Et alors ? de l'ENtre-relationnalité GEnérale  

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Je cherchais une réponse au problème de la vie, mais non pas une réponse théologique ou historique. (…) Ce qui m’importe, c’est cette lumière qui, voilà 1800 ans, éclaira l’humanité, qui m’a éclairé et m’éclaire encore;

quant à savoir quel nom donner à la source de cette lumière, quels en sont les éléments et par qui elle a été allumé, cela m’importe peu.

Wittgenstein

 

Présentation : ..par le Figaro.  .... L'éros «a besoin de discipline, de purification», pour donner «non pas le plaisir d'un instant, mais un certain avant-goût du sommet de l'existence». .... l'amour «n'est pas seulement un sentiment», c'est la «véritable découverte de l'autre», l'amour de Dieu et l'amour du prochain. ... Benoît XVI pointe l'échec du marxisme, condamne à la fois l'État «vaurien», «qui ne serait pas dirigé selon la justice», et l'État «bureaucratique» qui, voulant «pourvoir à tout», ne peut assurer l'essentiel dont «l'homme souffrant a besoin»

Le pape annonce la publication de sa première encyclique

Extraits : 

La lettre encyclique « Deus caritas est » ...je voudrais y préciser – au début de mon Pontificat – certains éléments essentiels sur l'amour que Dieu, de manière mystérieuse et gratuite, offre à l'homme, de même que le lien intrinsèque de cet Amour avec la réalité de l'amour humain ... Je désire insister sur certains éléments fondamentaux, de manière à susciter dans le monde un dynamisme renouvelé pour l'engagement dans la réponse humaine à l'amour divin....

 

en z relations .... la relation définie l'être... homocoques... Dieu-homme ...ÂJENOUS

 

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le Dieu chrétien .....S'il est dit dans les textes sacrés: "Vous êtes des dieux", c'est bien pour rappeler à l'être humain la présence enfouie en lui d'une essence supérieure qu'il doit apprendre à manifester........ Servons-nous alors de notre pouvoir créateur infini pour changer notre vie....Bibliographie

PETITION .... Non au mariage gai, dans l'intérêt d'une meilleure société ..

« Vivre dans la proximité de Dieu, dans sa famille » .... La sainteté exige un effort constant, mais elle est possible pour tous, parce que plus qu’une tâche de l’homme, c’est avant tout un don de Dieu ».
 

Résonances: .... ci-dessous

 

 
 

2006-01-25

Lettre encyclique « Deus caritas est »

LETTRE ENCYCLIQUE DEUS CARITAS EST DU SOUVERAIN PONTIFE BENOÎT XVI

AUX ÉVÊQUES
AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES
AUX PERSONNES CONSACRÉES
ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS


SUR L'AMOUR CHRÉTIEN

INTRODUCTION

1. «Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui» (1 Jn 4, 16). Ces paroles de la Première Lettre de saint Jean expriment avec une particulière clarté ce qui fait le centre de la foi chrétienne: l’image chrétienne de Dieu, ainsi que l\'image de l\'homme et de son chemin, qui en découle. De plus, dans ce même verset, Jean nous offre pour ainsi dire une formule synthétique de l’existence chrétienne : «Nous avons reconnu et nous avons cru que l’amour de Dieu est parmi nous».

Nous avons cru à l’amour de Dieu: c’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie. À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. Dans son Évangile, Jean avait exprimé cet événement par ces mots : «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui [...] obtiendra la vie éternelle» (3, 16). En reconnaissant le caractère central de l’amour, la foi chrétienne a accueilli ce qui était le noyau de la foi d’Israël et, en même temps, elle a donné à ce noyau une profondeur et une ampleur nouvelles. En effet, l’Israélite croyant prie chaque jour avec les mots du Livre du Deutéronome, dans lesquels il sait qu’est contenu le centre de son existence : «Écoute, Israël: le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force» (6, 4-5). Jésus a réuni, en en faisant un unique précepte, le commandement de l’amour de Dieu et le commandement de l’amour du prochain, contenus dans le Livre du Lévitique : «Tu aimeras ton prochain comme toi-même» (19, 18 ; cf. Mc 12, 29-31). Comme Dieu nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 10), l’amour n’est plus seulement un commandement, mais il est la réponse au don de l\'amour par lequel Dieu vient à notre rencontre.

Dans un monde où l’on associe parfois la vengeance au nom de Dieu, ou même le devoir de la haine et de la violence, c’est un message qui a une grande actualité et une signification très concrète. C’est pourquoi, dans ma première Encyclique, je désire parler de l’amour dont Dieu nous comble et que nous devons communiquer aux autres. Par là sont ainsi indiquées les deux grandes parties de cette Lettre, profondément reliées entre elles. La première aura un caractère plus spéculatif, étant donné que je voudrais y préciser – au début de mon Pontificat – certains éléments essentiels sur l\'amour que Dieu, de manière mystérieuse et gratuite, offre à l\'homme, de même que le lien intrinsèque de cet Amour avec la réalité de l\'amour humain. La seconde partie aura un caractère plus concret, puisqu\'elle traitera de la pratique ecclésiale du commandement de l\'amour pour le prochain. La question est très vaste, un long développement dépasserait néanmoins le but de cette Encyclique. Je désire insister sur certains éléments fondamentaux, de manière à susciter dans le monde un dynamisme renouvelé pour l\'engagement dans la réponse humaine à l\'amour divin.

PREMIÈRE PARTIE

L'UNITÉ DE L'AMOUR DANS LA CRÉATION ET DANS L'HISTOIRE DU SALUT
 

Un problème de langage

2. L\'amour de Dieu pour nous est une question fondamentale pour la vie et pose des interrogations décisives sur qui est Dieu et sur qui nous sommes. À ce sujet, nous rencontrons avant tout un problème de langage. Le terme «amour» est devenu aujourd\'hui un des mots les plus utilisés et aussi un des plus galvaudés, un mot auquel nous donnons des acceptions totalement différentes. Même si le thème de cette encyclique se concentre sur le problème de la compréhension et de la pratique de l’amour dans la Sainte Écriture et dans la Tradition de l’Église, nous ne pouvons pas simplement faire abstraction du sens que possède ce mot dans les différentes cultures et dans le langage actuel.

Rappelons en premier lieu le vaste champ sémantique du mot «amour» : on parle d’amour de la patrie, d’amour pour son métier, d’amour entre amis, d’amour du travail, d’amour entre parents et enfants, entre frères et entre proches, d’amour pour le prochain et d’amour pour Dieu. Cependant, dans toute cette diversité de sens, l’amour entre homme et femme, dans lequel le corps et l’âme concourent inséparablement et dans lequel s’épanouit pour l’être humain une promesse de bonheur qui semble irrésistible, apparaît comme l’archétype de l’amour par excellence, devant lequel s’estompent, à première vue, toutes les autres formes d’amour. Surgit alors une question : toutes ces formes d’amour s\'unifient-elles finalement et, malgré toute la diversité de ses manifestations, l’amour est-il en fin de compte unique, ou bien, au contraire, utilisons-nous simplement un même mot pour indiquer des réalités complètement différentes ?

«Eros» et «agapè» – différence et unité.

3. À l’amour entre homme et femme, qui ne naît pas de la pensée ou de la volonté mais qui, pour ainsi dire, s’impose à l’être humain, la Grèce antique avait donné le nom d’eros. Disons déjà par avance que l\'Ancien Testament grec utilise deux fois seulement le mot eros, tandis que le Nouveau Testament ne l\'utilise jamais: des trois mots grecs relatifs à l’amour – eros,philia (amour d’amitié) et agapè – les écrits néotestamentaires privilégient le dernier, qui dans la langue grecque était plutôt marginal. En ce qui concerne l\'amour d\'amitié (philia), il est repris et approfondi dans l’Évangile de Jean pour exprimer le rapport entre Jésus et ses disciples. La mise de côté du mot eros, ainsi que la nouvelle vision de l’amour qui s’exprime à travers le mot agapè, dénotent sans aucun doute quelque chose d’essentiel dans la nouveauté du christianisme concernant précisément la compréhension de l’amour. Dans la critique du christianisme, qui s’est développée avec une radicalité grandissante à partir de la philosophie des Lumières, cette nouveauté a été considérée d’une manière absolument négative. Selon Friedrich Nietzsche, le christianisme aurait donné du venin à boire à l’eros qui, si en vérité il n’en est pas mort, en serait venu à dégénérer en vice[1]. Le philosophe allemand exprimait de la sorte une perception très répandue : l’Église, avec ses commandements et ses interdits, ne nous rend-elle pas amère la plus belle chose de la vie ? N’élève-t-elle pas des panneaux d’interdiction justement là où la joie prévue pour nous par le Créateur nous offre un bonheur qui nous fait goûter par avance quelque chose du Divin ?

4. En est-il vraiment ainsi ? Le christianisme a-t-il véritablement détruit l’eros ? Regardons le monde pré-chrétien. Comme de manière analogue dans d’autres cultures, les Grecs ont vu dans l’eros avant tout l’ivresse, le dépassement de la raison provenant d\'une «folie divine» qui arrache l’homme à la finitude de son existence et qui, dans cet être bouleversé par une puissance divine, lui permet de faire l’expérience de la plus haute béatitude. Tous les autres pouvoirs entre le ciel et la terre apparaissent de ce fait d’une importance secondaire : «Omnia vincit amor», affirme Virgile dans les Bucoliques – l’amour vainc toutes choses – et il ajoute : «Et nos cedamus amori» – et nous cédons, nous aussi, à l’amour[2]. Dans les religions, cette attitude s’est traduite sous la forme de cultes de la fertilité, auxquels appartient la prostitution «sacrée», qui fleurissait dans beaucoup de temples. L’eros était donc célébré comme force divine, comme communion avec le Divin.

L’Ancien Testament s’est opposé avec la plus grande rigueur à cette forme de religion, qui est comme une tentation très puissante face à la foi au Dieu unique, la combattant comme perversion de la religiosité. En cela cependant, il n’a en rien refusé l’eros comme tel, mais il a déclaré la guerre à sa déformation destructrice, puisque la fausse divinisation de l’eros, qui se produit ici, le prive de sa dignité, le déshumanise. En fait, dans le temple, les prostituées, qui doivent donner l’ivresse du Divin, ne sont pas traitées comme êtres humains ni comme personnes, mais elles sont seulement des instruments pour susciter la «folie divine»: en réalité, ce ne sont pas des déesses, mais des personnes humaines dont on abuse. C’est pourquoi l’eros ivre et indiscipliné n’est pas montée, «extase» vers le Divin, mais chute, dégradation de l’homme. Il devient ainsi évident que l’eros a besoin de discipline, de purification, pour donner à l’homme non pas le plaisir d’un instant, mais un certain avant-goût du sommet de l’existence, de la béatitude vers laquelle tend tout notre être.

5. De ce regard rapide porté sur la conception de l’eros dans l’histoire et dans le temps présent, deux aspects apparaissent clairement, et avant tout qu’il existe une certaine relation entre l’amour et le Divin: l’amour promet l’infini, l’éternité – une réalité plus grande et totalement autre que le quotidien de notre existence. Mais il est apparu en même temps que le chemin vers un tel but ne consiste pas simplement à se laisser dominer par l’instinct. Des purifications et des maturations sont nécessaires; elles passent aussi par la voie du renoncement. Ce n’est pas le refus de l’eros, ce n’est pas son «empoisonnement», mais sa guérison en vue de sa vraie grandeur.

Cela dépend avant tout de la constitution de l’être humain, à la fois corps et âme. L’homme devient vraiment lui-même, quand le corps et l’âme se trouvent dans une profonde unité ; le défi de l’eros est vraiment surmonté lorsque cette unification est réussie. Si l’homme aspire à être seulement esprit et qu’il veut refuser la chair comme étant un héritage simplement animal, alors l’esprit et le corps perdent leur dignité. Et si, d’autre part, il renie l’esprit et considère donc la matière, le corps, comme la réalité exclusive, il perd également sa grandeur. L’épicurien Gassendi s’adressait en plaisantant à Descartes par le salut: «Ô Âme !». Et Descartes répliquait en disant: «Ô Chair !»[3]. Mais ce n’est pas seulement l’esprit ou le corps qui aime : c’est l’homme, la personne, qui aime comme créature unifiée, dont font partie le corps et l’âme. C’est seulement lorsque les deux se fondent véritablement en une unité que l’homme devient pleinement lui-même. C’est uniquement de cette façon que l’amour – l\'eros – peut mûrir, jusqu’à parvenir à sa vraie grandeur.

Il n’est pas rare aujourd’hui de reprocher au christianisme du passé d’avoir été l’adversaire de la corporéité; de fait, il y a toujours eu des tendances en ce sens. Mais la façon d\'exalter le corps, à laquelle nous assistons aujourd’hui, est trompeuse. L’eros rabaissé simplement au «sexe» devient une marchandise, une simple «chose» que l’on peut acheter et vendre; plus encore, l\'homme devient une marchandise. En réalité, cela n’est pas vraiment le grand oui de l’homme à son corps. Au contraire, l’homme considère maintenant le corps et la sexualité comme la part seulement matérielle de lui-même, qu’il utilise et exploite de manière calculée. Une part, d’ailleurs, qu\'il ne considère pas comme un espace de sa liberté, mais comme quelque chose que lui, à sa manière, tente de rendre à la fois plaisant et inoffensif. En réalité, nous nous trouvons devant une dégradation du corps humain, qui n’est plus intégré dans le tout de la liberté de notre existence, qui n’est plus l’expression vivante de la totalité de notre être, mais qui se trouve comme cantonné au domaine purement biologique. L’apparente exaltation du corps peut bien vite se transformer en haine envers la corporéité. À l\'inverse, la foi chrétienne a toujours considéré l’homme comme un être un et duel, dans lequel esprit et matière s’interpénètrent l’un l’autre et font ainsi tous deux l’expérience d’une nouvelle noblesse. Oui, l’eros veut nous élever «en extase» vers le Divin, nous conduire au-delà de nous-mêmes, mais c’est précisément pourquoi est requis un chemin de montée, de renoncements, de purifications et de guérisons.

6. Comment devons-nous nous représenter concrètement ce chemin de montée et de purification ? Comment doit être vécu l’amour, pour que se réalise pleinement sa promesse humaine et divine ? Nous pouvons trouver une première indication importante dans le Cantique des Cantiques, un des livres de l’Ancien Testament bien connu des mystiques. Selon l’interprétation qui prévaut aujourd’hui, les poèmes contenus dans ce livre sont à l’origine des chants d’amour, peut-être prévus pour une fête de noces juives où ils devaient exalter l’amour conjugal. Dans ce contexte, le fait que l’on trouve, dans ce livre, deux mots différents pour parler de l\'«amour» est très instructif. Nous avons tout d’abord le mot «dodim», un pluriel qui exprime l’amour encore incertain, dans une situation de recherche indéterminée. Ce mot est ensuite remplacé par le mot «ahabà» qui, dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, est rendu par le mot de même consonance «agapè», lequel, comme nous l’avons vu, devint l’expression caractéristique de la conception biblique de l’amour. En opposition à l’amour indéterminé et encore en recherche, ce terme exprime l’expérience de l’amour, qui devient alors une véritable découverte de l’autre, dépassant donc le caractère égoïste qui dominait clairement auparavant. L’amour devient maintenant soin de l’autre et pour l’autre. Il ne se cherche plus lui-même – l’immersion dans l’ivresse du bonheur – il cherche au contraire le bien de l’être aimé : il devient renoncement, il est prêt au sacrifice, il le recherche même.

Cela fait partie des développements de l\'amour vers des degrés plus élevés, vers ses purifications profondes, de l\'amour qui cherche maintenant son caractère définitif, et cela en un double sens : dans le sens d’un caractère exclusif – «cette personne seulement» – et dans le sens d’un «pour toujours». L’amour comprend la totalité de l’existence dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps. Il ne pourrait en être autrement, puisque sa promesse vise à faire du définitif : l’amour vise à l’éternité. Oui, l’amour est «extase», mais extase non pas dans le sens d’un moment d’ivresse, mais extase comme chemin, comme exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu : «Qui cherchera à conserver sa vie la perdra. Et qui la perdra la sauvegardera» (Lc 17, 33), dit Jésus – une de ses affirmations qu’on retrouve dans les Évangiles avec plusieurs variantes (cf. Mt 10, 39; 16, 25; Mc 8, 35; Lc 9, 24; Jn 12, 25). Jésus décrit ainsi son chemin personnel, qui le conduit par la croix jusqu’à la résurrection; c’est le chemin du grain de blé tombé en terre qui meurt et qui porte ainsi beaucoup de fruit. Mais il décrit aussi par ces paroles l’essence de l’amour et de l’existence humaine en général, partant du centre de son sacrifice personnel et de l’amour qui parvient en lui à son accomplissement.

7. À l’origine plutôt philosophiques, nos réflexions sur l’essence de l’amour nous ont maintenant conduits, par une dynamique interne, jusqu’à la foi biblique. Au point de départ, la question s’est posée de savoir si les différents sens du mot amour, parfois même opposés, ne sous-entendraient pas une certaine unité profonde ou si, au contraire, ils ne devraient pas rester indépendants, l’un à côté de l’autre. Avant tout cependant, est apparue la question de savoir si le message sur l’amour qui nous est annoncé par la Bible et par la Tradition de l’Église avait quelque chose à voir avec l’expérience humaine commune de l’amour ou s’il ne s’opposait pas plutôt à elle. À ce propos, nous avons rencontré deux mots fondamentaux : eros, comme le terme désignant l’amour «mondain», et agapè, comme l’expression qui désigne l’amour fondé sur la foi et modelé par elle. On oppose aussi fréquemment ces deux conceptions en amour «ascendant» et amour «descendant». Il y a d’autres classifications similaires, comme par exemple la distinction entre amour possessif et amour oblatif (amor concupiscentiæamor benevolentiæ), à laquelle on ajoute parfois aussi l’amour qui n’aspire qu’à son profit.

Dans le débat philosophique et théologique, ces distinctions ont souvent été radicalisées jusqu\'à les mettre en opposition entre elles : l’amour descendant, oblatif, précisément l’agapè, serait typiquement chrétien; à l\'inverse, la culture non chrétienne, surtout la culture grecque, serait caractérisée par l’amour ascendant, possessif et sensuel, c’est-à-dire par l’eros.Si on voulait pousser à l’extrême cette antithèse, l’essence du christianisme serait alors coupée des relations vitales et fondamentales de l’existence humaine et constituerait un monde en soi, à considérer peut-être comme admirable mais fortement détaché de la complexité de l’existence humaine. En réalité, eros et agapè – amour ascendant et amour descendant – ne se laissent jamais séparer complètement l’un de l’autre. Plus ces deux formes d’amour, même dans des dimensions différentes, trouvent leur juste unité dans l’unique réalité de l’amour, plus se réalise la véritable nature de l’amour en général. Même si, initialement, l’eros est surtout sensuel, ascendant – fascination pour la grande promesse de bonheur –, lorsqu’il s’approche ensuite de l’autre, il se posera toujours moins de questions sur lui-même, il cherchera toujours plus le bonheur de l’autre, il se préoccupera toujours plus de l’autre, il se donnera et il désirera «être pour» l’autre. C’est ainsi que le moment de l’agapè s’insère en lui ; sinon l\'eros déchoit et perd aussi sa nature même. D’autre part, l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don. L’homme peut assurément, comme nous le dit le Seigneur, devenir source d’où sortent des fleuves d’eau vive (cf. Jn 7, 37-38). Mais pour devenir une telle source, il doit lui-même boire toujours à nouveau à la source première et originaire qui est Jésus Christ, du cœur transpercé duquel jaillit l’amour de Dieu (cf. Jn 19, 34).

Dans le récit de l’échelle de Jacob, les Pères ont vu exprimé symboliquement, de différentes manières, le lien inséparable entre montée et descente, entre l’eros qui cherche Dieu et l’agapè qui transmet le don reçu. Dans ce texte biblique, il est dit que le patriarche Jacob vit en songe, sur la pierre qui lui servait d’oreiller, une échelle qui touchait le ciel et sur laquelle des anges de Dieu montaient et descendaient (cf. Gn 28, 12; Jn 1, 51). L’interprétation que le Pape Grégoire le Grand donne de cette vision dans sa Règle pastorale est particulièrement touchante. Le bon pasteur, dit-il, doit être enraciné dans la contemplation. En effet, c’est seulement ainsi qu’il lui sera possible d’accueillir les besoins d’autrui dans son cœur, de sorte qu’ils deviennent siens: «Per pietatis viscera in se infirmitatem caeterorum transferat»[4]. Dans ce cadre, saint Grégoire fait référence à saint Paul qui est enlevé au ciel jusque dans les plus grands mystères de Dieu et qui, précisément à partir de là, quand il en redescend, est en mesure de se faire tout à tous (cf. 2 Co 12, 2-4; 1 Co 9, 22). D’autre part, il donne encore l’exemple de Moïse, qui entre toujours de nouveau dans la tente sacrée, demeurant en dialogue avec Dieu, pour pouvoir ainsi, à partir de Dieu, être à la disposition de son peuple. «Au-dedans [dans la tente], ravi dans les hauteurs par la contemplation, il se laisse au dehors [de la tente] prendre par le poids des souffrants: Intus in contemplationem rapitur, foris infirmantium negotiis urgetur».[5]

8.Nous avons ainsi trouvé une première réponse, encore plutôt générale, aux deux questions précédentes : au fond, l’«amour» est une réalité unique, mais avec des dimensions différentes; tour à tour, l’une ou l’autre dimension peut émerger de façon plus importante. Là où cependant les deux dimensions se détachent complètement l’une de l’autre, apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de l’amour. D’une manière synthétique, nous avons vu aussi que la foi biblique ne construit pas un monde parallèle ou un monde opposé au phénomène humain originaire qui est l’amour, mais qu’elle accepte tout l’homme, intervenant dans sa recherche d’amour pour la purifier, lui ouvrant en même temps de nouvelles dimensions. Cette nouveauté de la foi biblique se manifeste surtout en deux points, qui méritent d’être soulignés: l’image de Dieu et l’image de l’homme.

 La nouveauté de la foi biblique

9. Il s’agit avant tout de la nouvelle image de Dieu. Dans les cultures qui entourent le monde de la Bible, l’image de Dieu et des dieux reste en définitive peu claire et en elle-même contradictoire. Dans le parcours de la foi biblique, à l’inverse, on note que devient toujours plus clair et plus univoque ce que la prière fondamentale d’Israël, le shema, reprend par ces paroles : «Écoute, Israël: le Seigneur notre Dieu est l’Unique» (Dt 6, 4). Il existe un seul Dieu, qui est le Créateur du ciel et de la terre, et qui est donc aussi le Dieu de tous les hommes. Deux éléments sont singuliers dans cette précision : le fait que, en vérité, tous les autres dieux ne sont pas Dieu, et que toute la réalité dans laquelle nous vivons remonte à Dieu, qu’elle est créée par lui. Naturellement, l’idée d’une création existe aussi ailleurs, mais c’est là seulement qu’apparaît de manière absolument claire que ce n’est pas un dieu quelconque, mais l’unique vrai Dieu, lui-même, qui est l’auteur de la réalité tout entière; cette dernière provient de la puissance de sa Parole créatrice. Cela signifie que sa créature lui est chère, puisqu’elle a été voulue précisément par Lui-même, qu’elle a été «faite» par Lui. Ainsi apparaît alors le deuxième élément important: ce Dieu aime l’homme. La puissance divine qu’Aristote, au sommet de la philosophie grecque, chercha à atteindre par la réflexion, est vraiment, pour tout être, objet du désir et de l’amour – en tant que réalité aimée cette divinité met le monde en mouvement[6] –, mais elle-même n’a besoin de rien et n’aime pas; elle est seulement aimée. Au contraire, le Dieu unique auquel Israël croit aime personnellement. De plus, son amour est un amour d’élection : parmi tous les peuples, il choisit Israël et il l’aime, avec cependant le dessein de guérir par là toute l’humanité. Il aime, et son amour peut être qualifié sans aucun doute comme eros, qui toutefois est en même temps et totalement agapè[7].

Les prophètes Osée et Ézéchiel surtout ont décrit cette passion de Dieu pour son peuple avec des images érotiques audacieuses. La relation de Dieu avec Israël est illustrée par les métaphores des fiançailles et du mariage; et par conséquent, l’idolâtrie est adultère et prostitution. On vise concrètement par là, comme nous l’avons vu, les cultes de la fertilité, avec leur abus de l’eros, mais, en même temps, on décrit aussi la relation de fidélité entre Israël et son Dieu. L’histoire d’amour de Dieu avec Israël consiste plus profondément dans le fait qu’il lui donne la Torah, qu’il ouvre en réalité les yeux à Israël sur la vraie nature de l’homme et qu’il lui indique la route du véritable humanisme. Cette histoire consiste dans le fait que l’homme, en vivant dans la fidélité au Dieu unique, fait lui-même l’expérience d’être celui qui est aimé de Dieu et qu’il découvre la joie dans la vérité, dans la justice, la joie en Dieu qui devient son bonheur essentiel : «Qui donc est pour moi dans le ciel si je n’ai, même avec toi, aucune joie sur la terre ? ... Pour moi, il est bon d’être proche de Dieu» (Ps72 [73] , 25.28).

10. L’eros de Dieu pour l’homme, comme nous l’avons dit, est, en même temps, totalement agapè. Non seulement parce qu’il est donné absolument gratuitement, sans aucun mérite préalable, mais encore parce qu’il est un amour qui pardonne. C’est surtout le prophète Osée qui nous montre la dimension de l’agapè dans l’amour de Dieu pour l’homme, qui dépasse de beaucoup l’aspect de la gratuité. Israël a commis «l’adultère», il a rompu l’Alliance; Dieu devrait le juger et le répudier. C’est précisément là que se révèle cependant que Dieu est Dieu et non pas homme : «Comment t’abandonnerais-je, Éphraïm, te livrerais-je, Israël ? ... Mon cœur se retourne contre moi, et le regret me consume. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car je suis Dieu, et non pas homme: au milieu de vous je suis le Dieu saint» (Os 11, 8-9). L’amour passionné de Dieu pour son peuple – pour l’homme – est en même temps un amour qui pardonne. Il est si grand qu’il retourne Dieu contre lui-même, son amour contre sa justice. Le chrétien voit déjà poindre là, de manière voilée, le mystère de la Croix : Dieu aime tellement l’homme que, en se faisant homme lui-même, il le suit jusqu’à la mort et il réconcilie de cette manière justice et amour.

L’aspect philosophique, historique et religieux qu’il convient de relever dans cette vision de la Bible réside dans le fait que, d’une part, nous nous trouvons devant une image strictement métaphysique de Dieu: Dieu est en absolu la source originaire de tout être; mais ce principe créateur de toutes choses – le Logos, la raison primordiale – est, d’autre part, quelqu’un qui aime avec toute la passion d’un véritable amour. De la sorte, l’eros est ennobli au plus haut point, mais, en même temps, il est ainsi purifié jusqu’à se fondre avec l’agapè. À partir de là, nous pouvons ainsi comprendre que le Cantique des Cantiques, reçu dans le canon de la Sainte Écriture, ait été très vite interprété comme des chants d’amour décrivant, en définitive, la relation de Dieu avec l’homme et de l’homme avec Dieu. De cette manière, le Cantique des Cantiques est devenu, dans la littérature chrétienne comme dans la littérature juive, une source de connaissance et d’expérience mystique, dans laquelle s’exprime l’essence de la foi biblique; oui, il existe une unification de l’homme avec Dieu – tel est le rêve originaire de l’homme. Mais cette unification ne consiste pas à se fondre l’un dans l’autre, à se dissoudre dans l’océan anonyme du Divin; elle est une unité qui crée l’amour, dans lequel les deux, Dieu et l’homme, restent eux-mêmes et pourtant deviennent totalement un: «Celui qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit», dit saint Paul (1 Co 6, 17).

11. La première nouveauté de la foi biblique consiste, comme nous l’avons vu, dans l’image de Dieu; la deuxième, qui lui est essentiellement liée, nous la trouvons dans l’image de l’homme. Le récit biblique de la création parle de la solitude du premier homme, Adam, aux côtés duquel Dieu veut placer une aide. Parmi toutes les créatures, aucune ne peut être pour l’homme l’aide dont il a besoin, bien qu’il ait donné leur nom à toutes les bêtes des champs et à tous les oiseaux, les intégrant ainsi dans son milieu de vie. Alors, à partir d’une côte de l’homme, Dieu modèle la femme. Adam trouve désormais l’aide qu’il lui faut: «Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair» (Gn 2, 23). À l’arrière-plan de ce récit, on peut voir des conceptions qui, par exemple, apparaissent aussi dans le mythe évoqué par Platon, selon lequel, à l’origine, l’homme était sphérique, parce que complet en lui-même et autosuffisant. Mais, pour le punir de son orgueil, Zeus le coupe en deux, de sorte que sa moitié est désormais toujours à la recherche de son autre moitié et en marche vers elle, afin de retrouver son intégrité[8]. Dans le récit biblique, on ne parle pas de punition; pourtant, l’idée que l’homme serait en quelque sorte incomplet de par sa constitution, à la recherche, dans l’autre, de la partie qui manque à son intégrité, à savoir l’idée que c’est seulement dans la communion avec l’autre sexe qu’il peut devenir «complet», est sans aucun doute présente. Le récit biblique se conclut ainsi sur une prophétie concernant Adam : «À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un» (Gn 2, 24).

Deux aspects sont ici importants: l’eros est comme enraciné dans la nature même de l’homme; Adam est en recherche et il «quitte son père et sa mère» pour trouver sa femme; c’est seulement ensemble qu’ils représentent la totalité de l’humanité, qu’ils deviennent «une seule chair». Le deuxième aspect n’est pas moins important: selon une orientation qui a son origine dans la création, l’eros renvoie l’homme au mariage, à un lien caractérisé par l’unicité et le définitif; ainsi, et seulement ainsi, se réalise sa destinée profonde. À l’image du Dieu du monothéisme, correspond le mariage monogamique. Le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement: la façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain. Ce lien étroit entre eros et mariage dans la Bible ne trouve pratiquement pas de parallèle en dehors de la littérature biblique.

Jésus Christ – l’amour incarné de Dieu

12. Même si nous avons jusque-là parlé surtout de l’Ancien Testament, cependant, la profonde compénétration des deux Testaments comme unique Écriture de la foi chrétienne s’est déjà rendue visible. La véritable nouveauté du Nouveau Testament ne consiste pas en des idées nouvelles, mais dans la figure même du Christ, qui donne chair et sang aux concepts – un réalisme inouï. Déjà dans l’Ancien Testament, la nouveauté biblique ne résidait pas seulement en des concepts, mais dans l’action imprévisible, et à certains égards inouïe, de Dieu. Cet agir de Dieu acquiert maintenant sa forme dramatique dans le fait que, en Jésus Christ, Dieu lui-même recherche la «brebis perdue», l’humanité souffrante et égarée. Quand Jésus, dans ses paraboles, parle du pasteur qui va à la recherche de la brebis perdue, de la femme qui cherche la drachme, du père qui va au devant du fils prodigue et qui l’embrasse, il ne s’agit pas là seulement de paroles, mais de l’explication de son être même et de son agir. Dans sa mort sur la croix s’accomplit le retournement de Dieu contre lui-même, dans lequel il se donne pour relever l’homme et le sauver – tel est l’amour dans sa forme la plus radicale. Le regard tourné vers le côté ouvert du Christ, dont parle Jean (cf. 19, 37), comprend ce qui a été le point de départ de cette Encyclique : «Dieu est amour» (1 Jn 4, 8). C’est là que cette vérité peut être contemplée. Et, partant de là, on doit maintenant définir ce qu’est l’amour. À partir de ce regard, le chrétien trouve la route pour vivre et pour aimer.

13. À cet acte d\'offrande, Jésus a donné une présence durable par l’institution de l’Eucharistie au cours de la dernière Cène. Il anticipe sa mort et sa résurrection en se donnant déjà lui-même, en cette heure-là, à ses disciples, dans le pain et dans le vin, son corps et son sang comme nouvelle manne (cf. Jn 6, 31-33). Si le monde antique avait rêvé qu’au fond, la vraie nourriture de l’homme – ce dont il vit comme homme – était le Logos, la sagesse éternelle, maintenant ce Logos est vraiment devenu nourriture pour nous, comme amour. L’Eucharistie nous attire dans l’acte d’offrande de Jésus. Nous ne recevons pas seulement le Logos incarné de manière statique, mais nous sommes entraînés dans la dynamique de son offrande. L’image du mariage entre Dieu et Israël devient réalité d’une façon proprement inconcevable: ce qui consistait à se tenir devant Dieu devient maintenant, à travers la participation à l’offrande de Jésus, participation à son corps et à son sang, devient union. La «mystique» du Sacrement, qui se fonde sur l’abaissement de Dieu vers nous, est d’une tout autre portée et entraîne bien plus haut que ce à quoi n’importe quelle élévation mystique de l’homme pourrait conduire.

14. Mais il faut maintenant faire attention à un autre aspect: la «mystique» du Sacrement a un caractère social parce que dans la communion sacramentelle je suis uni au Seigneur, comme toutes les autres personnes qui communient: «Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain», dit saint Paul (1 Co 10, 17). L’union avec le Christ est en même temps union avec tous ceux auxquels il se donne. Je ne peux avoir le Christ pour moi seul; je ne peux lui appartenir qu’en union avec tous ceux qui sont devenus ou qui deviendront siens. La communion me tire hors de moi-même vers lui et, en même temps, vers l’unité avec tous les chrétiens. Nous devenons «un seul corps», fondus ensemble dans une unique existence. L’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain sont maintenant vraiment unis : le Dieu incarné nous attire tous à lui. À partir de là, on comprend maintenant comment agapè est alors devenue aussi un nom de l’Eucharistie : dans cette dernière, l’agapè de Dieu vient à nous corporellement pour continuer son œuvre en nous et à travers nous. C’est seulement à partir de ce fondement christologique et sacramentel qu’on peut comprendre correctement l’enseignement de Jésus sur l’amour. Le passage qu’Il fait faire de la Loi et des Prophètes au double commandement de l’amour envers Dieu et envers le prochain, ainsi que le fait que toute l’existence de foi découle du caractère central de ce précepte, ne sont pas simplement de la morale qui pourrait exister de manière autonome à côté de la foi au Christ et de sa réactualisation dans le Sacrement : foi, culte et ethos se compénètrent mutuellement comme une unique réalité qui trouve sa forme dans la rencontre avec l’agapè de Dieu. Ici, l’opposition habituelle entre culte et éthique tombe tout simplement. Dans le «culte» lui-même, dans la communion eucharistique, sont contenus le fait d’être aimé et celui d’aimer les autres à son tour. Une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même tronquée. Réciproquement, – comme nous devrons encore l’envisager plus en détail – le «commandement» de l’amour ne devient possible que parce qu’il n’est pas seulement une exigence: l’amour peut être «commandé» parce qu’il est d’abord donné.

15. C’est à partir de ce principe que doivent aussi être comprises les grandes paraboles de Jésus. Du lieu de sa damnation, l’homme riche (cf. Lc 16, 19-31) implore pour que ses frères soient informés de ce qui arrive à celui qui a, dans sa désinvolture, ignoré le pauvre dans le besoin. Jésus recueille, pour ainsi dire, cet appel à l’aide et s’en fait l’écho pour nous mettre en garde, pour nous remettre dans le droit chemin. La parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10, 25-37) permet surtout de faire deux grandes clarifications. Tandis que le concept de “prochain” se référait jusqu’alors essentiellement aux membres de la même nation et aux étrangers qui s’étaient établis dans la terre d’Israël, et donc à la communauté solidaire d’un pays et d’un peuple, cette limitation est désormais abolie. Celui qui a besoin de moi et que je peux aider, celui-là est mon prochain. Le concept de prochain est universalisé et reste cependant concret. Bien qu’il soit étendu à tous les hommes, il ne se réduit pas à l’expression d’un amour générique et abstrait, qui en lui-même engage peu, mais il requiert mon engagement concret ici et maintenant. Cela demeure une tâche de l’Église d’interpréter toujours de nouveau le lien entre éloignement et proximité pour la vie pratique de ses membres. Enfin, il convient particulièrement de rappeler ici la grande parabole du Jugement dernier (cf. Mt 25, 31-46), dans laquelle l’amour devient le critère pour la décision définitive concernant la valeur ou la non-valeur d’une vie humaine. Jésus s’identifie à ceux qui sont dans le besoin: les affamés, les assoiffés, les étrangers, ceux qui sont nus, les malades, les personnes qui sont en prison. «Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40). L’amour de Dieu et l’amour du prochain se fondent l’un dans l’autre: dans le plus petit, nous rencontrons Jésus lui-même et en Jésus nous rencontrons Dieu.

Amour de Dieu et amour du prochain

16. Après avoir réfléchi sur l’essence de l’amour et sur sa signification dans la foi biblique, une double question concernant notre comportement subsiste : Est-il vraiment possible d’aimer Dieu alors qu’on ne le voit pas ? Et puis: l’amour peut-il se commander ? Au double commandement de l’amour, on peut répliquer par une double objection, qui résonne dans ces questions. Dieu, nul ne l’a jamais vu – comment pourrions-nous l’aimer ? Et, d’autre part : l’amour ne peut pas se commander; c’est en définitive un sentiment qui peut être ou ne pas être, mais qui ne peut pas être créé par la volonté. L’Écriture semble confirmer la première objection quand elle dit: « Si quelqu’un dit: \"J’aime Dieu\", alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas» (1 Jn 4, 20). Mais ce texte n’exclut absolument pas l’amour de Dieu comme quelque chose d’impossible; au contraire, dans le contexte global de la Première Lettre de Jean, qui vient d’être citée, cet amour est explicitement requis. C’est le lien inséparable entre amour de Dieu et amour du prochain qui est souligné. Tous les deux s’appellent si étroitement que l’affirmation de l’amour de Dieu devient un mensonge si l’homme se ferme à son prochain ou plus encore s’il le hait. On doit plutôt interpréter le verset johannique dans le sens où aimer son prochain est aussi une route pour rencontrer Dieu, et où fermer les yeux sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu.

17. En effet, personne n’a jamais vu Dieu tel qu’il est en lui-même. Cependant, Dieu n’est pas pour nous totalement invisible, il n’est pas resté pour nous simplement inaccessible. Dieu nous a aimés le premier, dit la Lettre de Jean qui vient d’être citée (cf. 4, 10) et cet amour de Dieu s’est manifesté parmi nous, il s’est rendu visible car Il «a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui» (1 Jn 4, 9). Dieu s’est rendu visible: en Jésus nous pouvons voir le Père (cf. Jn 14, 9). En fait, Dieu se rend visible de multiples manières. Dans l’histoire d’amour que la Bible nous raconte, Il vient à notre rencontre, Il cherche à nous conquérir – jusqu’à la dernière Cène, jusqu’au Cœur transpercé sur la croix, jusqu’aux apparitions du Ressuscité et aux grandes œuvres par lesquelles, à travers l’action des Apôtres, Il a guidé le chemin de l’Église naissante. Et de même, par la suite, dans l’histoire de l’Église, le Seigneur n’a jamais été absent: il vient toujours de nouveau à notre rencontre – par des hommes à travers lesquels il transparaît, ainsi que par sa Parole, dans les Sacrements, spécialement dans l’Eucharistie. Dans la liturgie de l’Église, dans sa prière, dans la communauté vivante des croyants, nous faisons l’expérience de l’amour de Dieu, nous percevons sa présence et nous apprenons aussi de cette façon à la reconnaître dans notre vie quotidienne. Le premier, il nous a aimés et il continue à nous aimer le premier; c’est pourquoi, nous aussi, nous pouvons répondre par l’amour. Dieu ne nous prescrit pas un sentiment que nous ne pouvons pas susciter en nous-mêmes. Il nous aime, il nous fait voir son amour et nous pouvons l’éprouver, et à partir de cet «amour premier de Dieu», en réponse, l’amour peut aussi jaillir en nous.

Dans le développement de cette rencontre, il apparaît clairement que l’amour n’est pas seulement un sentiment. Les sentiments vont et viennent. Le sentiment peut être une merveilleuse étincelle initiale, mais il n’est pas la totalité de l’amour. Au début, nous avons parlé du processus des purifications et des maturations, à travers lesquelles l’eros devient pleinement lui-même, devient amour au sens plein du terme. C’est le propre de la maturité de l’amour d’impliquer toutes les potentialités de l’homme, et d’inclure, pour ainsi dire, l’homme dans son intégralité. La rencontre des manifestations visibles de l’amour de Dieu peut susciter en nous un sentiment de joie, qui naît de l’expérience d’être aimé. Mais cette rencontre requiert aussi notre volonté et notre intelligence. La reconnaissance du Dieu vivant est une route vers l’amour, et le oui de notre volonté à la sienne unit intelligence, volonté et sentiment dans l’acte totalisant de l’amour. Ce processus demeure cependant constamment en mouvement: l’amour n’est jamais «achevé» ni complet; il se transforme au cours de l’existence, il mûrit et c’est justement pour cela qu’il demeure fidèle à lui-même. Idem velle atque idem nolle[9] – vouloir la même chose et ne pas vouloir la même chose; voilà ce que les anciens ont reconnu comme l’authentique contenu de l’amour: devenir l’un semblable à l’autre, ce qui conduit à une communauté de volonté et de pensée. L’histoire d’amour entre Dieu et l’homme consiste justement dans le fait que cette communion de volonté grandit dans la communion de pensée et de sentiment, et ainsi notre vouloir et la volonté de Dieu coïncident toujours plus: la volonté de Dieu n’est plus pour moi une volonté étrangère, que les commandements m’imposent de l’extérieur, mais elle est ma propre volonté, sur la base de l’expérience que, de fait, Dieu est plus intime à moi-même que je ne le suis à moi-même[10]. C’est alors que grandit l’abandon en Dieu et que Dieu devient notre joie (cf.Ps 72 [73], 23-28).

18. L’amour du prochain se révèle ainsi possible au sens défini par la Bible, par Jésus. Il consiste précisément dans le fait que j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu’à toucher le sentiment. J’apprends alors à regarder cette autre personne non plus seulement avec mes yeux et mes sentiments, mais selon la perspective de Jésus Christ. Son ami est mon ami. Au-delà de l’apparence extérieure de l’autre, jaillit son attente intérieure d’un geste d’amour, d’un geste d’attention, que je ne lui donne pas seulement à travers des organisations créées à cet effet, l’acceptant peut-être comme une nécessité politique. Je vois avec les yeux du Christ et je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires: je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin. Ici apparaît l’interaction nécessaire entre amour de Dieu et amour du prochain, sur laquelle insiste tant la Première Lettre de Jean. Si le contact avec Dieu me fait complètement défaut dans ma vie, je ne peux jamais voir en l’autre que l’autre, et je ne réussis pas à reconnaître en lui l’image divine. Si par contre dans ma vie je néglige complètement l’attention à l’autre, désirant seulement être «pieux» et accomplir mes «devoirs religieux», alors même ma relation à Dieu se dessèche. Alors, cette relation est seulement «correcte», mais sans amour. Seule ma disponibilité à aller à la rencontre du prochain, à lui témoigner de l’amour, me rend aussi sensible devant Dieu. Seul le service du prochain ouvre mes yeux sur ce que Dieu fait pour moi et sur sa manière à Lui de m’aimer. Les saints – pensons par exemple à la bienheureuse Teresa de Calcutta – ont puisé dans la rencontre avec le Seigneur dans l’Eucharistie leur capacité à aimer le prochain de manière toujours nouvelle, et réciproquement cette rencontre a acquis son réalisme et sa profondeur précisément grâce à leur service des autres. Amour de Dieu et amour du prochain sont inséparables, c’est un unique commandement. Tous les deux cependant vivent de l’amour prévenant de Dieu qui nous a aimés le premier. Ainsi, il n’est plus question d’un «commandement» qui nous prescrit l’impossible de l’extérieur, mais au contraire d’une expérience de l’amour, donnée de l’intérieur, un amour qui, de par sa nature, doit par la suite être partagé à d’autres. L’amour grandit par l’amour. L’amour est «divin» parce qu’il vient de Dieu et qu’il nous unit à Dieu, et, à travers ce processus d’unification, il nous transforme en un Nous, qui surpasse nos divisions et qui nous fait devenir un, jusqu’à ce que, à la fin, Dieu soit «tout en tous» (1 Co 15, 28).

 

DEUXIÈME PARTIE

CARITAS 

 L’EXERCICE DE L’AMOUR DE LA PART DE L’ÉGLISE EN TANT QUE «COMMUNAUTÉ D’AMOUR»

La charité de l\'Église comme manifestation de l\'amour trinitaire

19. «Tu vois la Trinité quand tu vois la charité», écrivait saint Augustin.[11] Dans les réflexions qui précèdent, nous avons pu fixer notre regard sur Celui qui a été transpercé (cf. Jn 19, 37; Za,12, 10), reconnaissant le dessein du Père qui, mû par l\'amour (cf. Jn 3, 16), a envoyé son Fils unique dans le monde pour racheter l\'homme. Mourant sur la croix, Jésus – comme le souligne l’Évangéliste – «remit l\'esprit» (Jn 19, 30), prélude du don de l’Esprit Saint qu’il ferait après la résurrection (cf. Jn 20, 22). Se réaliserait ainsi la promesse des «fleuves d\'eau vive» qui, grâce à l’effusion de l’Esprit, jailliraient du cœur des croyants (cf. Jn 7, 38-39). En effet, l’Esprit est la puissance intérieure qui met leur cœur au diapason du cœur du Christ, et qui les pousse à aimer leurs frères comme Lui les a aimés quand il s’est penché pour laver les pieds de ses disciples (cf. Jn 13, 1-13) et surtout quand il a donné sa vie pour tous (cf. Jn 13, 1; 15, 13).

L’Esprit est aussi la force qui transforme le cœur de la Communauté ecclésiale, afin qu’elle soit, dans le monde, témoin de l’amour du Père, qui veut faire de l’humanité, dans son Fils, une unique famille. Toute l’activité de l’Église est l’expression d’un amour qui cherche le bien intégral de l’homme: elle cherche son évangélisation par la Parole et par les Sacrements, entreprise bien souvent héroïque dans ses réalisations historiques; et elle cherche sa promotion dans les différents domaines de la vie et de l’activité humaines. L’amour est donc le service que l’Église réalise pour aller constamment au-devant des souffrances et des besoins, même matériels, des hommes. C’est sur cet aspect, sur ce service de la charité, que je désire m’arrêter dans cette deuxième partie de l’Encyclique.

La charité comme tâche de l’Église

20. L’amour du prochain, enraciné dans l’amour de Dieu, est avant tout une tâche pour chaque fidèle, mais il est aussi une tâche pour la communauté ecclésiale entière, et cela à tous les niveaux: de la communauté locale à l’Église particulière jusqu’à l’Église universelle dans son ensemble. L’Église aussi, en tant que communauté, doit pratiquer l’amour. En conséquence, l’amour a aussi besoin d’organisation comme présupposé pour un service communautaire ordonné. La conscience de cette tâche a eu un caractère constitutif dans l’Église depuis ses origines: «Tous ceux qui étaient devenus croyants vivaient ensemble, et ils mettaient tout en commun; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous selon les besoins de chacun» (Ac 2, 44-45). Luc nous raconte cela en relation avec une sorte de définition de l’Église, dont il énumère quelques éléments constitutifs, parmi lesquels l’adhésion à «l’enseignement des Apôtres», à «la communion» (koinonía), à «la fraction du pain» et à «la prière» (cf. Ac 2, 42). L’élément de la «communion» (koinonía), ici initialement non spécifié, est concrétisé dans les versets qui viennent d’être cités plus haut: cette communion consiste précisément dans le fait que les croyants ont tout en commun et qu’entre eux la différence entre riches et pauvres n’existe plus (cf. aussi Ac 4, 32-37). Cette forme radicale de communion matérielle, à vrai dire, n’a pas pu être maintenue avec la croissance de l’Église. Le noyau essentiel a cependant subsisté: à l’intérieur de la communauté des croyants il ne doit pas exister une forme de pauvreté telle que soient refusés à certains les biens nécessaires à une vie digne.

21. Une étape décisive dans la difficile recherche de solutions pour réaliser ce principe ecclésial fondamental nous devient visible dans le choix de sept hommes, ce qui fut le commencement du ministère diaconal (cf. Ac 6, 5-6). Dans l’Église des origines, en effet, s’était créée, dans la distribution quotidienne aux veuves, une disparité entre le groupe de langue hébraïque et celui de langue grecque. Les Apôtres, auxquels étaient avant tout confiés la «prière» (Eucharistie et Liturgie) et le «service de la Parole», se sentirent pris de manière excessive par le «service des tables»; ils décident donc de se réserver le ministère principal et de créer pour l’autre tâche, tout aussi nécessaire dans l’Église, un groupe de sept personnes. Cependant, même ce groupe ne devait pas accomplir un service simplement technique de distribution: ce devait être des hommes «remplis d’Esprit Saint et de sagesse» (cf. Ac 6, 1-6). Cela signifie que le service social qu’ils devaient effectuer était tout à fait concret, mais en même temps, c’était aussi sans aucun doute un service spirituel; c’était donc pour eux un véritable ministère spirituel, qui réalisait une tâche essentielle de l’Église, celle de l’amour bien ordonné du prochain. Avec la formation de ce groupe des Sept, la «diaconia» – le service de l’amour du prochain exercé d’une manière communautaire et ordonnée – était désormais instaurée dans la structure fondamentale de l’Église elle-même.

22. Les années passant, avec l’expansion progressive de l’Église, l’exercice de la charité s’est affirmé comme l’un de ses secteurs essentiels, avec l’administration des Sacrements et l’annonce de la Parole: pratiquer l’amour envers les veuves et les orphelins, envers les prisonniers, les malades et toutes les personnes qui, de quelque manière, sont dans le besoin, cela appartient à son essence au même titre que le service des Sacrements et l’annonce de l’Évangile. L’Église ne peut pas négliger le service de la charité, de même qu’elle ne peut négliger les Sacrements ni la Parole. Quelques références suffisent à le démontrer. Le martyr Justin ( vers 155) décrit aussi, dans le contexte de la célébration dominicale des chrétiens, leur activité caritative, reliée à l’Eucharistie comme telle. Les personnes aisées font des offrandes dans la mesure de leurs possibilités, chacune donnant ce qu’elle veut. L’Évêque s’en sert alors pour soutenir les orphelins, les veuves et les personnes qui, à cause de la maladie ou pour d’autres motifs, se trouvent dans le besoin, de même que les prisonniers et les étrangers[12]. Le grand auteur chrétien Tertullien (après 220) raconte comment l’attention des chrétiens envers toutes les personnes dans le besoin suscitait l’émerveillement chez les païens [13]. Et quand Ignace d’Antioche (vers 117) qualifie l’Église de Rome comme celle «qui préside à la charité (agapè[14], on peut considérer que, par cette définition, il entendait aussi en exprimer d’une certaine manière l’activité caritative concrète.

23. Dans ce contexte, il peut être utile de faire référence aux structures juridiques primitives concernant le service de la charité dans l’Église. Vers le milieu du IV e siècle, prend forme en Égypte ce que l’on appelle la «diaconie»; dans chaque monastère, elle constitue l’institution responsable de l’ensemble des activités d’assistance, précisément du service de la charité. Depuis les origines jusqu’à la fin du VI e siècle se développe en Égypte une corporation avec une pleine capacité juridique, à laquelle les autorités civiles confient même une partie du blé pour la distribution publique. En Égypte, non seulement chaque monastère mais aussi chaque diocèse finit par avoir sa diaconie, institution qui se développera ensuite en Orient comme en Occident. Le Pape Grégoire le Grand ( 604) fait référence à la diaconie de Naples; en ce qui concerne Rome, les documents font allusion aux diaconies à partir du VII e et du VIII e siècles. Mais naturellement, déjà auparavant et cela depuis les origines, l’activité d’assistance aux pauvres et aux personnes qui souffrent faisait partie de manière essentielle de la vie de l’Église de Rome, selon les principes de la vie chrétienne exposés dans lesActes des Apôtres. Cette tâche trouve une expression vivante dans la figure du diacre Laurent ( 258). La description dramatique de son martyre était déjà connue par saint Ambroise ( 397) et elle nous montre véritablement en son centre l’authentique figure du Saint. À lui, qui était responsable de l’assistance aux pauvres de Rome, a été accordé un laps de temps, après l’arrestation de ses confrères et du Pape, pour rassembler les trésors de l’Église et les remettre aux autorités civiles. Laurent distribua l’argent disponible aux pauvres et les présenta alors aux autorités comme le vrai trésor de l’Église[15]. Quelle que soit la crédibilité historique de ces détails, Laurent est resté présent dans la mémoire de l’Église comme un grand représentant de la charité ecclésiale.

24. Une référence à la figure de l’empereur Julien l’Apostat (363) peut montrer encore une fois que la charité organisée et pratiquée par l’Église des premiers siècles est essentielle. Alors qu’il avait six ans, Julien avait assisté à l’assassinat de son père, de son frère et d’autres de ses proches par des gardes du palais impérial; il attribua cette brutalité – à tort ou à raison – à l’empereur Constance, qui se faisait passer pour un grand chrétien. Et de ce fait, la foi chrétienne fut une fois pour toutes discréditée à ses yeux. Devenu empereur, il décida de restaurer le paganisme, l’antique religion romaine, mais en même temps de le réformer, de manière qu’il puisse devenir réellement la force entraînante de l’empire. Dans cette perspective, il s’inspira largement du christianisme. Il instaura une hiérarchie de métropolites et de prêtres. Les prêtres devaient être attentifs à l’amour pour Dieu et pour le prochain. Dans une de ses lettres[16], il écrivait que l’unique aspect qui le frappait dans le christianisme était l’activité caritative de l’Église. Pour son nouveau paganisme, ce fut donc un point déterminant que de créer, à côté du système de charité de l’Église, une activité équivalente dans sa religion. De cette manière, les «Galiléens» – ainsi disait-il – avaient conquis leur popularité. On se devait de faire de l’émulation et même de dépasser leur popularité. De la sorte, l’empereur confirmait donc que la charité était une caractéristique déterminante de la communauté chrétienne, de l’Église.

25. Arrivés à ce point, nous recueillons deux éléments essentiels de nos réflexions:

a) La nature profonde de l’Église s’exprime dans une triple tâche: annonce de la Parole de Dieu (kerygma-martyria), célébration des Sacrements (leitourgia), service de la charité (diakonia). Ce sont trois tâches qui s’appellent l’une l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer[17].

b) L’Église est la famille de Dieu dans le monde. Dans cette famille, personne ne doit souffrir par manque du nécessaire. En même temps, lacaritas-agapè dépasse aussi les frontières de l’Église; la parabole du Bon Samaritain demeure le critère d’évaluation, elle impose l’universalité de l’amour qui se tourne vers celui qui est dans le besoin, rencontré «par hasard» (cf. Lc 10, 31), quel qu’il soit. Tout en maintenant cette universalité du commandement de l’amour, il y a cependant une exigence spécifiquement ecclésiale – celle qui rappelle justement que, dans l’Église elle-même en tant que famille, aucun membre ne doit souffrir parce qu’il est dans le besoin. Les mots de l’Épître aux Galates vont dans ce sens: «Puisque nous tenons le bon moment, travaillons au bien de tous, spécialement dans la famille des croyants» (6,10).

Justice et charité

26. Depuis le dix-neuvième siècle, on a soulevé une objection contre l’activité caritative de l’Église, objection qui a été développée ensuite avec insistance, notamment par la pensée marxiste. Les pauvres, dit-on, n’auraient pas besoin d’œuvres de charité, mais plutôt de justice. Les œuvres de charité – les aumônes – seraient en réalité, pour les riches, une manière de se soustraire à l’instauration de la justice et d’avoir leur conscience en paix, maintenant leurs positions et privant les pauvres de leurs droits. Au lieu de contribuer, à travers diverses œuvres de charité, au maintien des conditions existantes, il faudrait créer un ordre juste, dans lequel tous recevraient leur part des biens du monde et n’auraient donc plus besoin des œuvres de charité. Dans cette argumentation, il faut le reconnaître, il y a du vrai, mais aussi beaucoup d’erreurs. Il est certain que la norme fondamentale de l’État doit être la recherche de la justice et que le but d’un ordre social juste consiste à garantir à chacun, dans le respect du principe de subsidiarité, sa part du bien commun. C’est ce que la doctrine chrétienne sur l’État et la doctrine sociale de l’Église ont toujours souligné. D’un point de vue historique, la question de l’ordre juste de la collectivité est entrée dans une nouvelle phase avec la formation de la société industrielle au dix-neuvième siècle. La naissance de l’industrie moderne a vu disparaître les vieilles structures sociales et, avec la masse des salariés, elle a provoqué un changement radical dans la composition de la société, dans laquelle le rapport entre capital et travail est devenu la question décisive, une question qui, sous cette forme, était jusqu’alors inconnue. Les structures de production et le capital devenaient désormais la nouvelle puissance qui, mise dans les mains d’un petit nombre, aboutissait pour les masses laborieuses à une privation de droits, contre laquelle il fallait se rebeller.

27. Il est juste d’admettre que les représentants de l’Église ont perçu, mais avec lenteur, que le problème de la juste structure de la société se posait de manière nouvelle. Les pionniers ne manquèrent pas: l’un d’entre eux, par exemple, fut Mgr Ketteler, Évêque de Mayence ( 1877). En réponse aux nécessités concrètes, naquirent aussi des cercles, des associations, des unions, des fédérations et surtout de nouveaux Ordres religieux qui, au dix-neuvième siècle, s’engagèrent contre la pauvreté, les maladies et les situations de carence dans le secteur éducatif. En 1891, le Magistère pontifical intervint par l’Encyclique Rerum Novarum de Léon XIII. Il y eut ensuite, en 1931, l’Encyclique de Pie XI Quadragesimo anno. Le bienheureux Pape Jean XXIII publia, en 1961, l’Encyclique Mater et magistra; pour sa part Paul VI, dans l’encyclique Populorum progressio (1967) et dans la lettre apostolique Octogesima adveniens (1971), affronta de manière insistante la problématique sociale, qui, dans le même temps, était devenue plus urgente, surtout en Amérique Latine. Mon grand Prédécesseur Jean-Paul II nous a laissé une trilogie d’Encycliques sociales : Laborem exercens (1981), Sollicitudo rei socialis (1987) et enfin Centesimus annus (1991). Ainsi, face à des situations et à des problèmes toujours nouveaux, s’est développée une doctrine sociale catholique qui, en 2004, a été présentée de manière organique dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, rédigé par le Conseil pontifical Justice et Paix. Le marxisme avait présenté la révolution mondiale et sa préparation comme étant la panacée à la problématique sociale : avec la révolution et la collectivisation des moyens de production qui s’ensuivit – affirmait-on dans cette doctrine –, tout devait immédiatement aller de manière différente et meilleure. Ce rêve s’est évanoui. Dans la situation difficile où nous nous trouvons aujourd’hui, à cause aussi de la mondialisation de l’économie, la doctrine sociale de l’Église est devenue un repère fondamental, qui propose des orientations valables bien au-delà de ses limites : ces orientations – face au développement croissant – doivent être appréhendées dans le dialogue avec tous ceux qui se préoccupent sérieusement de l’homme et du monde.

28. Pour définir plus précisément la relation entre l’engagement nécessaire pour la justice et le service de la charité, il faut prendre en compte deux situations de fait fondamentales:

a) L’ordre juste de la société et de l’État est le devoir essentiel du politique. Un État qui ne serait pas dirigé selon la justice se réduirait à une grande bande de vauriens, comme l’a dit un jour saint Augustin: «Remota itaque iustitia quid sunt regna nisi magna latrocinia ? »[18]. La distinction entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu (cf. Mt 22, 21), à savoir la distinction entre État et Église ou, comme le dit le Concile Vatican II, l’autonomie des réalités terrestres[19], appartient à la structure fondamentale du christianisme. L’État ne peut imposer la religion, mais il doit en garantir la liberté, ainsi que la paix entre les fidèles des différentes religions. De son côté, l’Église comme expression sociale de la foi chrétienne a son indépendance et, en se fondant sur sa foi, elle vit sa forme communautaire, que l’État doit respecter. Les deux sphères sont distinctes, mais toujours en relation de réciprocité.

La justice est le but et donc aussi la mesure intrinsèque de toute politique. Le politique est plus qu’une simple technique pour la définition des ordonnancements publics : son origine et sa finalité se trouvent précisément dans la justice, et cela est de nature éthique. Ainsi, l’État se trouve de fait inévitablement confronté à la question : comment réaliser la justice ici et maintenant ? Mais cette question en présuppose une autre plus radicale: qu’est-ce que la justice ? C’est un problème qui concerne la raison pratique ; mais pour pouvoir agir de manière droite, la raison doit constamment être purifiée, car son aveuglement éthique, découlant de la tentation de l’intérêt et du pouvoir qui l’éblouissent, est un danger qu’on ne peut jamais totalement éliminer.

En ce point, politique et foi se rejoignent. Sans aucun doute, la foi a sa nature spécifique de rencontre avec le Dieu vivant, rencontre qui nous ouvre de nouveaux horizons bien au-delà du domaine propre de la raison. Mais, en même temps, elle est une force purificatrice pour la raison elle-même. Partant de la perspective de Dieu, elle la libère de ses aveuglements et, de ce fait, elle l’aide à être elle-même meilleure. La foi permet à la raison de mieux accomplir sa tâche et de mieux voir ce qui lui est propre. C’est là que se place la doctrine sociale catholique : elle ne veut pas conférer à l’Église un pouvoir sur l’État. Elle ne veut pas même imposer à ceux qui ne partagent pas sa foi des perspectives et des manières d’être qui lui appartiennent. Elle veut simplement contribuer à la purification de la raison et apporter sa contribution, pour faire en sorte que ce qui est juste puisse être ici et maintenant reconnu, et aussi mis en œuvre.

La doctrine sociale de l’Église argumente à partir de la raison et du droit naturel, c’est-à-dire à partir de ce qui est conforme à la nature de tout être humain. Elle sait qu’il ne revient pas à l’Église de faire valoir elle-même politiquement cette doctrine : elle veut servir la formation des consciences dans le domaine politique et contribuer à faire grandir la perception des véritables exigences de la justice et, en même temps, la disponibilité d’agir en fonction d’elles, même si cela est en opposition avec des situations d’intérêt personnel. Cela signifie que la construction d’un ordre juste de la société et de l’État, par lequel est donné à chacun ce qui lui revient, est un devoir fondamental, que chaque génération doit à nouveau affronter. S’agissant d’un devoir politique, cela ne peut pas être à la charge immédiate de l’Église. Mais, puisque c’est en même temps un devoir humain primordial, l’Église a le devoir d’offrir sa contribution spécifique, grâce à la purification de la raison et à la formation éthique, afin que les exigences de la justice deviennent compréhensibles et politiquement réalisables.

L’Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’État. Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. Elle doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert aussi des renoncements, ne peut s’affirmer ni se développer. La société juste ne peut être l’œuvre de l’Église, mais elle doit être réalisée par le politique. Toutefois, l’engagement pour la justice, travaillant à l’ouverture de l’intelligence et de la volonté aux exigences du bien, intéresse profondément l’Église.

b) L’amour – caritas – sera toujours nécessaire, même dans la société la plus juste. Il n’y a aucun ordre juste de l’État qui puisse rendre superflu le service de l’amour. Celui qui veut s’affranchir de l’amour se prépare à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme. Il y aura toujours de la souffrance, qui réclame consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude. De même, il y aura toujours des situations de nécessité matérielle, pour lesquelles une aide est indispensable, dans le sens d’un amour concret pour le prochain.[20] L’État qui veut pourvoir à tout, qui absorbe tout en lui, devient en définitive une instance bureaucratique qui ne peut assurer l’essentiel dont l’homme souffrant – tout homme – a besoin : le dévouement personnel plein d’amour. Nous n’avons pas besoin d’un État qui régente et domine tout, mais au contraire d’un État qui reconnaisse généreusement et qui soutienne, dans la ligne du principe de subsidiarité, les initiatives qui naissent des différentes forces sociales et qui associent spontanéité et proximité avec les hommes ayant besoin d’aide. L’Église est une de ces forces vives : en elle vit la dynamique de l’amour suscité par l’Esprit du Christ. Cet amour n’offre pas uniquement aux hommes une aide matérielle, mais également réconfort et soin de l’âme, aide souvent plus nécessaire que le soutien matériel. L’affirmation selon laquelle les structures justes rendraient superflues les œuvres de charité cache en réalité une conception matérialiste de l’homme : le préjugé selon lequel l’homme vivrait «seulement de pain» (Mt 4,4; cf. Dt 8, 3) est une conviction qui humilie l’homme et qui méconnaît précisément ce qui est le plus spécifiquement humain.

29. Ainsi nous pouvons maintenant déterminer avec plus de précision, dans la vie de l’Église, la relation entre l’engagement pour un ordre juste de l’État et de la société, d’une part, et l’activité caritative organisée, d’autre part. On a vu que la formation de structures justes n’est pas immédiatement du ressort de l’Église, mais qu’elle appartient à la sphère du politique, c’est-à-dire au domaine de la raison responsable d’elle-même. En cela, la tâche de l’Église est médiate, en tant qu’il lui revient de contribuer à la purification de la raison et au réveil des forces morales, sans lesquelles des structures justes ne peuvent ni être construites, ni être opérationnelles à long terme.

Le devoir immédiat d’agir pour un ordre juste dans la société est au contraire le propre des fidèles laïcs. En tant que citoyens de l’État, ils sont appelés à participer personnellement à la vie publique. Ils ne peuvent donc renoncer «à l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun»[21]. Une des missions des fidèles est donc de configurer de manière droite la vie sociale, en en respectant la légitime autonomie et en coopérant avec les autres citoyens, selon les compétences de chacun et sous leur propre responsabilité[22]. Même si les expressions spécifiques de la charité ecclésiale ne peuvent jamais se confondre avec l’activité de l’État, il reste cependant vrai que la charité doit animer l’existence entière des fidèles laïcs et donc aussi leur activité politique, vécue comme «charité sociale».[23]

Les organisations caritatives de l’Église constituent au contraire son opus proprium, une tâche conforme à sa nature, dans laquelle elle ne collabore pas de façon marginale, mais où elle agit comme sujet directement responsable, faisant ce qui correspond à sa nature. L’Église ne peut jamais se dispenser de l’exercice de la charité en tant qu’activité organisée des croyants et, d’autre part, il n’y aura jamais une situation dans laquelle on n’aura pas besoin de la charité de chaque chrétien, car l’homme, au-delà de la justice, a et aura toujours besoin de l’amour.

Les nombreuses structures de service caritatif dans le contexte social actuel

30. Avant de tenter une définition du profil spécifique des activités ecclésiales au service de l’homme, je voudrais maintenant considérer la situation générale de l’engagement pour la justice et pour l’amour dans le monde d’aujourd’hui.

a) Les moyens de communication de masse ont rendu désormais notre planète plus petite, rapprochant rapidement hommes et cultures profondément différents. Si ce «vivre ensemble» suscite parfois incompréhensions et tensions, cependant, le fait d’avoir maintenant connaissance de manière beaucoup plus immédiate des besoins des hommes représente surtout un appel à partager leur situation et leurs difficultés. Chaque jour, nous prenons conscience de l’importance de la souffrance dans le monde, causée par une misère tant matérielle que spirituelle revêtant de multiples formes, en dépit des grands progrès de la science et de la technique. Notre époque demande donc une nouvelle disponibilité pour secourir le prochain qui a besoin d’aide. Déjà le Concile Vatican II l’a souligné de manière très claire : «De nos jours, [...] à cause des facilités plus grandes offertes par les moyens de communication, la distance entre les hommes est en quelque sorte vaincue [...], l’action caritative peut et doit aujourd’hui avoir en vue absolument tous les hommes et tous les besoins».[24]

Par ailleurs – et c’est un aspect provocateur et en même temps encourageant du processus de mondialisation –, le temps présent met à notre disposition d’innombrables instruments pour apporter une aide humanitaire à nos frères qui sont dans le besoin, et tout spécialement les systèmes modernes pour la distribution de nourriture et de vêtements, de même que pour la proposition de logements et d’accueil. Dépassant les confins des communautés nationales, la sollicitude pour le prochain tend ainsi à élargir ses horizons au monde entier. Le Concile Vatican II a noté avec justesse: «Parmi les signes de notre temps, il convient de relever spécialement le sens croissant et inéluctable de la solidarité de tous les peuples».[25] Les organismes de l’État et les associations humanitaires favorisent les initiatives en vue d’atteindre ce but, par des subsides ou des dégrèvements fiscaux pour les uns, rendant disponibles des ressources considérables pour les autres. Ainsi la solidarité exprimée par la société civile dépasse de manière significative celle des individus.

b) Dans cette situation, à travers les instances étatiques et ecclésiales, sont nées et se sont développées de nombreuses formes de collaboration, qui se sont révélées fructueuses. Les institutions ecclésiales, grâce à la transparence de leurs moyens d’action et à la fidélité à leur devoir de témoigner de l’amour, pourront aussi animer chrétiennement les institutions civiles, favorisant une coordination réciproque, dont ne manquera pas de bénéficier l’efficacité du service caritatif[26]. Dans ce contexte, se sont aussi formées de multiples organisations à but caritatif ou philanthropique qui, face aux problèmes sociaux et politiques existants, s’engagent pour parvenir à des solutions satisfaisantes dans le domaine humanitaire. Un phénomène important de notre temps est l’apparition et l’expansion de diverses formes de bénévolat, qui prennent en charge une multiplicité de services.[27] Je voudrais ici adresser une parole de reconnaissance et de remerciement à tous ceux qui participent, d’une manière ou d’une autre, à de telles activités. Le développement d’un pareil engagement représente pour les jeunes une école de vie qui éduque à la solidarité, à la disponibilité, en vue de donner non pas simplement quelque chose, mais de se donner soi-même. À l’anti-culture de la mort, qui s’exprime par exemple dans la drogue, s’oppose ainsi l’amour qui ne se recherche pas lui-même, mais qui, précisément en étant disponible à «se perdre» pour l’autre (cf. Lc 17, 33 et par.), se révèle comme culture de la vie.

De même, dans l’Église catholique et dans d’autres Églises et Communautés ecclésiales ont surgi de nouvelles formes d’activité caritative, et de plus anciennes sont réapparues avec un élan renouvelé. Ce sont des formes dans lesquelles on arrive souvent à constituer un lien heureux entre évangélisation et œuvres de charité. Je désire confirmer explicitement ici ce que mon grand Prédécesseur Jean-Paul II a écrit dans son Encyclique Sollicitudo rei socialis[28], lorsqu’il a affirmé la disponibilité de l’Église catholique à collaborer avec les Organisations caritatives de ces Églises et Communautés, puisque nous sommes tous animés de la même motivation fondamentale et que nous avons devant les yeux le même but : un véritable humanisme, qui reconnaît dans l’homme l’image de Dieu et qui veut l’aider à mener une vie conforme à cette dignité. En vue d’un développement harmonieux du monde, l’Encyclique Ut unum sint a de nouveau souligné qu’il était nécessaire pour les chrétiens d’unir leur voix et leur engagement «pour le respect des droits et des besoins de tous, spécialement des pauvres, des humiliés et de ceux qui sont sans défense».[29] Je voudrais exprimer ici ma joie, car ce désir a trouvé dans l’ensemble du monde un large écho à travers de nombreuses initiatives.

Le profil spécifique de l’activité caritative de l’Église

31. L’augmentation d’organisations diversifiées qui s’engagent en faveur de l’homme dans ses diverses nécessités s’explique au fond par le fait que l’impératif de l’amour du prochain est inscrit par le Créateur dans la nature même de l’homme. Cependant, cette croissance est aussi un effet de la présence du christianisme dans le monde, qui suscite constamment et rend efficace cet impératif, souvent profondément obscurci au cours de l’histoire. La réforme du paganisme tentée par l’empereur Julien l’Apostat n’est que l’exemple initial d’une telle efficacité. En ce sens, la force du christianisme s’étend bien au-delà des frontières de la foi chrétienne. De ce fait, il est très important que l’activité caritative de l’Église maintienne toute sa splendeur et ne se dissolve pas dans une organisation commune d’assistance, en en devenant une simple variante. Mais quels sont donc les éléments constitutifs qui forment l’essence de la charité chrétienne et ecclésiale ?

a) Selon le modèle donné par la parabole du bon Samaritain, la charité chrétienne est avant tout simplement la réponse à ce qui, dans une situation déterminée, constitue la nécessité immédiate: les personnes qui ont faim doivent être rassasiées, celles qui sont sans vêtements doivent être vêtues, celles qui sont malades doivent être soignées en vue de leur guérison, celles qui sont en prison doivent être visitées, etc. Les Organisations caritatives de l’Église, à commencer par les Caritas (diocésaines, nationales, internationale), doivent faire tout leur possible pour que soient mis à disposition les moyens nécessaires, et surtout les hommes et les femmes, pour assumer de telles tâches. En ce qui concerne le service des personnes qui souffrent, la compétence professionnelle est avant tout nécessaire : les soignants doivent être formés de manière à pouvoir accomplir le geste juste au moment juste, prenant aussi l’engagement de poursuivre les soins. La compétence professionnelle est une des premières nécessités fondamentales, mais à elle seule, elle ne peut suffire. En réalité, il s’agit d’êtres humains, et les êtres humains ont toujours besoin de quelque chose de plus que de soins techniquement corrects. Ils ont besoin d’humanité. Ils ont besoin de l’attention du cœur. Les personnes qui œuvrent dans les Institutions caritatives de l’Église doivent se distinguer par le fait qu’elles ne se contentent pas d’exécuter avec dextérité le geste qui convient sur le moment, mais qu’elles se consacrent à autrui avec des attentions qui leur viennent du cœur, de manière à ce qu’autrui puisse éprouver leur richesse d’humanité. C’est pourquoi, en plus de la préparation professionnelle, il est nécessaire pour ces personnes d’avoir aussi et surtout une «formation du cœur» : il convient de les conduire à la rencontre avec Dieu dans le Christ, qui suscite en eux l’amour et qui ouvre leur esprit à autrui, en sorte que leur amour du prochain ne soit plus imposé pour ainsi dire de l’extérieur, mais qu’il soit une conséquence découlant de leur foi qui devient agissante dans l’amour (cf. Ga 5, 6).

b) L’activité caritative chrétienne doit être indépendante de partis et d’idéologies. Elle n’est pas un moyen pour changer le monde de manière idéologique et elle n’est pas au service de stratégies mondaines, mais elle est la mise en œuvre ici et maintenant de l’amour dont l’homme a constamment besoin. L’époque moderne, surtout à partir du dix-neuvième siècle, est dominée par différents courants d’une philosophie du progrès, dont la forme la plus radicale est le marxisme. Une partie de la stratégie marxiste est la théorie de l’appauvrissement : celui qui, dans une situation de pouvoir injuste – soutient-elle –, aide l’homme par des initiatives de charité, se met de fait au service de ce système d’injustice, le faisant apparaître supportable, au moins jusqu’à un certain point. Le potentiel révolutionnaire est ainsi freiné et donc le retour vers un monde meilleur est bloqué. Par conséquent, la charité est contestée et attaquée comme système de conservation du statu quo. En réalité, c’est là une philosophie inhumaine. L’homme qui vit dans le présent est sacrifié au Moloch de l’avenir – un avenir dont la réalisation effective reste pour le moins douteuse. En vérité, l’humanisation du monde ne peut être promue en renonçant, pour le moment, à se comporter de manière humaine. Nous ne contribuons à un monde meilleur qu’en faisant le bien, maintenant et personnellement, passionnément, partout où cela est possible, indépendamment de stratégies et de programmes de partis. Le programme du chrétien – le programme du bon Samaritain, le programme de Jésus – est «un cœur qui voit». Ce cœur voit où l’amour est nécessaire et il agit en conséquence. Naturellement, à la spontanéité de l’individu, lorsque l’activité caritative est assumée par l’Église comme initiative communautaire, doivent également s\'adjoindre des programmes, des prévisions, des collaborations avec d’autres institutions similaires.

c) De plus, la charité ne doit pas être un moyen au service de ce qu’on appelle aujourd’hui le prosélytisme. L’amour est gratuit. Il n’est pas utilisé pour parvenir à d’autres fins[30]. Cela ne signifie pas toutefois que l’action caritative doive laisser de côté, pour ainsi dire, Dieu et le Christ. C’est toujours l’homme tout entier qui est en jeu. Souvent, c’est précisément l’absence de Dieu qui est la racine la plus profonde de la souffrance. Celui qui pratique la charité au nom de l’Église ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l’Église. Il sait que l’amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer. Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de Dieu et quand il est juste de Le taire et de ne laisser parler que l’amour. Il sait que Dieu est amour (cf. 1 Jn 4,8) et qu’il se rend présent précisément dans les moments où rien d’autre n’est fait sinon qu’aimer. Il sait – pour en revenir à la question précédente – que le mépris de l’amour est mépris de Dieu et de l’homme, et qu’il est la tentative de se passer de Dieu. Par conséquent, la meilleure défense de Dieu et de l’homme consiste justement dans l’amour. La tâche des Organisations caritatives de l’Église est de renforcer une telle conscience chez leurs membres, de sorte que, par leurs actions – comme par leurs paroles, leurs silences, leurs exemples –, ils deviennent des témoins crédibles du Christ.

Les responsables de l’action caritative de l’Église

32. Enfin, nous devons encore porter notre attention vers les responsables de l’action caritative de l’Église, déjà cités. Dans les réflexions précédentes, il est désormais apparu clairement que le vrai sujet des différentes Organisations catholiques qui accomplissent un service de charité est l’Église elle-même – et ce, à tous les niveaux, en commençant par les paroisses, en passant par les Églises particulières, jusqu’à l’Église universelle. C’est pourquoi il a été plus que jamais opportun que mon vénéré Prédécesseur Paul VI ait institué le Conseil pontifical Cor unum comme instance du Saint-Siège responsable de l’orientation et de la coordination entre les organisations et les activités caritatives promues par l’Église universelle. Il découle donc de la structure épiscopale de l’Église que, dans les Églises particulières, les Évêques, en qualité de successeurs des Apôtres, portent la responsabilité première de la mise en œuvre, aujourd’hui encore, du programme indiqué dans lesActes des Apôtres (cf. 2, 42-44): l’Église, en tant que famille de Dieu, doit être aujourd’hui comme hier, un lieu d’entraide mutuelle et, en même temps, un lieu de disponibilité pour servir aussi les personnes qui, hors d’elle, ont besoin d’aide. Au cours du rite de l’Ordination épiscopale, le moment précis de la consécration est précédé de quelques questions posées au candidat, où sont exprimés les éléments essentiels de sa charge et où lui sont rappelés les devoirs de son futur ministère. Dans ce contexte, l’ordinand promet expressément d’être, au nom du Seigneur, accueillant et miséricordieux envers les pauvres et envers tous ceux qui ont besoin de réconfort et d’aide.[31] Le Code de Droit canonique, dans les canons concernant le ministère épiscopal, ne traite pas expressément de la charité comme d’un domaine spécifique de l’activité épiscopale, mais il expose seulement de façon générale la tâche de l’Évêque, qui est de coordonner les différentes œuvres d’apostolat dans le respect de leur caractère propre.[32] Récemment cependant, le Directoire pour le ministère pastoral des Évêques a approfondi de manière plus concrète le devoir de la charité comme tâche intrinsèque de l’Église entière et de l’Évêque dans son diocèse,[33] et il a souligné que l’exercice de la charité est un acte de l’Église en tant que telle et que, au même titre que le service de la Parole et des Sacrements, elle fait partie, elle aussi, de l’essence de sa mission originaire.[34]

33. En ce qui concerne les collaborateurs qui accomplissent concrètement le travail de la charité dans l’Église, l’essentiel a déjà été dit : ils ne doivent pas s’inspirer des idéologies de l’amélioration du monde, mais se laisser guider par la foi qui, dans l’amour, devient agissante (cf. Ga 5,6). Ils doivent donc être des personnes touchées avant tout par l’amour du Christ, des personnes dont le Christ a conquis le cœur par son amour, en y réveillant l’amour pour le prochain. Le critère qui inspire leur action devrait être l’affirmation présente dans la Deuxième Lettre aux Corinthiens: «L’amour du Christ nous pousse» (5, 14). La conscience qu’en Lui Dieu lui-même s’est donné pour nous jusqu’à la mort doit nous amener à ne plus vivre pour nous-mêmes, mais pour Lui et avec Lui pour les autres. Celui qui aime le Christ aime l’Église, et il veut qu’elle soit toujours plus expression et instrument de l’amour qui émane de Lui. Le collaborateur de toute Organisation caritative catholique veut travailler avec l’Église et donc avec l’Évêque, afin que l’amour de Dieu se répande dans le monde. En participant à la mise en œuvre de l’amour de la part de l’Église, il veut être témoin de Dieu et du Christ et, précisément, pour cela il veut faire gratuitement du bien aux hommes.

34. L’ouverture intérieure à la dimension catholique de l’Église ne pourra pas ne pas disposer le collaborateur à vivre en harmonie avec les autres Organisations pour répondre aux différentes formes de besoin; cela devra cependant se réaliser dans le respect du profil spécifique du service demandé par le Christ à ses disciples. Dans son hymne à la charité (cf. 1 Co 13), saint Paul nous enseigne que la charité est toujours plus qu’une simple activité : «J’aurai beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurai beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne sert à rien» (v. 3). Cette hymne doit être la Magna Charta de l’ensemble du service ecclésial. En elle sont résumées toutes les réflexions qu’au long de cette Encyclique j’ai développées sur l’amour. L’action concrète demeure insuffisante si, en elle, l’amour pour l’homme n’est pas perceptible, un amour qui se nourrit de la rencontre avec le Christ. La participation profonde et personnelle aux besoins et aux souffrances d’autrui devient ainsi une façon de m’associer à lui : pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi, mais moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne.

35. Cette juste manière de servir rend humble celui qui agit. Il n’assume pas une position de supériorité face à l’autre, même si la situation de ce dernier peut à ce moment-là être misérable. Le Christ a pris la dernière place dans le monde – la croix – et, précisément par cette humilité radicale, il nous a rachetés et il nous aide constamment. Celui qui peut aider, reconnaît que c’est justement de cette manière qu’il est aidé lui-aussi. Le fait de pouvoir aider n’est ni son mérite ni un titre d’orgueil. Cette tâche est une grâce. Plus une personne œuvre pour les autres, plus elle comprendra et fera sienne la Parole du Christ : «Nous sommes des serviteurs quelconques» (Lc 17, 10). En effet, elle reconnaît qu’elle agit non pas en fonction d’une supériorité ou d’une plus grande efficacité personnelle, mais parce que le Seigneur lui en fait don. Parfois, le surcroît des besoins et les limites de sa propre action pourront l’exposer à la tentation du découragement. Mais c’est alors justement que l’aidera le fait de savoir qu’elle n’est, en définitive, qu’un instrument entre les mains du Seigneur ; elle se libérera ainsi de la prétention de devoir réaliser, personnellement et seule, l’amélioration nécessaire du monde. Humblement, elle fera ce qu’il lui est possible de faire et, humblement, elle confiera le reste au Seigneur. C’est Dieu qui gouverne le monde et non pas nous. Nous, nous lui offrons uniquement nos services, pour autant que nous le pouvons, et tant qu’il nous en donne la force. Faire cependant ce qui nous est possible, avec la force dont nous disposons, telle est la tâche qui maintient le bon serviteur de Jésus-Christ toujours en mouvement: «L’amour du Christ nous pousse» (2 Co 5,14).

36. L’expérience de l’immensité des besoins peut, d’un côté, nous pousser vers l’idéologie qui prétend faire maintenant ce que Dieu, en gouvernant le monde, n’obtient pas, à ce qu’il semble: la solution universelle de tous les problèmes. D’un autre côté, elle peut devenir une tentation de rester dans l’inertie, s’appuyant sur l’impression que, quoi qu’il en soit, rien ne peut être fait. Dans cette situation, le contact vivant avec le Christ est le soutien déterminant pour rester sur la voie droite : ni tomber dans un orgueil qui méprise l’homme, qui en réalité n’est pas constructif mais plutôt détruit, ni s’abandonner à la résignation, qui empêcherait de se laisser guider par l’amour et, ainsi, de servir l’homme. La prière comme moyen pour puiser toujours à nouveau la force du Christ devient ici une urgence tout à fait concrète. Celui qui prie ne perd pas son temps, même si la situation apparaît réellement urgente et semble pousser uniquement à l’action. La piété n’affaiblit pas la lutte contre la pauvreté ou même contre la misère du prochain. La bienheureuse Teresa de Calcutta est un exemple particulièrement manifeste que le temps consacré à Dieu dans la prière non seulement ne nuit pas à l’efficacité ni à l’activité de l’amour envers le prochain, mais en est en réalité la source inépuisable. Dans sa lettre pour le Carême 1996, la bienheureuse écrivait à ses collaborateurs laïcs: «Nous avons besoin de ce lien intime avec Dieu dans notre vie quotidienne. Et comment pouvons-nous l’obtenir ? À travers la prière».

37. Le moment est venu de réaffirmer l’importance de la prière face à l’activisme et au sécularisme dominant de nombreux chrétiens engagés dans le travail caritatif. Bien sûr, le chrétien qui prie ne prétend pas changer les plans de Dieu ni corriger ce que Dieu a prévu. Il cherche plutôt à rencontrer le Père de Jésus Christ, lui demandant d’être présent en lui et dans son action par le secours de son Esprit. La familiarité avec le Dieu personnel et l’abandon à sa volonté empêchent la dégradation de l’homme, l’empêchent d’être prisonnier de doctrines fanatiques et terroristes. Une attitude authentiquement religieuse évite que l’homme s’érige en juge de Dieu, l’accusant de permettre la misère sans éprouver de la compassion pour ses créatures. Mais celui qui prétend lutter contre Dieu en s’appuyant sur l’intérêt de l’homme, sur qui pourra-t-il compter quand l’action humaine se montrera impuissante ?

38. Job peut certainement se lamenter devant Dieu pour la souffrance incompréhensible et apparemment injustifiable qui est présente dans le monde. Il parle ainsi de sa souffrance : «Oh ! si je savais comment l’atteindre, parvenir à sa demeure …. Je connaîtrais les termes mêmes de sa défense, attentif à ce qu’il me dirait. Jetterait-il toute sa force dans ce débat avec moi ? … C’est pourquoi, devant lui, je suis terrifié ; plus j’y songe, plus il me fait peur. Dieu a brisé mon courage, le Tout-Puissant me remplit d’effroi» (23, 3. 5-6. 15-16). Souvent, il ne nous est pas donné de connaître la raison pour laquelle Dieu retient son bras au lieu d’intervenir. Du reste, il ne nous empêche pas non plus de crier, comme Jésus en croix: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» (Mt 27,46). Dans un dialogue priant, nous devrions rester devant sa face avec cette question: «Jusques à quand, Maître saint et véritable, tarderas-tu ?» (Ap 6, 10). C’est saint Augustin qui donne à notre souffrance la réponse de la foi: «Si comprehendis, non est Deus – Si tu le comprends, alors il n’est pas Dieu»[35]. Notre protestation ne veut pas défier Dieu, ni insinuer qu’en Lui il y a erreur, faiblesse ou indifférence. Pour le croyant, il est impossible de penser qu’il est impuissant ou bien qu’ «il dort» (1 R 18, 27). Ou plutôt, il est vrai que même notre cri, comme sur les lèvres de Jésus en croix, est la manière extrême et la plus profonde d’affirmer notre foi en sa puissance souveraine. En effet, les chrétiens continuent de croire, malgré toutes les incompréhensions et toutes les confusions du monde qui les entoure, en la «bonté de Dieu et en sa tendresse pour les hommes» (Tt 3,4). Bien que plongés comme tous les autres hommes dans la complexité dramatique des événements de l’histoire, ils restent fermes dans la certitude que Dieu est Père et qu’il nous aime, même si son silence nous demeure incompréhensible.

39. Foi, espérance et charité vont de pair. L’espérance s’enracine en pratique dans la vertu de patience, qui ne fait pas défaut dans le bien, pas même face à l’échec apparent, et dans celle d’humilité, qui accepte le mystère de Dieu et qui Lui fait confiance même dans l’obscurité. La foi nous montre le Dieu qui a donné son Fils pour nous et suscite ainsi en nous la certitude victorieuse qu’est bien vraie l’affirmation: Dieu est Amour. De cette façon, elle transforme notre impatience et nos doutes en une espérance assurée que Dieu tient le monde entre ses mains et que malgré toutes les obscurités il triomphe, comme l’Apocalypse le révèle à la fin, de façon lumineuse, à travers ses images bouleversantes. La foi, qui prend conscience de l’amour de Dieu qui s’est révélé dans le cœur transpercé de Jésus sur la croix, suscite à son tour l’amour. Il est la lumière – en réalité l’unique – qui illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité et qui nous donne le courage de vivre et d’agir. L’amour est possible, et nous sommes en mesure de le mettre en pratique parce que nous sommes créés à l’image de Dieu. Par la présente Encyclique, voici à quoi je voudrais vous inviter: vivre l’amour et de cette manière faire entrer la lumière de Dieu dans le monde.


CONCLUSION

40. Considérons enfin les Saints, ceux qui ont exercé de manière exemplaire la charité. La pensée se tourne en particulier vers Martin de Tours († 397), d’abord soldat, puis moine et évêque: presque comme une icône, il montre la valeur irremplaçable du témoignage individuel de la charité. Aux portes d’Amiens, Martin partage en deux son manteau avec un pauvre: Jésus lui-même, dans la nuit, lui apparaît en songe revêtu de ce manteau, pour confirmer la valeur permanente de la parole évangélique: «J’étais nu, et vous m’avez habillé.... Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 36. 40).[36] Dans l’histoire de l’Église, combien d’autres témoignages de charité peuvent être cités ! En particulier, tout le mouvement monastique, depuis ses origines avec saint Antoine, Abbé († 356), fait apparaître un service de charité considérable envers le prochain. Dans le «face à face» avec le Dieu qui est Amour, le moine perçoit l’exigence impérieuse de transformer en service du prochain, en plus du service de Dieu, toute sa vie. On peut expliquer ainsi les grandes structures d’accueil, d’assistance et de soins nées à côté des monastères. Cela explique aussi les initiatives de promotion humaine et de formation chrétienne considérables, destinées avant tout aux plus pauvres, tout d’abord pris en charge par les Ordres monastiques et mendiants, puis par les différents Instituts religieux masculins et féminins, tout au long de l’histoire de l’Église. Des figures de saints comme François d’Assise, Ignace de Loyola, Jean de Dieu, Camille de Lellis, Vincent de Paul, Louise de Marillac, Joseph B. Cottolengo, Jean Bosco, Louis Orione, Teresa de Calcutta – pour ne prendre que quelques noms –, demeurent des modèles insignes de charité sociale pour tous les hommes de bonne volonté. Les saints sont les vrais porteurs de lumière dans l’histoire, parce qu’ils sont des hommes et des femmes de foi, d’espérance et d’amour.

41. Parmi les saints, il y a par excellence Marie, Mère du Seigneur et miroir de toute sainteté. Dans l’Évangile de Luc, nous la trouvons engagée dans un service de charité envers sa cousine Élisabeth, auprès de laquelle elle demeure «environ trois mois» (1, 56), pour l’assister dans la phase finale de sa grossesse. «Magnificat anima mea Dominum», dit-elle à l’occasion de cette visite – «Mon âme exalte le Seigneur» – (Lc 1, 46). Elle exprime ainsi tout le programme de sa vie: ne pas se mettre elle-même au centre, mais faire place à Dieu, rencontré tant dans la prière que dans le service du prochain – alors seulement le monde devient bon. Marie est grande précisément parce qu’elle ne veut pas se rendre elle-même grande, mais elle veut rendre Dieu grand. Elle est humble: elle ne veut être rien d’autre que la servante du Seigneur (cf. Lc 1, 38. 48). Elle sait qu’elle contribue au salut du monde, non pas en accomplissant son œuvre, mais seulement en se mettant pleinement à la disposition des initiatives de Dieu. Elle est une femme d’espérance: uniquement parce qu’elle croit aux promesses de Dieu et qu’elle attend le salut d’Israël; l’ange peut venir chez elle et l’appeler au service décisif de ces promesses. C’est une femme de foi: «Heureuse celle qui a cru», lui dit Élisabeth (Lc 1, 45). Le Magnificat – portrait, pour ainsi dire, de son âme – est entièrement brodé de fils de l’Écriture Sainte, de fils tirés de la Parole de Dieu. On voit ainsi apparaître que, dans la Parole de Dieu, Marie est vraiment chez elle, elle en sort et elle y rentre avec un grand naturel. Elle parle et pense au moyen de la Parole de Dieu; la Parole de Dieu devient sa parole, et sa parole naît de la Parole de Dieu. De plus, se manifeste ainsi que ses pensées sont au diapason des pensées de Dieu, que sa volonté consiste à vouloir avec Dieu. Étant profondément pénétrée par la Parole de Dieu, elle peut devenir la mère de la Parole incarnée. Enfin, Marie est une femme qui aime. Comment pourrait-il en être autrement ? Comme croyante qui, dans la foi, pense avec les pensées de Dieu et veut avec la volonté de Dieu, elle ne peut qu’être une femme qui aime. Nous le percevons à travers ses gestes silencieux, auxquels se réfèrent les récits des Évangiles de l’enfance. Nous le voyons à travers la délicatesse avec laquelle, à Cana, elle perçoit les besoins dans lesquels sont pris les époux et elle les présente à Jésus. Nous le voyons dans l’humilité avec laquelle elle accepte d’être délaissée durant la période de la vie publique de Jésus, sachant que son Fils doit fonder une nouvelle famille et que l’heure de sa Mère arrivera seulement au moment de la croix, qui sera l’heure véritable de Jésus (cf. Jn 2, 4; 13, 1). Alors, quand les disciples auront fui, elle demeurera sous la croix (cf. Jn 19, 25-27); plus tard, à l’heure de la Pentecôte, ce seront les disciples qui se rassembleront autour d’elle dans l’attente de l’Esprit Saint (cf. Ac 1, 14).

42. La vie des Saints ne comporte pas seulement leur biographie terrestre, mais aussi leur vie et leur agir en Dieu après leur mort. Chez les Saints, il devient évident que celui qui va vers Dieu ne s’éloigne pas des hommes, mais qu’il se rend au contraire vraiment proche d’eux. Nous ne le voyons mieux en personne d’autre qu’en Marie. La parole du Crucifié au disciple – à Jean, et à travers lui, à tous les disciples de Jésus: «Voici ta mère» (Jn 19, 27) – devient, au fil des générations, toujours nouvellement vraie. De fait, Marie est devenue Mère de tous les croyants. C’est vers sa bonté maternelle comme vers sa pureté et sa beauté virginales que se tournent les hommes de tous les temps et de tous les coins du monde, dans leurs besoins et leurs espérances, dans leurs joies et leurs souffrances, dans leurs solitudes comme aussi dans le partage communautaire. Et ils font sans cesse l’expérience du don de sa bonté, l’expérience de l’amour inépuisable qu’elle déverse du plus profond de son cœur. Les témoignages de gratitude qui lui sont attribués dans tous les continents et dans toutes les cultures expriment la reconnaissance de cet amour pur qui ne se cherche pas lui-même, mais qui veut simplement le bien. De même, la dévotion des fidèles manifeste l’intuition infaillible de la manière dont un tel amour devient possible: il le devient grâce à la plus intime union avec Dieu, en vertu de laquelle elle s’est totalement laissé envahir par Lui – condition qui permet à celui qui a bu à la source de l’amour de Dieu de devenir lui-même une source d’où «jailliront des fleuves d’eau vive» (Jn 7, 38). Marie, la Vierge, la Mère, nous montre ce qu’est l’amour et d’où il tire son origine, sa force toujours renouvelée. C’est à elle que nous confions l’Église, sa mission au service de l’Amour:

Sainte Marie, Mère de Dieu,tu as donné au monde la vraie lumière,Jésus, ton fils – Fils de Dieu.Tu t’es abandonnée complètement à l’appel de Dieu et tu es devenue ainsi la source de la bonté qui jaillit de Lui. Montre-nous Jésus. Guide-nous vers Lui. Enseigne-nous à Le connaître et à L’aimer, afin que nous puissions, nous aussi, devenir capables d’un amour vrai et être sources d’eau vive au milieu d’un monde assoiffé.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 25 décembre 2005, solennité de la Nativité du Seigneur, en la première année de mon Pontificat.

BENEDICTUS PP. XVI

 

 

Résonances: 

 Benoît XVI analyse sa première encyclique

« Ainsi, dans cette encyclique, les thèmes « Dieu », « Christ », et « Amour », sont fondus ensemble en tant que guide central de la foi chrétienne. Je voulais montrer l’humanité de la foi, dont fait partie l’éros – le « oui » de l’homme à sa corporéité créée par Dieu, un « oui » qui, dans le mariage indissoluble entre un homme et une femme trouve sa forme enracinée dans la création. Et c’est là que l’éros se transforme en agapè – que l’amour pour l’autre ne se cherche plus lui-même mais devient préoccupation pour l’autre, disposition au sacrifice pour lui et ouverture aussi au don d’une nouvelle vie humaine ».
 

Réflexion sur l’encyclique par Mgr Pontier .....En intitulant sa première encyclique " Dieu est Amour ", Benoît XVI nous parle de l'essentiel de la révélation chrétienne, de l'identité de Dieu, de celle de l'homme, de la manière de vivre, d'aimer, de s'épanouir, de se dépasser, de s'unifier, d'espérer.....nous sommes invités à une nouvelle évangélisation, à une nouvelle proposition de la foi, et cela en toutes occasions et circonstances. Au cœur de la Bonne Nouvelle, il y a cette annonce : " Dieu est Amour ". C'est de cela que nous vivons ....

La Bible se résume en trois mots : Dieu est amour, explique le P. Cantalamessa

Synthèse de l’encyclique : « Dieu est Amour »

La cinéaste Liliana Cavani trouve l’encyclique de Benoît XVI « fascinante »

Chiara Lubich commente l’encyclique « Dieu est amour »

Par Rémi Brague ...«Le Pape rappelle l'évidence : Dieu n'est pas celui qui demande ou commande, mais d'abord celui qui donne»

 

Résonances  RS : Cette encyclique est universelle et d'une espérance folle... par sa première partie elle s'adresse à toutes les religions, traditions, philosophies, idéologies ..dont les laïques aux racines chrétiennes ...elle met aux oubliettes la rencontre de Jean-Paul II à Assise, celle du « prions ensemble... Nous avons le même Dieu... » . .... Puissent les hommes ...accepté une vision UN et multiples ... Puisse le coeur des hommes de chac-un des multiples un s'ouvrir au Dieu-amour .... témoignons de cela ...

Par sa deuxième partie elle remet  l'Âmour au coeur de l'Eglise Universelle  ... puisse-t-elle en témoigner et revoir en conséquence ses notions de tolérance, multiculturalisme, de solidarité remplaçant la charité ...de prosélytisme ...d'attitude d'ensemble-ENUN ou d'ensemble-HOMENTRANCHE... et devenir des hommes EN coques .. de coques ...famille... cité... état... culture s'emboîtant et coexistant ... échangeant fraternellement ... en communion avec les autres uns dans l'UN.. la civilisation de l'Amour

 

Commentaires à revoir à la lumière de la lecture de Michel Fromaget  ..... l'anthropologie ternaire

 

messages reçus

 

 

Benoît XVI et la discipline de l'amour ....

Dans sa première encyclique, publiée hier, le Pape souligne que «la découverte de l'autre» fonde le rapport chrétien au monde.

Source:  Le Figaro  26.01.06

 

Hervé Yannou

L'AMOUR et la charité doivent être au coeur de l'action de l'Église catholique dans un monde où «l'on associe parfois la vengeance au nom de Dieu, ou même le devoir de la haine et de la violence». Sa première encyclique, Benoît XVI a voulu l'ancrer dans l'actualité, sans en faire un programme de gouvernement. Intégralement dévoilée hier, bien que signée du 25 décembre dernier, Deus caritas est («Dieu est Amour») est à la fois une réflexion théologico-philosophique sur l'amour et un enseignement concret sur la charité chrétienne face au sécularisme, au libéralisme et à l'étatisme.

Ce texte de 78 pages porte la griffe de Benoît XVI. Dans un style didactique bien différent de celui de Jean-Paul II, citant la Torah, Nietzsche et Descartes, il a voulu répondre aux reproches faits «au christianisme du passé d'avoir été l'adversaire de la corporéité». Rien de normatif. Le Pape veut réconcilier l'éros, la sensualité, l'amour passion et païen avec l'agape, l'amour fondé dans la foi chrétienne. Pour lui, la façon «d'exalter le corps» est «trompeuse». Le terme amour, «galvaudé», a perdu son sens. «La fausse divinisation de l'éros» le rabaisse au simple «sexe». «L'archétype de l'amour» est celui entre un homme et une femme dans le cadre du mariage. L'éros «a besoin de discipline, de purification», pour donner «non pas le plaisir d'un instant, mais un certain avant-goût du sommet de l'existence».

** Â JE NOUS **

- Ah,mon dieu !Je suis perdue ! L'Amour avec un grand " A" !

                                                                                                                                        Voutch

Il demande aux États de prendre leurs responsabilités

Jean-Paul II abordait déjà la sexualité à la lumière de la divinité de l'homme et pas uniquement du point de vue de l'animalité et du péché. Pour son successeur, l'amour «n'est pas seulement un sentiment», c'est la «véritable découverte de l'autre», l'amour de Dieu et l'amour du prochain.

De cet amour, le Pape tire une leçon pratique pour l'action catholique. «La charité n'est pas pour l'Église une sorte d'assistance sociale qu'on pourrait laisser à d'autres, mais elle appartient à sa nature». Il revient aux sources du christianisme pour réaffirmer l'identité catholique du XXIe siècle. Benoît XVI ne veut pas de tartuffes. Il ne suffit pas «d'être pieux et d'accomplir ses devoirs religieux», mais il faut être attentif à l'autre, sinon la «relation à Dieu se dessèche».

Il demande ainsi aux États de prendre leurs responsabilités en matière de justice sociale et justifie l'apport spécifique des oeuvres caritatives de l'Église dans la société laïcisée. Si la recherche d'une société et d'un État plus justes relève du politique, Benoît XVI pointe l'échec du marxisme, condamne à la fois l'État «vaurien», «qui ne serait pas dirigé selon la justice», et l'État «bureaucratique» qui, voulant «pourvoir à tout», ne peut assurer l'essentiel dont «l'homme souffrant a besoin». Entre les deux, la doctrine sociale de l'Église «indépendante des partis, des idéologies» et rejetant le «prosélytisme», est une «force». Elle «s'étend bien au-delà des frontières de la foi chrétienne» et, rappelle le Pape, dépasse la simple philanthropie.

 

** dessin de VOUTCH ... trouvé sur Internet via Google images " avec les mots "Dieu amour" en 4 ou 5ième page ..paru sans doute dans un Figaro Madame ....

AJENOUS

 

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texte hébergé en  01/06

 

 
 

Synthèse de l’encyclique : « Dieu est Amour »

26 janvier 2006

ROME (ZENIT.org) La première encyclique de Benoît XVI publiée hier, a pour titre « Dieu est Amour », « Deus Caritas est ». Elle est consacrée à la spécificité de l’amour chrétien, et vise à raviver cette « charité » qui vient de Dieu au cœur de l’Eglise. En date de Noël, le 25 décembre 2005, elle compte deux parties, et 42 paragraphes, soit, en français, 78 petites pages.

Nous en proposons cette synthèse, inspirée de la synthèse proposée en italien par la salle de presse du Saint-Siège.

La première partie de l’encyclique a pour titre : « L’unité de l’amour dans la création et dans l’histoire du salut ». Elle propose une réflexion à la fois philosophique et théologique, biblique et spirituelle sur la réalité de l’amour sous ses différentes formes, spécialement celles désignées par les mots grecs « éros » et « agapè » auxquels la révélation biblique a donné un sens nouveau.

La seconde partie de l’encyclique a pour titre : « Caritas - L’exercice de l’amour de la part de l’Eglise en tant que communauté de l’amour », et présente la mise en pratique du commandement de l’amour.

L’éros inscrit dans l’homme par le Créateur Au début de son encyclique, le pape évoque un « problème de langage ». Il fait remarquer que le terme « amour » est l’un des mots les plus « galvaudés » aujourd’hui et que, parmi les différentes formes d’amour, l’amour entre l’homme et la femme est considéré comme l’amour par excellence. La Grèce antique le désignait par le terme d’« éros ». Dans la Bible, et en particulier dans le Nouveau Testament, le concept d’« amour » est purifié et approfondi comme en témoigne l’emploi du mot « agapè » pour exprimer un amour « oblatif ».

A propos de la nouvelle vision de l’amour introduite par le Christ lui-même, Benoît XVI fait observer un malentendu : on l’a présentée comme un refus de l’éros et de la corporéité. Or, le pape souligne que l’éros a été inscrit dans la nature même de l’homme par son Créateur. Mais il a aussi besoin « de discipline, de purification et de maturation » pour ne pas perdre sa « dignité originelle » et ne pas être réduit à une conception du sexe quasi marchande.

Le don de soi, une « libération » Mais la foi chrétienne considère l’homme comme un être où sont unis l’esprit et la matière. Ainsi, lorsque le corps et l’âme de l’homme se trouvent en parfaite harmonie, le défi de l’éros est en quelque sorte surmonté. L’amour devient « extase », non pas moment d’ivresse passagère mais « exode permanent du moi fermé sur lui-même vers sa libération dans le don de lui-même » : l’éros peut conduire l’être humain vers le divin.

Ces deux formes de l’amour, « éros » et « agapè » ne peuvent donc être dissociées : plus ils trouvent un juste équilibre, plus la vraie nature de l’amour se réalise. Même si l’éros est au départ essentiellement désir, lorsqu’il se rapproche de l’autre personne, il cherche le bonheur de l’autre, se donne et désire être « pour l’autre ».

Enfin, du point de vue chrétien, l’éros-agapè atteint sa forme sublime dans Jésus Christ, amour de Dieu fait chair. La mort sur la croix de Jésus qui se donne pour relever et sauver l’homme, exprime l’amour dans sa forme la plus élevée. De plus, à la veille de sa Passion, Jésus confère à cette offrande une présence durable dans le monde par l’institution de l’Eucharistie. Sous les espèces du pain et du vin, il se donne et unit les chrétiens à Lui. En participant à l’Eucharistie les chrétiens sont à leur tour entraînés dans la dynamique de ce don et deviennent « un seul corps ».

L’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain ne sont plus qu’un et l’amour peut être un « commandement » car il est déjà « donné ».

Reflet de l’amour trinitaire Dans la seconde partie de son encyclique, le pape montre que l’amour pour le prochain, enraciné dans l’amour de Dieu, est un devoir pour tout fidèle comme pour la communauté ecclésiale, qui, dans son activité caritative doit refléter l’amour trinitaire.

La conscience d’un tel devoir a eu une importance constitutive pour l’Eglise depuis ses débuts et la « diaconie » est apparue au sein de la structure fondamentale de l’Eglise en tant que service de l’amour du prochain exercé en communauté et de manière ordonnée : un service à la fois concret et spirituel.

La nature intime de l’Eglise s’exprime dans un triple devoir : l’annonce de la parole de Dieu (kérygme et martyre), la célébration des sacrements (liturgie) et le service de la charité (diaconie).

L’objection marxiste Or, à partir du XIX siècle, une objection fondamentale a mis en cause l’activité caritative de l’Eglise : l’Eglise favoriserait le maintien du système injuste et freinerait le changement pour un monde meilleur.

Le marxisme, cité explicitement par le pape, a ainsi vu dans la révolution mondiale la panacée au problème social - un « rêve » qui s’est évanoui avec le temps, remarque Benoît XVI.

Or le magistère pontifical a affronté les problèmes suscités par les changements sociaux du XIXe s. à partir de l’encyclique de Léon XIII Rerum Novarum (1893) , développant une doctrine sociale très articulée qui propose des orientations valables bien au-delà des frontières de l’Eglise. Elle vient d’être exposée dans le « Compendium » publié en 2004.

Toutefois, le pape fait remarquer que la création d’un ordre juste de la société est le principal devoir de la politique, et ne peut constituer une responsabilité « immédiate » de l’Eglise.

L’amour ou la bureaucratie La doctrine sociale catholique ne veut pas conférer à l’Eglise « un pouvoir sur l’Etat », mais souhaite seulement « purifier et éclairer la raison », en offrant sa contribution à la « formation des consciences », afin que les authentiques exigences de justice soient « perçues, reconnues et réalisées ».

Cependant, aucune institution d’Etat, aussi juste soit-elle, ne peut rendre superflu le service de l’amour, objecte Benoît XVI. Un Etat qui voudrait tout diriger deviendrait une « instance bureaucratique » incapable d’assurer ce dont l’homme qui souffre a besoin : le dévouement personnel. « Celui qui veut s’affranchir de l’amour se prépare à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme », avertit le pape.

Mais l’encyclique évoque également la mondialisation, soulignant qu’un de ses effets positifs est la sollicitude envers le prochain, au-delà des frontières nationales. De très nombreuses organisations à but caritatif et philanthropique ont vu le jour.

Et, au sein même de l’Eglise catholique, comme dans d’autres communautés ecclésiales, de nouvelles activités caritatives sont nées. Il est souhaitable, dit le pape, qu’une « collaboration fructueuse » s’instaure entre toutes ces instances.

L’action caritative propre au baptisé Mais il est important que l’activité caritative de l’Eglise ne perde pas sa propre « identité » et qu’elle conserve toute la « splendeur » de l’essence de la charité chrétienne et ecclésiale.

L’activité caritative chrétienne, en plus de la compétence professionnelle, doit se fonder, recommande le pape, sur « l’expérience d’une rencontre personnelle avec le Christ », dont l’amour a touché le cœur du croyant, suscitant en lui l’amour pour le prochain.

Elle doit en outre être « indépendante de partis et d’idéologies ». Le programme du chrétien - celui du Bon samaritain, le programme de Jésus, le Bon Pasteur - est d’être « un cœur qui voit » où il y a besoin d’amour et qui agit en conséquence.

Enfin, l’activité caritative chrétienne ne doit pas être un « moyen » de « prosélytisme », car « l’amour est gratuit », et ne peut viser d’autres objectifs. Pourtant, cela ne signifie pas que l’action caritative doive « laisser Dieu et le Christ de côté ». Le chrétien doit reconnaître le moment de parler de Dieu ou de se taire, en laissant parler l’amour.

D’autre part, le pape recommande de considérer l’hymne de saint Paul sur la charité comme la grande charte de tout service ecclésial et bouclier contre sa réduction au pur activisme ».

Celui qui prie ne perd pas son temps Enfin, le pape réaffirme l’importance de la prière. Le contact vivant avec le Christ évite l’écueil de tomber, devant l’immensité de la tâche et les limites humaines, dans l’idéologie qui prétend de « faire maintenant ce que Dieu n’aurait soi-disant pas réussi à faire » et celui de céder à la tentation de l’inertie et de la résignation.

« Celui qui prie, affirme Benoît XVI, ne perd pas son temps », et il donne l’exemple de la Vierge Marie, à qui il adresse une prière finale, et l’exemple des saints, surtout Mère Teresa de Calcutta, invitant à « puiser en Dieu la lumière et la force de l’amour » capable de vaincre toute obscurité et tout égoïsme dans le monde.

 

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Audience générale : Le pape annonce la publication de sa première encyclique

« Deus caritas est »

ROME, Mercredi 18 janvier 2006 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la catéchèse que le pape Benoît XVI a prononcée au cours de l’audience générale de ce mercredi, annonçant la publication de sa première encyclique qui aura pour titre : « Deus caritas est ».

Lecture: Mt 18, 18-20

18. « En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié.

19. « De même, je vous le dis en vérité, si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux.

20. Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux ».



« Si deux d'entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux » (Mt 18, 19). Cette assurance solennelle de Jésus à ses disciples soutient également notre prière. Aujourd'hui, commence la « Semaine de prière pour l'unité des chrétiens » désormais traditionnelle, un rendez-vous important pour réfléchir sur le drame de la division de la communauté chrétienne et demander ensemble à Jésus lui-même: « que tous soient un, pour que le monde croie » (Jn 17, 21). Nous le faisons nous aussi aujourd'hui ici, en harmonie avec une grande multitude dans le monde. En effet, la prière « pour l'union de tous » concerne selon des formes, des temps et des modes différents les catholiques, les orthodoxes et les protestants, rassemblés par la foi en Jésus Christ, unique Seigneur et Sauveur.

La prière pour l'unité fait partie de ce noyau central que le Concile Vatican II appelle « l'âme de tout l'œcuménisme » (Unitatis redintegratio, n. 8), un noyau qui comprend précisément les prières publiques et privées, la conversion du cœur et la sainteté de vie. Cette vision nous ramène au centre de la question œcuménique qui est l'obéissance à l'Evangile pour accomplir la volonté de Dieu, avec son aide nécessaire et efficace. Le Concile l'a explicitement signalé aux fidèles en déclarant: « plus étroite, en effet, sera leur — notre — communion avec le Père, le Verbe et l'Esprit Saint, plus ils pourront rendre intime et facile la fraternité mutuelle » (ibid., n. 7).

Les éléments qui, malgré la division permanente, rassemblent encore les chrétiens, donnent la possibilité d'élever une prière commune à Dieu. Cette communion dans le Christ soutient tout le mouvement œcuménique et indique le but même de la recherche de l'unité de tous les chrétiens dans l'Eglise de Dieu. Cela distingue le mouvement œcuménique de tout autre initiative de dialogue et de relations avec les autres religions et idéologies. L'enseignement du décret sur l'œcuménisme du Concile Vatican II avait également été précis à ce propos: « A ce mouvement vers l'unité, qu'on appelle le mouvement œcuménique, prennent part ceux qui invoquent le Dieu Trinité et confessent Jésus pour Seigneur et Sauveur » (ibid., n. 1). Les prières communes qui se déroulent dans le monde entier, en particulier au cours de cette période, ou bien autour de la Pentecôte, expriment en outre la volonté d'engagement commun pour le rétablissement de la pleine communion de tous les chrétiens. Ces prières communes sont « assurément un moyen efficace de demander la grâce de l'unité » (ibid., n.8). Avec cette affirmation, le Concile Vatican II interprète en substance ce que dit Jésus à ses disciples, auxquels il assure que si deux personnes s'unissent sur terre pour demander quelque chose au Père qui est dans les cieux, il l'accordera « car », là où deux où trois sont réunis en son nom, il est au milieu d'eux. Après la résurrection, il assure encore qu'il sera toujours avec eux « pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20). C'est la présence de Jésus dans la communauté des disciples et dans notre prière, qui en garantit l'efficacité. Au point de promettre que « tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur terre sera tenu au ciel pour délié» (Mt 18, 18).

Mais ne nous limitons pas à implorer. Nous pouvons également rendre grâce au Seigneur pour la nouvelle situation créée au prix de nombreux efforts par les relations œcuméniques entre les chrétiens dans une fraternité retrouvée, pour les profonds liens de solidarité établis, pour la croissance de la communion et pour les points de convergence atteints — certes de manière inégale — entre les divers dialogues. Il existe de nombreuses raisons de rendre grâce. Et s'il reste encore beaucoup à espérer et à faire, n'oublions pas que Dieu nous a beaucoup donné sur le chemin vers l'union. C'est pourquoi nous lui sommes reconnaissants pour ces dons. L'avenir est devant nous. Le Saint-Père Jean-Paul II d'heureuse mémoire — qui a tant œuvré et souffert pour la question œcuménique — nous a opportunément enseigné que « reconnaître ce que Dieu nous a déjà accordé est la condition qui nous prédispose à recevoir des dons encore nécessaires, pour porter jusqu'à son achèvement l'action œcuménique en faveur de l'unité » (Ut unum sint, n. 41). Chers frères et sœurs, continuons donc à prier, car nous sommes conscients que la sainte cause du rétablissement de l'unité des chrétiens dépasse nos pauvres forces humaines et que l'unité définitive est un don de Dieu.

C'est dans ce sens et avec ces sentiments que je me rendrai sur les traces du Pape Jean-Paul II mardi prochain, 25 janvier, fête de la conversion de l'Apôtre des Nations, dans la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, pour prier avec nos frères orthodoxes et protestants: prier afin de rendre grâce pour tout ce que le Seigneur nous a accordé ; prier afin que le Seigneur nous guide sur les voies de l'unité.

En outre, le même jour, le 25 janvier, sera finalement publiée ma première Encyclique, dont le titre est déjà connu : « Deus caritas est », « Dieu est amour ». Le thème n'est pas immédiatement œcuménique, mais le cadre et le contexte sont œcuméniques, car Dieu et notre amour sont la condition de l'unité des chrétiens. Ils sont la condition de la paix dans le monde.

Dans cette Encyclique, je voudrais présenter le concept de l'amour sous ses diverses dimensions. Aujourd'hui, dans la terminologie que nous connaissons, « amour » apparaît souvent très éloigné de ce que pense un chrétien lorsque l'on parle de charité. Pour ma part, je voudrais montrer qu'il s'agit d'un unique mouvement ayant diverses dimensions. L'« eros », ce don de l'amour entre un homme et une femme, vient de la même origine que la bonté du Créateur, de même que la possibilité d'un amour qui renonce à soi en faveur de l'autre. L'« eros » se transforme en « agape », dans la mesure où les deux s'aiment réellement et que l'on ne recherche plus soi-même, sa joie, son plaisir, mais que l'on cherche avant tout le bien de l'autre. Et ainsi, cela, qui est « eros », se transforme en charité, en un chemin de purification, d'approfondissement. De sa propre famille, on s'ouvre vers la plus grande famille de la société, vers la famille de l'Eglise, vers la famille du monde.

Je voudrais également démontrer que l'acte très personnel qui nous vient de Dieu est un acte unique d'amour. Il doit également s'exprimer comme un acte ecclésial, d'organisation. S'il est réellement vrai que l'Eglise est l'expression de l'amour de Dieu, de l'amour que Dieu a pour sa créature humaine, il doit être également vrai que l'acte fondamental de la foi qui crée et unit l'Eglise et nous donne l'espérance de la vie éternelle et de la présence de Dieu dans le monde, engendre un acte ecclésial. En pratique, l'Eglise, également en tant qu'Eglise, en tant que communauté, de façon institutionnelle, doit aimer. Et cette « caritas » n'est pas une pure organisation, comme d'autres organisations philanthropiques, mais une expression nécessaire de l'acte plus profond de l'amour personnel avec lequel Dieu nous a créés, suscitant dans notre cœur l'élan vers l'amour, reflet du Dieu Amour qui nous fait à son image.

Il s'est écoulé beaucoup de temps avant que le texte ne soit prêt et traduit. A présent, il me semble que c'est un don de la Providence que le texte soit publié précisément le jour où nous prierons pour l'unité des chrétiens. J'espère qu'il pourra illuminer et aider notre vie chrétienne.

[Texte original : italien – Traduction réalisée par Zenit]
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Charité et philanthropie : Benoît XVI analyse sa première encyclique

Symposium organisé par Cor Unum

ROME, Lundi 23 janvier 2006 (ZENIT.org) – Charité et philanthropie : anticipant sur la publication de sa première encyclique, sur l’Amour de Dieu, le pape Benoît XVI explique la différence et ses conséquences concrètes.

Le pape a en effet reçu à midi en la salle Clémentine du Palais apostolique du Vatican les participants de la rencontre promue par le conseil pontifical "Cor Unum" où il a abordé le thème de son encyclique, qui sera présentée à la presse mercredi prochain.

Dieu lui-même nous pousse à soulager la misère
« Le spectacle de l’homme souffrant touche notre cœur, fait observer le pape. Mais l’engagement caritatif a un sens qui va bien au-delà de la simple philanthropie. C’est Dieu lui-même qui nous pousse de l’intérieur à soulager la misère. Ainsi, en définitive, c’est lui-même que nous apportons au monde souffrant. Et plus nous le portons consciemment et clairement comme un don, et plus efficacement notre amour changera le monde et réveillera l’espérance – une espérance qui va au-delà de la mort et ce n’est qu’ainsi qu’elle est une véritable espérance pour l’homme ».

« La foi, insiste le pape, n’est pas une théorie que l’on peut faire sienne ou que l’on peut aussi laisser de côté. C’est une chose très concrète : c’est le critère qui décide de notre style de vie. A une époque où l’hostilité et l’avidité sont devenues des superpuissances, une époque où nous assistons à l’abus de la religion jusqu’à l’apothéose de la haine, la seule rationalité neutre n’est pas en mesure de nous protéger. Nous avons besoin du Dieu vivant, qui nous a aimés jusqu’à la mort ».

Spécificité de l’amour chrétien
« Ainsi, dans cette encyclique, les thèmes « Dieu », « Christ », et « Amour », sont fondus ensemble en tant que guide central de la foi chrétienne. Je voulais montrer l’humanité de la foi, dont fait partie l’éros – le « oui » de l’homme à sa corporéité créée par Dieu, un « oui » qui, dans le mariage indissoluble entre un homme et une femme trouve sa forme enracinée dans la création. Et c’est là que l’éros se transforme en agapè – que l’amour pour l’autre ne se cherche plus lui-même mais devient préoccupation pour l’autre, disposition au sacrifice pour lui et ouverture aussi au don d’une nouvelle vie humaine ».

Pour ce qui est de la spécificité de l’amour chrétien, le pape explique : « L’agapè chrétienne, l’amour du prochain à la suite du Christ n’est pas quelque chose d’extérieur, placé à côté et même contre l’éros ; plus encore, dans le sacrifice que le Christ a fait de lui-même pour l’homme il a trouvé une nouvelle dimension qui, dans l’histoire du dévouement charitable des chrétiens envers les pauvres et ceux qui souffrent, s’est développée toujours davantage ».

Unité des deux parties de l’encyclique
A propos de l’interprétation de son encyclique, le pape explique encore : « Une première lecture de l’encyclique pourrait peut-être donner l’impression qu’elle se divise en deux parties peu liées entre elles : une première partie théorique qui parle de l’essence de l’amour, et une seconde qui traite de la charité ecclésiale, des organisations caritatives ».

« Mais justement ce qui m’intéressait, confie le pape, c’était l’unité des deux thèmes qui ne se comprennent bien que si on les voit comme une seule chose. Il fallait d’abord traiter de l’essence de l’amour comme il se présente à nous à la lumière du témoignage biblique. Partant de l’image chrétienne de Dieu, il fallait montrer comment l’homme est créé pour aimer et comment cet amour, qui apparaît initialement surtout comme éros entre un homme et une femme, doit ensuite se transformer intérieurement en agapè, en don de soi à l’autre – et cela justement pour répondre à la vraie nature de l’éros ».

Un acte ecclésial
Benoît XVI poursuit cette analyse de sa propre encyclique en disant : « Sur cette base, il fallait expliquer que l’essence de l’amour de Dieu et du prochain décrit par la Bible, est le centre de l’existence chrétienne, le fruit de la foi. Mais ensuite, dans une seconde partie, il fallait montrer que l’acte totalement personnel de l’agapè ne peut jamais rester une chose purement individuelle, mais doit au contraire devenir un acte essentiel de l’Eglise en tant que communauté : c’est-à-dire qu’elle a aussi besoin de la forme institutionnelle qui s’exprime dans l’agir communautaire de l’Eglise ».

Le pape en arrive à cette idée qu’il a déjà exprimée lors de l’audience générale de mercredi dernier et directement en prise sur l’activité de Cor Unum: « L’organistion ecclésiale de la charité n’est pas une forme d’assistance sociale qui s’ajoute par hasard à la réalité de l’Eglise, une initiative que l’on pourrait laisser aussi à d’autres. Elle fait au contraire partie de la nature de l’Eglise ».

Le pape explique le thème central de son encyclique en ces termes: « Comme au Logos divin correspond l’annonce humaine, la parole de la foi, ainsi, à l’agapè qui est Dieu, doit correspondre l’agapè de l’Eglise, son activité caritative ».

Foi et charité
« Cette activité, continue le pape, au-delà de sa première signification très concrète d’aider le prochain, possède essentiellement aussi celle de communiquer aux autres l’amour de Dieu, que nous-mêmes avons reçu. Elle doit d’une certaine façon rendre visible le Dieu vivant. Dans l’organisation caritative Dieu et le Christ (…) indiquent la source originelle de la charité ecclésiale. La force de la « Caritas « dépend de la force de la foi de tous ses membres et collaborateurs ».

Benoît XVI prend pour point de départ un passage du « Paradis de Dante », qui évoque le Dieu trinitaire sous la forme de la Lumière.

« L’excursion où Dante, dans la « Divine Comédie » veut impliquer le lecteur finit devant la Lumière éternelle qui est Dieu lui-même, devant cette Lumière, qui est en même temps « l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles » (Paradis, Chant XXXIII, vers 145). Lumière et amour sont une seule chose. Ils sont la puissance créatrice primordiale qui meut l’univers. Si ces paroles du Paradis de Dante laissent transparaître la pensée d’Aristote qui voyait dans l’éros la puissance qui meut le monde, le regard de Dante aperçoit cependant une chose totalement neuve et inimaginable pour le philosophe grec ».

Lumière et amour
Le pape explique que tout d’abord, « la Lumière éternelle se présente en trois cercles auxquels il s’adresse par des vers denses ».

Ensuite, un élément « encore plus bouleversant », est que « cette révélation de Dieu comme cercle trinitaire de connaissance et d’amour est la perception d’un visage humain, le visage de Jésus-Christ, qui, à Dante, apparaît dans le cercle central de la Lumière ».

Le pape souligne la réalité du Cœur du Christ en disant : « Dieu, Lumière infinie, dont le mystère incommensurable avait été pressenti par le philosophe grec, ce Dieu a un visage humain, et – pouvons-nous ajouter – un cœur humain ».

« Dans cette vision de Dante, analyse encore le pape, se montre d’un côté la continuité entre la foi chrétienne en Dieu et la recherche développée par la raison et par le monde des religions ; mais en même temps, apparaît aussi la nouveauté qui dépasse toute recherche humaine, la nouveauté que seul Dieu lui-même pouvait nous révéler : la nouveauté d’un amour qui a poussé Dieu à assumer un visage humain, et même chair et sang, tout l’être humain ».

Le Bon Samaritain
Benoît XVI résume ainsi ses conclusions avec l’image du Bon Samaritain : « L'eros de Dieu n’est pas seulement une force cosmique primordiale ; c’est un amour qui a créé l’homme et qui se penche vers lui, comme le Bon Samaritain s’est penché sur l’homme blessé et volé, qui git au bord de la route qui descend de Jérusalem à Jéricho ».

Le pape repartait du mot « amour » et de ses connotations actuelles en disant : « Le mot « amour » est abîmé de nos jours, on l’a usé, et on en a abusé au point que l’on a presque peur de le laisser effleurer nos lèvres. Et pourtant, c’est uen parole primordiale expression de la réalité primordiale ; nous ne pouvons pas simplement l’abandonner, mais nous devons le reprendre, le purifier et le ramener à sa splendeur ioriginelle, afin qu’il pouisse éclairer notre vie, et la conduire sur le juste chemin ».

Récapitulation de Dante
Il confiait ainsi les raisons de son choix pour sa première encyclique : « C’est cette conscience qui m’a conduit à choisir l’amour comme thème de ma premlière encyclique. Je voulais tenter d’exprimer pour notre temps et por notre existence quelque chose de ce que Dante, dans sa vision a récapitulé de façon audacieuse ».

« Il raconte, explique encore le pape une « visite » (…) qui le transformait intérieurement (cf. Par., XXXIII, vv. 112-114). Il s’agit justement de ceci : que la foi devienne une vision –compréhension qui nous transforme. C’était mon désir de donner du relief au caractère central de la foi en Dieu – dans ce Dieu qui a assumé un visage humain et un cœur humain ».
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ROME, Lundi 6 février 2006 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte des allocutions que le pape Benoît XVI a prononcées à l’occasion de la prière de l’Angélus du dimanche 5 février.

Extrait...

Tout en invitant à méditer le message des évêques italiens qui a pour thème « Respecter la vie », je repense au bien-aimé pape Jean-Paul II qui a consacré une attention constante à ces problématiques. Je voudrais en particulier rappeler l’encyclique « Evangelium Vitae » qu’il a publiée en 1995 et qui représente une authentique pierre angulaire dans le magistère de l’Eglise sur une question si actuelle et décisive. En insérant les aspects moraux dans un vaste cadre spirituel et culturel, mon vénéré prédécesseur a répété à plusieurs reprises que la vie humaine est une valeur primordiale à reconnaître, et que l’Evangile invite à toujours la respecter. A la lumière de ma récente encyclique sur l’amour chrétien, je voudrais souligner l’importance du service de la charité pour le soutien et la promotion de la vie humaine. A ce propos, avant de mettre en place toute initiative pratique, il est fondamental de promouvoir une juste attitude envers l’autre : la culture de la vie est en effet basée sur l’attention aux autres, sans exclusion ni discrimination. Toute vie humaine, en tant que telle, mérite et exige d’être défendue et promue. Nous savons bien que cette vérité risque d’être souvent contredite par l’hédonisme diffus dans les sociétés dites du « bien- être » : la vie est exaltée tant qu’elle est agréable, mais on a tendance à ne plus la respecter lorsqu’elle est sujette à la maladie ou diminuée. Mais si l’on part au contraire de l’amour profond pour toute personne, il est possible de mettre en œuvre des formes efficaces de service de la vie : de la vie naissante, ou marquée par la marginalisation ou par la souffrance, spécialement dans sa phase terminale.

 

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Encyclique de Benoît XVI : la fontaine romaine

Par Rémi Brague

«Le Pape rappelle l'évidence : Dieu n'est pas celui qui demande ou commande, mais d'abord celui qui donne»

[Le Figaro le 01 février 2006]

 

Un célèbre petit poème (1883) de l'écrivain suisse C.F. Meyer décrit une fontaine de Rome : l'eau y déborde d'une vasque à l'autre à partir d'un jaillissement premier, venu du centre et d'en haut. Benoît XVI, autre Romain de langue allemande, aurait pu illustrer de cette image sa récente Encyclique, texte simple et profond.


L'idée principale est que, Dieu étant amour, l'amour vient de Dieu, non de nous. Nous ne pouvons donner que ce que nous avons reçu. Et ce que nous avons reçu, nous devons à notre tour le donner. Ou plutôt, puisque l'amour n'est pas ce que Dieu a, mais bien ce qu'Il est, nous avons à le laisser se donner en nous. «A partir de l'amour premier de Dieu, en réponse, l'amour peut aussi jaillir en nous.» Et «l'amour dont Dieu nous comble... Nous devons le communiquer aux autres». Aux malheureux qui restent prisonniers de la caricature d'un Dieu des interdits – que ce soit pour s'y soumettre ou pour le récuser –, le Pape rappelle l'évidence : Dieu n'est pas celui qui demande ou commande, mais d'abord celui qui donne. «L'amour n'est plus seulement un commandement, mais il est la réponse au don de l'amour par lequel Dieu vient à notre rencontre.»


On notera la formule prudente : l'amour n'est plus seulement un commandement, ce qui veut dire qu'il le reste aussi. Comment comprendre cela ? Lorsque Dieu commande, c'est encore pour lui une façon de donner. Regardons les «dix paroles» (Exode, 20), que nous appelons les «dix commandements». Dans la première, Dieu ne fait que se présenter comme celui qui a tiré son peuple de la captivité et l'a libéré. Un esclave fait ce qu'il veut, une fois que s'éloigne le fouet du gardien. Un homme libre se sait lié par sa dignité : «Noblesse oblige». Les «commandements» ne sont que le code d'honneur par lequel les hommes libres prennent les moyens de rester fidèles à la liberté qui leur a été accordée.

L'amour est l'objet d'un commandement parce que, comme tout dans l'homme, il a besoin d'une éducation qui l'oriente dans la bonne direction. Non pour le rabrouer, mais au contraire pour lui permettre de s'épanouir pleinement.


Le christianisme «n'a en rien refusé l'eros, mais il a déclaré la guerre à sa déformation destructrice», explique Benoît XVI. Il ne refuse à vrai dire jamais rien d'humain ; au contraire, il combat tout ce qui rend l'homme moins humain, visant ainsi à un «véritable humanisme». Le culte actuel de l'eros, sous les dehors d'une idolâtrie du sexe, est en fait la «dégradation du corps humain», voire débouche sur la haine de celui-ci et réduit l'autre à l'état d'objet.


Le christianisme donne à l'amour son objet propre. Celui-ci n'est ni le corps ni l'âme isolés l'un de l'autre, mais la personne. C'est pourquoi la doctrine catholique place parmi les «biens du mariage» ce qu'elle appelle le «remède à la concupiscence». Les sots comprennent : la sexualité est une maladie ; faute de pouvoir la supprimer, il faut au moins la canaliser. Mais cela signifie : le désir, créé par Dieu, est un bien. C'est précisément parce qu'on le respecte qu'il faut l'éduquer, le mener vers ce qui peut vraiment le satisfaire comme désir pleinement humain. Se demander s'il vaut mieux aimer Dieu ou les hommes est une question stupide. Elle suppose deux absurdités. D'une part, du côté de l'objet, elle sépare ce qui ne forme qu'une seule réalité, car il est tout simplement impossible d'aimer Dieu autrement qu'en aimant les hommes. «Seul le service du prochain ouvre mes yeux sur ce que Dieu fait pour moi.»


D'autre part, du côté du sujet, elle suppose que nous savons déjà aimer, et qu'il nous faudrait simplement choisir un objet pour cet amour dont nous maîtriserions l'origine et la destination. Or, nous avons d'abord à apprendre ce qu'est l'amour, ou plutôt Qui Il est. Ce que la Nouvelle Alliance apporte de nouveau ne consiste pas en des idées nouvelles sur l'amour, en un «message», mais en une personne concrète, «la figure même du Christ», qui a donné sa vie pour ses amis. A sa suite, «toute l'activité de l'Eglise est l'expression d'un amour qui cherche le bien intégral de l'homme». La charité n'est pas pour elle une activité secondaire ; elle «appartient à sa nature». L'Eglise primitive se distinguait des autres groupes avant tout par le service des pauvres. En ont témoigné même ses ennemis, jusqu'à l'empereur Julien. Ce service passe souvent par du «prosélytisme», comme de nos jours où hindous et musulmans soupçonnent non seulement les prêcheurs, ce que l'on peut comprendre, mais aussi les écoles, orphelinats, dispensaires chrétiens. Le Pape rappelle d'une part que «l'amour est gratuit. Il n'est pas utilisé pour parvenir à d'autres fins». Et en même temps que rien ne manifeste mieux Dieu : «L'amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer». Mais ne pourrait-on se contenter d'aimer les hommes ? Les Lumières ont prétendu s'y limiter. En témoigne l'invention de mots qui n'ont guère d'autre sens que d'en éviter un autre, trop chrétien, celui de «charité», voire de le remplacer, comme «bienfaisance». Pourquoi ne pas se borner à l'activisme humanitaire ? Le Pape salue les initiatives «laïques», là où elles sont réelles et pas seulement verbales. Mais il fait quatre remarques :


1) Chez des saints qu'il énumère, et parmi lesquels il met déjà notre contemporaine Mère Teresa, la vie de prière ne s'opposait nullement à une activité débordante en faveur des pauvres. Au contraire, elle la rendait plus intense encore.

2) «La force du christianisme s'étend bien au-delà des frontières de la foi chrétienne». Le Pape donne l'exemple de Julien l'Apostat, qui a voulu réformer le paganisme en y intégrant le souci des pauvres. On songe aussi à Gandhi, qui s'inspira moins de l'hindouisme que d'un christianisme qu'il connaissait d'ailleurs indirectement, par Tolstoï.

3) Les projets révolutionnaires pour faire le bien de l'humanité n'ont pas manqué. Or, ils ont non seulement oublié le souci des hommes concrets, mais ils ont voulu éliminer ceux qui n'entraient pas dans le moule social ou racial par lequel l'humanité prétendait se définir elle-même.


4) L'amour du prochain ne consiste pas seulement à donner quelque chose, mais à se donner soi-même : «Pour que le don n'humilie pas l'autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi mais, moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne.»

L'amour est quelque chose que l'on «fait», comme on le dit au fond très bien, à condition de ne pas oublier que c'est déjà lui qui nous fait. Ce sont ces deux aspects de l'amour donné et reçu que le Pape unit en nous proposant de «vivre l'amour».

* Philosophe, professeur à Paris-I et à l'université de Munich. Auteur notamment d'Europe, la voie romaine (Gallimard), de La Sagesse du monde (Fayard) et, dernièrement, de La Loi de Dieu (Gallimard).

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La cinéaste Liliana Cavani trouve l’encyclique de Benoît XVI « fascinante »

 

« Pas de vie sans amour, ni d’Evangile sans résurrection »

ROME, Mardi 24 janvier 2006 (ZENIT.org) – La cinéaste Liliana Cavani a commenté le thème de l’encyclique de Benoît XVI, « Deus Caritas est », qui sera publiée demain, au cours de la session de ce mardi matin du congrès organisé au Vatican par le conseil pontifical Cor Unum, sur le thème de la vertu théologale de la charité. La réalisatrice la trouve « fascinante ».

La cinéaste s’est fait connaître mondialement par son « Francesco » sur la vie de saint François d’Assise, produit en 1989.

« La force de l’encyclique, a-t-elle déclaré, est justement d’avoir mis l’accent sur l’amour humain et de l’avoir exalté ».

A propos de ses deux films sur saint François, elle expliquait : « On parle vraiment du type d’amour que, selon moi, le pape a exprimé: l’amour qui est justement aimer. Aimer Dieu signifie inévitablement aimer les hommes, justement parce que chaque homme est une personne, est la personne-Christ. François, pour arriver à ceci prend du temps. C’est presque un tour que lui joue le Père éternel lorsqu’il lui fait rencontrer le lépreux. Tout d’abord, il prend peur et puis il dit : «Mais comment, c’est le Christ ! Et moi je l’embrasse». Donc, l’amour rend capables de gestes extraordinaires ».

La cinéaste expliquait : « Le christianisme n’a pas détruit l’éros, au contraire, il l’a enrichi et complété ». Si l’éros est, disait-elle, comme attraction, recherche de contact et de réponse », la religion signifie justement « contacter, prendre contact » et « le contact n’a lieu que dans l’amour, est une façon continuelle de tomber amoureux entre créatures de Dieu ».

La réalisatrice de cinéma et de télévision a dit avoir trouvé « l’encyclique fascinante, très belle, œuvre d’un grand intellectuel ».

Et si, comme le pape le souligne le mot « amour » est aujourd’hui un peu « déchu », en revanche, « donner l’amour, recevoir l’amour, désirer l’amour est le moteur de tout l’art ».

« Et j’ai pensé, confie la cinéaste, que la chose la plus belle et la plus actuelle de l’Evangile, est justement l’annonce de l’amour ».

Selon Mme Cavani, « la foi est un élément qui produit dans le croyant des effets d’amour pour qui ne croit pas, ou a une foi faible », avec des résultats bouleversants.

« J’ai connu des personnes d’une grande foi capables d’aimer le prochain avec la passion des amants », a-t-elle expliqué : « ces personnes sont convaincues que Dieu se fait vraiment personne dans les autres. Leur dévouement aux autres est dévouement à Dieu qui se fait personne ».

Considérant le monde d’aujourd’hui, la réalisatrice a constaté que « l’idée de l’amour s’est appauvrie en général ».

« Dans la culture d’aujourd’hui, l’idée d’amour est rare et c’est pourquoi l’encyclique du pape est contre-tendance, et surprenante dans son originalité ».

En parlant de matérialisme qui a envahi nos civilisations, Mme Cavani a souligné que « parler d’amour en ce moment pourrait sembler presque bizarre », mais il faut rappeler, ajoutait-elle que « l’homme ne vit pas seulement de pain, qu’il soit émigré ou qu’il ait fait fortune, sans l’amour, la vie n’est pas la vie ».

Selon Liliana Cavani , ce sont les idéologies matérialistes qui « ont appauvri l’imagination, qui ont interdit la réflexion sur soi, et sur le savoir ontologique de l’existence de chacun en tant qu’individu ».

Elle mentionnait son voyage en Bulgarie dans les années soixante, en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie, et en Russie, et la « peine » qu’elle a ressentie « parce qu’il y avait de la peur et pas de joie ».

« L’encyclique, disait-elle, lance un message très fort, annonce l’amour en tant que projet fondamental de la vie, place l’amour au centre de tout, de l’économie, de la technique, et de l’histoire. L’objectif de toute chose est l’amour, ou tout est vain ».

« A une époque marquée par le matérialisme, l’hédonisme, la possession comme une fin en soi, qui a dénaturé l’amour, continuait celle que les Italiens appellent « la Cavani », cette encyclique peut apparaître comme une bizarrerie ».

Mais elle explique : « Je pense que le besoin d’amour est fondamental. Si nous l’écoutons, je pense que nous devenons aussi un peu plus équilibrés, parce que nous comprenons ce qui nous trouble intérieurement. Nous avons envie d’être aimés et de donner de l’amour, d’aimer. Je pense que c’est une forme de lucidité ».

En soulignant l’importance d’un dialogue franc entre l’Eglise et la société, Mme Cavani voit dans le cinéma l’instrument de communication privilégie pour favoriser un processus de connaissance réciproque en aidant les hommes d’Eglise à entrer en relation avec ce qui concerne ceux qui vivent dans le monde et à défaire les préjugés sur les réalités ecclésiales qui caractérisent souvent la pensée commune, en éloignant ainsi du message le plus révolutionnaire de tous les temps l’amour inconditionné qui, dans le mystère de la résurrection, a su vaincre même la mort ».

A une question du cardinal Cormac Murphy O’Connor sur les suggestions du New Age, Liliana Cavani répondait que « Là où il y a le New Age, il n’y a pas d’Eglise », racontant l’histoire d’une jeune qui a suivi le New Age et s’est « perdue ».

Reprenant la réflexion du pape sur l’éros, Liliana Cavani a développé une réflexion sur la signification du corps, et elle disait : « La résurrection des corps est fondamentale et étrangement moins répandue ».

« Les corps sont le seul moyen que nous ayons et le résultat de l’amour de Dieu qui nous a créés à son image et à sa ressemblance. Le corps est l’unique possibilité pour exister, aimer, être aimés, et au contraire, c’est comme s’il y avait une certaine peur, une phobie, parce que le corps peut se comporter bien ou mal ».

« La bonne nouvelle, c’est la résurrection, a encore insisté Liliana Cavani. Jésus est mort pour notre vie, pour nous annoncer la résurrection. S’il n’y avait pas ce final, toute cette histoire ne signifierait rien. L’Evangile est comme un film, s’il n’y a pas ce final, il ne m’intéresse pas, il se réduit au « aimons-nous les uns les autres » ».

La résurrection, disait encore la cinéaste, « c’est la fin extraordinaire qui propose la représentation du vrai amour de l’Eglise catholique et des chrétiens qui croient en ce film : l’Evangile ».

Le président du conseil pontifical Cor Unum, Mgr Paul Josef Cordes, a conclu : « Je suis très heureux d’entendre ces paroles sur la résurrection. Nous, dans l’Eglise, nous avons souvent oublié ce mot, et cette réalité. C’est si important d’aller dans le monde avec cette idée pour tenter d’y apporter le vrai amour de l’Eglise ».
ZF06012405

 

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Chiara Lubich commente l’encyclique « Dieu est amour »

ROME, Dimanche 29 janvier 2006 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de Chiara Lubich, fondatrice du Mouvement des Focolari, sur la première encyclique de Benoît XVI « Deus caritas est ».

 

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« Dieu est amour ». Ma gratitude est grande envers le pape Benoît XVI depuis l’annonce du titre de sa première encyclique ! Il fait naître en nous l’espoir que le grand message « Dieu est amour », que le mot « amour » ramené à sa splendeur originelle, se propagent à l’infini, comme lorsqu’on jette un caillou dans l’eau et que se forment des cercles concentriques qui vont en s’élargissant. L’intérêt des médias, dès avant sa présentation et plus encore maintenant, le laisse prévoir.

« Dieu est Amour » est certainement la Parole que Jésus veut dire aujourd’hui, en ce nouveau millénaire.
Oui, l’amour est inscrit dans la nature même de l’Église, comme l’écrit le pape. Ces dernières décennies de nouveaux charismes suscités par l’Esprit sont venus accroître son patrimoine déjà riche. L’annonce : « Dieu est amour ! Dieu t’aime tel que tu es » est passée de bouche à oreille, transformant la vie de millions de personnes. Pour nous, ce fut une lumière qui a brillé aux heures les plus noires de notre histoire – la seconde guerre mondiale – et qui nous a donné un éclairage sur tout l’évangile, nous faisant découvrir que Jésus n’avait pas craint de prononcer le mot amour. Mieux, nous avons compris que l’amour est le cœur même de Son message, qu’il est bien « la puissance créatrice primordiale qui meut l’univers », notre petite histoire personnelle comme l’Histoire du monde.

Je suis sûre que l’encyclique du pape suscitera un écho spontané dans toute l’Église et ailleurs. L’amour vécu ne se limite pas à apporter une aide concrète au prochain, mais pousse aussi à « communiquer aux autres l’amour de Dieu que nous avons reçu ». Aussi cet amour, souvent vécu avec héroïsme et silencieusement, sera-t-il fécond au sein des familles, dans les parlements et dans les usines, dans les universités et dans les quartiers, dans les zones du monde sous-développées et en ceux qui portent en eux l’empreinte de l’Homme-Dieu qui crie l’abandon du Père.
Ainsi, d’une certaine façon, seront visibles le Dieu vivant et son agir dans notre temps, comme le souhaite Benoît XVI. Et Dieu, redécouvert Amour, attirera le monde.

[Traduction française distribuée par le site www.focolare.org]
ZF06012910
 

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Pour le porte-parole du Saint-Siège, M. Joaquin Navarro-Valls, président de séance, « dans le domaine de la charité, ce que les gens apprécient le plus, c’est cette découverte : « Je ne suis pas seul, Dieu m’aime ». Ce qui naturellement ouvre les portes pour comprendre quelle est la dignité de tout homme ». Ces témoignages signifient, disait M. Navarro Valls, que « l’amour engendre l’amour ».
ZF06012406

 

 

[1] Cf. Jenseits von Gut und Böse, IV, 168 (Par delà le bien et le mal).

[2] X, 69: Les Belles Lettres, Paris (1942), p. 71.

[3] Cf. René Descartes, Œuvres XII: V. Cousin éd., Paris (1824), pp. 95 ss.

[4] II, 5: SCh 381, p. 196.

[5] Ibid., p. 198.

[6] Cf. Métaphysique, XII, 7.

[7] Cf. Pseudo-Denys l’Aréopagite qui, dans Sur les noms divins IV, 12-14: PG 3, 709-713:Œuvres complètes, Paris (1943), pp. 106-109, appelle Dieu en même temps eros et agapè.

[8] Cf. Le Banquet, XIV-XV, 189c-192d: Les Belles Lettres, Paris (1984), pp. 29-36.

[9] Salluste, Conjuration de Catilina, XX, 4.

[10] Cf. Saint Augustin, Confessions, III, 6, 11: CCL, 27, 32: Bibliothèque augustinienne 13, Paris (1962), p. 383.

[11] De Trinitate, VIII, 8, 12: CCL 50, 287: Bibliothèque augustinienne 16, Paris (1955), p. 65.

[12] Cf. Apologie I, 67: PG 6, 429: Les Pères dans la foi, Paris (1982), pp. 91-92.

[13] Cf. Apologeticum 39,7: PL 1, 468: Les Belles Lettres, Paris (1929), p. 83.

[14] Épître aux Romains, titre: PG, 5, 801: SCh 10, p. 108.

[15] Cf. Saint Ambroise, De officiis ministrorum, II, 28, 140: PL 16, 141.

[16] Cf. Ep. 83: L’empereur Julien, Œuvres complètes, J. Bidez éd., Les Belles Lettres, Paris (1960), vol I, 2 a , p. 145.

[17] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 194: Cité du Vatican (2004), pp. 215-216.

[18] La Cité de Dieu, IV, 4: CCL 47, 102: La Pléiade, Paris (2000), p. 138.

[19] Cf. Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 36.

[20] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 197: Cité du Vatican (2004), p. 219.

[21] Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 42: AAS 81 (1989), p. 472: La Documentation catholique 86 (1989), p. 177.

[22] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale sur certaines questions sur l’engagement des chrétiens dans la vie politique (24 novembre 2002), n. 1: La Documentation catholique 100 (2003), pp. 130-131.

[23] Catéchisme de l’Église catholique, n. 1939.

[24] Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, n. 8.

[25] Ibid., n. 14.

[26] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 195: Cité du Vatican (2004), pp. 217-218.

[27] Cf. Jean-Paul II, Exhor. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 41: AAS 81 (1989), pp. 470-472: La Documentation catholique 86 (1989), p. 177.

[28] Cf. n. 32; AAS 80 (1988), p. 556; La Documentation catholique 85 (1988), pp. 246-247.

[29] N. 43; AAS 87 (1995), p. 946: La Documentation catholique 92 (1995), p. 579.

[30] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 196: Cité du Vatican (2004), pp. 218-219.

[31] Cf. Pontificale Romanum, De ordinatione episcopi, n. 43: Paris (1996), n. 40, p. 34.

[32] Cf. can. 394: Code des Canons des Églises orientales, can. 203.

[33] Cf. nn. 193-198: l.c., pp. 214-221.

[34] Cf. ibid., n. 194: l.c., pp. 215-216.

[35] Sermon 52, 16: PL 38, 360.

[36] Cf. Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, 3, 1-3: SCh 133, 256-258.

 

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messages reçus en retour d'abonnés à homocoques.com  ... début 2006:

  F.D. : «Super, je ne suis pas perdue, moi … mais rassurée au contraire ! »

  F.B. : «Apprécié l'encyclique de Benoit XVI (suite au thème choisi par vous ,l'année dernière !)»

 

  X.X. : .... la caricature de VOUTCH est pour ...., je l'ai imprimée afin de lui la donner ! »

 

 

 

Première lettre encyclique du pape Benoît XVI par Mgr Pontier
« Dieu est Amour »

ROME, Jeudi 12 mai 2006 (ZENIT.org) – A l’occasion de la nomination de Mgr Georges Pontier comme archevêque de Marseille, nous publions cette réflexion sur l’encyclique de Benoît XVI, « Dieu est Amour » en janvier dernier, dans le bulletin du diocèse de La Rochelle et Sainte, où Mgr Pontier est évêque depuis 1996 (http://catholique-larochelle.cef.fr).



Première lettre encyclique du pape Benoît XVI
« Dieu est Amour »

Lorsque le cardinal Joseph Ratzinger fut élu pape, voici neuf mois, les réactions furent pour le moins diverses et contrastées. N'était-il pas le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ?

Depuis, beaucoup ont pris une posture d'observateur : que nous réserve -t- il ? Une poursuite du pontificat de Jean-Paul II ou une rupture, qualifiée de retour en arrière ? Une réforme attendue de la Curie ? Des rappels à l'ordre liturgiques ? Poursuivra-t-il sur la route de l'œcuménisme et du dialogue avec les juifs ? Que fera -t- il de Vatican II ? Quel pape sera-t-il ?
Les Journées Mondiales de la Jeunesse sont apparues réussies, révélant un pape humble, à la parole profonde, soucieux de centrer sur le Christ.
Et voici qu'il vient de publier sa première lettre encyclique. Nous sommes en train de la découvrir.
Mais ce qui peut déjà s'entendre, c'est que son sujet ne se situe pas à la périphérie de la foi, sur une de ces multiples questions qui donnent prises à des interprétations, des échanges, voire des affrontements. En intitulant sa première encyclique " Dieu est Amour ", Benoît XVI nous parle de l'essentiel de la révélation chrétienne, de l'identité de Dieu, de celle de l'homme, de la manière de vivre, d'aimer, de s'épanouir, de se dépasser, de s'unifier, d'espérer.
Nous sentons bien depuis des années que nous sommes invités à une nouvelle évangélisation, à une nouvelle proposition de la foi, et cela en toutes occasions et circonstances. Au cœur de la Bonne Nouvelle, il y a cette annonce : " Dieu est Amour ". C'est de cela que nous vivons, nous autres chrétiens. Non pas seulement de notre amour pour Dieu, mais de la foi en l'amour qu'Il nous porte. Et nous nous engageons dans une réponse d'amitié avec Lui. Cette expérience transforme notre manière d'être avec les autres, parce que nous les savons aimés de Dieu de toujours à toujours.
Je me réjouis lorsque entre chrétiens nous osons partager jusque-là. Au cours de la visite pastorale que je vis actuellement sur le doyenné de Saintes, j'ai rencontré un certain nombre de professionnels de la santé. Quelle joie d'avoir pu se dire que ce qui nous remue et nous nourrit, ce qui nous stimule et nous maintient en éveil, c'est cette foi tranquille de savoir et de croire que l'autre est habité par l'amour de Dieu, que son corps est le temple de l'Esprit.
Cela appelle tellement au respect et à la compassion ! Qu'on pense au détenu qui a commis un acte condamnable et condamné mais qu'on ne peut limiter à cela, ou au malade qui verse dans un Alzheimer violent…
L'amour est comme une source intarissable qui sans cesse renouvelle en nous nos capacités à aimer. Et cela est sans fin parce que l'amour ne met pas de limites ou alors il n'est pas amour : quel mystère qui nous dépasse…
Nous le savons bien, la conversion dont nous parlons consiste à mieux aimer, à élargir nos capacités d'amour. Et pas seulement dans leur expression interpersonnelle, mais encore dans leur prolongement collectif, dans la manière même de nous engager pour relever, là où nous vivons, les défis de l'avènement de la civilisation de l'amour.
Qu'il est bon que Benoît XVI consacre sa première encyclique, son premier texte important à parler du Mystère du Dieu qui est Amour !
" Celui qui aime connaît Dieu "…
pourvu qu'il aime non pas seulement en parole, mais en acte et en vérité.


Le 28 janvier 2006

+ Georges Pontier
Évêque de La Rochelle et Saintes

 

 

La Bible se résume en trois mots : Dieu est amour, explique le P. Cantalamessa

Commentaire de l’Evangile du dimanche 6 avril

ROME, Vendredi 4 avril 2008 (ZENIT.org) - Nous publions ci-dessous le commentaire de l'Evangile du dimanche 6 avril, troisième dimanche de Pâques, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale. 

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 24, 13-35 

Le troisième jour après la mort de Jésus, deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient ensemble de tout ce qui s'était passé. Or, tandis qu'ils parlaient et discutaient, Jésus lui-même s'approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient aveuglés, et ils ne le reconnaissaient pas. Jésus leur dit : « De quoi causiez-vous donc, tout en marchant ? » Alors, ils s'arrêtèrent, tout tristes. 
L'un des deux, nommé Cléophas, répondit : « Tu es bien le seul de tous ceux qui étaient à Jérusalem à ignorer les événements de ces jours-ci. » Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth : cet homme était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple. Les chefs des prêtres et nos dirigeants l'ont livré, ils l'ont fait condamner à mort et ils l'ont crucifié. Et nous qui espérions qu'il serait le libérateur d'Israël ! Avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c'est arrivé. A vrai dire, nous avons été bouleversés par quelques femmes de notre groupe. Elles sont allées au tombeau de très bonne heure, et elles n'ont pas trouvé son corps ; elles sont même venues nous dire qu'elles avaient eu une apparition : des anges, qui disaient qu'il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l'avaient dit ; mais lui, ils ne l'ont pas vu. » Il leur dit alors : « Vous n'avez donc pas compris ! Comme votre coeur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, en partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur expliqua, dans toute l'Écriture, ce qui le concernait. Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d'aller plus loin. Mais ils s'efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous : le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux. Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Alors ils se dirent l'un à l'autre : « Notre coeur n'était-il pas brûlant en nous, tandis qu'il nous parlait sur la route, et qu'il nous faisait comprendre les Écritures ? » A l'instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « C'est vrai ! le Seigneur est ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » A leur tour, ils racontaient ce qui s'était passé sur la route, et comment ils l'avaient reconnu quand il avait rompu le pain.
 

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Il leur expliqua les Ecritures 

« Notre coeur n'était-il pas brûlant en nous, tandis qu'il nous parlait sur la route, et qu'il nous faisait comprendre les Écritures ? » Nous allons réfléchir précisément sur ce point de l'évangile des disciples d'Emmaüs : les Ecritures. Il y a deux manières d'aborder la Bible. La première est de la considérer comme un livre ancien, plein de sagesse religieuse, de valeurs morales, et aussi de poésie. De ce point de vue, il s'agit du livre sans aucun doute le plus important qui existe pour comprendre notre culture occidentale et la religion judéo-chrétienne. C'est aussi le livre qui connaît le plus gros tirage et le plus lu de toute l'humanité. 

Mais il y a une autre manière, bien plus exigeante, d'aborder la Bible : celle de croire qu'elle contient la parole vivante de Dieu pour nous, qu'il s'agit d'un livre « inspiré », c'est-à-dire écrit, certes, par des auteurs humains, avec toutes leurs limites, mais avec l'intervention directe de Dieu. Un livre très humain et en même temps, divin, qui parle à l'homme de tous les temps, lui révèle le sens de la vie et de la mort. 

Il lui révèle surtout l'amour de Dieu. Si toutes les Bibles du monde, disait saint Augustin, étaient détruites par un cataclysme, et qu'il n'en restait qu'un seul exemplaire et que de cet exemplaire une seule page fut lisible et de cette page, une seule ligne ; si cette ligne était celle de la première lettre de Jean qui dit : « Dieu est amour », toute la Bible serait sauve, car elle est entièrement résumée dans cette phrase. Ceci explique pourquoi tant de personnes abordent la Bible sans culture, sans avoir fait de grandes études, avec simplicité, en croyant que c'est l'Esprit Saint qui parle à travers elle, et trouvent des réponses à leurs problèmes, une lumière, un encouragement, dans une parole de vie. 

Les deux manières d'aborder la Bible - la manière érudite et celle de la foi - ne s'excluent pas, au contraire, elles doivent être étroitement liées. Il est nécessaire d'étudier la Bible, la manière de l'interpréter (ou tenir compte des résultats de ceux qui l'étudient ainsi), pour ne pas tomber dans le fondamentalisme. Le fondamentalisme consiste à prendre un verset de la Bible, tel qu'il est, et l'appliquer en bloc aux situations d'aujourd'hui, sans tenir compte des différences de culture, de temps, des différents genres littéraires de la Bible. Certains croient par exemple que le monde a un peu plus de quatre mille ans, car c'est ce qui résulte de la lecture de la Bible, alors que nous savons qu'il a plusieurs milliards d'années. Cependant, nous savons que la Bible n'a pas été écrite pour faire de la science mais pour apporter le salut. Dans la Bible, Dieu a adapté son langage pour que les hommes de l'époque puissent comprendre ; il n'a pas seulement écrit pour les hommes de l'ère technologique. 

D'autre part cependant, réduire la Bible uniquement à un objet d'étude et d'érudition, en restant neutre face à son message, c'est la tuer. Ce serait comme si un fiancé qui a reçu une lettre d'amour de sa fiancée se mettait à l'examiner avec une quantité de dictionnaires, du point de vue grammatical et syntaxique, et s'arrêtait là, sans y puiser l'amour qu'elle contient. Lire la Bible sans la foi, c'est comme ouvrir un livre en pleine nuit : on ne peut rien lire, ou en tous cas, on ne lit pas l'essentiel. Lire l'Ecriture avec foi signifie la lire en faisant référence au Christ, en relevant, dans chaque page, tout ce qui se rapporte à lui. Exactement comme il fit lui-même avec les disciples d'Emmaüs. 

Jésus est resté au milieu de nous de deux manières : dans l'Eucharistie et dans sa parole. Il est présent dans les deux : dans l'Eucharistie sous forme de nourriture, dans la Parole sous forme de lumière et de vérité. La parole a un grand avantage par rapport à l'Eucharistie. Seuls ceux qui croient déjà et qui se trouvent en état de grâce peuvent communier ; tous en revanche, croyants et non croyants, personnes mariées, divorcées, peuvent avoir accès à la parole de Dieu. Pour devenir croyant, le moyen le plus normal est d'ailleurs précisément celui d'écouter la parole de Dieu.

Michel Fromaget  ..... l'anthropologie ternaire

http://www.leseditionsromaines.com/?pg=interview&SID=72f9909e2942307660dbf08348cce1db&id=4

 

L.E.R. : Comment interprétez-vous le fait que la première encyclique écrite par le pape Benoît XVI, « Deus Caritas est », traite du thème de l’anthropologie ternaire ?

M.F. : Je ne peux interpréter un fait qui n’existe pas. On peut, à la rigueur, s’interroger sur son absence. Car il faut le constater, et croyez bien que je suis le premier à le regretter, l’encyclique de Benoit XVI Deus Caritas est ne traite pas de l’anthropologie ternaire. Il est vrai que son vocabulaire peut induire aisément en erreur. Car, dans sa première partie, en quelque sorte théorique, sur l’amour chrétien (la seconde traitant de la pratique, de l’exercice de cet amour par l’Eglise), cette encyclique emploie maintes fois les trois mots de « corps », d’« âme » et d’« esprit ». Mais elle le fait en usant de manière indistincte et indifférenciée les mots « âme » et « esprit », ce qui est tout à fait symptomatique d’une anthropologie qui ne sait pas, ou ne veut pas, reconnaître que les deux dimensions psychique et spirituelle de l’humain sont en réalité, dans les faits, - que ceux-ci soient considérés de manière objective, de l’extérieur, ou de manière subjective et phénoménologique, de l’intérieur – foncièrement différentes. Cette anthropologie ne connaît et n’authentifie de l’homme, à titre substantiel, que deux composantes ontologiques, c’est-à-dire nécessaires à la définition de l’être : le corps et l’âme, le physique et le psychique. Une telle anthropologie est, en ce sens, « dualiste », non pas parce qu’elle oppose les deux termes qu’elle distingue, mais parce qu’elle refuse catégoriquement tout troisième terme. Elle n’est en rien ternaire. Or tel est le cas de l’anthropologie utilisée par la présente encyclique qui, dès son introduction, tout en récusant une forme particulière de dualisme (celui qui oppose), affiche clairement le sien (celui qui refuse), en claironnant bien haut, et comme de manière incantatoire, que « le corps et l’âme ne forment qu’une seule réalité ». Soit ! Mais l’homme nouveau, l’homme adulte de saint Paul, l’homme teleios (achevé, accompli), « l’homme vivant » de saint Irénée (Irénée dans la pensée duquel, je le rappelle au passage, Jean–Paul II voyait une source où les chrétiens gagneraient à retremper leur foi), cet homme-là n’est plus tissé de deux dimensions, mais de trois : le corps, l’âme, l’esprit. Je ne peux développer cet aspect ici, mais retenons que cette encyclique jamais n’aborde l’être humain comme tricoté de trois brins de laine, mais toujours de deux, qui sont indifféremment désignés par les couples suivants : « âme, corps » (trois fois), « esprit, chair » (une fois), « esprit, corps » (une fois) et « esprit, matière » (deux fois). Comme on le voit, d’un coté l’âme et l’esprit sont tenus pour synonymes, mais de l’autre aussi : le corps, la chair et la matière. Ce qui, à maints égards, ne serait-ce qu’en raison du respect dû au vocabulaire biblique (vocabulaire dans lequel les mots « âme » et « esprit » sont toujours clairement distingués - la distinction est d’origine divine cf. He 4,12 – et dans lequel le mot « chair », à lui tout seul, désigne toujours et indissociablement le couple « âme-corps »), est tout à fait regrettable. De la même manière on ne peut que regretter que cette encyclique, dont le sujet est l’Amour, ne connaisse de ce dernier que deux dimensions, savoir Eros et Agape, alors que toute l’anthropologie antique, aussi bien biblique que grecque savait et expliquait qu’il en avait trois : Eros, qui vient du corps et va au corps, Philia, qui vient de l’âme et va à l’âme et Agape, qui vient de l’esprit et va à l’esprit, c’est-à-dire à l’homme tout entier. Une dernière remarque. Cette encyclique estime bon pour son propos de rappeler les échanges entre Descartes et Gassendi, le premier s’adressant au second par ces mots : «Ô Chair » et ce dernier saluant le premier en ces termes : « Ô Âme ». Plutôt que d’en référer à ces deux savants du XVIIe siècle dont l’anthropologie est si étriquée, il eut été je crois bien préférable de rappeler la manière extraordinaire dont saint Ignace d’Antioche (IIe siècle), s’adressait à saint Polycarpe. Il lui disait : « Toi qui es chair et esprit » (Lettre à Polycarpe 2,2). C’est-à-dire : « Toi qui es corps, âme et esprit, toi qui es un homme accompli, toi qui es un homme arrivé à l’âge de l’Amour. »

 

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