs de BD qu’il avait en thérapie "ne
regardent pas les images de violence - notamment sexuelle - parce
qu’ils cherchent des modèles à imiter, mais au contraire parce qu’ils
cherchent à se donner des représentations qui leur font défaut ." Une
trop grande sensibilité à la violence me parle non pas seulement du
spectacle présent, mais de mon histoire passée qui se rejoue . Une
trop grande anesthésie face à une violence réelle me parle tout autant
d’un besoin de protection et de mise à distance de ce que je ressens
comme insupportable. b) à même l’image, un travail d’interprétation et
de discernement : quels moyens le film met-il à ma disposition pour
comprendre d’où vient la violence filmée ? quelle évaluation de cette
violence le scénario propose-t-il ? c) en aval, un travail de décision
et d’intégration : quels moyens sont à ma disposition pour "assimiler"
la violence, par quels filtres passent les images : la parole ou
seulement l’action (donc le rejeu, plus ou moins symbolisé) ? au-delà
de la prime émotion, quelle attitude décidé-je d’adopter face à la
violence : la fascination (voire la répétition), la fuite, le rejet,
etc. ? Cette brève analyse montre que nous ne sommes pas démunis face
aux images violentes. Il en découle quelques critères de
discernement :
Trop
jeune, dénuée de vie intérieure, une personne risque de s’identifier à
une image de violence et manque de recul pour l’assimiler.
Trop
blessée par une histoire douloureuse, par des images encore très
présentes de violence subie, par elle ou par des proches, le
spectateur manquera aussi de capacité à se distancier.
Trop
fascinée par des films de violence, incapable de voir un film
n’engendrant pas de sensations fortes, la personne gagnera à
interroger les raisons d’un besoin qui peut aller jusqu’à la
dépendance et sur la nécessité intérieure à laquelle répond cette
saturation d’images "dopées à l’adrénaline".
Plus
le visionnement d’images "gothiques" est suivi d’une mise en mots,
plus aisé et enrichissant est le travail d’intégration.
Plus
la violence est expliquée, compréhensible, moins elle fascine.
Plus
l’image violente est porteuse d’un jugement éthique humanisant, plus
elle peut être intégrée. Cette grille d’analyse montre que l’on ne
peut répondre à la place d’autrui à la question : le film ne va-t-il
pas induire un rejet, une mésinterprétation du message évangélique ou
un surcroît de violence ? Mais, assurément, l’absence de culture
biblique de la majorité du public, donc l’ignorance du sens de la
souffrance de Jésus, l’actuelle fascination et demande pour les films
sur-violents, etc., ne favorisent pas une juste compréhension et une
assimilation constructive des images de la Passion du Christ, même si
le film porte avec lui un sens juste de la violence subie par le
Sauveur. Aussi un prosélytisme qui pousserait systématiquement autrui
à voir le film est-il contraire non seulement au respect de la
liberté, mais à la logique de la juste relation à l’image. Cette
analyse invite aussi à une vigilance pastorale particulière et, si
c’est possible, à un accompagnement, une formation. Certains chrétiens
me demandent parfois : "Faut-il voir le film ?" Hormis le critère
éthique évident selon lequel on ne peut bien parler d’un tel film que
si on l’a vu (un film, surtout ce film, ce sont d’abord des images et
une image ne peut se restituer en mots), les explications précédentes
montrent donc que je ne peux répondre à cette question. La seule
réponse est personnelle, comme l’est notre relation à l’identité du
Christ, à sa vie et à la violence.
Ma
relation personnelle à la souffrance du Christ : Cette première
analyse n’est pas suffisante. Car ce n’est pas n’importe quelle
violence qui m’est montrée, mais la violence faite à Jésus, faite à
celui qui, pour le chrétien, est le centre de sa vie. Si déjà la
violence faite à autrui ou à soi peut retentir jusqu’au plus profond
de notre cœur, combien plus l’injuste souffrance qui frappe Celui qui
a donné sa vie, alors que nous étions pécheurs (cf. Rm 5,8). A ce
sujet, je dirai la chose suivante. Il y a une
pédagogie divine. Même
s’il n’y a pas de foi sans adhésion à l’intégralité du Credo, c’est
par tout un chemin que Dieu nous révèle progressivement le contenu de
notre foi, que celle-ci peu à peu se fait chair. S’il n’y a pas de
gradualité dans la foi (objective, la fides qua, autrement dit le
Credo), la foi (subjective, la fides quæ, autrement dit la vertu
théologale), en revanche, elle, est graduelle : comme toute vertu,
elle est appelée à croître, et, comme théologale, à grandir sans
mesure. Il y a un temps pour découvrir l’existence de Dieu qui n’est
qu’amour miséricordieux, sa proximité, son absence de toute
compromission avec toute violence. Mais il y a un temps où le fidèle
du Christ est confronté à ce que son Sauveur a vécu à la Passion ;
nous ne pouvons indéfiniment ajourner le moment où nous disons avec
Paul : "Il m’a aimé et s’est livré pour moi." (Ga 2,20) Je ne peux
contourner cette vérité : cette souffrance inouïe, Jésus l’a vécue
pour moi. On sait combien, pour tous les Saints, cette Heure, qui
était le but vers lequel tendait toute la vie de Jésus, est aussi
devenue pour eux leur Heure. Or, face au drame du Christ et l’émotion
intense qu’il suscite en nous, note Maurice Blondel, "nous ne nous
bornons pas à voir les choses se faire ; nous imaginons que nous les
faisons nous-mêmes. […] On sait bien, sans doute, que ce n’est pas le
christ qui est là ; et pourtant l’on sent, comme on ne l’avait jamais
fait, qu’on aurait pu se rencontrer ainsi avec lui. […] Sommes-nous
assurés de n’avoir de la pusillanimité de Pierre, […] rien des
routines, des étroitesses et des ambitions pharisaïques, rien de
l’aveugle grossièreté des soldats ? Tous les rôles, nous les prenons
nous-mêmes ." Et c’est la vision, la perception, non la narration, des
souffrances du Serviteur qui décide de la conversion radicale des
nations (Is 53,4). On ne pense pas sans image . On ne prie pas non
plus sans image . Max Scheler a noté avec force le lien existant entre
les affects et les valeurs. Quiconque médite la Passion, fait le
Chemin de Croix en a une représentation, éprouve des émotions. Images
et sentiments, loin d’être accessoires ou simplement adjuvants,
permettent de mieux adhérer à la vérité pleinement incarnée de notre
salut. On sait l’impact des images, a fortiori les images télévisées
ou cinématographiques qui, intégrant le mouvement, le son, sont plus
proches de la réalité vécue, et donc sont beaucoup plus prégnantes.
D’où les questions : le spectateur ne risque-t-il pas d’en rester à
cette représentation et de préférer le réalisme concret du film à la
narration discrète mais bien réaliste des récits évangéliques ? Le
film de Mel Gibson va remplir le trésor de la mémoire avec des images
neuves, nourrir l’affectivité. Il va permettre à bon nombre de fidèles
de donner une véritable épaisseur historique et de rappeler la vérité
si souvent occultée de ce que le Christ a enduré pour moi. "Ce n’est
pas pour rire que je t’ai aimée", disait-il à sainte Angèle de
Foligno. Pastoralement, il s’agira donc d’accompagner le travail de ce
film en moi, chez autrui. Comment aider à ce que ces images, les
émotions qu’elles véhiculent, nourrissent l’amour du Christ et du
prochain, conduisent à la vraie source que constituent la Parole de
Dieu et les sacrements ? 4) Suggestion de relecture théologique : Une
approche seulement cinématographique ou historique passerait à côté de
l’essentiel. Ou plutôt, l’un des grands intérêts de La Passion du
Christ est de conjuguer histoire et théologie, apportant ainsi comme
une réponse concrète à la question moderniste si centrale en théologie
fondamentale. On l’a dit plus haut, le film de Mel Gibson est riche
d’une vision implicite qui, j’ose le dire, mériterait une étude
théologique soigneuse et respectueuse du mode propre d’expression
qu’elle a choisi, à savoir le cinéma. A mon sens, celle-ci s’articule
autour de quatre pôles - le mal voulu (le malum culpæ) ; le mal subi
(le malum pœnæ) ; le salut offert ; le salut reçu - et de trois
personnages ou types de personnages - Jésus qui est à la fois le sujet
du mal subi et l’auteur du salut offert ; les pécheurs qui sont les
responsables du mal voulu ; Marie, mais aussi d’autres justes, qui
sont les premiers bénéficiaires accueillant le salut. Je proposerai
quelques indications trop brèves et nécessairement schématiques.
Le
mal voulu : La Passion du Christ nous montre que le mal du péché est
universel, libre et infini. Universel. Au tout début du film,
Marie-Madeleine demande, angoissée, à Marie : "Pourquoi cette nuit
est-elle si différente de toutes les autres ? - Car tous les hommes
étaient esclaves du péché et maintenant ils ne le seront plus." Tous :
les Juifs comme les païens. On sait que Mel Gibson a tenu à jouer le
rôle d’un soldat romain enfonçant le clou dans l’une des mains de
Jésus. Il n’est pas une seule catégorie de personnes qui ne soit
complice. Sont même concernés le règne infrahumain de la nature (le
cadavre de l’âne signifie symboliquement à Judas qui a employé sa
longe pour se pendre que le péché l’a frappé à mort ; le corbeau n’est
pas sans évoquer une justice immanente qui a choqué plus d’un
spectateur) et le règne angélique, avec la présence constante du
Malin, depuis Gethsémani jusqu’à la mort au Golgotha. Et si nous
sommes universellement convaincus d’avoir crucifié le Seigneur de
gloire, c’est parce que nous sommes universellement appelés au salut.
De ce point de vue, l’admirable évolution - conversion - de Simon de
Cyrène est exemplaire du chemin que chaque homme est appelé à
accomplir : réquisitionné de force (Mt 27,32 //), il refuse, non sans
lâcheté, de s’arracher à sa douce vie familiale ; mais,
progressivement, il va comme s’identifier à Jésus et porter celui dont
il pressent qu’Il le porte, au point de s’opposer à toute la
soldatesque avec une "assurance" que seul donne l’Esprit-Saint (cf.
par exemple Ac 2,29 ; 4,13). Libre. Se refusant à tout unanimisme, le
film ne cesse de montrer des exceptions, à conjurer la fatalité, à
responsabiliser celui qui croit trouver dans l’attitude de l’autre les
raisons de la sienne. Combien de badauds voyeurs se pressant sur la
Via dolorosa ont été bouleversés en rencontrant le regard du
supplicié. Même le "brigand" (Jn 18,40) Barabbas, que le scénario
présente comme une brute grossière s’imaginant sottement que le choix
de la foule est positif, a un mouvement de recul et de silence quand
il regarde Jésus ou plutôt quand il est regardé par Lui. Même Judas,
que l’Ecriture appelle "le fils de perdition" (Jn 17,12), croise, à
l’instar de Pierre, le regard de Celui qu’il a trahi et lui offre sa
miséricorde . Même Pilate dont le film montre, avec profondeur, tout
le déchirant combat intérieur ("Ma vérité…") apparaît très clairement
comme celui qui, bien que prévenu par le songe de sa femme aimée,
Claudia, se prévaut de la logique du pouvoir pour abandonner à une
mort ignominieuse un homme qu’il sait pertinemment innocent et, au
total, préfère chercher à sauver sa vie face aux représailles de
César. Infini. C’est peut-être l’une des plus puissantes réussites du
film, c’est en tout cas une révélation pour un certain nombre de
spectateurs de nous montrer qu’infini est l’endurcissement du cœur de
l’homme face à la souffrance qu’il inflige - ou celle qui est infligée
à l’autre homme. Le soldat s’enivre du sang qu’il verse, le spectacle
de le voir jaillir. Il est très intentionnel et significatif que la
scène de la flagellation nous apparaisse non seulement longue, trop
longue, mais au sens propre, interminable : atterrés, épouvantés, nous
comprenons soudain qu’aucune régulation interne n’autolimite l’homme
qui s’abandonne à l’hubris de la violence. De même, sur le chemin de
Croix, ces chutes répétées (on n’en dénombre pas moins de sept), loin
d’être complaisantes, nous font à nouveau expérimenter que le temps de
la violence est indéfini… A chaque fois, il faudra l’intervention
extérieure d’un officier pour désaoûler la chiourme. La logique
vertigineuse du sadisme compulsif qui n’a d’autre limite que son
propre rassasiement, c’est-à-dire aucune , se redouble de la logique
auto-accrue de ce que René Girard appelle "l’emballement mimétique" :
à partir du moment où quelqu’un a osé initier en frappant le premier,
il sera de plus en plus difficile que la foule s’arrête d’elle-même .
Le
mal subi : Tout le péché des hommes se concentre, s’abat sur l’homme
de douleurs, la seule personne absolument innocente, avec Marie. Le
mal subi s’identifie surtout, dans ce film, à la douleur physique. Les
coups, instrument universel de la violence, se multiplient, coups de
poing, coups de fouet. Le sang versé gicle. Mais, plus encore, le
corps livré est défiguré. Jamais aucun film n’avait osé montrer
combien Jésus avait été aussi défiguré par la Passion. Pourtant, c’est
bien ce qu’affirme le quatrième chant du Serviteur (Is 53,2). Dès la
comparution au Sanhédrin, donc très tôt, le visage de Jésus apparaît,
sauvagement frappé, la paupière tuméfiée interdisant d’ouvrir l’œil.
Étroitement entravé dans ses liens, sa marche est réduite à un
sautillement ridicule. Puis, progressivement, c’est le corps entier du
plus beau des enfants des hommes qui devient méconnaissable (jusqu’à
ce coup de fléau qui touche le visage pourtant interdit). Si la
majorité des spectateurs est si marquée par la scène de la
flagellation, cela ne tient-il pas autant à la souffrance inouïe que
Jésus y subit, qu’à la progressive perte d’apparence humaine frappant
l’intégralité de son corps. Enfin, sur la Croix, les pieds qui
portaient inlassablement la bonne nouvelle du salut sont immobilisés,
après les mains qui bénissent et que, dans un superbe flashback, Jean
fixe avec vénération au moment où Jésus dit qu’il est "la voie, la
vérité et la vie" (Jn 14,6). Outre qu’elle atteste le véritable
détachement que l’acteur a accepté de vivre à l’égard de l’image qu’il
donne de lui-même, cette défiguration est un symbole de la
déshumanisation du péché. Voire, paradoxalement, elle favorise la mise
en scène du Christ qu’une représentation risque toujours de décevoir.
Le mal spirituel n’est pas oublié. Il est au centre de la première
scène, au jardin de Gethsémani. On pourra toutefois regretter
l’insistance trop grande sur la souffrance physique, oubliant l’abîme
de la détresse intérieure que Jésus n’a cessé de vivre et qui atteint
son sommet dans le cri de déréliction emprunté au début du psaume 22 :
"Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?" (Mt 27,46 ; Mc
15,34) Pour ma part, je trouve dommageable que le cinéaste n’ait pas
donné un relief particulier à cette parole, et donc ait manqué le
mystère insondable où Jésus "nous a assumé dans l’égarement de notre
péché par rapport à Dieu au point de pouvoir dire en notre nom sur la
croix : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?" (Mc 15,34)
" - éventuellement, en mettant en scène le démon. Si le film nous
propose une lecture spirituelle de la flagellation, de la Via dolorosa
et de la crucifixion, il manque celle de Jésus agonisant sur la croix
dans une insondable nuit spirituelle.
Le
salut offert : Celui qui subit à cause de nous cette passion de
souffrance est le même qui vit pour nous la Passion d’amour. Le salut
du Iéshouah est un acte libre, aimant, universel et efficace. Libre.
C’est en toute liberté que Jésus s’engage. A chaque moment décisif, ce
choix est souligné avec force : dès le jardin des oliviers, nous
entendons Jésus accepter la volonté du Père, au moment de
l’arrestation, au début de la flagellation (où Jésus murmure : "Père,
je suis prêt."), au début du portement de croix (on discutera du choix
qu’a fait Mel Gibson de faire porter à Jésus une croix entière, mais
le cœur est souvent touché de l’élan avec lequel Jésus embrasse cette
croix), etc. La non-violence de Jésus n’est en rien suspecte
d’entretenir quelque complicité malsaine avec le masochisme ou quelque
pulsion meurtrière : sa souffrance est sans jouissance ; de même, il
se redresse, il regarde ses bourreaux en face : il n’adopte pas
l’attitude de soumission qui multiplierait le mépris. Enfin, si le
silence de Jésus peut supporter deux interprétations (le don d’amour
ou l’indifférence stoïcienne), les paroles des flash-backs sont
suffisamment nombreux et explicites pour ne laisser place à aucune
ambiguïté : il est dit et répété que Jésus ne subit pas la violence,
mais y consent librement par amour pour nous les hommes. Aimant. La
liberté est au service du don de soi. S’il n’y a pas de plus grand
amour que de livrer sa vie pour son ennemi, c’est une belle trouvaille
que de faire non seulement dire, mais répéter à Jésus, au moment même
où s’enfoncent les clous dans ses mains, ces paroles si improbables et
si révolutionnaires : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce
qu’ils font." (Lc 23,33) L’absolue non-violence (en pensée, en parole
et en action) de qui est l’autre nom de l’amour. Ce que Jésus vit, ses
paroles le prescrivent. Dans la lumière du mystère pascal, le
commandement de l’amour universel cesse d’être une invivable et
culpabilisante utopie pour devenir un appel à un don de soi sans
retour et sans restriction seulement possible que dans la lumière du
Christ (1 Jn 4,10-11) et la grâce de l’Esprit (Rm 5,5). Au fur et à
mesure où la Passion avance, les retours se multiplient et se
concentrent sur le dernier repas de Jésus avec ses disciples, le
lavement des pieds, la Sainte Cène et le discours des adieux. Autant
de gestes et de paroles qui témoignent de son amour extrême. L’étroit
entrelacement demanderait une exégèse précise que, après une seule
vision, je suis incapable de proposer. Mais cet engagement libre et
aimant est plus qu’humain ; il est divin. Voire, dans ces heures
extrêmes, ce n’est pas seulement le Verbe incarné, ce sont les trois
Personnes divines elles-mêmes qui vivent pour l’homme la passion
d’amour. Dans son regard tourné vers le Ciel (cf. Jn 17,1 ; cf. Mt 6,9
) comme en ses paroles, Jésus ne cesse d’être le Fils bien-aimé du
Père (Mt 3,17 ; 17,5 ; etc.), "obéissant" à celui-ci "jusqu’à la mort,
et à la mort sur une croix" (Ph 2,6-8) ; "insulté, il ne rendait pas
l’insulte, souffrant ne menaçait pas, mais s’en remettait à Celui qui
juge avec justice" (1 P 2,23) . On n’aura pas manqué d’observer la
présence de la colombe (cf. Mt 3,6) ; plus discrète, mais tout aussi
réelle est la présence de l’Esprit dans le souffle que, de manière
très audible, au moment de sa mort sur la Croix, Jésus "transmet" (Mt
27,50). Universel. Je veux dire par là que le salut de Jésus est sans
nulle exclusive, offert à tout homme (cf. Mt 18,14). Une ellipse le
suggère : au moment du retour sur l’épisode de la femme adultère,
Jésus trace sur le sol un étrange signe dont le sens échappe mais qui
se grave dans la mémoire de la femme ; or, au moment où la croix est
élevée, la caméra fixe à la fois le regard de Marie-Madeleine et la
forme de l’attache dans laquelle la corde qui sert à dresser la Croix,
forme qui rappelle étrangement le dessin dans la poussière. N’est-il
pas ainsi suggéré ce qu’expérimente brusquement alors la pécheresse
pardonnée : c’est au prix de son sang que Jésus lui a obtenu le salut
dont elle a bénéficié, c’est pour moi que maintenant il s’offre ; et
la violence à laquelle il consent maintenant par amour rachète celle
de tous les hommes qui ont voulu la lapider ? C’est peut-être la mise
en scène du redressement de la Croix, une fois la crucifixion achevée,
qui montre au mieux l’universalité de cette offrande sacrificielle. En
effet, un moment, la caméra épouse le mouvement du regard de Jésus
qui, passant en position verticale, embrasse soudain "la multitude " :
"Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi." (Jn
12,32 ; cf. Jn 3,14-15) Attirance qui, loin de nier la liberté, la
suscite . Et ce salut est à ce point offert à tous les hommes que,
dans une superbe intuition, Mel Gibson superpose le redressement de la
Croix à l’élévation du pain consacré par Jésus la veille au soir, lors
de la Cène : "Voici mon corps", "voici mon sang versé pour la
multitude" (Mt 26,26-28). Efficace. Certains, on l’a dit, ont regretté
que la Résurrection ne soit pas plus clairement affirmée. En tout cas,
le film exprime très clairement que la Croix de Jésus est glorieuse et
victorieuse. La haine multipliée à l’infini n’a jamais raison de son
amour. Une spectatrice notait : "Je me demandais quand cette boucherie
allait s’arrêter. J’en pleurais, je hurlais intérieurement. Mais je ne
pouvais pas haïr les bourreaux de Jésus quand je le voyais pardonner."
En une inclusion significative, le diable dont Jésus a écrasé la tête
de serpent au début de sa Passion, se retrouve, à la fin, précipité au
plus profond de l’abîme sans nom, dans le dernier bolge de l’enfer. La
victoire de Jésus a remporté définitivement la victoire sur son
Adversaire. "Par sa Croix", Jésus "fait la paix" (Ep 2,16). Il a fait
"la paix par le sang de sa Croix" (Col 1,20).
Le
salut accueilli : L’apport le plus marquant, sinon même le plus
original du film tient dans le rôle joué par Marie, extraordinairement
interprétée par l’actrice juive Maia Morgestern. Encore faut-il le
comprendre. Le sens n’est-il pas celui-ci : le don du salut ne peut
pleinement se comprendre sans son accueil ? Or, Marie est non
seulement celle qui a enfanté Jésus, mais celle qui, la première (au
sens chronologique et, plus encore, ontologique), a accueilli la
rédemption et la seule à l’avoir fait de manière plénière . Voilà
pourquoi Marie est première Église . Marie-Église est celle qui
cherche Jésus, comme l’épouse en quête de son Bien-Aimé . Une fois
Jésus condamné par le Sanhédrin, on voit Marie, accompagnée de
Marie-Madeleine. Son regard erre, manifestement en recherche. Soudain,
elle s’immoblise, elle s’agenouille, son visage s’approche du sol, son
oreille se colle à la pierre ; à ce moment, un lent travelling de la
caméra traverse le sol et, à la hauteur même du visage, on découvre un
anneau, des chaînes emprisonnant des poignets ; alors Jésus
tressaille, tourne son visage vers la voûte sombre : il sait ; il sait
que Marie est là, il n’est pas seul. Comment ne pas entendre résonner
la parole du Cantique des Cantiques : "La nuit, j’ai cherché celui que
mon cœur aime" (Ct 3,1) ? Marie est celle qui console Jésus. C’est ce
que manifeste singulièrement une scène, souvent relevée. Marie a
demandé à Jean de pouvoir croiser Jésus sur le chemin de Croix. Son
Fils arrive à son niveau et, sous la trop pesante croix, chute. Mais
voilà que, soudain, l’épreuve est trop forte ; prostrée, elle ne peut
pas aller à sa rencontre. C’est alors que, dans un retour en arrière,
Marie se souvient d’une scène à Nazareth où, Jésus petit enfant, était
tombé ; très alarmée, entendant le cri de son fils, Marie lâche
aussitôt son travail et se précipite pour relever Jésus en pleurs :
"Je suis là !" A ce souvenir, Marie se redresse, passe miraculeusement
entre les soldats et prend le visage couvert de sang et de crachats de
Jésus entre ses mains. Marie est celle qui recueille le don de Jésus.
Le scénario nous réserve une autre surprise. Pendant la flagellation,
Claudia, femme de Pilate, apporte à Marie des linges blancs. On songe
aussitôt au suaire qui servira à envelopper le corps de Jésus. Tout
autre en sera l’usage. Une fois le lieu du supplice déserté, Marie
s’approche et s’agenouille sur le dallage couvert du sang de Jésus.
Alors, elle prend les linges et, dans un geste à la fois très doux et
très précis, elle recueille le sang de son Fils. Plus tard, elle
demande de s’approcher de Jésus sur la Croix et, avec un infini
respect, pose son visage sur les pieds sanglants. Ce sang rédempteur
qu’elle a recueilli dans un linge, ce sang qui maintenant couvre son
visage, elle en sera aspergé quand il jaillira du Cœur transpercé par
la lance du soldat. Marie est celle qui aide Jésus à se mettre debout,
autrement dit à aller jusqu’au bout de sa mission. A la flagellation,
Marie est celle qui décide Jésus de passer du fini (déjà abominable) à
l’infini dont nous parlions ci-dessus. En effet, déjà épuisé par la
badine, frappé aux jambes, Jésus s’affaisse ; c’est alors qu’il croise
le regard de Marie ; contre toute attente, Jésus se redresse ;
interprétant alors comme un geste de défi ce qui, en vérité, est un
acte de courage fou et humble , l’officier commande ce qui va devenir
le plus sanguinaire des supplices. De même, à la fin du Chemin de
Croix, alors que Jésus, abattu, "mordant la poussière", n’a plus la
force de se lever, malgré les menaces, il croise, une nouvelle fois,
le regard de sa mère et, une nouvelle fois aussi, y puise la force
inouïe de se redresser et de se coucher sur la croix. Marie que les
Apôtres appellent significativement "la Mère ", enfin, est celle qui
offre Jésus au Père. Celui qu’au pied de la Croix elle appelle "chair
de ma chair" est aussi "cœur de mon cœur". Dans une scène plus
classique et manifestement inspirée de la première Pietà de
Michel-Ange, Marie accueille le corps de Jésus à la descente de la
Croix, une main délicatement posée sous la tête de son Fils et l’autre
ouverte vers le Ciel. Il ne s’agit nullement de nier que Marie soit la
première sauvée. Avant d’être épouse et mère, elle est "fille de son
Fils". Lorsqu’elle s’approche de Jésus sur le Chemin de Croix, elle
entend cette parole : "Voici que maintenant je fais toutes choses
nouvelles." (Ap 21,5) C’est ce qu’exprime, dès le début du film, une
audacieuse ellipse : nous voyons Jésus écraser la tête du serpent ;
or, dans l’Ecriture, il est dit que c’est la femme qui écrase la tête
du serpent (Gn 3,15 ; Ap 12,17 ) ; n’est-il pas ainsi signifié que
Marie n’a rien qu’elle ne l’ait reçu du Christ ? n’intercède-t-elle
pas pour le salut seulement parce qu’elle en est la première
bénéficiaire ? Ces gestes de Marie sont aussi partagés par d’autres
femmes du film : ainsi, avant la flagellation, Pilate trouve la force
de dire "non" à la foule qui veut crucifier Jésus dans le regard de sa
femme ; plus encore, ils sont imités : telle Marie-Madeleine qui,
voyant Marie recueillir le sang de Jésus après la flagellation,
dégrafe son voile, s’agenouille à ses côtés, et se met à faire de
même, telle Véronique qui voit en Jésus un homme ayant besoin de son
réconfort. Tous ces gestes gratuits, "pour rien", ne prennent sens que
dans l’amour, lui-même, pour rien, parce que totalement désintéressé.
Or, "la dignité de la femme se mesure dans l’ordre de l’amour ". Ces
gestes sont des gestes de femme , des gestes qui caractérisent en
propre ce que Jean-Paul II appelle le "génie féminin ". Les gestes de
Marie, première Église, sont les gestes de l’Église, épouse du Christ
. La manière dont le Cardinal Journet résume, avec puissance, la
pensée de Grignion de Montfort sur la Vierge, signifie assez bien
l’intuition mariale et ecclésiologique du film : "Le saint qui
n’aimait tant Marie que parce qu’elle fait entrer plus avant dans la
profondeur du mystère de Jésus, était prédestiné à comprendre sa
parenté avec ce qu’il appelait l’Église des derniers temps. L’amour de
la Vierge pour l’Église, et de l’Église pour la Vierge, voilà, selon
lui, la force qui soutiendra l’Église dans les combats avant-coureurs
de la fin du monde ." Combien de spectateurs, là encore, se sont
sentis très intimement rejoints et se sont appropriés l’attitude
mariale, pour en bénéficier ou pour en faire bénéficier autrui. A
chaque fois joue, multipliée, la grande loi de l’image : l’attention
se porte du signe au signifié, de l’image à ce qui est représenté.
Marie est celle qui ne cesse de rechercher l’homme incarcéré, quelle
que soit sa prison, jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvé, celle qui
console l’éprouvé sur son chemin de Croix, celle qui permet que pas
une goutte de sang innocent versé soit perdu, celle qui donne la
force, celle qui, "à l’heure de notre mort", nous offre au Père.
La
dynamique du salut : Les quatre pôles qui viennent d’être décrits sont
dynamiquement articulés. La passion du Christ est porteur d’une
théologie de la rédemption, du sacrifice, de l’imitation qu’il serait
riche d’élaborer. Dans l’intention et la mise en œuvre, le film désire
aussi donner les moyens de conduire du plus immédiat - la vision
abrupte de la violence faite au Christ - à la reconnaissance que, dans
l’Agneau immolé, ma propre violence est pardonnée, voire que je peux
pardonner à celui qui me violente. Trois réactions entendues à la
sortie du film montrent ce possible passage autant que la grande
variété des médiations : "Un moment, quand Simon de Cyrène prend à
partie les soldats sur le chemin de Croix, je me suis dit : « J’espère
qu’il va enfin leur montrer la vérité ! » Et, brusquement, j’ai pris
conscience de la violence qui m’habitait et du décalage entre ma
disposition intérieure et l’attitude de Jésus." "Pendant la scène de
la flagellation, je me disais : mais ils vont arrêter ; ce n’est pas
possible, ils vont tout de même prendre conscience de ce qu’ils font.
Et non… J’ai soudain réalisé que la violence pouvait ne pas s’achever,
qu’il était possible de s’acharner même sur un cadavre. Et m’est
revenue en mémoire une personne à qui j’en voulais, m’étant juré que
je ne m’ouvrirais de nouveau à elle que si elle faisait le premier
pas : ma fermeture promettait de durer aussi longtemps que mon
amertume, c’est-à-dire sans fin. Etais-je si différent des
bourreaux ?…" "En voyant la trahison de Pierre, je fus bouleversé.
J’ai songé à ma propre démission, à mes tentations de lâcheté." Mais
ce passage de l’image au pardon n’a rien de nécessaire. On peut
s’arrêter en chemin : en demeurant fasciné par la violence, en
accusant l’autre, en se culpabilisant. Il y va de notre histoire, de
notre liberté, de notre ouverture à la grâce. Voilà pourquoi Paul
Thibaud, président de l’Amitié judéochrétienne de France, pose la
bonne question sur ce film qui, selon lui, "suscite la méfiance",
lorsqu’il écrit : "Attendons néanmoins d’avoir vu pour savoir si les
larmes que le film fait couler ne sont qu’attendrissement sur soi et
désir encore une fois de mettre le Christ au service de nos passions,
de notre besoin de désigner les coupables, ou si, à travers cette
émotion, se manifeste la conscience de la différence entre nous et
celui que nous voudrions accompagner, un désir de salut et de
conversion ."
Confirmation
en creux : Loin d’être un documentaire historique, le film de Mel
Gibson est une relecture spirituelle de la Passion du Christ. L’image,
réaliste et artistique, propose une articulation puissante et
originale du mal (voulu et subi) et de son remède salvifique (offert
et accueilli). Il fait ressortir en creux la connexion étroite et
insoupçonnée existant entre le déni de ces quatre pôles : la
minimisation du péché grave ; la relativisation de la souffrance du
Christ ; la réduction de l’efficacité salvifique (par exemple à un
récit) ; l’effacement de la véritable identité ecclésiale et de la
mission centrale de la Mère du Sauveur. Qui offusque un des pôles,
singulièrement la vérité de la Passion, ne court-il pas le risque
d’affaiblir l’un des trois autres, tôt ou tard ? Ce film sur le
Christ, le Messie (terme d’origine hébraïque qui se traduit en grec
par "Christ"), apporte aussi un utile contre-point aux représentations
messianiques multiples qui envahissent un cinéma surtout tenté par les
messies de puissance - le dernier en date est la figure clairement
christique de Neo, l’Elu, venu sauver Zion, dans la trilogie Matrix -
mais aussi par des figures tout aussi ambiguës, de type chamanique. Le
Messie non-violent et aimant de l’Évangile que met en scène Mel
Gibson, montre que la seule victoire définitive sur la violence passe
non par la destruction de l’ennemi - qui mériterait de demeurer en
vie ? - mais par sa conversion. Mais il ne suffit pas de voir mourir
l’Innocent qui pardonner pour refuser définitivement de pactiser avec
le mal : il faut la décision de la volonté, précédée par la grâce.
5) Conclusion :
L’exhortation apostolique post-synodale pour l’Europe s’ouvre sur un
paragraphe intitulé "l’obscurcissement de l’espérance ". Face à l’acédie,
cette tristesse de l’âme qui est la cause directe de notre
désespérance, on se souvient de la forte exhortation de l’épître aux
Hébreux : "Jésus qui, au lieu de la joie qui lui était proposée,
endura une croix dont il méprisa l’infamie et qui est assis désormais
à la droite du trône de Dieu. Songez à celui qui a enduré de la part
des pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défailler par
lassitude de vos âmes. Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang
dans la lutte contre le péché." (He 12,2-4) La passion du Christ
pourrait-il aider à lutter contre cette tiédeur mortelle où conduit
l’euphorie perpétuelle et le désir de jouir à tout prix d’une époque
fascinée par le vide et dénuée de toute gravité ? Tous les arts se
sont confrontés, un moment ou l’autre, au mystère fondamental de la
foi, le Mystère pascal, en particulier la mort de Jésus sur la Croix.
Cela est vrai de la poésie, de la musique, du théâtre, de la
sculpture, de la peinture, de l’architecture. Pourquoi dénier ce droit
à cet art nouvellement venu qu’est le cinéma ? De fait, une des plus
grandes originalités du film de Mel Gibson est - à ma connaissance -
d’être le premier entièrement consacré à la passion du Christ. C’est
la nouveauté même du cinéma qui est en jeu et que la Passion révèle.
Cette nouveauté tient notamment en la puissance de figuration et de
proximité que cet art introduit entre spectacle et spectateur. Le
film, qui conjugue le récit (propre à l’art romanesque), l’image
(propre aux arts plastiques), voire la danse et le son (propre à la
musique), est doué d’une puissance de réalisme que seul, à leur
manière, égalent le théâtre ou l’opéra. Le risque d’un détournement,
d’un dévoiement, qui serait ici voyeurisme, mainmise sur le mystère,
est proportionnel à la puissance d’évocation du cinéma. Des cinéastes
chrétiens comme Bresson ou Dreyer, pour ne citer que des auteurs
incontestés, nous ont bien montré que l’on peut ne pas confondre
l’essence du cinéma avec ses excès et ses mésusages. Sachant que
celui-ci est devenu, et de loin, le premier moyen de distraction de
Français et de nombre d’Occidentaux, ne serait-il pas regrettable de
se priver de ce moyen pour proclamer la Bonne nouvelle du Salut ? Si,
selon le Concile Vatican II, "l’Église n’a jamais considéré aucun
style artistique comme lui appartenant en propre, mais […], elle a
admis les genres de chaque époque ", comment ne prendrait-elle pas en
compte ce dernier né qu’est le septième art ?
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