L’agence de renseignement vient de présenter son
évaluation de la planète dans quinze ans. Quelles menaces, quelles
tendances ? Autant d’indications qui orienteront la politique des
États-Unis dans les prochaines années.
Le Conseil national du renseignement américain
(National Intelligence Council), dépendant du directeur de la CIA, a
remis son dernier rapport stratégique, Mapping the Global Future :
des séries statistiques, des analyses et des scénarios, tous plus
impressionnants les uns que les autres. C’est le monde, tel que la
CIA le voit dans quinze ans.
À lire les analystes de Langley, la planète restera
dominée par les États nations, malgré la pression des formes
nouvelles d’organisation issues de la mondialisation. Les grandes
tendances d’aujourd’hui seront confirmées : déplacement des centres
de puissance vers l’Asie, migrations de masse, vieillissement des
sociétés occidentales, bouleversements économiques, terrorisme.
En 2020, les États-Unis restent la nation la plus
puissante et la plus influente, sans pouvoir empêcher le fossé avec
leurs concurrents de se combler partiellement, ni la progression de
l’anti-américanisme : « Beaucoup de pays pensent que le meilleur
moyen d’influencer Washington est de monnayer leur coopération (…).
Des pays étrangers tenteront de “raccrocher” le wagon de la
politique américaine – par exemple sur la guerre contre le
terrorisme – pour être laissés libres d’agir comme ils le veulent
dans d’autres domaines. »
En matière économique, la Chine, l’Inde, le Brésil et
l’Indonésie entrent avec fracas sur la scène mondiale : «
L’émergence probable de l’Inde et de la Chine comme nouveaux acteurs
globaux – phénomène similaire à l’ascension de l’Allemagne unifiée
du XIXe siècle et à la puissance des États-Unis dans la première
moitié du XXe siècle – bouleversera le paysage géopolitique, avec
des effets aussi importants que ces précédents historiques. »
Ces pays devraient vite dominer les nations
européennes, handicapées par leurs problèmes de vieillissement et
d’immigration.
Selon la CIA, la Chine dépassera l’Allemagne dans
cinq ans, supplantera le Japon en 2016 et les États-Unis vers 2040.
L’Inde devrait être plus riche que la France en 2020. Elle va
émerger comme le pôle dominant incontournable en Asie du Sud-Est,
entrant en concurrence indirecte avec la Chine.
Pékin, que sa croissance hissera au rang de deuxième
puissance militaire mondiale, « prendra la place de la Russie et
d’autres pays comme second budget militaire mondial après les
États-Unis dans les vingt prochaines années ». Le problème de Taiwan
reste posé. La Chine n’est toutefois pas à l’abri de difficultés
économiques et politiques provoquées par les bouleversements sociaux
accélérés affectant sa population.
De son aptitude à circonscrire ces problèmes dépendra
le renforcement de sa puissance réelle.
Sans surprise, la CIA doute de l’aptitude des Nations
unies à résister en 2020 aux changements géopolitiques en cours.
La crédibilité de cette institution ne devrait plus
être que l’ombre de ce qu’elle fut au lendemain de la guerre froide,
à cause de sa lenteur à se réformer. Les analystes ne voient rien
qui pourrait stopper la mondialisation accélérée actuelle. Le
terrorisme ? Il pourrait ralentir ce mouvement, mais à la marge.
La mondialisation semble une chance pour les pays
ayant su investir dans les nouvelles technologies. Un seul vrai
perdant dans ce monde de 2020 : l’Afrique. Et un “dommage
collatéral” dans cette interconnexion toujours plus étroite entre
les économies : la demande accrue d’énergie. Ce besoin entraînera
mécaniquement la Chine et l’Inde à se transformer en puissances
globales pour garantir la sécurité de leurs approvisionnements.
L’Europe, « avec un taux de fécondité de 1,4, bien en
dessous du seuil de remplacement de 2,1 », est déjà confrontée à un
immense problème de vieillissement. En 2020, elle continuera à être
un pôle de stabilité et de richesse. Mais, estime la CIA, son vide
démographique va continuer à attirer les migrants du monde entier :
« Les pays d’accueil font face au défi d’intégrer les nouveaux
immigrants afin de minimiser les conflits sociaux potentiels. »
L’Union européenne s’appliquera à digérer son
élargissement à 25. Pour la Turquie, les analystes américains
hésitent : elle sera peut-être entrée dans l’UE, « malgré sa taille,
et ses différences religieuses et culturelles », sauf si des
difficultés sociales (effondrement de l’État providence sous l’effet
du vieillissement) ne grippent le processus, certains pays décidant
de faire cavalier seul et stoppant de fait le processus
d’élargissement. La prolifération nucléaire est en tête des dangers
menaçant la sécurité mondiale. Un pays emblématique : l’Iran,
peut-être doté de l’arme atomique. Cet environnement dangereux se
conjugue avec un terrorisme islamique toujours plus présent et
efficace, qui tente, pour parvenir à ses fins, de s’emparer d’armes
de destruction massive devenues plus disponibles, en Russie ou au
Pakistan par exemple.
La grande majorité des groupes terroristes en
activité se réclameront de l’Islam. Ils s’appuieront sur la
prolifération des réseaux informels de solidarité musulmane. « Les
djihadistes étrangers – des individus prêts à combattre partout où,
selon eux, les terres musulmanes sont menacées par des “envahisseurs
infidèles” – bénéficient d’un sentiment de solidarité en hausse de
la part de musulmans qui ne soutiennent pas nécessairement eux-mêmes
le terrorisme. » La génération des “Afghans”, actuels cadres d’Al-Qaïda,
devrait être remplacée par les “Irakiens”, capables d’utiliser des
moyens offensifs plus modernes, comme les drones ou les agents
biologiques, voire de pratiquer le cyberterrorisme. Les États-Unis
resteront leur cible principale mais les attaques les plus
nombreuses auront lieu en Europe occidentale et au Moyen-Orient.
La CIA définit le grand enjeu du XXIe siècle :
l’identité, le recentrage des convictions politiques autour des
appartenances religieuses. L’inquiétude des populations se définira
d’abord par les problèmes d’emploi et les conséquences des
migrations. Du point de vue religieux, le christianisme et l’Islam
devraient compter respectivement 2,6 et 1,8 milliards de croyants,
sur une population mondiale de 7,8 milliards d’hommes. En 2020, deux
des principaux pays chrétiens seront la Chine et le Nigeria. Le
succès grandissant des protestants en Amérique latine devrait se
confirmer.
En Europe, l’indifférentisme des sociétés
vieillissantes progressera, à l’exception des populations musulmanes
: « L’islam radical continuera à attirer de nombreux immigrés
musulmans, qui ont gagné l’Occident pour des raisons économiques
mais qui ne se sentent pas chez eux au sein d’une culture perçue
comme étrangère. »
2020 verra une évolution des croyants vers une forme
plus “activiste” de présence au monde : « Les différences
religieuses et ethniques contribueront aux futurs conflits »,
prévient le rapport, qui mentionne un futur Irak dominé par les
chiites, encourageant l’agitation en Arabie saoudite et au Pakistan.
Ce rapport est disponible sur www.cia.gov/nic
Bruno Lesvez