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Présentation :
L'anthropologue a été très brillamment élu hier, 17 mars
2005, à l'Académie française, avec
28 suffrages sur 32 votants .... ci dessous 2 articles parus dans les
médias à cette occasion.
l'un du Figaro et l'autre du site
libertepolitique.com
Extraits :
René Girard, l'élection divine
: .... s'est employé depuis un demi-siècle à démontrer que les Évangiles
étaient une théorie de l'homme avant d'être une théorie de Dieu. Un vrai
scandale pour les modernes déconstructeurs. .....
observe avec inquiétude l'humanité revivre le scénario de la violence
mimétique, au moment où la technologie est tombée entre les mains
d'êtres déraisonnables.
René Girard
en vert :.... Le
christianisme ne dit pas qu'il faut renverser les frontières par la
violence. Il respecte les ordres sociaux tels qu'ils sont.
..... (les) chrétiens ont combattu sans violence pour
la vérité, pour que la lumière soit faite sur le mensonge et la violence
des régimes qui asservissaient leurs pays. Encore une fois, face au
danger de mimétisme universel de la violence, vous n'avez qu'une réponse
possible : le christianisme.
résonances :
pour les personnes qui veulent lire un premier livre
donnant une bonne compréhension du " système René Girard" son dernier
livre " Les origines de la culture " publié en mars 2004
...22 euros ... me parait être le meilleur choix...
en
io-relation
.... René Girard
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René Girard,
l'élection divine
Sébastien Lapaque
Le Figaro 18
mars 2005
Ses livres ont souvent des titres empruntés à l'Écriture : Des choses
cachées depuis la fondation du monde, Quand ces choses commenceront, Je
vois Satan tomber comme l'éclair... Aucun d'eux ne lui ressemble cependant
mieux que l'intitulé d'un volume paru en 2001 : Celui par qui le scandale
arrive.
Longtemps professeur à l'université de l'État de New York, à Buffalo,
puis à Stanford, en Californie, penseur franc-tireur, lecteur universel et
anthropologue, René Girard s'est employé depuis un demi-siècle à démontrer
que les Évangiles étaient une théorie de l'homme avant d'être une théorie
de Dieu. Un vrai scandale pour les modernes déconstructeurs.
Quand ses contemporains cherchaient la vérité sur l'origine des
institutions humaines chez Marx et Freud, il s'est obstiné à la trouver
dans les Écritures, lues et relues avec Le Rouge et le Noir, Madame
Bovary, Don Quichotte, Les Frères Karamazov et Le Général Dourakine.
En plein triomphe des sciences humaines et de la «french theory»,
cet
humaniste véritable a répété qu'après les Évangiles les textes les plus
éclairants sur notre culture n'étaient ni philosophiques, ni
psychologiques, ni sociologiques, mais littéraires.
Un propos scandaleux au regard du relativisme obligatoire de notre
temps, mais énoncé tranquillement : «Je suis personnellement convaincu que
les écrivains occidentaux majeurs, qu'ils soient ou non chrétiens, des
tragiques grecs à Dante, de Shakespeare à Cervantès ou Pascal et jusqu'aux
grands romanciers et poètes de notre époque, sont plus pertinents pour
comprendre le drame de la modernité que tous nos philosophes et tous nos
savants.» De sa date, il n'y eut guère que George Steiner et Simon Leys
pour faire preuve d'une telle audace.
Expliquant la violence du monde en décortiquant le mécanisme du désir
mimétique - «C'est toujours en imitant le désir de mes semblables que
j'introduis la rivalité dans les relations humaines et donc la violence»
-, René Girard a eu l'audace de proposer une nouvelle théorie générale au
moment où toute intelligence du monde de portée universelle était frappée
de suspicion. Depuis Mensonge romantique et vérité romanesque, ses travaux
ont touché celui qui croit au Ciel et celui qui n'y croit pas. Ils ont
renouvelé le ciel des idées - celui auquel il faut bien croire -, en
bouleversant la conception que l'on se faisait de la violence, avant de
déboucher sur une défense anthropologique du christianisme, ultime
scandale d'une pensée qui s'est épanouie avec des manières de charge de la
brigade légère au fil de trois décennies (1950-1980), toutes acquises au
structuralisme et à la déconstruction.
Le scandale ne fait pas peur à René Girard. Anthropologue
révolutionnaire, catholique romain assez peu en phase avec la pastorale de
son temps, il se présente volontiers comme un chrétien conservateur,
évitant «les liturgies filandreuses, les catéchismes émasculés et les
théologies désarticulées».
En 2004, il a bousculé quelques belles âmes en défendant La Passion de
Mel Gibson, un film dans lequel il lui a semblé trouver des choses
extrêmement révélatrices sur le rapport que notre monde entretient avec la
violence. Un scandale : René Girard ne fuit ni le mot ni la chose. En
homme qui sait que la seule vocation des critiques littéraires est de
maintenir le sens et la fonction religieuse du langage, il revient à
l'étymologie d'un mot qu'on trouve beaucoup dans l'Évangile, plus souvent
que le mot péché. En grec, le skandalon, c'est le «piège», qui fait
trébucher. Mais, parce qu'il nous tient et retient, cet obstacle nous
permet d'avancer. Puisqu'il nous repousse, nous y revenons, le mécanisme
de la rivalité mimétique se mettant en place et l'adversaire se
transformant en modèle.
Ce mouvement premier de l'imitation comme coïncidence des opposés avait
déjà été observé par Augustin, et même par Nietzsche : «Choisis bien ton
ennemi, tu finiras par lui ressembler.» Le philosophe allemand terrassé
par une crise de folie, à Turin, à quelques pas de l'église où est exposé
le saint suaire, songeait-il au crucifié auquel il finira par emprunter le
nom pour signer à la fin de sa vie ?
Il faudrait demander ce qu'il en pense à René Girard.
L'auteur de La Violence et le Sacré n'hésite pas à faire de la Croix le
point nodal de toute réflexion sur la condition humaine. Avec le Christ,
le bouc émissaire cesse d'être coupable, et les origines de la violence
sont révélées. Par là, il nous délivre des religions archaïques. En
rendant tout sacrifice absurde, Jésus s'impose comme un anti-OEdipe. Son
histoire est un «retournement de mythe» qui montre que la victime dit la
vérité et que c'est la persécution qui porte le mensonge.
Dans les histoires précédentes, c'était déjà vrai, mais ce n'était pas
dit, les dieux et les fatalités paraissant infiniment déchaînés contre les
victimes. Pour expliquer jusqu'au bout le scandale de la Croix, René
Girard a des hardiesses de théologien. «Sans le Christ, Dieu aurait risqué
d'être jaloux de l'homme. Il n'aurait pas éprouvé une souffrance et une
violence qui est le lot de l'humaine condition. Voilà pourquoi le scandale
de la Croix, cet obstacle pour la pensée, était nécessaire.»
Il y a quelque bonheur à songer qu'un lecteur de Darwin aux théories
très en prise avec le réel ose parler de cette manière. C'est toute
l'audace d'un penseur de la crise, qui observe avec inquiétude l'humanité
revivre le scénario de la violence mimétique, au moment où la technologie
est tombée entre les mains d'êtres déraisonnables. Homme d'hier, qui
retrouve les trois quarts de ses conclusions chez Augustin, René Girard
est aussi un homme d'après-demain, persuadé que les hommes finiront bien
par apprendre à se libérer de la violence. Sinon, il ne leur restera plus
qu'à relire l'Apocalypse de Jean comme une très belle et très angoissante
Histoire du futur.
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René Girard
en vert : "Une seule réponse : le christianisme"
Auteur:
liberté politique E. Husson
Source:
http://www.libertepolitique.com/public/decryptage/article.php?id=1167
Date :
René Girard vient
d'être élu à l'Académie française. Avec lui, c'est un intellectuel
de grande envergure qui rejoint les Immortels. Né en 1923,
ancien élève de l'École des chartes, sa première grande étude concernait
le mimétisme et la violence du désir chez les plus fameux romanciers
européens, de Cervantès à Dostoïevski (Mensonge romantique et vérité
romanesque, 1961). Une dizaine d'années plus tard, Girard livrait une
étude sur la tragédie grecque, et formulait pour la première fois
l'hypothèse que l'origine des religions se trouvait dans le phénomène du
bouc émissaire (la Violence et le Sacré, 1972). C'est cette hypothèse
que Girard n'a cessé d'affiner dans trois ouvrages où apparaît la
véritable originalité de la révélation biblique : le mécanisme du bouc
émissaire est mis en lumière et par là-même rendu inefficace ; les
ordres culturels fondés sur le principe du meurtre fondateur ne
résistent pas au jour que jette sur eux le christianisme quand ils
entrent en contact avec lui (Des choses cachées depuis la fondation du
monde, (1978), le Bouc émissaire (1983), la Route antique des hommes
pervers (1985)).
En 2000, René Girard publie ce qu'il
assure être son dernier ouvrage, une véritable apologie du christianisme
pour notre temps, Je vois Satan tomber du ciel comme l'éclair (Grasset).
....( RS...cela n'a pas été son dernier ouvrage ... pour les personnes qui veulent lire un premier livre
donnant une bonne compréhension du " système Girard" son dernier
livre " Les origines de la culture " publié en mars 2004
...22 euros ... me parait être le meilleur choix... )
À l'occasion
de son élection à l'Institut, ci dessous les extraits d'un
entretien accordé à Edouard Husson pour Liberté politique, en avril
2000.
Entretien ...
LIBERTE POLITIQUE. - Dans Je vois
Satan tomber comme l'éclair, vous récapitulez toute votre œuvre et
montrez que même les plus anti-chrétiens des Occidentaux ne cessent
d'être déterminés par le souci biblique par excellence, le souci des
victimes innocentes de la violence collective. Si la révélation
biblique en sait long sur le désir mimétique, elle nous dit beaucoup
aussi sur le phénomène du bouc émissaire.
RENE GIRARD. - J'ai travaillé sur la
tragédie grecque, en particulier sur le mythe d'Œdipe avant de
m'intéresser aux textes bibliques. Il s'est passé là quelque chose
d'extraordinaire. Parallèlement à mes propres recherches et sans que
nous nous soyons consultés, un jésuite autrichien, le père Schwager, a
commencé à travailler sur les Psaumes. Et il a repéré un thème
fondamental chez beaucoup d'entre eux : un individu assiégé par ses
ennemis appelle Dieu à l'aide. Ou il proclame son innocence ou que
seul Dieu est juge de ses péchés — et non la communauté composée de
pécheurs comme lui. Schwager, en prolongeant mes analyses de la
Violence et le Sacré, mettait le doigt sur la différence fondamentale
de la révélation biblique. L'individu des Psaumes ou Job refusent de
donner leur approbation au lynchage dont ils sont menacés. Lorsqu'on
lit l'Œdipe roi de Sophocle, le poète tragique nous montre une
parfaite symétrie de la violence et puis brusquement, Œdipe est chargé
de toute la violence qui divise la communauté.
Comme les victimes émissaires du
monde entier, il est soudain accusé des forfaits les plus terribles,
ceux qui menacent de dissolution l'ordre social tout entier : le
parricide et l'inceste et il ne s'y oppose pas. Job se trouve dans la
même situation qu'Œdipe : lui qui régnait sur les esprits et les
cœurs, le voici accusé par ses " amis " des pires forfaits. Ses faux
amis veulent en fait qu'il consente au lynchage qu'on lui réserve.
Mais Job, à la différence d'Œdipe, ne rentre pas dans le jeu. Il
invoque le Paraclet, l'avocat de la défense des victimes.
Les Évangiles achèvent la
révélation biblique en ce qu'ils dévoilent définitivement les
mécanismes de la violence individuelle et collective.
Le lynchage collectif est
l'aboutissement du mécanisme par lequel nous pensons nous débarrasser
de la violence en l'expulsant vers l'extérieur. Dans les constructions
juridiques des " païens ", il est ritualisé. Si la Loi d'Israël se
différencie de celle des " païens ", c'est parce qu'elle doit mener à
l'intériorisation de la conscience de la violence. À nos propres
yeux, nous sommes toujours pacifiques et ce sont les autres qui sont
violents. C'est toujours l'autre qui a commencé. Dénoncer les
fautes de l'autre est une des formes de la rivalité mimétique qui me
permet d'affirmer ma supériorité sur l'autre et de justifier ma
violence contre lui. La loi des nations païennes est toujours
finalement inefficace parce que la violence expulsée finit par
revenir. Tout l'enseignement prophétique consiste à prêcher le
renoncement individuel à la violence, seule garantie de son
éradication.
Tel est le sens de l'épisode de la
femme adultère.
Oui, Jésus s'appuie sur la Loi pour
en transformer radicalement le sens. La femme adultère doit être
lapidée : en cela la Loi d'Israël ne se distingue pas de celle des
nations. La lapidation est à la fois une manière de reproduire et de
contenir le processus de mise à mort de la victime dans des limites
strictes. Rien n'est plus contagieux que la violence et il ne faut pas
se tromper de victime. Parce qu'elle redoute les fausses
dénonciations, la Loi, pour les rendre plus difficiles, oblige les
délateurs, qui doivent être deux au minimum, à jeter eux-mêmes les
deux premières pierres. Jésus s'appuie sur ce qu'il y a de plus humain
dans la Loi, l'obligation faite aux deux premiers accusateurs de jeter
les deux premières pierres ; il s'agit pour lui de transformer le
mimétisme ritualisé pour une violence limitée en un mimétisme inverse.
Si ceux qui doivent jeter " la première pierre " renoncent à leur
geste, alors une réaction mimétique inverse s'enclenche, pour le
pardon, pour l'amour.
Jésus réussit à provoquer un bon
mimétisme…
Jésus sauve la femme accusée
d'adultère. Mais il est périlleux de priver la violence mimétique de
tout exutoire. Jésus sait bien qu'à dénoncer radicalement le mauvais
mimétisme, il s'expose à devenir lui-même la cible des violences
collectives. Nous voyons effectivement dans les Évangiles converger
contre lui les ressentiments de ceux qu'ils privent de leur raison
d'être, gardiens du Temple et de la Loi en particulier. " Les chefs
des prêtres et les Pharisiens rassemblèrent donc le Sanhédrin et
dirent : “Que ferons-nous ? Cet homme multiplie les signes. Si nous le
laissons agir, tous croiront en lui”. " Le grand prêtre Caïphe leur
révèle alors le mécanisme qui permet d'immoler Jésus et qui est au
cœur de toute culture païenne : " Ne comprenez-vous pas ? Il est de
votre intérêt qu'un seul homme meure pour tout le peuple plutôt que la
nation périsse " (Jean XI, 47-50).
Est-ce à cause de ce dévoilement de
la " loi du monde " que l'évangéliste ajoute : " Ces mots, ce n'est
pas de lui-même qu'il les prononça ; étant grand-prêtre cette
année-là, il était inspiré " ?
Oui, livrée à elle-même, l'humanité
ne peut pas sortir de la spirale infernale de la violence mimétique et
des mythes qui en camouflent le dénouement sacrificiel. Pour rompre
l'unanimité mimétique, il faut postuler une force supérieure à la
contagion violente : l'Esprit de Dieu, que Jean appelle aussi le
Paraclet, c'est-à-dire l'avocat de la défense des victimes. C'est
aussi l'Esprit qui fait révéler aux persécuteurs la loi du meurtre
réconciliateur dans toute sa nudité.
Les Évangiles sont donc le
contraire des mythes, selon vous : ils disent le meurtre du bouc
émissaire tel qu'il s'est réellement passé.
Ils utilisent une expression qui est
l'équivalent de " bouc émissaire " mais qui fait mieux ressortir
l'innocence foncière de celui contre qui tous se réconcilient : Jésus
est désigné comme " Agneau de Dieu ". Cela veut dire qu'il est la
victime émissaire par excellence, celle dont le sacrifice, parce qu'il
est identifié comme le meurtre arbitraire d'un innocent — et parce que
la victime n'a jamais succombé à aucune rivalité mimétique — rend
inutile, comme le dit l'Épître aux Hébreux, tous les sacrifices
sanglants, ritualisés ou non, sur lesquels est fondée la cohésion des
communautés humaines. La mort et la Résurrection du Christ
substituent une communion de paix et d'amour à l'unité fondée sur la
contrainte des communautés païennes. L'Eucharistie, commémoration
régulière du " sacrifice parfait " remplace la répétition stérile des
sacrifices sanglants.
Le christianisme ne dit pas qu'il
faut renverser les frontières par la violence. Il respecte les ordres
sociaux tels qu'ils sont.
En même temps, le devoir du chrétien
est de dénoncer le péché là où il se trouve. Le communisme a pu
s'effondrer sans violence parce que le monde libre et le monde
communiste avaient accepté de ne plus remettre en cause les frontières
existantes ; à l'intérieur de ces frontières, des millions de
chrétiens ont combattu sans violence pour la vérité, pour que la
lumière soit faite sur le mensonge et la violence des régimes qui
asservissaient leurs pays. Encore une fois, face au danger de
mimétisme universel de la violence, vous n'avez qu'une réponse
possible : le christianisme.
> Propos recueillis par Edouard
Husson. Texte intégral dans Liberté politique n° 12, printemps 2000,
"De la violence et du pardon".
texte hébergé
en 03/05
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