Texte Formateur : Vivre localement, par Serge Latouche
Note de NOVOpress Suisse : Ces
dernières années, les milieux identitaires ont commencé à faire leur
révolution culturelle et à s’attaquer à quelques-unes de leurs plus
graves lacunes. Confiné dans des catacombes, chroniquement nostalgique
des grandes occasions manquées, notre combat était trop souvent
sectaire, sans réflexion sociale clairement articulée. Une nouvelle
génération d’activistes commence maintenant à faire sa place au soleil,
consciente du potentiel de l’action associative et de l’importance de
certaines questions socioéconomiques.
Nous ne pouvons plus nous permettre,
contrairement aux alterimmondes, de rêver à un autre monde possible sans
savoir à quoi il pourrait ressembler concrètement. Il nous faut
réfléchir à la direction que devrait prendre notre civilisation après sa
Renaissance, aux moyens de réorganiser les relations entre l’individu et
son groupe, entre ce groupe et son environnement naturel. Nous avons eu
le temps de comprendre que le monde vu comme une marchandise n’était pas
celui que nous voulons pour nos gosses ; nous avons aussi pu constater
l’ampleur des dégâts causés par l’alternative socialiste. Pour reprendre
un slogan éculé, il nous reste donc à développer une Troisième Voie, en
rupture avec toutes les mondialisations que nous vendent les frères
siamois qui se pavanent à Davos, Bamako ou Porto Allegre.
Une telle rupture ne peut obéir à
aucune logique doctrinaire. Elle doit être pragmatique, adaptée aux
moyens dont nous disposons, et en accord avec les grands principes que
nous dictent nos instincts. Voilà pourquoi il est possible d’affirmer
que tous les chemins mènent à la Reconquête : comprenez par là qu’il
n’existe pas qu’une recette pour atteindre les buts que nous nous
fixons, et que tout ce qui peut contribuer à redonner à nos nations le
goût et la force de revivre, peut et doit être mis à contribution. Si
l’Europe doit choisir entre survivre et disparaître, les guignolades
partisanes et les luttes d’influence n’ont plus lieu d’être.
Dans cet esprit, nous reproduisons ici
un article fondamental, extrait de La Décroissance, la revue de Casseurs
de Pub. La dissidence enracinée n’y compte sans doute pas que des amis.
Disons-le franchement : nous n’en avons pas grand-chose à foutre. Les
idées développées dans cet article concordent en tout point avec l’idée
que nous nous faisons d’une société européenne digne de ce nom, et qui
mérite qu’on y ait un autre destin que celui de kamikaze ou de suicidé à
petit feu. L’autonomie des régions ? L’application locale de
l’autogestion ? La possibilité de vivre au pays, en maintenant les
traditions vivantes et avec d’autres règles d’échanges que celles
dictées par le Marché ? Oui, mille fois oui !
Nous proposons donc aux novolecteurs
un document synthétique, simple et direct, sur la manière de reprendre
au libéralisme le contrôle de nos vies, de recoloniser l’espace social
et de refaire un jardin du dépotoir toujours plus puant et désespérant
qu’est devenu notre coin de continent.
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VIVRE LOCALEMENT, par Serge
Latouche.
La Décroissance, n°28, septembre 2005, page 7.
Sortir de la globalisation et relocaliser l’économie sont le moyen le
plus important pour entrer en décroissance. Il ne s’agit pas de faire du
« développement local », mais de réorienter notre vie sur un territoire
autonome, autogérer et réenchanté.
Il y a d’abord ceux qui veulent « vivre et travaille au pays » et puis
plus simplement tous ceux qui voudraient éviter de voir leur entreprise
se délocaliser dans le Sud-Est asiatique ou leur emploi supprimé pour
cause de privatisation des services publics. En Europe, mais aussi aux
Etats-Unis, au Canada, en Australie, on assiste à une prolifération de
néo-agriculteurs, néoruraux, néo-artisans. On y voit fleurir une myriade
d’associations à but non exclusivement lucratif : entreprises
coopératives en autogestion, communautés agricoles, Amap (associatoin
pour le maintien d’une agriculture paysanne), Sel (système d’échange
local), crèches parentales, boutiques de gestion, banques éthiques ou
mutuelles de crédit-risque, associations de consommateurs, entreprises
d’insertion, etc.
Si le « local » émerge aujourd’hui, il est malheureusement accolé le
plus souvent au concept de « développement ». Il n’est souvent qu’un
cache-sexe d’un processus de désertification et de dégradation d’un
territoire. Aujourd’hui, nous sommes en face de territoires sans pouvoir
à la merci de pouvoirs sans territoire. Cela est particulièrement vrai
quand l’économie locale est dépendante de l’implantation d’un
établissement rattaché à une grande firme. Si les initiatives locales
alternatives se lient au développement économique du marché mondial par
le biais de subsides de l’Etat ou de Bruxelles, elles sont condamnées à
disparaître tôt ou tard ou à se fondre dans le système dominant. Elles
perdent alors littéralement leur âme et finissent par être «
instrumentalisées » par les pouvoirs publics, les entreprises, leurs
permanents ou même leurs bénévoles.
Accolé à développement, le « local » est tout juste, en effet, comme le
social et le durable, ce qui permet au développement de survivre à sa
propre mort. Le concept de « développement local » n’échappe pas plus
que celui de « développement durable » à la colonisation de l’imaginaire
par l’économique. Tout « développement » détruit et détruira le local en
concentrant toujours plus les pouvoirs industriels et financiers.
Bon sens
Le local ne peut prendre tout son sens, celui d’une véritable
renaissance, que dans le cadre d’un « après-développement » et dans la
construction d’une société de décroissance. Les alternatives concrètes
pour sortir de l’impasse du développement se feront d’abord localement.
Il est nécessaire de revitaliser les lieux de vie, au Nord comme au Sud,
parce que, même dans une planète virtuelle, jusqu’à preuve du contraire,
on vit localement… Mais surtout, cela est nécessaire pour sortir de
l’économie et pour lutter contre la mondialisation. L’enjeu consiste à
éviter le « glocal », c’est-à-dire la récupération technocratique du
local dans la mondialisation. Cette stratégie sert d’alibi à la
poursuite de la désertification du tissu social, elle n’est qu’un
sparadrap collé sur une plaie béante, autrement dit, un discours
d’illusion et de diversion.
Relocaliser signifie bien sûr produire localement pour l’essentiel des
produits servant à la satisfaction des besoins de la population à partir
d’entreprises locales financées par l’épargne collectée localement. Face
à la boulimie d’un modèle urbain devenu dévoreur d’espace, il importe de
travailler à une « renaissance des lieux » et à une
reterritorialisation. Toute production pouvant se faire à l’échelle
locale pour les besoins locaux devrait être réalisée localement. Un tel
principe repose sur le bon sens et non sur la rationalité économique. Si
les idées doivent ignorer les frontières, les mouvements de marchandises
et de capitaux doivent être réduits à l’indispensable.
Spirale vertueuse
La relocalisation dans l’optique d’une renaissance, comprend
certainement un mouvement « réenclavement ». Dans la mesure du possible,
il est même souhaitable d’en revenir à l’autoproduction. Rien qu’en
fabriquant son petit yogourt soi-même , on engendre une spirale
vertueuse de décroissance : sont supprimés les emballages plastique et
cartons, les agents conservateurs, le transport (donc l’économie de
pétrole, de CO2 et de déchets). L’autoproduction fait également diminuer
le PIB, les impôts (TVA, taxes sur les carburants), ce qui a toutes
sortes d’effets récessifs en cascade sur les institutions comme sur la
demande (moins de plastique, donc moins de pétrole, donc mois de taxes,
effets positifs sur la santé, donc moins de médicaments, de médecins,
moins de transports routiers, donc moins d’accidents, donc moins de
médecine, etc.) La même analyse est valable pour l’abandon de l’eau en
bouteilles plastiques venues d’ailleurs et le retour à l’eau du robinet
provenant d’une nappe phréatique de proximité assainie.
Cette spirale vertueuse de décroissance peut être renforcée par la
réappropriation de la monnaie à travers l’usage de monnaies locales, par
exemple . Pour éviter la disparition des activités de proximité et
favoriser la renaissance des échanges non mercantiles, il faut impulser
une réalisation plus complète. C’est l’essentiel de la vie tout court
qui doit être reterritorialisé.
Politique locale
La croyance que mon lieu de résidence est le centre du monde est
essentielle pour donner du sens à mon quotidien. Pour cela, il faut
avant tout relocaliser le politique et, par exemple, inventer ou
réinventer une démocratie de proximité. Selon Magnaghi, « la nouvelle
organisation politique pourrait être, par exemple, une confédération de
groupes autonomes (aux niveaux régional, continental et mondial)
oeuvrant à la mutation démocratique de leurs communautés respectives. »
Cette utopie démocratique locale rejoint les idées de la plupart des
penseurs d’une démocratie écologique comme le libertaire Murray
Brookchin. Pour ce dernier, « une société écologique » doit vivre sans
Etat et être « constituée d’une municipalité de petites municipalités,
chacune desquelles serait formée par une ‘commune de communes’ plus
petites. » Toutes ces entités seraient « en parfaite harmonie avec leur
écosystème. » Ainsi comprise, la politique ne serait plus une technique
pour détenir le pouvoir et l’exercer, mais redeviendrait l’autogestion
de la société par ses membres. L’agir local constitue même une voie de
solution des impasses globales.
Utopie, dira-t-on. Certes. Pourtant, l’utopie locale est plus réaliste
que celle d’une démocratie mondiale. Comme il est exclu de renverser
frontalement la domination du capital et des puissances économiques, il
ne reste que la possibilité d’entrer en dissidence. En fin de compte, la
stratégie de la renaissance locale dissidente ne consiste pas à
construire et préserver une oasis dans le désert du marché mondial. Il
s’agit de multiplier les expériences de reterritorialisation pour faire
reculer le désert, ou le féconder.
Pour en savoir plus :
- Serge Latouche, « Pour une renaissance du local », L’Ecologiste n° 15,
avril 2004
- Yvonne et Michel Lefèvre, Les patrimoines du futur, les sociétés en
prise avec la mondialisation, L’Harmattan, 1995.