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Je
cherchais une réponse au problème de la vie, mais non pas une réponse
théologique ou historique. (…) Ce qui m’importe, c’est cette lumière qui,
voilà 1800 ans, éclaira l’humanité, qui m’a éclairé et m’éclaire encore;
quant à savoir quel nom donner à la source de cette lumière, quels en sont
les éléments et par qui elle a été allumé, cela m’importe peu.
Wittgenstein |
Présentation : ..par le Figaro. ....
L'éros «a besoin de discipline, de
purification», pour donner «non pas le plaisir d'un instant, mais un
certain avant-goût du sommet de l'existence». .... l'amour «n'est pas
seulement un sentiment», c'est la «véritable découverte de l'autre»,
l'amour de Dieu et l'amour du prochain. ... Benoît XVI pointe l'échec du
marxisme, condamne à la fois l'État «vaurien», «qui ne serait pas dirigé
selon la justice», et l'État «bureaucratique» qui, voulant «pourvoir à
tout», ne peut assurer l'essentiel dont «l'homme souffrant a besoin»
Le pape annonce la
publication de sa première encyclique
Extraits :
La lettre encyclique « Deus caritas est »
...je
voudrais y préciser – au début de mon Pontificat – certains éléments
essentiels sur l'amour que Dieu, de manière mystérieuse et gratuite,
offre à l'homme, de même que le lien intrinsèque de cet Amour avec la
réalité de l'amour humain ...
Je désire insister sur certains
éléments fondamentaux, de manière à susciter dans le monde un dynamisme
renouvelé pour l'engagement dans la réponse humaine à l'amour divin....
en
z
relations
.... la relation définie l'être... homocoques... Dieu-homme
...ÂJENOUS
  
haut de page
le Dieu chrétien
.....S'il est dit dans les
textes sacrés: "Vous êtes des dieux", c'est bien pour rappeler à l'être
humain la présence enfouie en lui d'une essence supérieure qu'il doit
apprendre à manifester........
Servons-nous alors de notre pouvoir créateur infini pour changer notre
vie....Bibliographie
PETITION .... Non au mariage
gai, dans l'intérêt d'une meilleure société ..
« Vivre dans la proximité de
Dieu, dans sa famille » .... La sainteté exige un
effort constant, mais elle est possible pour tous, parce que plus qu’une
tâche de l’homme, c’est avant tout un don de Dieu ».
Résonances: ....
ci-dessous
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2006-01-25
Lettre
encyclique « Deus caritas est »
LETTRE ENCYCLIQUE
DEUS CARITAS EST DU SOUVERAIN PONTIFE BENOÎT XVI
AUX ÉVÊQUES
AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES
AUX PERSONNES CONSACRÉES
ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS
SUR L'AMOUR CHRÉTIEN
INTRODUCTION
1. «Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour
demeure en Dieu, et Dieu en lui» (1 Jn 4, 16). Ces paroles de la
Première Lettre de saint Jean expriment avec une particulière clarté
ce qui fait le centre de la foi chrétienne: l’image chrétienne de Dieu,
ainsi que l\'image de l\'homme et de son chemin, qui en découle. De plus,
dans ce même verset, Jean nous offre pour ainsi dire une formule
synthétique de l’existence chrétienne : «Nous avons reconnu et nous avons
cru que l’amour de Dieu est parmi nous».
Nous avons cru à l’amour de Dieu:
c’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie.
À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou
une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne,
qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive.
Dans son Évangile, Jean avait exprimé cet événement par ces mots : «Dieu a
tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui
croit en lui [...] obtiendra la vie éternelle» (3, 16). En reconnaissant
le caractère central de l’amour, la foi chrétienne a accueilli ce qui
était le noyau de la foi d’Israël et, en même temps, elle a donné à ce
noyau une profondeur et une ampleur nouvelles. En effet, l’Israélite
croyant prie chaque jour avec les mots du Livre du Deutéronome,
dans lesquels il sait qu’est contenu le centre de son existence : «Écoute,
Israël: le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton
Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force» (6, 4-5).
Jésus a réuni, en en faisant un unique précepte, le commandement de
l’amour de Dieu et le commandement de l’amour du prochain, contenus dans
le Livre du Lévitique : «Tu aimeras ton prochain comme toi-même»
(19, 18 ; cf. Mc 12, 29-31). Comme Dieu nous a aimés le premier
(cf. 1 Jn 4, 10), l’amour n’est plus seulement un commandement,
mais il est la réponse au don de l\'amour par lequel Dieu vient à notre
rencontre.
Dans un monde où l’on associe parfois la vengeance au
nom de Dieu, ou même le devoir de la haine et de la violence, c’est un
message qui a une grande actualité et une signification très concrète.
C’est pourquoi, dans ma première Encyclique, je désire parler de l’amour
dont Dieu nous comble et que nous devons communiquer aux autres. Par là
sont ainsi indiquées les deux grandes parties de cette Lettre,
profondément reliées entre elles. La première aura un caractère plus
spéculatif, étant donné que je voudrais y préciser – au début de mon
Pontificat – certains éléments essentiels sur l\'amour que Dieu, de
manière mystérieuse et gratuite, offre à l\'homme, de même que le lien
intrinsèque de cet Amour avec la réalité de l\'amour humain. La
seconde partie aura un caractère plus concret, puisqu\'elle traitera de la
pratique ecclésiale du commandement de l\'amour pour le prochain. La
question est très vaste, un long développement dépasserait néanmoins le
but de cette Encyclique. Je désire insister sur certains éléments
fondamentaux, de manière à susciter dans le monde un dynamisme renouvelé
pour l\'engagement dans la réponse humaine à l\'amour divin.
PREMIÈRE PARTIE
L'UNITÉ DE L'AMOUR
DANS LA CRÉATION
ET DANS L'HISTOIRE DU SALUT
Un problème de langage
2. L\'amour de Dieu pour nous est une question
fondamentale pour la vie et pose des interrogations décisives sur qui est
Dieu et sur qui nous sommes. À ce sujet, nous rencontrons avant tout un
problème de langage. Le terme «amour» est devenu aujourd\'hui un des mots
les plus utilisés et aussi un des plus galvaudés, un mot auquel nous
donnons des acceptions totalement différentes. Même si le thème de cette
encyclique se concentre sur le problème de la compréhension et de la
pratique de l’amour dans la Sainte Écriture et dans la Tradition de
l’Église, nous ne pouvons pas simplement faire abstraction du sens que
possède ce mot dans les différentes cultures et dans le langage actuel.
Rappelons en premier lieu le vaste champ sémantique du
mot «amour» : on parle d’amour de la patrie, d’amour pour son métier,
d’amour entre amis, d’amour du travail, d’amour entre parents et enfants,
entre frères et entre proches, d’amour pour le prochain et d’amour pour
Dieu. Cependant, dans toute cette diversité de sens, l’amour entre homme
et femme, dans lequel le corps et l’âme concourent inséparablement et dans
lequel s’épanouit pour l’être humain une promesse de bonheur qui semble
irrésistible, apparaît comme l’archétype de l’amour par excellence, devant
lequel s’estompent, à première vue, toutes les autres formes d’amour.
Surgit alors une question : toutes ces formes d’amour s\'unifient-elles
finalement et, malgré toute la diversité de ses manifestations, l’amour
est-il en fin de compte unique, ou bien, au contraire, utilisons-nous
simplement un même mot pour indiquer des réalités complètement différentes
?
«Eros» et «agapè» – différence et unité.
3. À l’amour entre homme et femme, qui ne naît pas de la
pensée ou de la volonté mais qui, pour ainsi dire, s’impose à l’être
humain, la Grèce antique avait donné le nom d’eros. Disons déjà par
avance que l\'Ancien Testament grec utilise deux fois seulement le mot
eros, tandis que le Nouveau Testament ne l\'utilise jamais: des trois
mots grecs relatifs à l’amour – eros,philia (amour d’amitié)
et agapè – les écrits néotestamentaires privilégient le dernier,
qui dans la langue grecque était plutôt marginal. En ce qui concerne
l\'amour d\'amitié (philia), il est repris et approfondi dans l’Évangile
de Jean pour exprimer le rapport entre Jésus et ses disciples. La mise
de côté du mot eros, ainsi que la nouvelle vision de l’amour qui
s’exprime à travers le mot agapè, dénotent sans aucun doute quelque
chose d’essentiel dans la nouveauté du christianisme concernant
précisément la compréhension de l’amour. Dans la critique du
christianisme, qui s’est développée avec une radicalité grandissante à
partir de la philosophie des Lumières, cette nouveauté a été considérée
d’une manière absolument négative. Selon Friedrich Nietzsche, le
christianisme aurait donné du venin à boire à l’eros qui, si en
vérité il n’en est pas mort, en serait venu à dégénérer en vice[1].
Le philosophe allemand exprimait de la sorte une perception très répandue
: l’Église, avec ses commandements et ses interdits, ne nous rend-elle pas
amère la plus belle chose de la vie ? N’élève-t-elle pas des panneaux
d’interdiction justement là où la joie prévue pour nous par le Créateur
nous offre un bonheur qui nous fait goûter par avance quelque chose du
Divin ?
4. En est-il vraiment ainsi ? Le christianisme a-t-il
véritablement détruit l’eros ? Regardons le monde pré-chrétien.
Comme de manière analogue dans d’autres cultures, les Grecs ont vu dans l’eros
avant tout l’ivresse, le dépassement de la raison provenant d\'une «folie
divine» qui arrache l’homme à la finitude de son existence et qui, dans
cet être bouleversé par une puissance divine, lui permet de faire
l’expérience de la plus haute béatitude. Tous les autres pouvoirs entre le
ciel et la terre apparaissent de ce fait d’une importance secondaire : «Omnia
vincit amor», affirme Virgile dans les Bucoliques – l’amour
vainc toutes choses – et il ajoute : «Et nos cedamus amori» – et
nous cédons, nous aussi, à l’amour[2].
Dans les religions, cette attitude s’est traduite sous la forme de cultes
de la fertilité, auxquels appartient la prostitution «sacrée», qui
fleurissait dans beaucoup de temples. L’eros était donc célébré
comme force divine, comme communion avec le Divin.
L’Ancien Testament s’est opposé avec la plus grande
rigueur à cette forme de religion, qui est comme une tentation très
puissante face à la foi au Dieu unique, la combattant comme perversion de
la religiosité. En cela cependant, il n’a en rien refusé l’eros
comme tel, mais il a déclaré la guerre à sa déformation destructrice,
puisque la fausse divinisation de l’eros, qui se produit ici, le
prive de sa dignité, le déshumanise. En fait, dans le temple, les
prostituées, qui doivent donner l’ivresse du Divin, ne sont pas traitées
comme êtres humains ni comme personnes, mais elles sont seulement des
instruments pour susciter la «folie divine»: en réalité, ce ne sont pas
des déesses, mais des personnes humaines dont on abuse. C’est pourquoi l’eros
ivre et indiscipliné n’est pas montée, «extase» vers le Divin, mais chute,
dégradation de l’homme. Il devient ainsi évident que l’eros a
besoin de discipline, de purification, pour donner à l’homme non pas le
plaisir d’un instant, mais un certain avant-goût du sommet de l’existence,
de la béatitude vers laquelle tend tout notre être.
5. De ce regard rapide porté sur la conception de l’eros
dans l’histoire et dans le temps présent, deux aspects apparaissent
clairement, et avant tout qu’il existe une certaine relation entre l’amour
et le Divin: l’amour promet l’infini, l’éternité – une réalité plus grande
et totalement autre que le quotidien de notre existence. Mais il est
apparu en même temps que le chemin vers un tel but ne consiste pas
simplement à se laisser dominer par l’instinct. Des purifications et des
maturations sont nécessaires; elles passent aussi par la voie du
renoncement. Ce n’est pas le refus de l’eros, ce n’est pas son
«empoisonnement», mais sa guérison en vue de sa vraie grandeur.
Cela dépend avant tout de la constitution de l’être
humain, à la fois corps et âme. L’homme devient vraiment lui-même, quand
le corps et l’âme se trouvent dans une profonde unité ; le défi de l’eros
est vraiment surmonté lorsque cette unification est réussie. Si l’homme
aspire à être seulement esprit et qu’il veut refuser la chair comme étant
un héritage simplement animal, alors l’esprit et le corps perdent leur
dignité. Et si, d’autre part, il renie l’esprit et considère donc la
matière, le corps, comme la réalité exclusive, il perd également sa
grandeur. L’épicurien Gassendi s’adressait en plaisantant à Descartes par
le salut: «Ô Âme !». Et Descartes répliquait en disant: «Ô Chair !»[3].
Mais ce n’est pas seulement l’esprit ou le corps qui aime : c’est l’homme,
la personne, qui aime comme créature unifiée, dont font partie le corps et
l’âme. C’est seulement lorsque les deux se fondent véritablement en une
unité que l’homme devient pleinement lui-même. C’est uniquement de cette
façon que l’amour – l\'eros – peut mûrir, jusqu’à parvenir à sa
vraie grandeur.
Il n’est pas rare aujourd’hui de reprocher au
christianisme du passé d’avoir été l’adversaire de la corporéité; de fait,
il y a toujours eu des tendances en ce sens. Mais la façon d\'exalter le
corps, à laquelle nous assistons aujourd’hui, est trompeuse. L’eros
rabaissé simplement au «sexe» devient une marchandise, une simple «chose»
que l’on peut acheter et vendre; plus encore, l\'homme devient une
marchandise. En réalité, cela n’est pas vraiment le grand oui de l’homme à
son corps. Au contraire, l’homme considère maintenant le corps et la
sexualité comme la part seulement matérielle de lui-même, qu’il utilise et
exploite de manière calculée. Une part, d’ailleurs, qu\'il ne considère
pas comme un espace de sa liberté, mais comme quelque chose que lui, à sa
manière, tente de rendre à la fois plaisant et inoffensif. En réalité,
nous nous trouvons devant une dégradation du corps humain, qui n’est plus
intégré dans le tout de la liberté de notre existence, qui n’est plus
l’expression vivante de la totalité de notre être, mais qui se trouve
comme cantonné au domaine purement biologique. L’apparente exaltation du
corps peut bien vite se transformer en haine envers la corporéité. À
l\'inverse, la foi chrétienne a toujours considéré l’homme comme un être
un et duel, dans lequel esprit et matière s’interpénètrent l’un l’autre et
font ainsi tous deux l’expérience d’une nouvelle noblesse. Oui, l’eros
veut nous élever «en extase» vers le Divin, nous conduire au-delà de
nous-mêmes, mais c’est précisément pourquoi est requis un chemin de
montée, de renoncements, de purifications et de guérisons.
6. Comment devons-nous nous représenter concrètement ce
chemin de montée et de purification ? Comment doit être vécu l’amour, pour
que se réalise pleinement sa promesse humaine et divine ? Nous pouvons
trouver une première indication importante dans le Cantique des
Cantiques, un des livres de l’Ancien Testament bien connu des
mystiques. Selon l’interprétation qui prévaut aujourd’hui, les poèmes
contenus dans ce livre sont à l’origine des chants d’amour, peut-être
prévus pour une fête de noces juives où ils devaient exalter l’amour
conjugal. Dans ce contexte, le fait que l’on trouve, dans ce livre, deux
mots différents pour parler de l\'«amour» est très instructif. Nous avons
tout d’abord le mot «dodim», un pluriel qui exprime l’amour encore
incertain, dans une situation de recherche indéterminée. Ce mot est
ensuite remplacé par le mot «ahabà» qui, dans la traduction grecque
de l’Ancien Testament, est rendu par le mot de même consonance «agapè»,
lequel, comme nous l’avons vu, devint l’expression caractéristique de la
conception biblique de l’amour. En opposition à l’amour indéterminé et
encore en recherche, ce terme exprime l’expérience de l’amour, qui devient
alors une véritable découverte de l’autre, dépassant donc le caractère
égoïste qui dominait clairement auparavant. L’amour devient maintenant
soin de l’autre et pour l’autre. Il ne se cherche plus lui-même –
l’immersion dans l’ivresse du bonheur – il cherche au contraire le bien de
l’être aimé : il devient renoncement, il est prêt au sacrifice, il le
recherche même.
Cela fait partie des développements de l\'amour vers des
degrés plus élevés, vers ses purifications profondes, de l\'amour qui
cherche maintenant son caractère définitif, et cela en un double sens :
dans le sens d’un caractère exclusif – «cette personne seulement» – et
dans le sens d’un «pour toujours». L’amour comprend la totalité de
l’existence dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps. Il ne
pourrait en être autrement, puisque sa promesse vise à faire du définitif
: l’amour vise à l’éternité. Oui, l’amour est «extase», mais extase non
pas dans le sens d’un moment d’ivresse, mais extase comme chemin, comme
exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans
le don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus
encore vers la découverte de Dieu : «Qui cherchera à conserver sa vie la
perdra. Et qui la perdra la sauvegardera» (Lc 17, 33), dit Jésus –
une de ses affirmations qu’on retrouve dans les Évangiles avec plusieurs
variantes (cf. Mt 10, 39; 16, 25; Mc 8, 35; Lc 9, 24;
Jn 12, 25). Jésus décrit ainsi son chemin personnel, qui le conduit
par la croix jusqu’à la résurrection; c’est le chemin du grain de blé
tombé en terre qui meurt et qui porte ainsi beaucoup de fruit. Mais il
décrit aussi par ces paroles l’essence de l’amour et de l’existence
humaine en général, partant du centre de son sacrifice personnel et de
l’amour qui parvient en lui à son accomplissement.
7. À l’origine plutôt philosophiques, nos réflexions sur
l’essence de l’amour nous ont maintenant conduits, par une dynamique
interne, jusqu’à la foi biblique. Au point de départ, la question s’est
posée de savoir si les différents sens du mot amour, parfois même opposés,
ne sous-entendraient pas une certaine unité profonde ou si, au contraire,
ils ne devraient pas rester indépendants, l’un à côté de l’autre. Avant
tout cependant, est apparue la question de savoir si le message sur
l’amour qui nous est annoncé par la Bible et par la Tradition de l’Église
avait quelque chose à voir avec l’expérience humaine commune de l’amour ou
s’il ne s’opposait pas plutôt à elle. À ce propos, nous avons rencontré
deux mots fondamentaux : eros, comme le terme désignant l’amour
«mondain», et agapè, comme l’expression qui désigne l’amour fondé
sur la foi et modelé par elle. On oppose aussi fréquemment ces deux
conceptions en amour «ascendant» et amour «descendant». Il y a d’autres
classifications similaires, comme par exemple la distinction entre amour
possessif et amour oblatif (amor concupiscentiæ – amor
benevolentiæ), à laquelle on ajoute parfois aussi l’amour qui n’aspire
qu’à son profit.
Dans le débat philosophique et théologique, ces
distinctions ont souvent été radicalisées jusqu\'à les mettre en
opposition entre elles : l’amour descendant, oblatif, précisément
l’agapè, serait typiquement chrétien; à l\'inverse, la culture
non chrétienne, surtout la culture grecque, serait caractérisée par
l’amour ascendant, possessif et sensuel, c’est-à-dire par l’eros.Si
on voulait pousser à l’extrême cette antithèse, l’essence du christianisme
serait alors coupée des relations vitales et fondamentales de l’existence
humaine et constituerait un monde en soi, à considérer peut-être comme
admirable mais fortement détaché de la complexité de l’existence humaine.
En réalité, eros et agapè – amour ascendant et amour
descendant – ne se laissent jamais séparer complètement l’un de l’autre.
Plus ces deux formes d’amour, même dans des dimensions différentes,
trouvent leur juste unité dans l’unique réalité de l’amour, plus se
réalise la véritable nature de l’amour en général. Même si, initialement,
l’eros est surtout sensuel, ascendant – fascination pour la grande
promesse de bonheur –, lorsqu’il s’approche ensuite de l’autre, il se
posera toujours moins de questions sur lui-même, il cherchera toujours
plus le bonheur de l’autre, il se préoccupera toujours plus de l’autre, il
se donnera et il désirera «être pour» l’autre. C’est ainsi que le moment
de l’agapè s’insère en lui ; sinon l\'eros déchoit et perd
aussi sa nature même. D’autre part, l’homme ne peut pas non plus vivre
exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours
seulement donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l’amour
doit lui aussi le recevoir comme un don. L’homme peut assurément, comme
nous le dit le Seigneur, devenir source d’où sortent des fleuves d’eau
vive (cf. Jn 7, 37-38). Mais pour devenir une telle source, il doit
lui-même boire toujours à nouveau à la source première et originaire qui
est Jésus Christ, du cœur transpercé duquel jaillit l’amour de Dieu (cf.
Jn 19, 34).
Dans le récit de l’échelle de Jacob, les Pères ont vu
exprimé symboliquement, de différentes manières, le lien inséparable entre
montée et descente, entre l’eros qui cherche Dieu et l’agapè
qui transmet le don reçu. Dans ce texte biblique, il est dit que le
patriarche Jacob vit en songe, sur la pierre qui lui servait d’oreiller,
une échelle qui touchait le ciel et sur laquelle des anges de Dieu
montaient et descendaient (cf. Gn 28, 12; Jn 1, 51).
L’interprétation que le Pape Grégoire le Grand donne de cette vision dans
sa Règle pastorale est particulièrement touchante. Le bon pasteur,
dit-il, doit être enraciné dans la contemplation. En effet, c’est
seulement ainsi qu’il lui sera possible d’accueillir les besoins d’autrui
dans son cœur, de sorte qu’ils deviennent siens: «Per pietatis viscera
in se infirmitatem caeterorum transferat»[4].
Dans ce cadre, saint Grégoire fait référence à saint Paul qui est enlevé
au ciel jusque dans les plus grands mystères de Dieu et qui, précisément à
partir de là, quand il en redescend, est en mesure de se faire tout à tous
(cf. 2 Co 12, 2-4; 1 Co 9, 22). D’autre part, il donne
encore l’exemple de Moïse, qui entre toujours de nouveau dans la tente
sacrée, demeurant en dialogue avec Dieu, pour pouvoir ainsi, à partir de
Dieu, être à la disposition de son peuple. «Au-dedans [dans la tente],
ravi dans les hauteurs par la contemplation, il se laisse au dehors [de la
tente] prendre par le poids des souffrants: Intus in contemplationem
rapitur, foris infirmantium negotiis urgetur».[5]
8.Nous avons ainsi trouvé une première réponse, encore
plutôt générale, aux deux questions précédentes : au fond, l’«amour» est
une réalité unique, mais avec des dimensions différentes; tour à tour,
l’une ou l’autre dimension peut émerger de façon plus importante. Là où
cependant les deux dimensions se détachent complètement l’une de l’autre,
apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de l’amour.
D’une manière synthétique, nous avons vu aussi que la foi biblique ne
construit pas un monde parallèle ou un monde opposé au phénomène humain
originaire qui est l’amour, mais qu’elle accepte tout l’homme, intervenant
dans sa recherche d’amour pour la purifier, lui ouvrant en même temps de
nouvelles dimensions. Cette nouveauté de la foi biblique se manifeste
surtout en deux points, qui méritent d’être soulignés: l’image de Dieu et
l’image de l’homme.
La nouveauté de la foi
biblique
9. Il s’agit avant tout de la nouvelle image de Dieu.
Dans les cultures qui entourent le monde de la Bible, l’image de Dieu et
des dieux reste en définitive peu claire et en elle-même contradictoire.
Dans le parcours de la foi biblique, à l’inverse, on note que devient
toujours plus clair et plus univoque ce que la prière fondamentale
d’Israël, le shema, reprend par ces paroles : «Écoute,
Israël: le Seigneur notre Dieu est l’Unique» (Dt 6, 4). Il existe
un seul Dieu, qui est le Créateur du ciel et de la terre, et qui est donc
aussi le Dieu de tous les hommes. Deux éléments sont singuliers dans cette
précision : le fait que, en vérité, tous les autres dieux ne sont pas
Dieu, et que toute la réalité dans laquelle nous vivons remonte à Dieu,
qu’elle est créée par lui. Naturellement, l’idée d’une création existe
aussi ailleurs, mais c’est là seulement qu’apparaît de manière absolument
claire que ce n’est pas un dieu quelconque, mais l’unique vrai Dieu,
lui-même, qui est l’auteur de la réalité tout entière; cette dernière
provient de la puissance de sa Parole créatrice. Cela signifie que sa
créature lui est chère, puisqu’elle a été voulue précisément par Lui-même,
qu’elle a été «faite» par Lui. Ainsi apparaît alors le deuxième élément
important: ce Dieu aime l’homme. La puissance divine qu’Aristote, au
sommet de la philosophie grecque, chercha à atteindre par la réflexion,
est vraiment, pour tout être, objet du désir et de l’amour – en tant que
réalité aimée cette divinité met le monde en mouvement[6]
–, mais elle-même n’a besoin de rien et n’aime pas; elle est seulement
aimée. Au contraire, le Dieu unique auquel Israël croit aime
personnellement. De plus, son amour est un amour d’élection : parmi tous
les peuples, il choisit Israël et il l’aime, avec cependant le dessein de
guérir par là toute l’humanité. Il aime, et son amour peut être qualifié
sans aucun doute comme eros, qui toutefois est en même temps et
totalement agapè[7].
Les prophètes Osée et Ézéchiel surtout ont décrit cette
passion de Dieu pour son peuple avec des images érotiques audacieuses. La
relation de Dieu avec Israël est illustrée par les métaphores des
fiançailles et du mariage; et par conséquent, l’idolâtrie est adultère et
prostitution. On vise concrètement par là, comme nous l’avons vu, les
cultes de la fertilité, avec leur abus de l’eros, mais, en même
temps, on décrit aussi la relation de fidélité entre Israël et son Dieu.
L’histoire d’amour de Dieu avec Israël consiste plus profondément dans le
fait qu’il lui donne la Torah, qu’il ouvre en réalité les yeux à
Israël sur la vraie nature de l’homme et qu’il lui indique la route du
véritable humanisme. Cette histoire consiste dans le fait que l’homme, en
vivant dans la fidélité au Dieu unique, fait lui-même l’expérience d’être
celui qui est aimé de Dieu et qu’il découvre la joie dans la vérité, dans
la justice, la joie en Dieu qui devient son bonheur essentiel : «Qui donc
est pour moi dans le ciel si je n’ai, même avec toi, aucune joie sur la
terre ? ... Pour moi, il est bon d’être proche de Dieu» (Ps72
[73] , 25.28).
10. L’eros de Dieu pour l’homme, comme nous
l’avons dit, est, en même temps, totalement agapè. Non seulement
parce qu’il est donné absolument gratuitement, sans aucun mérite
préalable, mais encore parce qu’il est un amour qui pardonne. C’est
surtout le prophète Osée qui nous montre la dimension de l’agapè
dans l’amour de Dieu pour l’homme, qui dépasse de beaucoup l’aspect de la
gratuité. Israël a commis «l’adultère», il a rompu l’Alliance; Dieu
devrait le juger et le répudier. C’est précisément là que se révèle
cependant que Dieu est Dieu et non pas homme : «Comment
t’abandonnerais-je, Éphraïm, te livrerais-je, Israël ? ... Mon cœur se
retourne contre moi, et le regret me consume. Je n’agirai pas selon
l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car je suis Dieu, et
non pas homme: au milieu de vous je suis le Dieu saint» (Os 11,
8-9). L’amour passionné de Dieu pour son peuple – pour l’homme – est en
même temps un amour qui pardonne. Il est si grand qu’il retourne Dieu
contre lui-même, son amour contre sa justice. Le chrétien voit déjà
poindre là, de manière voilée, le mystère de la Croix : Dieu aime
tellement l’homme que, en se faisant homme lui-même, il le suit jusqu’à la
mort et il réconcilie de cette manière justice et amour.
L’aspect philosophique, historique et religieux qu’il
convient de relever dans cette vision de la Bible réside dans le fait que,
d’une part, nous nous trouvons devant une image strictement métaphysique
de Dieu: Dieu est en absolu la source originaire de tout être; mais ce
principe créateur de toutes choses – le Logos, la raison
primordiale – est, d’autre part, quelqu’un qui aime avec toute la passion
d’un véritable amour. De la sorte, l’eros est ennobli au plus haut
point, mais, en même temps, il est ainsi purifié jusqu’à se fondre avec l’agapè.
À partir de là, nous pouvons ainsi comprendre que le Cantique des
Cantiques, reçu dans le canon de la Sainte Écriture, ait été très vite
interprété comme des chants d’amour décrivant, en définitive, la relation
de Dieu avec l’homme et de l’homme avec Dieu. De cette manière, le
Cantique des Cantiques est devenu, dans la littérature chrétienne
comme dans la littérature juive, une source de connaissance et
d’expérience mystique, dans laquelle s’exprime l’essence de la foi
biblique; oui, il existe une unification de l’homme avec Dieu – tel est le
rêve originaire de l’homme. Mais cette unification ne consiste pas à se
fondre l’un dans l’autre, à se dissoudre dans l’océan anonyme du Divin;
elle est une unité qui crée l’amour, dans lequel les deux, Dieu et
l’homme, restent eux-mêmes et pourtant deviennent totalement un: «Celui
qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit», dit saint Paul (1
Co 6, 17).
11. La première nouveauté de la foi biblique consiste,
comme nous l’avons vu, dans l’image de Dieu; la deuxième, qui lui est
essentiellement liée, nous la trouvons dans l’image de l’homme. Le récit
biblique de la création parle de la solitude du premier homme, Adam, aux
côtés duquel Dieu veut placer une aide. Parmi toutes les créatures, aucune
ne peut être pour l’homme l’aide dont il a besoin, bien qu’il ait donné
leur nom à toutes les bêtes des champs et à tous les oiseaux, les
intégrant ainsi dans son milieu de vie. Alors, à partir d’une côte de
l’homme, Dieu modèle la femme. Adam trouve désormais l’aide qu’il lui
faut: «Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair» (Gn
2, 23). À l’arrière-plan de ce récit, on peut voir des conceptions qui,
par exemple, apparaissent aussi dans le mythe évoqué par Platon, selon
lequel, à l’origine, l’homme était sphérique, parce que complet en
lui-même et autosuffisant. Mais, pour le punir de son orgueil, Zeus le
coupe en deux, de sorte que sa moitié est désormais toujours à la
recherche de son autre moitié et en marche vers elle, afin de retrouver
son intégrité[8].
Dans le récit biblique, on ne parle pas de punition; pourtant, l’idée que
l’homme serait en quelque sorte incomplet de par sa constitution, à la
recherche, dans l’autre, de la partie qui manque à son intégrité, à savoir
l’idée que c’est seulement dans la communion avec l’autre sexe qu’il peut
devenir «complet», est sans aucun doute présente. Le récit biblique se
conclut ainsi sur une prophétie concernant Adam : «À cause de cela,
l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous
deux ne feront plus qu’un» (Gn 2, 24).
Deux aspects sont ici importants: l’eros est
comme enraciné dans la nature même de l’homme; Adam est en recherche et il
«quitte son père et sa mère» pour trouver sa femme; c’est seulement
ensemble qu’ils représentent la totalité de l’humanité, qu’ils deviennent
«une seule chair». Le deuxième aspect n’est pas moins important: selon une
orientation qui a son origine dans la création, l’eros renvoie
l’homme au mariage, à un lien caractérisé par l’unicité et le définitif;
ainsi, et seulement ainsi, se réalise sa destinée profonde. À l’image du
Dieu du monothéisme, correspond le mariage monogamique. Le mariage fondé
sur un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu
avec son peuple et réciproquement: la façon dont Dieu aime devient la
mesure de l’amour humain. Ce lien étroit entre eros et mariage dans
la Bible ne trouve pratiquement pas de parallèle en dehors de la
littérature biblique.
Jésus Christ – l’amour incarné de Dieu
12. Même si nous avons jusque-là parlé surtout de
l’Ancien Testament, cependant, la profonde compénétration des deux
Testaments comme unique Écriture de la foi chrétienne s’est déjà rendue
visible. La véritable nouveauté du Nouveau Testament ne consiste pas en
des idées nouvelles, mais dans la figure même du Christ, qui donne chair
et sang aux concepts – un réalisme inouï. Déjà dans l’Ancien Testament, la
nouveauté biblique ne résidait pas seulement en des concepts, mais dans
l’action imprévisible, et à certains égards inouïe, de Dieu. Cet agir de
Dieu acquiert maintenant sa forme dramatique dans le fait que, en Jésus
Christ, Dieu lui-même recherche la «brebis perdue», l’humanité souffrante
et égarée. Quand Jésus, dans ses paraboles, parle du pasteur qui va à la
recherche de la brebis perdue, de la femme qui cherche la drachme, du père
qui va au devant du fils prodigue et qui l’embrasse, il ne s’agit pas là
seulement de paroles, mais de l’explication de son être même et de son
agir. Dans sa mort sur la croix s’accomplit le retournement de Dieu contre
lui-même, dans lequel il se donne pour relever l’homme et le sauver – tel
est l’amour dans sa forme la plus radicale. Le regard tourné vers le côté
ouvert du Christ, dont parle Jean (cf. 19, 37), comprend ce qui a été le
point de départ de cette Encyclique : «Dieu est amour» (1 Jn 4, 8).
C’est là que cette vérité peut être contemplée. Et, partant de là, on doit
maintenant définir ce qu’est l’amour. À partir de ce regard, le chrétien
trouve la route pour vivre et pour aimer.
13. À cet acte d\'offrande, Jésus a donné une présence
durable par l’institution de l’Eucharistie au cours de la dernière Cène.
Il anticipe sa mort et sa résurrection en se donnant déjà lui-même, en
cette heure-là, à ses disciples, dans le pain et dans le vin, son corps et
son sang comme nouvelle manne (cf. Jn 6, 31-33). Si le monde
antique avait rêvé qu’au fond, la vraie nourriture de l’homme – ce dont il
vit comme homme – était le Logos, la sagesse éternelle, maintenant
ce Logos est vraiment devenu nourriture pour nous, comme amour. L’Eucharistie
nous attire dans l’acte d’offrande de Jésus. Nous ne recevons pas
seulement le Logos incarné de manière statique, mais nous sommes
entraînés dans la dynamique de son offrande. L’image du mariage entre Dieu
et Israël devient réalité d’une façon proprement inconcevable: ce qui
consistait à se tenir devant Dieu devient maintenant, à travers la
participation à l’offrande de Jésus, participation à son corps et à son
sang, devient union. La «mystique» du Sacrement, qui se fonde sur
l’abaissement de Dieu vers nous, est d’une tout autre portée et entraîne
bien plus haut que ce à quoi n’importe quelle élévation mystique de
l’homme pourrait conduire.
14. Mais il faut maintenant faire attention à un autre
aspect: la «mystique» du Sacrement a un caractère social parce que dans la
communion sacramentelle je suis uni au Seigneur, comme toutes les autres
personnes qui communient: «Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que
nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain»,
dit saint Paul (1 Co 10, 17). L’union avec le Christ est en même
temps union avec tous ceux auxquels il se donne. Je ne peux avoir le
Christ pour moi seul; je ne peux lui appartenir qu’en union avec tous ceux
qui sont devenus ou qui deviendront siens. La communion me tire hors de
moi-même vers lui et, en même temps, vers l’unité avec tous les chrétiens.
Nous devenons «un seul corps», fondus ensemble dans une unique existence.
L’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain sont maintenant vraiment
unis : le Dieu incarné nous attire tous à lui. À partir de là, on comprend
maintenant comment agapè est alors devenue aussi un nom de
l’Eucharistie : dans cette dernière, l’agapè de Dieu vient à nous
corporellement pour continuer son œuvre en nous et à travers nous. C’est
seulement à partir de ce fondement christologique et sacramentel qu’on
peut comprendre correctement l’enseignement de Jésus sur l’amour. Le
passage qu’Il fait faire de la Loi et des Prophètes au double commandement
de l’amour envers Dieu et envers le prochain, ainsi que le fait que toute
l’existence de foi découle du caractère central de ce précepte, ne sont
pas simplement de la morale qui pourrait exister de manière autonome à
côté de la foi au Christ et de sa réactualisation dans le Sacrement : foi,
culte et ethos se compénètrent mutuellement comme une unique
réalité qui trouve sa forme dans la rencontre avec l’agapè de Dieu.
Ici, l’opposition habituelle entre culte et éthique tombe tout simplement.
Dans le «culte» lui-même, dans la communion eucharistique, sont contenus
le fait d’être aimé et celui d’aimer les autres à son tour. Une
Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est
en elle-même tronquée. Réciproquement, – comme nous devrons encore
l’envisager plus en détail – le «commandement» de l’amour ne devient
possible que parce qu’il n’est pas seulement une exigence: l’amour peut
être «commandé» parce qu’il est d’abord donné.
15. C’est à partir de ce principe que doivent aussi être
comprises les grandes paraboles de Jésus. Du lieu de sa damnation, l’homme
riche (cf. Lc 16, 19-31) implore pour que ses frères soient
informés de ce qui arrive à celui qui a, dans sa désinvolture, ignoré le
pauvre dans le besoin. Jésus recueille, pour ainsi dire, cet appel à
l’aide et s’en fait l’écho pour nous mettre en garde, pour nous remettre
dans le droit chemin. La parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10,
25-37) permet surtout de faire deux grandes clarifications. Tandis que le
concept de “prochain” se référait jusqu’alors essentiellement aux membres
de la même nation et aux étrangers qui s’étaient établis dans la terre
d’Israël, et donc à la communauté solidaire d’un pays et d’un peuple,
cette limitation est désormais abolie. Celui qui a besoin de moi et que je
peux aider, celui-là est mon prochain. Le concept de prochain est
universalisé et reste cependant concret. Bien qu’il soit étendu à tous les
hommes, il ne se réduit pas à l’expression d’un amour générique et
abstrait, qui en lui-même engage peu, mais il requiert mon engagement
concret ici et maintenant. Cela demeure une tâche de l’Église
d’interpréter toujours de nouveau le lien entre éloignement et proximité
pour la vie pratique de ses membres. Enfin, il convient particulièrement
de rappeler ici la grande parabole du Jugement dernier (cf. Mt 25,
31-46), dans laquelle l’amour devient le critère pour la décision
définitive concernant la valeur ou la non-valeur d’une vie humaine. Jésus
s’identifie à ceux qui sont dans le besoin: les affamés, les assoiffés,
les étrangers, ceux qui sont nus, les malades, les personnes qui sont en
prison. «Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, qui sont
mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40). L’amour
de Dieu et l’amour du prochain se fondent l’un dans l’autre: dans le plus
petit, nous rencontrons Jésus lui-même et en Jésus nous rencontrons Dieu.
Amour de Dieu et amour du prochain
16. Après avoir réfléchi sur l’essence de l’amour et sur
sa signification dans la foi biblique, une double question concernant
notre comportement subsiste : Est-il vraiment possible d’aimer Dieu alors
qu’on ne le voit pas ? Et puis: l’amour peut-il se commander ? Au double
commandement de l’amour, on peut répliquer par une double objection, qui
résonne dans ces questions. Dieu, nul ne l’a jamais vu – comment
pourrions-nous l’aimer ? Et, d’autre part : l’amour ne peut pas se
commander; c’est en définitive un sentiment qui peut être ou ne pas être,
mais qui ne peut pas être créé par la volonté. L’Écriture semble confirmer
la première objection quand elle dit: « Si quelqu’un dit: \"J’aime Dieu\",
alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet,
celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu,
qu’il ne voit pas» (1 Jn 4, 20). Mais ce texte n’exclut absolument
pas l’amour de Dieu comme quelque chose d’impossible; au contraire, dans
le contexte global de la Première Lettre de Jean, qui vient d’être
citée, cet amour est explicitement requis. C’est le lien inséparable entre
amour de Dieu et amour du prochain qui est souligné. Tous les deux
s’appellent si étroitement que l’affirmation de l’amour de Dieu devient un
mensonge si l’homme se ferme à son prochain ou plus encore s’il le hait.
On doit plutôt interpréter le verset johannique dans le sens où aimer son
prochain est aussi une route pour rencontrer Dieu, et où fermer les yeux
sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu.
17. En effet, personne n’a jamais vu Dieu tel qu’il est
en lui-même. Cependant, Dieu n’est pas pour nous totalement invisible, il
n’est pas resté pour nous simplement inaccessible. Dieu nous a aimés le
premier, dit la Lettre de Jean qui vient d’être citée (cf. 4, 10)
et cet amour de Dieu s’est manifesté parmi nous, il s’est rendu visible
car Il «a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par
lui» (1 Jn 4, 9). Dieu s’est rendu visible: en Jésus nous pouvons
voir le Père (cf. Jn 14, 9). En fait, Dieu se rend visible de
multiples manières. Dans l’histoire d’amour que la Bible nous raconte, Il
vient à notre rencontre, Il cherche à nous conquérir – jusqu’à la dernière
Cène, jusqu’au Cœur transpercé sur la croix, jusqu’aux apparitions du
Ressuscité et aux grandes œuvres par lesquelles, à travers l’action des
Apôtres, Il a guidé le chemin de l’Église naissante. Et de même, par la
suite, dans l’histoire de l’Église, le Seigneur n’a jamais été absent: il
vient toujours de nouveau à notre rencontre – par des hommes à travers
lesquels il transparaît, ainsi que par sa Parole, dans les Sacrements,
spécialement dans l’Eucharistie. Dans la liturgie de l’Église, dans sa
prière, dans la communauté vivante des croyants, nous faisons l’expérience
de l’amour de Dieu, nous percevons sa présence et nous apprenons aussi de
cette façon à la reconnaître dans notre vie quotidienne. Le premier, il
nous a aimés et il continue à nous aimer le premier; c’est pourquoi, nous
aussi, nous pouvons répondre par l’amour. Dieu ne nous prescrit pas un
sentiment que nous ne pouvons pas susciter en nous-mêmes. Il nous aime, il
nous fait voir son amour et nous pouvons l’éprouver, et à partir de cet
«amour premier de Dieu», en réponse, l’amour peut aussi jaillir en nous.
Dans le développement de cette rencontre, il apparaît
clairement que l’amour n’est pas seulement un sentiment. Les sentiments
vont et viennent. Le sentiment peut être une merveilleuse étincelle
initiale, mais il n’est pas la totalité de l’amour. Au début, nous avons
parlé du processus des purifications et des maturations, à travers
lesquelles l’eros devient pleinement lui-même, devient amour au
sens plein du terme. C’est le propre de la maturité de l’amour d’impliquer
toutes les potentialités de l’homme, et d’inclure, pour ainsi dire,
l’homme dans son intégralité. La rencontre des manifestations visibles de
l’amour de Dieu peut susciter en nous un sentiment de joie, qui naît de
l’expérience d’être aimé. Mais cette rencontre requiert aussi notre
volonté et notre intelligence. La reconnaissance du Dieu vivant est une
route vers l’amour, et le oui de notre volonté à la sienne unit
intelligence, volonté et sentiment dans l’acte totalisant de l’amour. Ce
processus demeure cependant constamment en mouvement: l’amour n’est jamais
«achevé» ni complet; il se transforme au cours de l’existence, il mûrit et
c’est justement pour cela qu’il demeure fidèle à lui-même. Idem velle
atque idem nolle[9]
– vouloir la même chose et ne pas vouloir la même chose; voilà ce que les
anciens ont reconnu comme l’authentique contenu de l’amour: devenir l’un
semblable à l’autre, ce qui conduit à une communauté de volonté et de
pensée. L’histoire d’amour entre Dieu et l’homme consiste justement dans
le fait que cette communion de volonté grandit dans la communion de pensée
et de sentiment, et ainsi notre vouloir et la volonté de Dieu coïncident
toujours plus: la volonté de Dieu n’est plus pour moi une volonté
étrangère, que les commandements m’imposent de l’extérieur, mais elle est
ma propre volonté, sur la base de l’expérience que, de fait, Dieu est plus
intime à moi-même que je ne le suis à moi-même[10].
C’est alors que grandit l’abandon en Dieu et que Dieu devient notre joie
(cf.Ps 72 [73], 23-28).
18. L’amour du prochain se révèle ainsi possible au sens
défini par la Bible, par Jésus. Il consiste précisément dans le fait que
j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou
que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la
rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de
volonté pour aller jusqu’à toucher le sentiment. J’apprends alors à
regarder cette autre personne non plus seulement avec mes yeux et mes
sentiments, mais selon la perspective de Jésus Christ. Son ami est mon
ami. Au-delà de l’apparence extérieure de l’autre, jaillit son attente
intérieure d’un geste d’amour, d’un geste d’attention, que je ne lui donne
pas seulement à travers des organisations créées à cet effet, l’acceptant
peut-être comme une nécessité politique. Je vois avec les yeux du Christ
et je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont
extérieurement nécessaires: je peux lui donner le regard d’amour dont il a
besoin. Ici apparaît l’interaction nécessaire entre amour de Dieu et amour
du prochain, sur laquelle insiste tant la Première Lettre de Jean.
Si le contact avec Dieu me fait complètement défaut dans ma vie, je ne
peux jamais voir en l’autre que l’autre, et je ne réussis pas à
reconnaître en lui l’image divine. Si par contre dans ma vie je néglige
complètement l’attention à l’autre, désirant seulement être «pieux» et
accomplir mes «devoirs religieux», alors même ma relation à Dieu se
dessèche. Alors, cette relation est seulement «correcte», mais sans amour.
Seule ma disponibilité à aller à la rencontre du prochain, à lui témoigner
de l’amour, me rend aussi sensible devant Dieu. Seul le service du
prochain ouvre mes yeux sur ce que Dieu fait pour moi et sur sa manière à
Lui de m’aimer. Les saints – pensons par exemple à la bienheureuse Teresa
de Calcutta – ont puisé dans la rencontre avec le Seigneur dans
l’Eucharistie leur capacité à aimer le prochain de manière toujours
nouvelle, et réciproquement cette rencontre a acquis son réalisme et sa
profondeur précisément grâce à leur service des autres. Amour de Dieu et
amour du prochain sont inséparables, c’est un unique commandement. Tous
les deux cependant vivent de l’amour prévenant de Dieu qui nous a aimés le
premier. Ainsi, il n’est plus question d’un «commandement» qui nous
prescrit l’impossible de l’extérieur, mais au contraire d’une expérience
de l’amour, donnée de l’intérieur, un amour qui, de par sa nature, doit
par la suite être partagé à d’autres. L’amour grandit par l’amour. L’amour
est «divin» parce qu’il vient de Dieu et qu’il nous unit à Dieu, et, à
travers ce processus d’unification, il nous transforme en un Nous, qui
surpasse nos divisions et qui nous fait devenir un, jusqu’à ce que, à la
fin, Dieu soit «tout en tous» (1 Co 15, 28).
DEUXIÈME PARTIE
CARITAS
L’EXERCICE DE L’AMOUR
DE LA PART DE L’ÉGLISE
EN TANT QUE «COMMUNAUTÉ D’AMOUR»
La charité de l\'Église comme manifestation de
l\'amour trinitaire
19. «Tu vois la Trinité quand
tu vois la charité», écrivait saint Augustin.[11]
Dans les réflexions qui précèdent, nous avons pu fixer notre regard sur
Celui qui a été transpercé (cf. Jn 19, 37; Za,12, 10),
reconnaissant le dessein du Père qui, mû par l\'amour (cf. Jn 3,
16), a envoyé son Fils unique dans le monde pour racheter l\'homme.
Mourant sur la croix, Jésus – comme le souligne l’Évangéliste – «remit
l\'esprit» (Jn 19, 30), prélude du don de l’Esprit Saint qu’il
ferait après la résurrection (cf. Jn 20, 22). Se réaliserait ainsi
la promesse des «fleuves d\'eau vive» qui, grâce à l’effusion de l’Esprit,
jailliraient du cœur des croyants (cf. Jn 7, 38-39). En effet,
l’Esprit est la puissance intérieure qui met leur cœur au diapason du cœur
du Christ, et qui les pousse à aimer leurs frères comme Lui les a aimés
quand il s’est penché pour laver les pieds de ses disciples (cf. Jn
13, 1-13) et surtout quand il a donné sa vie pour tous (cf. Jn 13,
1; 15, 13).
L’Esprit est aussi la force
qui transforme le cœur de la Communauté ecclésiale, afin qu’elle soit,
dans le monde, témoin de l’amour du Père, qui veut faire de l’humanité,
dans son Fils, une unique famille. Toute l’activité de l’Église est
l’expression d’un amour qui cherche le bien intégral de l’homme: elle
cherche son évangélisation par la Parole et par les Sacrements, entreprise
bien souvent héroïque dans ses réalisations historiques; et elle cherche
sa promotion dans les différents domaines de la vie et de l’activité
humaines. L’amour est donc le service que l’Église réalise pour aller
constamment au-devant des souffrances et des besoins, même matériels, des
hommes. C’est sur cet aspect, sur ce service de la charité, que je
désire m’arrêter dans cette deuxième partie de l’Encyclique.
La charité comme tâche de
l’Église
20. L’amour du prochain,
enraciné dans l’amour de Dieu, est avant tout une tâche pour chaque
fidèle, mais il est aussi une tâche pour la communauté ecclésiale entière,
et cela à tous les niveaux: de la communauté locale à l’Église
particulière jusqu’à l’Église universelle dans son ensemble. L’Église
aussi, en tant que communauté, doit pratiquer l’amour. En conséquence,
l’amour a aussi besoin d’organisation comme présupposé pour un service
communautaire ordonné. La conscience de cette tâche a eu un caractère
constitutif dans l’Église depuis ses origines: «Tous ceux qui étaient
devenus croyants vivaient ensemble, et ils mettaient tout en commun; ils
vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre
tous selon les besoins de chacun» (Ac 2, 44-45). Luc nous raconte
cela en relation avec une sorte de définition de l’Église, dont il énumère
quelques éléments constitutifs, parmi lesquels l’adhésion à
«l’enseignement des Apôtres», à «la communion» (koinonía), à «la
fraction du pain» et à «la prière» (cf. Ac 2, 42). L’élément de la
«communion» (koinonía), ici initialement non spécifié, est
concrétisé dans les versets qui viennent d’être cités plus haut: cette
communion consiste précisément dans le fait que les croyants ont tout en
commun et qu’entre eux la différence entre riches et pauvres n’existe plus
(cf. aussi Ac 4, 32-37). Cette forme radicale de communion
matérielle, à vrai dire, n’a pas pu être maintenue avec la croissance de
l’Église. Le noyau essentiel a cependant subsisté: à l’intérieur de la
communauté des croyants il ne doit pas exister une forme de pauvreté telle
que soient refusés à certains les biens nécessaires à une vie digne.
21. Une étape décisive dans
la difficile recherche de solutions pour réaliser ce principe ecclésial
fondamental nous devient visible dans le choix de sept hommes, ce qui fut
le commencement du ministère diaconal (cf. Ac 6, 5-6). Dans
l’Église des origines, en effet, s’était créée, dans la distribution
quotidienne aux veuves, une disparité entre le groupe de langue hébraïque
et celui de langue grecque. Les Apôtres, auxquels étaient avant tout
confiés la «prière» (Eucharistie et Liturgie) et le «service de la
Parole», se sentirent pris de manière excessive par le «service des
tables»; ils décident donc de se réserver le ministère principal et de
créer pour l’autre tâche, tout aussi nécessaire dans l’Église, un groupe
de sept personnes. Cependant, même ce groupe ne devait pas accomplir un
service simplement technique de distribution: ce devait être des hommes
«remplis d’Esprit Saint et de sagesse» (cf. Ac 6, 1-6). Cela
signifie que le service social qu’ils devaient effectuer était tout à fait
concret, mais en même temps, c’était aussi sans aucun doute un service
spirituel; c’était donc pour eux un véritable ministère spirituel, qui
réalisait une tâche essentielle de l’Église, celle de l’amour bien ordonné
du prochain. Avec la formation de ce groupe des Sept, la «diaconia» – le
service de l’amour du prochain exercé d’une manière communautaire et
ordonnée – était désormais instaurée dans la structure fondamentale de
l’Église elle-même.
22. Les années passant, avec
l’expansion progressive de l’Église, l’exercice de la charité s’est
affirmé comme l’un de ses secteurs essentiels, avec l’administration des
Sacrements et l’annonce de la Parole: pratiquer l’amour envers les veuves
et les orphelins, envers les prisonniers, les malades et toutes les
personnes qui, de quelque manière, sont dans le besoin, cela appartient à
son essence au même titre que le service des Sacrements et l’annonce de
l’Évangile. L’Église ne peut pas négliger le service de la charité, de
même qu’elle ne peut négliger les Sacrements ni la Parole. Quelques
références suffisent à le démontrer. Le martyr Justin ( vers 155) décrit
aussi, dans le contexte de la célébration dominicale des chrétiens, leur
activité caritative, reliée à l’Eucharistie comme telle. Les personnes
aisées font des offrandes dans la mesure de leurs possibilités, chacune
donnant ce qu’elle veut. L’Évêque s’en sert alors pour soutenir les
orphelins, les veuves et les personnes qui, à cause de la maladie ou pour
d’autres motifs, se trouvent dans le besoin, de même que les prisonniers
et les étrangers[12].
Le grand auteur chrétien Tertullien (après 220) raconte comment
l’attention des chrétiens envers toutes les personnes dans le besoin
suscitait l’émerveillement chez les païens
[13]. Et quand Ignace d’Antioche (vers 117) qualifie l’Église de Rome
comme celle «qui préside à la charité (agapè)»[14],
on peut considérer que, par cette définition, il entendait aussi en
exprimer d’une certaine manière l’activité caritative concrète.
23. Dans ce contexte, il peut
être utile de faire référence aux structures juridiques primitives
concernant le service de la charité dans l’Église. Vers le milieu du IV e
siècle, prend forme en Égypte ce que l’on appelle la «diaconie»;
dans chaque monastère, elle constitue l’institution responsable de
l’ensemble des activités d’assistance, précisément du service de la
charité. Depuis les origines jusqu’à la fin du VI e siècle se développe en
Égypte une corporation avec une pleine capacité juridique, à laquelle les
autorités civiles confient même une partie du blé pour la distribution
publique. En Égypte, non seulement chaque monastère mais aussi chaque
diocèse finit par avoir sa diaconie, institution qui se développera
ensuite en Orient comme en Occident. Le Pape Grégoire le Grand ( 604) fait
référence à la diaconie de Naples; en ce qui concerne Rome, les
documents font allusion aux diaconies à partir du VII e et du VIII e
siècles. Mais naturellement, déjà auparavant et cela depuis les origines,
l’activité d’assistance aux pauvres et aux personnes qui souffrent faisait
partie de manière essentielle de la vie de l’Église de Rome, selon les
principes de la vie chrétienne exposés dans lesActes des Apôtres.
Cette tâche trouve une expression vivante dans la figure du diacre Laurent
( 258). La description dramatique de son martyre était déjà connue par
saint Ambroise ( 397) et elle nous montre véritablement en son centre
l’authentique figure du Saint. À lui, qui était responsable de
l’assistance aux pauvres de Rome, a été accordé un laps de temps, après
l’arrestation de ses confrères et du Pape, pour rassembler les trésors de
l’Église et les remettre aux autorités civiles. Laurent distribua l’argent
disponible aux pauvres et les présenta alors aux autorités comme le vrai
trésor de l’Église[15].
Quelle que soit la crédibilité historique de ces détails, Laurent est
resté présent dans la mémoire de l’Église comme un grand représentant de
la charité ecclésiale.
24. Une référence à la figure
de l’empereur Julien l’Apostat (363) peut montrer encore une fois que la
charité organisée et pratiquée par l’Église des premiers siècles est
essentielle. Alors qu’il avait six ans, Julien avait assisté à
l’assassinat de son père, de son frère et d’autres de ses proches par des
gardes du palais impérial; il attribua cette brutalité – à tort ou à
raison – à l’empereur Constance, qui se faisait passer pour un grand
chrétien. Et de ce fait, la foi chrétienne fut une fois pour toutes
discréditée à ses yeux. Devenu empereur, il décida de restaurer le
paganisme, l’antique religion romaine, mais en même temps de le réformer,
de manière qu’il puisse devenir réellement la force entraînante de
l’empire. Dans cette perspective, il s’inspira largement du christianisme.
Il instaura une hiérarchie de métropolites et de prêtres. Les prêtres
devaient être attentifs à l’amour pour Dieu et pour le prochain. Dans une
de ses lettres[16],
il écrivait que l’unique aspect qui le frappait dans le christianisme
était l’activité caritative de l’Église. Pour son nouveau paganisme, ce
fut donc un point déterminant que de créer, à côté du système de charité
de l’Église, une activité équivalente dans sa religion. De cette manière,
les «Galiléens» – ainsi disait-il – avaient conquis leur popularité. On se
devait de faire de l’émulation et même de dépasser leur popularité. De la
sorte, l’empereur confirmait donc que la charité était une caractéristique
déterminante de la communauté chrétienne, de l’Église.
25. Arrivés à ce point, nous
recueillons deux éléments essentiels de nos réflexions:
a) La nature profonde de
l’Église s’exprime dans une triple tâche: annonce de la Parole de Dieu (kerygma-martyria),
célébration des Sacrements (leitourgia), service de la
charité (diakonia). Ce sont trois tâches qui s’appellent l’une
l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La charité n’est
pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait
aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une
expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer[17].
b) L’Église est la famille de
Dieu dans le monde. Dans cette famille, personne ne doit souffrir par
manque du nécessaire. En même temps, lacaritas-agapè dépasse aussi
les frontières de l’Église; la parabole du Bon Samaritain demeure le
critère d’évaluation, elle impose l’universalité de l’amour qui se tourne
vers celui qui est dans le besoin, rencontré «par hasard» (cf. Lc
10, 31), quel qu’il soit. Tout en maintenant cette universalité du
commandement de l’amour, il y a cependant une exigence spécifiquement
ecclésiale – celle qui rappelle justement que, dans l’Église elle-même en
tant que famille, aucun membre ne doit souffrir parce qu’il est dans le
besoin. Les mots de l’Épître aux Galates vont dans ce sens:
«Puisque nous tenons le bon moment, travaillons au bien de tous,
spécialement dans la famille des croyants» (6,10).
Justice et charité
26. Depuis le dix-neuvième
siècle, on a soulevé une objection contre l’activité caritative de
l’Église, objection qui a été développée ensuite avec insistance,
notamment par la pensée marxiste. Les pauvres, dit-on, n’auraient pas
besoin d’œuvres de charité, mais plutôt de justice. Les œuvres de charité
– les aumônes – seraient en réalité, pour les riches, une manière de se
soustraire à l’instauration de la justice et d’avoir leur conscience en
paix, maintenant leurs positions et privant les pauvres de leurs droits.
Au lieu de contribuer, à travers diverses œuvres de charité, au maintien
des conditions existantes, il faudrait créer un ordre juste, dans lequel
tous recevraient leur part des biens du monde et n’auraient donc plus
besoin des œuvres de charité. Dans cette argumentation, il faut le
reconnaître, il y a du vrai, mais aussi beaucoup d’erreurs. Il est certain
que la norme fondamentale de l’État doit être la recherche de la justice
et que le but d’un ordre social juste consiste à garantir à chacun, dans
le respect du principe de subsidiarité, sa part du bien commun. C’est ce
que la doctrine chrétienne sur l’État et la doctrine sociale de l’Église
ont toujours souligné. D’un point de vue historique, la question de
l’ordre juste de la collectivité est entrée dans une nouvelle phase avec
la formation de la société industrielle au dix-neuvième siècle. La
naissance de l’industrie moderne a vu disparaître les vieilles structures
sociales et, avec la masse des salariés, elle a provoqué un changement
radical dans la composition de la société, dans laquelle le rapport entre
capital et travail est devenu la question décisive, une question qui, sous
cette forme, était jusqu’alors inconnue. Les structures de production et
le capital devenaient désormais la nouvelle puissance qui, mise dans les
mains d’un petit nombre, aboutissait pour les masses laborieuses à une
privation de droits, contre laquelle il fallait se rebeller.
27. Il est juste d’admettre
que les représentants de l’Église ont perçu, mais avec lenteur, que le
problème de la juste structure de la société se posait de manière
nouvelle. Les pionniers ne manquèrent pas: l’un d’entre eux, par exemple,
fut Mgr Ketteler, Évêque de Mayence ( 1877). En réponse aux nécessités
concrètes, naquirent aussi des cercles, des associations, des unions, des
fédérations et surtout de nouveaux Ordres religieux qui, au dix-neuvième
siècle, s’engagèrent contre la pauvreté, les maladies et les situations de
carence dans le secteur éducatif. En 1891, le Magistère pontifical
intervint par l’Encyclique
Rerum Novarum de Léon XIII. Il y eut ensuite, en 1931,
l’Encyclique de Pie XI Quadragesimo anno. Le bienheureux Pape Jean
XXIII publia, en 1961, l’Encyclique
Mater et magistra; pour sa part Paul VI, dans l’encyclique
Populorum progressio (1967) et dans la lettre apostolique
Octogesima adveniens (1971), affronta de manière insistante la
problématique sociale, qui, dans le même temps, était devenue plus
urgente, surtout en Amérique Latine. Mon grand Prédécesseur Jean-Paul II
nous a laissé une trilogie d’Encycliques sociales :
Laborem exercens (1981),
Sollicitudo rei socialis (1987) et enfin
Centesimus annus (1991). Ainsi, face à des situations et à des
problèmes toujours nouveaux, s’est développée une doctrine sociale
catholique qui, en 2004, a été présentée de manière organique dans le
Compendium de la doctrine sociale de l’Église, rédigé par le Conseil
pontifical Justice et Paix. Le marxisme avait présenté la
révolution mondiale et sa préparation comme étant la panacée à la
problématique sociale : avec la révolution et la collectivisation des
moyens de production qui s’ensuivit – affirmait-on dans cette doctrine –,
tout devait immédiatement aller de manière différente et meilleure. Ce
rêve s’est évanoui. Dans la situation difficile où nous nous trouvons
aujourd’hui, à cause aussi de la mondialisation de l’économie, la doctrine
sociale de l’Église est devenue un repère fondamental, qui propose des
orientations valables bien au-delà de ses limites : ces orientations –
face au développement croissant – doivent être appréhendées dans le
dialogue avec tous ceux qui se préoccupent sérieusement de l’homme et du
monde.
28. Pour définir plus
précisément la relation entre l’engagement nécessaire pour la justice et
le service de la charité, il faut prendre en compte deux situations de
fait fondamentales:
a) L’ordre juste de la
société et de l’État est le devoir essentiel du politique. Un État qui ne
serait pas dirigé selon la justice se réduirait à une grande bande de
vauriens, comme l’a dit un jour saint Augustin: «Remota itaque iustitia
quid sunt regna nisi magna latrocinia ? »[18].
La distinction entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu (cf. Mt
22, 21), à savoir la distinction entre État et Église ou, comme le dit le
Concile Vatican II, l’autonomie des réalités terrestres[19],
appartient à la structure fondamentale du christianisme. L’État ne peut
imposer la religion, mais il doit en garantir la liberté, ainsi que la
paix entre les fidèles des différentes religions. De son côté, l’Église
comme expression sociale de la foi chrétienne a son indépendance et, en se
fondant sur sa foi, elle vit sa forme communautaire, que l’État doit
respecter. Les deux sphères sont distinctes, mais toujours en relation de
réciprocité.
La justice est le but et donc
aussi la mesure intrinsèque de toute politique. Le politique est plus
qu’une simple technique pour la définition des ordonnancements publics :
son origine et sa finalité se trouvent précisément dans la justice, et
cela est de nature éthique. Ainsi, l’État se trouve de fait inévitablement
confronté à la question : comment réaliser la justice ici et maintenant ?
Mais cette question en présuppose une autre plus radicale: qu’est-ce que
la justice ? C’est un problème qui concerne la raison pratique ; mais pour
pouvoir agir de manière droite, la raison doit constamment être purifiée,
car son aveuglement éthique, découlant de la tentation de l’intérêt et du
pouvoir qui l’éblouissent, est un danger qu’on ne peut jamais totalement
éliminer.
En ce point, politique et foi
se rejoignent. Sans aucun doute, la foi a sa nature spécifique de
rencontre avec le Dieu vivant, rencontre qui nous ouvre de nouveaux
horizons bien au-delà du domaine propre de la raison. Mais, en même temps,
elle est une force purificatrice pour la raison elle-même. Partant de la
perspective de Dieu, elle la libère de ses aveuglements et, de ce fait,
elle l’aide à être elle-même meilleure. La foi permet à la raison de mieux
accomplir sa tâche et de mieux voir ce qui lui est propre. C’est là que se
place la doctrine sociale catholique : elle ne veut pas conférer à
l’Église un pouvoir sur l’État. Elle ne veut pas même imposer à ceux qui
ne partagent pas sa foi des perspectives et des manières d’être qui lui
appartiennent. Elle veut simplement contribuer à la purification de la
raison et apporter sa contribution, pour faire en sorte que ce qui est
juste puisse être ici et maintenant reconnu, et aussi mis en œuvre.
La doctrine sociale de
l’Église argumente à partir de la raison et du droit naturel, c’est-à-dire
à partir de ce qui est conforme à la nature de tout être humain. Elle sait
qu’il ne revient pas à l’Église de faire valoir elle-même politiquement
cette doctrine : elle veut servir la formation des consciences dans le
domaine politique et contribuer à faire grandir la perception des
véritables exigences de la justice et, en même temps, la disponibilité
d’agir en fonction d’elles, même si cela est en opposition avec des
situations d’intérêt personnel. Cela signifie que la construction d’un
ordre juste de la société et de l’État, par lequel est donné à chacun ce
qui lui revient, est un devoir fondamental, que chaque génération doit à
nouveau affronter. S’agissant d’un devoir politique, cela ne peut pas être
à la charge immédiate de l’Église. Mais, puisque c’est en même temps un
devoir humain primordial, l’Église a le devoir d’offrir sa contribution
spécifique, grâce à la purification de la raison et à la formation
éthique, afin que les exigences de la justice deviennent compréhensibles
et politiquement réalisables.
L’Église ne peut ni ne doit
prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus
juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’État.
Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour
la justice. Elle doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation
rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles, sans
lesquelles la justice, qui requiert aussi des renoncements, ne peut
s’affirmer ni se développer. La société juste ne peut être l’œuvre de
l’Église, mais elle doit être réalisée par le politique. Toutefois,
l’engagement pour la justice, travaillant à l’ouverture de l’intelligence
et de la volonté aux exigences du bien, intéresse profondément l’Église.
b) L’amour – caritas –
sera toujours nécessaire, même dans la société la plus juste. Il n’y a
aucun ordre juste de l’État qui puisse rendre superflu le service de
l’amour. Celui qui veut s’affranchir de l’amour se prépare à s’affranchir
de l’homme en tant qu’homme. Il y aura toujours de la souffrance, qui
réclame consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude. De même,
il y aura toujours des situations de nécessité matérielle, pour lesquelles
une aide est indispensable, dans le sens d’un amour concret pour le
prochain.[20]
L’État qui veut pourvoir à tout, qui absorbe tout en lui, devient en
définitive une instance bureaucratique qui ne peut assurer l’essentiel
dont l’homme souffrant – tout homme – a besoin : le dévouement personnel
plein d’amour. Nous n’avons pas besoin d’un État qui régente et domine
tout, mais au contraire d’un État qui reconnaisse généreusement et qui
soutienne, dans la ligne du principe de subsidiarité, les initiatives qui
naissent des différentes forces sociales et qui associent spontanéité et
proximité avec les hommes ayant besoin d’aide. L’Église est une de ces
forces vives : en elle vit la dynamique de l’amour suscité par l’Esprit du
Christ. Cet amour n’offre pas uniquement aux hommes une aide matérielle,
mais également réconfort et soin de l’âme, aide souvent plus nécessaire
que le soutien matériel. L’affirmation selon laquelle les structures
justes rendraient superflues les œuvres de charité cache en réalité une
conception matérialiste de l’homme : le préjugé selon lequel l’homme
vivrait «seulement de pain» (Mt 4,4; cf. Dt 8, 3) est une
conviction qui humilie l’homme et qui méconnaît précisément ce qui est le
plus spécifiquement humain.
29. Ainsi nous pouvons
maintenant déterminer avec plus de précision, dans la vie de l’Église, la
relation entre l’engagement pour un ordre juste de l’État et de la
société, d’une part, et l’activité caritative organisée, d’autre part. On
a vu que la formation de structures justes n’est pas immédiatement du
ressort de l’Église, mais qu’elle appartient à la sphère du politique,
c’est-à-dire au domaine de la raison responsable d’elle-même. En cela, la
tâche de l’Église est médiate, en tant qu’il lui revient de contribuer à
la purification de la raison et au réveil des forces morales, sans
lesquelles des structures justes ne peuvent ni être construites, ni être
opérationnelles à long terme.
Le devoir immédiat d’agir
pour un ordre juste dans la société est au contraire le propre des fidèles
laïcs. En tant que citoyens de l’État, ils sont appelés à participer
personnellement à la vie publique. Ils ne peuvent donc renoncer «à
l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative,
culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les
institutions, le bien commun»[21].
Une des missions des fidèles est donc de configurer de manière droite la
vie sociale, en en respectant la légitime autonomie et en coopérant avec
les autres citoyens, selon les compétences de chacun et sous leur propre
responsabilité[22].
Même si les expressions spécifiques de la charité ecclésiale ne peuvent
jamais se confondre avec l’activité de l’État, il reste cependant vrai que
la charité doit animer l’existence entière des fidèles laïcs et donc aussi
leur activité politique, vécue comme «charité sociale».[23]
Les organisations caritatives
de l’Église constituent au contraire son opus proprium, une tâche
conforme à sa nature, dans laquelle elle ne collabore pas de façon
marginale, mais où elle agit comme sujet directement responsable, faisant
ce qui correspond à sa nature. L’Église ne peut jamais se dispenser de
l’exercice de la charité en tant qu’activité organisée des croyants et,
d’autre part, il n’y aura jamais une situation dans laquelle on n’aura pas
besoin de la charité de chaque chrétien, car l’homme, au-delà de la
justice, a et aura toujours besoin de l’amour.
Les nombreuses structures
de service caritatif dans le contexte social actuel
30. Avant de tenter une
définition du profil spécifique des activités ecclésiales au service de
l’homme, je voudrais maintenant considérer la situation générale de
l’engagement pour la justice et pour l’amour dans le monde d’aujourd’hui.
a) Les moyens de
communication de masse ont rendu désormais notre planète plus petite,
rapprochant rapidement hommes et cultures profondément différents. Si ce
«vivre ensemble» suscite parfois incompréhensions et tensions, cependant,
le fait d’avoir maintenant connaissance de manière beaucoup plus immédiate
des besoins des hommes représente surtout un appel à partager leur
situation et leurs difficultés. Chaque jour, nous prenons conscience de
l’importance de la souffrance dans le monde, causée par une misère tant
matérielle que spirituelle revêtant de multiples formes, en dépit des
grands progrès de la science et de la technique. Notre époque demande donc
une nouvelle disponibilité pour secourir le prochain qui a besoin d’aide.
Déjà le Concile Vatican II l’a souligné de manière très claire : «De nos
jours, [...] à cause des facilités plus grandes offertes par les moyens de
communication, la distance entre les hommes est en quelque sorte vaincue
[...], l’action caritative peut et doit aujourd’hui avoir en vue
absolument tous les hommes et tous les besoins».[24]
Par ailleurs – et c’est un
aspect provocateur et en même temps encourageant du processus de
mondialisation –, le temps présent met à notre disposition d’innombrables
instruments pour apporter une aide humanitaire à nos frères qui sont dans
le besoin, et tout spécialement les systèmes modernes pour la distribution
de nourriture et de vêtements, de même que pour la proposition de
logements et d’accueil. Dépassant les confins des communautés nationales,
la sollicitude pour le prochain tend ainsi à élargir ses horizons au monde
entier. Le Concile Vatican II a noté avec justesse: «Parmi les signes de
notre temps, il convient de relever spécialement le sens croissant et
inéluctable de la solidarité de tous les peuples».[25]
Les organismes de l’État et les associations humanitaires favorisent les
initiatives en vue d’atteindre ce but, par des subsides ou des
dégrèvements fiscaux pour les uns, rendant disponibles des ressources
considérables pour les autres. Ainsi la solidarité exprimée par la société
civile dépasse de manière significative celle des individus.
b) Dans cette situation, à
travers les instances étatiques et ecclésiales, sont nées et se sont
développées de nombreuses formes de collaboration, qui se sont révélées
fructueuses. Les institutions ecclésiales, grâce à la transparence de
leurs moyens d’action et à la fidélité à leur devoir de témoigner de
l’amour, pourront aussi animer chrétiennement les institutions civiles,
favorisant une coordination réciproque, dont ne manquera pas de bénéficier
l’efficacité du service caritatif[26].
Dans ce contexte, se sont aussi formées de multiples organisations à but
caritatif ou philanthropique qui, face aux problèmes sociaux et politiques
existants, s’engagent pour parvenir à des solutions satisfaisantes dans le
domaine humanitaire. Un phénomène important de notre temps est
l’apparition et l’expansion de diverses formes de bénévolat, qui prennent
en charge une multiplicité de services.[27]
Je voudrais ici adresser une parole de reconnaissance et de remerciement à
tous ceux qui participent, d’une manière ou d’une autre, à de telles
activités. Le développement d’un pareil engagement représente pour les
jeunes une école de vie qui éduque à la solidarité, à la disponibilité, en
vue de donner non pas simplement quelque chose, mais de se donner
soi-même. À l’anti-culture de la mort, qui s’exprime par exemple dans la
drogue, s’oppose ainsi l’amour qui ne se recherche pas lui-même, mais qui,
précisément en étant disponible à «se perdre» pour l’autre (cf. Lc
17, 33 et par.), se révèle comme culture de la vie.
De même, dans l’Église
catholique et dans d’autres Églises et Communautés ecclésiales ont surgi
de nouvelles formes d’activité caritative, et de plus anciennes sont
réapparues avec un élan renouvelé. Ce sont des formes dans lesquelles on
arrive souvent à constituer un lien heureux entre évangélisation et œuvres
de charité. Je désire confirmer explicitement ici ce que mon grand
Prédécesseur Jean-Paul II a écrit dans son Encyclique
Sollicitudo rei socialis[28],
lorsqu’il a affirmé la disponibilité de l’Église catholique à collaborer
avec les Organisations caritatives de ces Églises et Communautés, puisque
nous sommes tous animés de la même motivation fondamentale et que nous
avons devant les yeux le même but : un véritable humanisme, qui reconnaît
dans l’homme l’image de Dieu et qui veut l’aider à mener une vie conforme
à cette dignité. En vue d’un développement harmonieux du monde,
l’Encyclique
Ut unum sint a de nouveau souligné qu’il était nécessaire pour les
chrétiens d’unir leur voix et leur engagement «pour le respect des droits
et des besoins de tous, spécialement des pauvres, des humiliés et de ceux
qui sont sans défense».[29]
Je voudrais exprimer ici ma joie, car ce désir a trouvé dans l’ensemble du
monde un large écho à travers de nombreuses initiatives.
Le profil spécifique de
l’activité caritative de l’Église
31. L’augmentation
d’organisations diversifiées qui s’engagent en faveur de l’homme dans ses
diverses nécessités s’explique au fond par le fait que l’impératif de
l’amour du prochain est inscrit par le Créateur dans la nature même de
l’homme. Cependant, cette croissance est aussi un effet de la présence du
christianisme dans le monde, qui suscite constamment et rend efficace cet
impératif, souvent profondément obscurci au cours de l’histoire. La
réforme du paganisme tentée par l’empereur Julien l’Apostat n’est que
l’exemple initial d’une telle efficacité. En ce sens, la force du
christianisme s’étend bien au-delà des frontières de la foi chrétienne. De
ce fait, il est très important que l’activité caritative de l’Église
maintienne toute sa splendeur et ne se dissolve pas dans une organisation
commune d’assistance, en en devenant une simple variante. Mais quels sont
donc les éléments constitutifs qui forment l’essence de la charité
chrétienne et ecclésiale ?
a) Selon le modèle donné par
la parabole du bon Samaritain, la charité chrétienne est avant tout
simplement la réponse à ce qui, dans une situation déterminée, constitue
la nécessité immédiate: les personnes qui ont faim doivent être
rassasiées, celles qui sont sans vêtements doivent être vêtues, celles qui
sont malades doivent être soignées en vue de leur guérison, celles qui
sont en prison doivent être visitées, etc. Les Organisations caritatives
de l’Église, à commencer par les Caritas (diocésaines, nationales,
internationale), doivent faire tout leur possible pour que soient mis à
disposition les moyens nécessaires, et surtout les hommes et les femmes,
pour assumer de telles tâches. En ce qui concerne le service des personnes
qui souffrent, la compétence professionnelle est avant tout nécessaire :
les soignants doivent être formés de manière à pouvoir accomplir le geste
juste au moment juste, prenant aussi l’engagement de poursuivre les soins.
La compétence professionnelle est une des premières nécessités
fondamentales, mais à elle seule, elle ne peut suffire. En réalité, il
s’agit d’êtres humains, et les êtres humains ont toujours besoin de
quelque chose de plus que de soins techniquement corrects. Ils ont besoin
d’humanité. Ils ont besoin de l’attention du cœur. Les personnes qui
œuvrent dans les Institutions caritatives de l’Église doivent se
distinguer par le fait qu’elles ne se contentent pas d’exécuter avec
dextérité le geste qui convient sur le moment, mais qu’elles se consacrent
à autrui avec des attentions qui leur viennent du cœur, de manière à ce
qu’autrui puisse éprouver leur richesse d’humanité. C’est pourquoi, en
plus de la préparation professionnelle, il est nécessaire pour ces
personnes d’avoir aussi et surtout une «formation du cœur» : il convient
de les conduire à la rencontre avec Dieu dans le Christ, qui suscite en
eux l’amour et qui ouvre leur esprit à autrui, en sorte que leur amour du
prochain ne soit plus imposé pour ainsi dire de l’extérieur, mais qu’il
soit une conséquence découlant de leur foi qui devient agissante dans
l’amour (cf. Ga 5, 6).
b) L’activité caritative
chrétienne doit être indépendante de partis et d’idéologies. Elle n’est
pas un moyen pour changer le monde de manière idéologique et elle n’est
pas au service de stratégies mondaines, mais elle est la mise en œuvre ici
et maintenant de l’amour dont l’homme a constamment besoin. L’époque
moderne, surtout à partir du dix-neuvième siècle, est dominée par
différents courants d’une philosophie du progrès, dont la forme la plus
radicale est le marxisme. Une partie de la stratégie marxiste est la
théorie de l’appauvrissement : celui qui, dans une situation de pouvoir
injuste – soutient-elle –, aide l’homme par des initiatives de charité, se
met de fait au service de ce système d’injustice, le faisant apparaître
supportable, au moins jusqu’à un certain point. Le potentiel
révolutionnaire est ainsi freiné et donc le retour vers un monde meilleur
est bloqué. Par conséquent, la charité est contestée et attaquée comme
système de conservation du statu quo. En réalité, c’est là une
philosophie inhumaine. L’homme qui vit dans le présent est sacrifié au
Moloch de l’avenir – un avenir dont la réalisation effective reste
pour le moins douteuse. En vérité, l’humanisation du monde ne peut être
promue en renonçant, pour le moment, à se comporter de manière humaine.
Nous ne contribuons à un monde meilleur qu’en faisant le bien, maintenant
et personnellement, passionnément, partout où cela est possible,
indépendamment de stratégies et de programmes de partis. Le programme du
chrétien – le programme du bon Samaritain, le programme de Jésus – est «un
cœur qui voit». Ce cœur voit où l’amour est nécessaire et il agit en
conséquence. Naturellement, à la spontanéité de l’individu, lorsque
l’activité caritative est assumée par l’Église comme initiative
communautaire, doivent également s\'adjoindre des programmes, des
prévisions, des collaborations avec d’autres institutions similaires.
c) De plus, la charité ne
doit pas être un moyen au service de ce qu’on appelle aujourd’hui le
prosélytisme. L’amour est gratuit. Il n’est pas utilisé pour parvenir à
d’autres fins[30].
Cela ne signifie pas toutefois que l’action caritative doive laisser de
côté, pour ainsi dire, Dieu et le Christ. C’est toujours l’homme tout
entier qui est en jeu. Souvent, c’est précisément l’absence de Dieu qui
est la racine la plus profonde de la souffrance. Celui qui pratique la
charité au nom de l’Église ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi
de l’Église. Il sait que l’amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est
le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à
aimer. Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de Dieu et quand
il est juste de Le taire et de ne laisser parler que l’amour. Il sait que
Dieu est amour (cf. 1 Jn 4,8) et qu’il se rend présent précisément
dans les moments où rien d’autre n’est fait sinon qu’aimer. Il sait – pour
en revenir à la question précédente – que le mépris de l’amour est mépris
de Dieu et de l’homme, et qu’il est la tentative de se passer de Dieu. Par
conséquent, la meilleure défense de Dieu et de l’homme consiste justement
dans l’amour. La tâche des Organisations caritatives de l’Église est de
renforcer une telle conscience chez leurs membres, de sorte que, par leurs
actions – comme par leurs paroles, leurs silences, leurs exemples –, ils
deviennent des témoins crédibles du Christ.
Les responsables de
l’action caritative de l’Église
32. Enfin, nous devons encore
porter notre attention vers les responsables de l’action caritative de
l’Église, déjà cités. Dans les réflexions précédentes, il est désormais
apparu clairement que le vrai sujet des différentes Organisations
catholiques qui accomplissent un service de charité est l’Église elle-même
– et ce, à tous les niveaux, en commençant par les paroisses, en passant
par les Églises particulières, jusqu’à l’Église universelle. C’est
pourquoi il a été plus que jamais opportun que mon vénéré Prédécesseur
Paul VI ait institué le Conseil pontifical Cor unum comme instance
du Saint-Siège responsable de l’orientation et de la coordination entre
les organisations et les activités caritatives promues par l’Église
universelle. Il découle donc de la structure épiscopale de l’Église que,
dans les Églises particulières, les Évêques, en qualité de successeurs des
Apôtres, portent la responsabilité première de la mise en œuvre,
aujourd’hui encore, du programme indiqué dans lesActes des Apôtres
(cf. 2, 42-44): l’Église, en tant que famille de Dieu, doit être
aujourd’hui comme hier, un lieu d’entraide mutuelle et, en même temps, un
lieu de disponibilité pour servir aussi les personnes qui, hors d’elle,
ont besoin d’aide. Au cours du rite de l’Ordination épiscopale, le moment
précis de la consécration est précédé de quelques questions posées au
candidat, où sont exprimés les éléments essentiels de sa charge et où lui
sont rappelés les devoirs de son futur ministère. Dans ce contexte,
l’ordinand promet expressément d’être, au nom du Seigneur, accueillant et
miséricordieux envers les pauvres et envers tous ceux qui ont besoin de
réconfort et d’aide.[31]
Le
Code de Droit canonique, dans les canons concernant le ministère
épiscopal, ne traite pas expressément de la charité comme d’un domaine
spécifique de l’activité épiscopale, mais il expose seulement de façon
générale la tâche de l’Évêque, qui est de coordonner les différentes
œuvres d’apostolat dans le respect de leur caractère propre.[32]
Récemment cependant, le Directoire pour le ministère pastoral des
Évêques a approfondi de manière plus concrète le devoir de la charité
comme tâche intrinsèque de l’Église entière et de l’Évêque dans son
diocèse,[33]
et il a souligné que l’exercice de la charité est un acte de l’Église en
tant que telle et que, au même titre que le service de la Parole et des
Sacrements, elle fait partie, elle aussi, de l’essence de sa mission
originaire.[34]
33. En ce qui concerne les
collaborateurs qui accomplissent concrètement le travail de la charité
dans l’Église, l’essentiel a déjà été dit : ils ne doivent pas s’inspirer
des idéologies de l’amélioration du monde, mais se laisser guider par la
foi qui, dans l’amour, devient agissante (cf. Ga 5,6). Ils doivent
donc être des personnes touchées avant tout par l’amour du Christ, des
personnes dont le Christ a conquis le cœur par son amour, en y réveillant
l’amour pour le prochain. Le critère qui inspire leur action devrait être
l’affirmation présente dans la Deuxième Lettre aux Corinthiens:
«L’amour du Christ nous pousse» (5, 14). La conscience qu’en Lui Dieu
lui-même s’est donné pour nous jusqu’à la mort doit nous amener à ne plus
vivre pour nous-mêmes, mais pour Lui et avec Lui pour les autres. Celui
qui aime le Christ aime l’Église, et il veut qu’elle soit toujours plus
expression et instrument de l’amour qui émane de Lui. Le collaborateur de
toute Organisation caritative catholique veut travailler avec l’Église et
donc avec l’Évêque, afin que l’amour de Dieu se répande dans le monde. En
participant à la mise en œuvre de l’amour de la part de l’Église, il veut
être témoin de Dieu et du Christ et, précisément, pour cela il veut faire
gratuitement du bien aux hommes.
34. L’ouverture intérieure à
la dimension catholique de l’Église ne pourra pas ne pas disposer le
collaborateur à vivre en harmonie avec les autres Organisations pour
répondre aux différentes formes de besoin; cela devra cependant se
réaliser dans le respect du profil spécifique du service demandé par le
Christ à ses disciples. Dans son hymne à la charité (cf. 1 Co 13),
saint Paul nous enseigne que la charité est toujours plus qu’une simple
activité : «J’aurai beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurai
beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne sert à rien» (v.
3). Cette hymne doit être la Magna Charta de l’ensemble du service
ecclésial. En elle sont résumées toutes les réflexions qu’au long de cette
Encyclique j’ai développées sur l’amour. L’action concrète demeure
insuffisante si, en elle, l’amour pour l’homme n’est pas perceptible, un
amour qui se nourrit de la rencontre avec le Christ. La participation
profonde et personnelle aux besoins et aux souffrances d’autrui devient
ainsi une façon de m’associer à lui : pour que le don n’humilie pas
l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi, mais
moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne.
35. Cette juste manière de
servir rend humble celui qui agit. Il n’assume pas une position de
supériorité face à l’autre, même si la situation de ce dernier peut à ce
moment-là être misérable. Le Christ a pris la dernière place dans le monde
– la croix – et, précisément par cette humilité radicale, il nous a
rachetés et il nous aide constamment. Celui qui peut aider, reconnaît que
c’est justement de cette manière qu’il est aidé lui-aussi. Le fait de
pouvoir aider n’est ni son mérite ni un titre d’orgueil. Cette tâche est
une grâce. Plus une personne œuvre pour les autres, plus elle comprendra
et fera sienne la Parole du Christ : «Nous sommes des serviteurs
quelconques» (Lc 17, 10). En effet, elle reconnaît qu’elle agit non
pas en fonction d’une supériorité ou d’une plus grande efficacité
personnelle, mais parce que le Seigneur lui en fait don. Parfois, le
surcroît des besoins et les limites de sa propre action pourront l’exposer
à la tentation du découragement. Mais c’est alors justement que l’aidera
le fait de savoir qu’elle n’est, en définitive, qu’un instrument entre les
mains du Seigneur ; elle se libérera ainsi de la prétention de devoir
réaliser, personnellement et seule, l’amélioration nécessaire du monde.
Humblement, elle fera ce qu’il lui est possible de faire et, humblement,
elle confiera le reste au Seigneur. C’est Dieu qui gouverne le monde et
non pas nous. Nous, nous lui offrons uniquement nos services, pour autant
que nous le pouvons, et tant qu’il nous en donne la force. Faire cependant
ce qui nous est possible, avec la force dont nous disposons, telle est la
tâche qui maintient le bon serviteur de Jésus-Christ toujours en
mouvement: «L’amour du Christ nous pousse» (2 Co 5,14).
36. L’expérience de
l’immensité des besoins peut, d’un côté, nous pousser vers l’idéologie qui
prétend faire maintenant ce que Dieu, en gouvernant le monde, n’obtient
pas, à ce qu’il semble: la solution universelle de tous les problèmes.
D’un autre côté, elle peut devenir une tentation de rester dans l’inertie,
s’appuyant sur l’impression que, quoi qu’il en soit, rien ne peut être
fait. Dans cette situation, le contact vivant avec le Christ est le
soutien déterminant pour rester sur la voie droite : ni tomber dans un
orgueil qui méprise l’homme, qui en réalité n’est pas constructif mais
plutôt détruit, ni s’abandonner à la résignation, qui empêcherait de se
laisser guider par l’amour et, ainsi, de servir l’homme. La prière comme
moyen pour puiser toujours à nouveau la force du Christ devient ici une
urgence tout à fait concrète. Celui qui prie ne perd pas son temps, même
si la situation apparaît réellement urgente et semble pousser uniquement à
l’action. La piété n’affaiblit pas la lutte contre la pauvreté ou même
contre la misère du prochain. La bienheureuse Teresa de Calcutta est un
exemple particulièrement manifeste que le temps consacré à Dieu dans la
prière non seulement ne nuit pas à l’efficacité ni à l’activité de l’amour
envers le prochain, mais en est en réalité la source inépuisable. Dans sa
lettre pour le Carême 1996, la bienheureuse écrivait à ses collaborateurs
laïcs: «Nous avons besoin de ce lien intime avec Dieu dans notre vie
quotidienne. Et comment pouvons-nous l’obtenir ? À travers la prière».
37. Le moment est venu de
réaffirmer l’importance de la prière face à l’activisme et au sécularisme
dominant de nombreux chrétiens engagés dans le travail caritatif. Bien
sûr, le chrétien qui prie ne prétend pas changer les plans de Dieu ni
corriger ce que Dieu a prévu. Il cherche plutôt à rencontrer le Père de
Jésus Christ, lui demandant d’être présent en lui et dans son action par
le secours de son Esprit. La familiarité avec le Dieu personnel et
l’abandon à sa volonté empêchent la dégradation de l’homme, l’empêchent
d’être prisonnier de doctrines fanatiques et terroristes. Une attitude
authentiquement religieuse évite que l’homme s’érige en juge de Dieu,
l’accusant de permettre la misère sans éprouver de la compassion pour ses
créatures. Mais celui qui prétend lutter contre Dieu en s’appuyant sur
l’intérêt de l’homme, sur qui pourra-t-il compter quand l’action humaine
se montrera impuissante ?
38. Job peut certainement se
lamenter devant Dieu pour la souffrance incompréhensible et apparemment
injustifiable qui est présente dans le monde. Il parle ainsi de sa
souffrance : «Oh ! si je savais comment l’atteindre, parvenir à sa demeure
…. Je connaîtrais les termes mêmes de sa défense, attentif à ce qu’il me
dirait. Jetterait-il toute sa force dans ce débat avec moi ? … C’est
pourquoi, devant lui, je suis terrifié ; plus j’y songe, plus il me fait
peur. Dieu a brisé mon courage, le Tout-Puissant me remplit d’effroi» (23,
3. 5-6. 15-16). Souvent, il ne nous est pas donné de connaître la raison
pour laquelle Dieu retient son bras au lieu d’intervenir. Du reste, il ne
nous empêche pas non plus de crier, comme Jésus en croix: «Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» (Mt 27,46). Dans un dialogue
priant, nous devrions rester devant sa face avec cette question: «Jusques
à quand, Maître saint et véritable, tarderas-tu ?» (Ap 6, 10).
C’est saint Augustin qui donne à notre souffrance la réponse de la foi: «Si
comprehendis, non est Deus – Si tu le comprends, alors il n’est pas
Dieu»[35].
Notre protestation ne veut pas défier Dieu, ni insinuer qu’en Lui il y a
erreur, faiblesse ou indifférence. Pour le croyant, il est impossible de
penser qu’il est impuissant ou bien qu’ «il dort» (1 R 18, 27). Ou
plutôt, il est vrai que même notre cri, comme sur les lèvres de Jésus en
croix, est la manière extrême et la plus profonde d’affirmer notre foi en
sa puissance souveraine. En effet, les chrétiens continuent de croire,
malgré toutes les incompréhensions et toutes les confusions du monde qui
les entoure, en la «bonté de Dieu et en sa tendresse pour les hommes» (Tt
3,4). Bien que plongés comme tous les autres hommes dans la complexité
dramatique des événements de l’histoire, ils restent fermes dans la
certitude que Dieu est Père et qu’il nous aime, même si son silence nous
demeure incompréhensible.
39. Foi, espérance et charité
vont de pair. L’espérance s’enracine en pratique dans la vertu de
patience, qui ne fait pas défaut dans le bien, pas même face à l’échec
apparent, et dans celle d’humilité, qui accepte le mystère de Dieu et qui
Lui fait confiance même dans l’obscurité. La foi nous montre le Dieu qui a
donné son Fils pour nous et suscite ainsi en nous la certitude victorieuse
qu’est bien vraie l’affirmation: Dieu est Amour. De cette façon, elle
transforme notre impatience et nos doutes en une espérance assurée que
Dieu tient le monde entre ses mains et que malgré toutes les obscurités il
triomphe, comme l’Apocalypse le révèle à la fin, de façon lumineuse, à
travers ses images bouleversantes. La foi, qui prend conscience de l’amour
de Dieu qui s’est révélé dans le cœur transpercé de Jésus sur la croix,
suscite à son tour l’amour. Il est la lumière – en réalité l’unique – qui
illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité et qui nous donne
le courage de vivre et d’agir. L’amour est possible, et nous sommes en
mesure de le mettre en pratique parce que nous sommes créés à l’image de
Dieu. Par la présente Encyclique, voici à quoi je voudrais vous inviter:
vivre l’amour et de cette manière faire entrer la lumière de Dieu dans le
monde.
CONCLUSION
40. Considérons enfin les
Saints, ceux qui ont exercé de manière exemplaire la charité. La pensée se
tourne en particulier vers Martin de Tours († 397), d’abord soldat, puis
moine et évêque: presque comme une icône, il montre la valeur
irremplaçable du témoignage individuel de la charité. Aux portes d’Amiens,
Martin partage en deux son manteau avec un pauvre: Jésus lui-même, dans la
nuit, lui apparaît en songe revêtu de ce manteau, pour confirmer la valeur
permanente de la parole évangélique: «J’étais nu, et vous m’avez
habillé.... Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont
mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 36. 40).[36]
Dans l’histoire de l’Église, combien d’autres témoignages de charité
peuvent être cités ! En particulier, tout le mouvement monastique, depuis
ses origines avec saint Antoine, Abbé († 356), fait apparaître un service
de charité considérable envers le prochain. Dans le «face à face» avec le
Dieu qui est Amour, le moine perçoit l’exigence impérieuse de transformer
en service du prochain, en plus du service de Dieu, toute sa vie. On peut
expliquer ainsi les grandes structures d’accueil, d’assistance et de soins
nées à côté des monastères. Cela explique aussi les initiatives de
promotion humaine et de formation chrétienne considérables, destinées
avant tout aux plus pauvres, tout d’abord pris en charge par les Ordres
monastiques et mendiants, puis par les différents Instituts religieux
masculins et féminins, tout au long de l’histoire de l’Église. Des figures
de saints comme François d’Assise, Ignace de Loyola, Jean de Dieu, Camille
de Lellis, Vincent de Paul, Louise de Marillac, Joseph B. Cottolengo, Jean
Bosco, Louis Orione, Teresa de Calcutta – pour ne prendre que quelques
noms –, demeurent des modèles insignes de charité sociale pour tous les
hommes de bonne volonté. Les saints sont les vrais porteurs de lumière
dans l’histoire, parce qu’ils sont des hommes et des femmes de foi,
d’espérance et d’amour.
41. Parmi les saints, il y a
par excellence Marie, Mère du Seigneur et miroir de toute sainteté. Dans
l’Évangile de Luc, nous la trouvons engagée dans un service de
charité envers sa cousine Élisabeth, auprès de laquelle elle demeure
«environ trois mois» (1, 56), pour l’assister dans la phase finale de sa
grossesse. «Magnificat anima mea Dominum», dit-elle à l’occasion de
cette visite – «Mon âme exalte le Seigneur» – (Lc 1, 46). Elle
exprime ainsi tout le programme de sa vie: ne pas se mettre elle-même au
centre, mais faire place à Dieu, rencontré tant dans la prière que dans le
service du prochain – alors seulement le monde devient bon. Marie est
grande précisément parce qu’elle ne veut pas se rendre elle-même grande,
mais elle veut rendre Dieu grand. Elle est humble: elle ne veut être rien
d’autre que la servante du Seigneur (cf. Lc 1, 38. 48). Elle sait
qu’elle contribue au salut du monde, non pas en accomplissant son œuvre,
mais seulement en se mettant pleinement à la disposition des initiatives
de Dieu. Elle est une femme d’espérance: uniquement parce qu’elle croit
aux promesses de Dieu et qu’elle attend le salut d’Israël; l’ange peut
venir chez elle et l’appeler au service décisif de ces promesses. C’est
une femme de foi: «Heureuse celle qui a cru», lui dit Élisabeth (Lc
1, 45). Le Magnificat – portrait, pour ainsi dire, de son âme – est
entièrement brodé de fils de l’Écriture Sainte, de fils tirés de la Parole
de Dieu. On voit ainsi apparaître que, dans la Parole de Dieu, Marie est
vraiment chez elle, elle en sort et elle y rentre avec un grand naturel.
Elle parle et pense au moyen de la Parole de Dieu; la Parole de Dieu
devient sa parole, et sa parole naît de la Parole de Dieu. De plus, se
manifeste ainsi que ses pensées sont au diapason des pensées de Dieu, que
sa volonté consiste à vouloir avec Dieu. Étant profondément pénétrée par
la Parole de Dieu, elle peut devenir la mère de la Parole incarnée. Enfin,
Marie est une femme qui aime. Comment pourrait-il en être autrement ?
Comme croyante qui, dans la foi, pense avec les pensées de Dieu et veut
avec la volonté de Dieu, elle ne peut qu’être une femme qui aime. Nous le
percevons à travers ses gestes silencieux, auxquels se réfèrent les récits
des Évangiles de l’enfance. Nous le voyons à travers la délicatesse avec
laquelle, à Cana, elle perçoit les besoins dans lesquels sont pris les
époux et elle les présente à Jésus. Nous le voyons dans l’humilité avec
laquelle elle accepte d’être délaissée durant la période de la vie
publique de Jésus, sachant que son Fils doit fonder une nouvelle famille
et que l’heure de sa Mère arrivera seulement au moment de la croix, qui
sera l’heure véritable de Jésus (cf. Jn 2, 4; 13, 1). Alors, quand
les disciples auront fui, elle demeurera sous la croix (cf. Jn 19,
25-27); plus tard, à l’heure de la Pentecôte, ce seront les disciples qui
se rassembleront autour d’elle dans l’attente de l’Esprit Saint (cf. Ac
1, 14).
42. La vie des Saints ne
comporte pas seulement leur biographie terrestre, mais aussi leur vie et
leur agir en Dieu après leur mort. Chez les Saints, il devient évident que
celui qui va vers Dieu ne s’éloigne pas des hommes, mais qu’il se rend au
contraire vraiment proche d’eux. Nous ne le voyons mieux en personne
d’autre qu’en Marie. La parole du Crucifié au disciple – à Jean, et à
travers lui, à tous les disciples de Jésus: «Voici ta mère» (Jn 19,
27) – devient, au fil des générations, toujours nouvellement vraie. De
fait, Marie est devenue Mère de tous les croyants. C’est vers sa bonté
maternelle comme vers sa pureté et sa beauté virginales que se tournent
les hommes de tous les temps et de tous les coins du monde, dans leurs
besoins et leurs espérances, dans leurs joies et leurs souffrances, dans
leurs solitudes comme aussi dans le partage communautaire. Et ils font
sans cesse l’expérience du don de sa bonté, l’expérience de l’amour
inépuisable qu’elle déverse du plus profond de son cœur. Les témoignages
de gratitude qui lui sont attribués dans tous les continents et dans
toutes les cultures expriment la reconnaissance de cet amour pur qui ne se
cherche pas lui-même, mais qui veut simplement le bien. De même, la
dévotion des fidèles manifeste l’intuition infaillible de la manière dont
un tel amour devient possible: il le devient grâce à la plus intime union
avec Dieu, en vertu de laquelle elle s’est totalement laissé envahir par
Lui – condition qui permet à celui qui a bu à la source de l’amour de Dieu
de devenir lui-même une source d’où «jailliront des fleuves d’eau vive» (Jn
7, 38). Marie, la Vierge, la Mère, nous montre ce qu’est l’amour et
d’où il tire son origine, sa force toujours renouvelée. C’est à elle que
nous confions l’Église, sa mission au service de l’Amour:
Sainte Marie, Mère de Dieu,tu as donné au monde la vraie lumière,Jésus, ton fils – Fils de Dieu.Tu t’es abandonnée complètement
à l’appel de Dieu
et tu es devenue ainsi la source
de la bonté qui jaillit de Lui.
Montre-nous Jésus. Guide-nous vers Lui.
Enseigne-nous à Le connaître et à L’aimer,
afin que nous puissions, nous aussi,
devenir capables d’un amour vrai
et être sources d’eau vive
au milieu d’un monde assoiffé.
Donné à Rome, près de
Saint-Pierre, le 25 décembre 2005, solennité de la Nativité du Seigneur,
en la première année de mon Pontificat.
BENEDICTUS PP. XVI
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Résonances:
Benoît XVI
analyse sa première encyclique
« Ainsi, dans cette encyclique, les thèmes « Dieu », « Christ », et «
Amour », sont fondus ensemble en tant que guide central de la foi
chrétienne. Je voulais montrer l’humanité de la foi, dont fait partie
l’éros – le « oui » de l’homme à sa corporéité créée par Dieu, un « oui »
qui, dans le mariage indissoluble entre un homme et une femme trouve sa
forme enracinée dans la création. Et c’est là que l’éros se transforme en
agapè – que l’amour pour l’autre ne se cherche plus lui-même mais devient
préoccupation pour l’autre, disposition au sacrifice pour lui et ouverture
aussi au don d’une nouvelle vie humaine ».
Réflexion sur l’encyclique par
Mgr Pontier .....En intitulant sa première encyclique " Dieu est
Amour ", Benoît XVI nous parle de l'essentiel de la révélation
chrétienne, de l'identité de Dieu, de celle de l'homme, de la manière de
vivre, d'aimer, de s'épanouir, de se dépasser, de s'unifier,
d'espérer.....nous sommes invités à une nouvelle évangélisation, à une
nouvelle proposition de la foi, et cela en toutes occasions et
circonstances. Au cœur de la Bonne Nouvelle, il y a cette annonce : "
Dieu est Amour ". C'est de cela que nous vivons ....
La Bible se résume en trois mots : Dieu est amour, explique le
P. Cantalamessa
Synthèse de l’encyclique : « Dieu
est Amour »
La cinéaste Liliana
Cavani trouve l’encyclique de Benoît XVI « fascinante »
Chiara
Lubich commente l’encyclique « Dieu est amour »
Par Rémi Brague ...«Le Pape rappelle
l'évidence : Dieu n'est pas celui qui demande ou commande, mais d'abord
celui qui donne»
Résonances RS : Cette encyclique est universelle et
d'une espérance folle... par sa première partie elle s'adresse à toutes
les religions, traditions, philosophies, idéologies ..dont les laïques
aux racines chrétiennes ...elle met aux oubliettes la rencontre de
Jean-Paul II à Assise, celle du « prions ensemble... Nous avons le même
Dieu... » . .... Puissent les hommes ...accepté une vision UN et
multiples ... Puisse le coeur des hommes de chac-un des multiples un
s'ouvrir au Dieu-amour .... témoignons de cela ...
Par sa deuxième partie elle remet l'Âmour
au coeur de l'Eglise Universelle ... puisse-t-elle en témoigner et
revoir en conséquence ses notions de tolérance, multiculturalisme, de
solidarité remplaçant la charité ...de prosélytisme ...d'attitude
d'ensemble-ENUN ou d'ensemble-HOMENTRANCHE... et devenir des hommes EN coques .. de
coques ...famille... cité... état... culture s'emboîtant et coexistant
... échangeant fraternellement ... en communion avec les autres uns dans
l'UN.. la civilisation de l'Amour
Commentaires à
revoir à la lumière de la lecture de
Michel Fromaget ..... l'anthropologie ternaire
messages
reçus
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Benoît XVI
et la discipline de l'amour ....
Dans sa première
encyclique, publiée hier, le Pape souligne que «la découverte de l'autre»
fonde le rapport chrétien au monde.
Source: Le
Figaro 26.01.06
Hervé Yannou
L'AMOUR et la charité doivent être
au coeur de l'action de l'Église catholique dans un monde où «l'on
associe parfois la vengeance au nom de Dieu, ou même le devoir de la
haine et de la violence». Sa première encyclique, Benoît XVI a voulu
l'ancrer dans l'actualité, sans en faire un programme de gouvernement.
Intégralement dévoilée hier, bien que signée du 25 décembre dernier,
Deus caritas est («Dieu est Amour») est à la fois une réflexion
théologico-philosophique sur l'amour et un enseignement concret sur la
charité chrétienne face au sécularisme, au libéralisme et à
l'étatisme.
Ce texte de 78 pages porte la griffe
de Benoît XVI. Dans un style didactique bien différent de celui de
Jean-Paul II, citant la Torah, Nietzsche et Descartes, il a voulu
répondre aux reproches faits «au christianisme du passé d'avoir été
l'adversaire de la corporéité». Rien de normatif. Le Pape veut
réconcilier l'éros, la sensualité, l'amour passion et païen avec
l'agape, l'amour fondé dans la foi chrétienne. Pour lui, la façon
«d'exalter le corps» est «trompeuse». Le terme amour, «galvaudé», a
perdu son sens. «La fausse divinisation de l'éros» le rabaisse au
simple «sexe». «L'archétype de l'amour» est celui entre un homme et
une femme dans le cadre du mariage. L'éros «a besoin de discipline,
de purification», pour donner «non pas le plaisir d'un instant, mais
un certain avant-goût du sommet de l'existence».
** Â JE NOUS **

- Ah,mon dieu !Je suis perdue ! L'Amour avec un grand " A"
!
Voutch
Il demande aux États de prendre
leurs responsabilités
Jean-Paul II abordait déjà la
sexualité à la lumière de la divinité de l'homme et pas uniquement du
point de vue de l'animalité et du péché. Pour son successeur,
l'amour «n'est pas seulement un sentiment», c'est la «véritable
découverte de l'autre», l'amour de Dieu et l'amour du prochain.
De cet amour, le Pape tire une leçon
pratique pour l'action catholique. «La charité n'est pas pour l'Église
une sorte d'assistance sociale qu'on pourrait laisser à d'autres, mais
elle appartient à sa nature». Il revient aux sources du christianisme
pour réaffirmer l'identité catholique du XXIe siècle. Benoît XVI ne
veut pas de tartuffes. Il ne suffit pas «d'être pieux et d'accomplir
ses devoirs religieux», mais il faut être attentif à l'autre, sinon la
«relation à Dieu se dessèche».
Il demande ainsi aux États de
prendre leurs responsabilités en matière de justice sociale et
justifie l'apport spécifique des oeuvres caritatives de l'Église dans
la société laïcisée. Si la recherche d'une société et d'un État plus
justes relève du politique, Benoît XVI pointe l'échec du marxisme,
condamne à la fois l'État «vaurien», «qui ne serait pas dirigé selon
la justice», et l'État «bureaucratique» qui, voulant «pourvoir à
tout», ne peut assurer l'essentiel dont «l'homme souffrant a besoin».
Entre les deux, la doctrine sociale de l'Église «indépendante des
partis, des idéologies» et rejetant le «prosélytisme», est une
«force». Elle «s'étend bien au-delà des frontières de la foi
chrétienne» et, rappelle le Pape, dépasse la simple philanthropie.
** dessin de VOUTCH ... trouvé sur Internet via
Google images " avec les mots "Dieu amour" en 4 ou 5ième page ..paru
sans doute dans un Figaro Madame ....
AJENOUS
haut de page
texte hébergé
en 01/06
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Synthèse de l’encyclique : « Dieu est Amour »
26 janvier 2006
ROME (ZENIT.org) La première encyclique
de Benoît XVI publiée hier, a pour titre « Dieu est Amour », « Deus
Caritas est ». Elle est consacrée à la spécificité de l’amour chrétien, et
vise à raviver cette « charité » qui vient de Dieu au cœur de l’Eglise. En
date de Noël, le 25 décembre 2005, elle compte deux parties, et 42
paragraphes, soit, en français, 78 petites pages.
Nous en proposons cette synthèse,
inspirée de la synthèse proposée en italien par la salle de presse du
Saint-Siège.
La première partie de l’encyclique a
pour titre : « L’unité de l’amour dans la création et dans l’histoire du
salut ». Elle propose une réflexion à la fois philosophique et
théologique, biblique et spirituelle sur la réalité de l’amour sous ses
différentes formes, spécialement celles désignées par les mots grecs «
éros » et « agapè » auxquels la révélation biblique a donné un sens
nouveau.
La seconde partie de l’encyclique a pour
titre : « Caritas - L’exercice de l’amour de la part de l’Eglise en tant
que communauté de l’amour », et présente la mise en pratique du
commandement de l’amour.
L’éros inscrit dans l’homme par le
Créateur Au début de son encyclique, le pape évoque un « problème de
langage ». Il fait remarquer que le terme « amour » est l’un des mots les
plus « galvaudés » aujourd’hui et que, parmi les différentes formes
d’amour, l’amour entre l’homme et la femme est considéré comme l’amour par
excellence. La Grèce antique le désignait par le terme d’« éros ». Dans la
Bible, et en particulier dans le Nouveau Testament, le concept d’« amour »
est purifié et approfondi comme en témoigne l’emploi du mot « agapè » pour
exprimer un amour « oblatif ».
A propos de la nouvelle vision de
l’amour introduite par le Christ lui-même, Benoît XVI fait observer un
malentendu : on l’a présentée comme un refus de l’éros et de la
corporéité. Or, le pape souligne que l’éros a été inscrit dans la nature
même de l’homme par son Créateur. Mais il a aussi besoin « de discipline,
de purification et de maturation » pour ne pas perdre sa « dignité
originelle » et ne pas être réduit à une conception du sexe quasi
marchande.
Le don de soi, une « libération » Mais
la foi chrétienne considère l’homme comme un être où sont unis l’esprit et
la matière. Ainsi, lorsque le corps et l’âme de l’homme se trouvent en
parfaite harmonie, le défi de l’éros est en quelque sorte surmonté.
L’amour devient « extase », non pas moment d’ivresse passagère mais «
exode permanent du moi fermé sur lui-même vers sa libération dans le don
de lui-même » : l’éros peut conduire l’être humain vers le divin.
Ces deux formes de l’amour, « éros » et
« agapè » ne peuvent donc être dissociées : plus ils trouvent un juste
équilibre, plus la vraie nature de l’amour se réalise. Même si l’éros est
au départ essentiellement désir, lorsqu’il se rapproche de l’autre
personne, il cherche le bonheur de l’autre, se donne et désire être « pour
l’autre ».
Enfin, du point de vue chrétien, l’éros-agapè
atteint sa forme sublime dans Jésus Christ, amour de Dieu fait chair. La
mort sur la croix de Jésus qui se donne pour relever et sauver l’homme,
exprime l’amour dans sa forme la plus élevée. De plus, à la veille de sa
Passion, Jésus confère à cette offrande une présence durable dans le monde
par l’institution de l’Eucharistie. Sous les espèces du pain et du vin, il
se donne et unit les chrétiens à Lui. En participant à l’Eucharistie les
chrétiens sont à leur tour entraînés dans la dynamique de ce don et
deviennent « un seul corps ».
L’amour pour Dieu et l’amour pour le
prochain ne sont plus qu’un et l’amour peut être un « commandement » car
il est déjà « donné ».
Reflet de l’amour trinitaire Dans la
seconde partie de son encyclique, le pape montre que l’amour pour le
prochain, enraciné dans l’amour de Dieu, est un devoir pour tout fidèle
comme pour la communauté ecclésiale, qui, dans son activité caritative
doit refléter l’amour trinitaire.
La conscience d’un tel devoir a eu une
importance constitutive pour l’Eglise depuis ses débuts et la « diaconie »
est apparue au sein de la structure fondamentale de l’Eglise en tant que
service de l’amour du prochain exercé en communauté et de manière ordonnée
: un service à la fois concret et spirituel.
La nature intime de l’Eglise s’exprime
dans un triple devoir : l’annonce de la parole de Dieu (kérygme et
martyre), la célébration des sacrements (liturgie) et le service de la
charité (diaconie).
L’objection marxiste Or, à partir du XIX
siècle, une objection fondamentale a mis en cause l’activité caritative de
l’Eglise : l’Eglise favoriserait le maintien du système injuste et
freinerait le changement pour un monde meilleur.
Le marxisme, cité explicitement par le
pape, a ainsi vu dans la révolution mondiale la panacée au problème social
- un « rêve » qui s’est évanoui avec le temps, remarque Benoît XVI.
Or le magistère pontifical a affronté
les problèmes suscités par les changements sociaux du XIXe s. à partir de
l’encyclique de Léon XIII Rerum Novarum (1893) , développant une doctrine
sociale très articulée qui propose des orientations valables bien au-delà
des frontières de l’Eglise. Elle vient d’être exposée dans le « Compendium
» publié en 2004.
Toutefois, le pape fait remarquer que la
création d’un ordre juste de la société est le principal devoir de la
politique, et ne peut constituer une responsabilité « immédiate » de
l’Eglise.
L’amour ou la bureaucratie La doctrine
sociale catholique ne veut pas conférer à l’Eglise « un pouvoir sur l’Etat
», mais souhaite seulement « purifier et éclairer la raison », en offrant
sa contribution à la « formation des consciences », afin que les
authentiques exigences de justice soient « perçues, reconnues et réalisées
».
Cependant, aucune institution d’Etat,
aussi juste soit-elle, ne peut rendre superflu le service de l’amour,
objecte Benoît XVI. Un Etat qui voudrait tout diriger deviendrait une «
instance bureaucratique » incapable d’assurer ce dont l’homme qui souffre
a besoin : le dévouement personnel. « Celui qui veut s’affranchir de
l’amour se prépare à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme », avertit
le pape.
Mais l’encyclique évoque également la
mondialisation, soulignant qu’un de ses effets positifs est la sollicitude
envers le prochain, au-delà des frontières nationales. De très nombreuses
organisations à but caritatif et philanthropique ont vu le jour.
Et, au sein même de l’Eglise catholique,
comme dans d’autres communautés ecclésiales, de nouvelles activités
caritatives sont nées. Il est souhaitable, dit le pape, qu’une «
collaboration fructueuse » s’instaure entre toutes ces instances.
L’action caritative propre au baptisé
Mais il est important que l’activité caritative de l’Eglise ne perde pas
sa propre « identité » et qu’elle conserve toute la « splendeur » de
l’essence de la charité chrétienne et ecclésiale.
L’activité caritative chrétienne, en
plus de la compétence professionnelle, doit se fonder, recommande le pape,
sur « l’expérience d’une rencontre personnelle avec le Christ », dont
l’amour a touché le cœur du croyant, suscitant en lui l’amour pour le
prochain.
Elle doit en outre être « indépendante
de partis et d’idéologies ». Le programme du chrétien - celui du Bon
samaritain, le programme de Jésus, le Bon Pasteur - est d’être « un cœur
qui voit » où il y a besoin d’amour et qui agit en conséquence.
Enfin, l’activité caritative chrétienne
ne doit pas être un « moyen » de « prosélytisme », car « l’amour est
gratuit », et ne peut viser d’autres objectifs. Pourtant, cela ne signifie
pas que l’action caritative doive « laisser Dieu et le Christ de côté ».
Le chrétien doit reconnaître le moment de parler de Dieu ou de se taire,
en laissant parler l’amour.
D’autre part, le pape recommande de
considérer l’hymne de saint Paul sur la charité comme la grande charte de
tout service ecclésial et bouclier contre sa réduction au pur activisme ».
Celui qui prie ne perd pas son temps
Enfin, le pape réaffirme l’importance de la prière. Le contact vivant avec
le Christ évite l’écueil de tomber, devant l’immensité de la tâche et les
limites humaines, dans l’idéologie qui prétend de « faire maintenant ce
que Dieu n’aurait soi-disant pas réussi à faire » et celui de céder à la
tentation de l’inertie et de la résignation.
« Celui qui prie, affirme Benoît XVI, ne
perd pas son temps », et il donne l’exemple de la Vierge Marie, à qui il
adresse une prière finale, et l’exemple des saints, surtout Mère Teresa de
Calcutta, invitant à « puiser en Dieu la lumière et la force de l’amour »
capable de vaincre toute obscurité et tout égoïsme dans le monde.
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Audience générale
: Le pape annonce la publication de sa
première encyclique
« Deus
caritas est »
ROME, Mercredi 18 janvier 2006 (ZENIT.org)
– Nous publions ci-dessous le texte intégral de la catéchèse que le pape
Benoît XVI a prononcée au cours de l’audience générale de ce mercredi,
annonçant la publication de sa première encyclique qui aura pour titre : «
Deus caritas est ».
Lecture: Mt 18, 18-20
18. « En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera
tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu
au ciel pour délié.
19. « De même, je vous le dis en vérité, si deux d’entre vous, sur la
terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera
accordé par mon Père qui est aux cieux.
20. Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au
milieu d’eux ».
« Si deux d'entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander
quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux »
(Mt 18, 19). Cette assurance solennelle de Jésus à ses disciples soutient
également notre prière. Aujourd'hui, commence la « Semaine de prière pour
l'unité des chrétiens » désormais traditionnelle, un rendez-vous important
pour réfléchir sur le drame de la division de la communauté chrétienne et
demander ensemble à Jésus lui-même: « que tous soient un, pour que le
monde croie » (Jn 17, 21). Nous le faisons nous aussi aujourd'hui ici, en
harmonie avec une grande multitude dans le monde. En effet, la prière «
pour l'union de tous » concerne selon des formes, des temps et des modes
différents les catholiques, les orthodoxes et les protestants, rassemblés
par la foi en Jésus Christ, unique Seigneur et Sauveur.
La prière pour l'unité fait partie de ce noyau central que le Concile
Vatican II appelle « l'âme de tout l'œcuménisme » (Unitatis redintegratio,
n. 8), un noyau qui comprend précisément les prières publiques et privées,
la conversion du cœur et la sainteté de vie. Cette vision nous ramène au
centre de la question œcuménique qui est l'obéissance à l'Evangile pour
accomplir la volonté de Dieu, avec son aide nécessaire et efficace. Le
Concile l'a explicitement signalé aux fidèles en déclarant: « plus
étroite, en effet, sera leur — notre — communion avec le Père, le Verbe et
l'Esprit Saint, plus ils pourront rendre intime et facile la fraternité
mutuelle » (ibid., n. 7).
Les éléments qui, malgré la division permanente, rassemblent encore les
chrétiens, donnent la possibilité d'élever une prière commune à Dieu.
Cette communion dans le Christ soutient tout le mouvement œcuménique et
indique le but même de la recherche de l'unité de tous les chrétiens dans
l'Eglise de Dieu. Cela distingue le mouvement œcuménique de tout autre
initiative de dialogue et de relations avec les autres religions et
idéologies. L'enseignement du décret sur l'œcuménisme du Concile Vatican
II avait également été précis à ce propos: « A ce mouvement vers l'unité,
qu'on appelle le mouvement œcuménique, prennent part ceux qui invoquent le
Dieu Trinité et confessent Jésus pour Seigneur et Sauveur » (ibid., n. 1).
Les prières communes qui se déroulent dans le monde entier, en particulier
au cours de cette période, ou bien autour de la Pentecôte, expriment en
outre la volonté d'engagement commun pour le rétablissement de la pleine
communion de tous les chrétiens. Ces prières communes sont « assurément un
moyen efficace de demander la grâce de l'unité » (ibid., n.8). Avec cette
affirmation, le Concile Vatican II interprète en substance ce que dit
Jésus à ses disciples, auxquels il assure que si deux personnes s'unissent
sur terre pour demander quelque chose au Père qui est dans les cieux, il
l'accordera « car », là où deux où trois sont réunis en son nom, il est au
milieu d'eux. Après la résurrection, il assure encore qu'il sera toujours
avec eux « pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20). C'est la
présence de Jésus dans la communauté des disciples et dans notre prière,
qui en garantit l'efficacité. Au point de promettre que « tout ce que vous
lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous
délierez sur terre sera tenu au ciel pour délié» (Mt 18, 18).
Mais ne nous limitons pas à implorer. Nous pouvons également rendre grâce
au Seigneur pour la nouvelle situation créée au prix de nombreux efforts
par les relations œcuméniques entre les chrétiens dans une fraternité
retrouvée, pour les profonds liens de solidarité établis, pour la
croissance de la communion et pour les points de convergence atteints —
certes de manière inégale — entre les divers dialogues. Il existe de
nombreuses raisons de rendre grâce. Et s'il reste encore beaucoup à
espérer et à faire, n'oublions pas que Dieu nous a beaucoup donné sur le
chemin vers l'union. C'est pourquoi nous lui sommes reconnaissants pour
ces dons. L'avenir est devant nous. Le Saint-Père Jean-Paul II d'heureuse
mémoire — qui a tant œuvré et souffert pour la question œcuménique — nous
a opportunément enseigné que « reconnaître ce que Dieu nous a déjà accordé
est la condition qui nous prédispose à recevoir des dons encore
nécessaires, pour porter jusqu'à son achèvement l'action œcuménique en
faveur de l'unité » (Ut unum sint, n. 41). Chers frères et sœurs,
continuons donc à prier, car nous sommes conscients que la sainte cause du
rétablissement de l'unité des chrétiens dépasse nos pauvres forces
humaines et que l'unité définitive est un don de Dieu.
C'est dans ce sens et avec ces sentiments que je me rendrai sur les traces
du Pape Jean-Paul II mardi prochain, 25 janvier, fête de la conversion de
l'Apôtre des Nations, dans la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, pour
prier avec nos frères orthodoxes et protestants: prier afin de rendre
grâce pour tout ce que le Seigneur nous a accordé ; prier afin que le
Seigneur nous guide sur les voies de l'unité.
En outre, le même jour, le 25 janvier, sera finalement publiée ma première
Encyclique, dont le titre est déjà connu : « Deus caritas est », « Dieu
est amour ». Le thème n'est pas immédiatement œcuménique, mais le cadre et
le contexte sont œcuméniques, car Dieu et notre amour sont la condition de
l'unité des chrétiens. Ils sont la condition de la paix dans le monde.
Dans cette Encyclique, je voudrais présenter le concept de l'amour sous
ses diverses dimensions. Aujourd'hui, dans la terminologie que nous
connaissons, « amour » apparaît souvent très éloigné de ce que pense un
chrétien lorsque l'on parle de charité. Pour ma part, je voudrais montrer
qu'il s'agit d'un unique mouvement ayant diverses dimensions. L'« eros »,
ce don de l'amour entre un homme et une femme, vient de la même origine
que la bonté du Créateur, de même que la possibilité d'un amour qui
renonce à soi en faveur de l'autre. L'« eros » se transforme en « agape »,
dans la mesure où les deux s'aiment réellement et que l'on ne recherche
plus soi-même, sa joie, son plaisir, mais que l'on cherche avant tout le
bien de l'autre. Et ainsi, cela, qui est « eros », se transforme en
charité, en un chemin de purification, d'approfondissement. De sa propre
famille, on s'ouvre vers la plus grande famille de la société, vers la
famille de l'Eglise, vers la famille du monde.
Je voudrais également démontrer que l'acte très personnel qui nous vient
de Dieu est un acte unique d'amour. Il doit également s'exprimer comme un
acte ecclésial, d'organisation. S'il est réellement vrai que l'Eglise est
l'expression de l'amour de Dieu, de l'amour que Dieu a pour sa créature
humaine, il doit être également vrai que l'acte fondamental de la foi qui
crée et unit l'Eglise et nous donne l'espérance de la vie éternelle et de
la présence de Dieu dans le monde, engendre un acte ecclésial. En
pratique, l'Eglise, également en tant qu'Eglise, en tant que communauté,
de façon institutionnelle, doit aimer. Et cette « caritas » n'est pas une
pure organisation, comme d'autres organisations philanthropiques, mais une
expression nécessaire de l'acte plus profond de l'amour personnel avec
lequel Dieu nous a créés, suscitant dans notre cœur l'élan vers l'amour,
reflet du Dieu Amour qui nous fait à son image.
Il s'est écoulé beaucoup de temps avant que le texte ne soit prêt et
traduit. A présent, il me semble que c'est un don de la Providence que le
texte soit publié précisément le jour où nous prierons pour l'unité des
chrétiens. J'espère qu'il pourra illuminer et aider notre vie chrétienne.
[Texte original : italien – Traduction réalisée par Zenit]
ZF06011811
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Charité et philanthropie : Benoît XVI
analyse sa première encyclique
Symposium organisé par Cor Unum
ROME, Lundi 23 janvier 2006 (ZENIT.org)
– Charité et philanthropie : anticipant sur la publication de sa première
encyclique, sur l’Amour de Dieu, le pape Benoît XVI explique la différence
et ses conséquences concrètes.
Le pape a en effet reçu à midi en la salle Clémentine du Palais
apostolique du Vatican les participants de la rencontre promue par le
conseil pontifical "Cor Unum" où il a abordé le thème de son encyclique,
qui sera présentée à la presse mercredi prochain.
Dieu lui-même nous pousse à soulager la misère
« Le spectacle de l’homme souffrant touche notre cœur, fait observer le
pape. Mais l’engagement caritatif a un sens qui va bien au-delà de la
simple philanthropie. C’est Dieu lui-même qui nous pousse de l’intérieur à
soulager la misère. Ainsi, en définitive, c’est lui-même que nous
apportons au monde souffrant. Et plus nous le portons consciemment et
clairement comme un don, et plus efficacement notre amour changera le
monde et réveillera l’espérance – une espérance qui va au-delà de la mort
et ce n’est qu’ainsi qu’elle est une véritable espérance pour l’homme ».
« La foi, insiste le pape, n’est pas une théorie que l’on peut faire
sienne ou que l’on peut aussi laisser de côté. C’est une chose très
concrète : c’est le critère qui décide de notre style de vie. A une époque
où l’hostilité et l’avidité sont devenues des superpuissances, une époque
où nous assistons à l’abus de la religion jusqu’à l’apothéose de la haine,
la seule rationalité neutre n’est pas en mesure de nous protéger. Nous
avons besoin du Dieu vivant, qui nous a aimés jusqu’à la mort ».
Spécificité de l’amour chrétien
« Ainsi, dans cette encyclique, les thèmes « Dieu », « Christ », et «
Amour », sont fondus ensemble en tant que guide central de la foi
chrétienne. Je voulais montrer l’humanité de la foi, dont fait partie
l’éros – le « oui » de l’homme à sa corporéité créée par Dieu, un « oui »
qui, dans le mariage indissoluble entre un homme et une femme trouve sa
forme enracinée dans la création. Et c’est là que l’éros se transforme en
agapè – que l’amour pour l’autre ne se cherche plus lui-même mais devient
préoccupation pour l’autre, disposition au sacrifice pour lui et ouverture
aussi au don d’une nouvelle vie humaine ».
Pour ce qui est de la spécificité de l’amour chrétien, le pape explique :
« L’agapè chrétienne, l’amour du prochain à la suite du Christ n’est pas
quelque chose d’extérieur, placé à côté et même contre l’éros ; plus
encore, dans le sacrifice que le Christ a fait de lui-même pour l’homme il
a trouvé une nouvelle dimension qui, dans l’histoire du dévouement
charitable des chrétiens envers les pauvres et ceux qui souffrent, s’est
développée toujours davantage ».
Unité des deux parties de l’encyclique
A propos de l’interprétation de son encyclique, le pape explique encore :
« Une première lecture de l’encyclique pourrait peut-être donner
l’impression qu’elle se divise en deux parties peu liées entre elles : une
première partie théorique qui parle de l’essence de l’amour, et une
seconde qui traite de la charité ecclésiale, des organisations caritatives
».
« Mais justement ce qui m’intéressait, confie le pape, c’était l’unité des
deux thèmes qui ne se comprennent bien que si on les voit comme une seule
chose. Il fallait d’abord traiter de l’essence de l’amour comme il se
présente à nous à la lumière du témoignage biblique. Partant de l’image
chrétienne de Dieu, il fallait montrer comment l’homme est créé pour aimer
et comment cet amour, qui apparaît initialement surtout comme éros entre
un homme et une femme, doit ensuite se transformer intérieurement en
agapè, en don de soi à l’autre – et cela justement pour répondre à la
vraie nature de l’éros ».
Un acte ecclésial
Benoît XVI poursuit cette analyse de sa propre encyclique en disant : «
Sur cette base, il fallait expliquer que l’essence de l’amour de Dieu et
du prochain décrit par la Bible, est le centre de l’existence chrétienne,
le fruit de la foi. Mais ensuite, dans une seconde partie, il fallait
montrer que l’acte totalement personnel de l’agapè ne peut jamais rester
une chose purement individuelle, mais doit au contraire devenir un acte
essentiel de l’Eglise en tant que communauté : c’est-à-dire qu’elle a
aussi besoin de la forme institutionnelle qui s’exprime dans l’agir
communautaire de l’Eglise ».
Le pape en arrive à cette idée qu’il a déjà exprimée lors de l’audience
générale de mercredi dernier et directement en prise sur l’activité de Cor
Unum: « L’organistion ecclésiale de la charité n’est pas une forme
d’assistance sociale qui s’ajoute par hasard à la réalité de l’Eglise, une
initiative que l’on pourrait laisser aussi à d’autres. Elle fait au
contraire partie de la nature de l’Eglise ».
Le pape explique le thème central de son encyclique en ces termes: « Comme
au Logos divin correspond l’annonce humaine, la parole de la foi, ainsi, à
l’agapè qui est Dieu, doit correspondre l’agapè de l’Eglise, son activité
caritative ».
Foi et charité
« Cette activité, continue le pape, au-delà de sa première signification
très concrète d’aider le prochain, possède essentiellement aussi celle de
communiquer aux autres l’amour de Dieu, que nous-mêmes avons reçu. Elle
doit d’une certaine façon rendre visible le Dieu vivant. Dans
l’organisation caritative Dieu et le Christ (…) indiquent la source
originelle de la charité ecclésiale. La force de la « Caritas « dépend de
la force de la foi de tous ses membres et collaborateurs ».
Benoît XVI prend pour point de départ un passage du « Paradis de Dante »,
qui évoque le Dieu trinitaire sous la forme de la Lumière.
« L’excursion où Dante, dans la « Divine Comédie » veut impliquer le
lecteur finit devant la Lumière éternelle qui est Dieu lui-même, devant
cette Lumière, qui est en même temps « l’amour qui meut le soleil et les
autres étoiles » (Paradis, Chant XXXIII, vers 145). Lumière et amour sont
une seule chose. Ils sont la puissance créatrice primordiale qui meut
l’univers. Si ces paroles du Paradis de Dante laissent transparaître la
pensée d’Aristote qui voyait dans l’éros la puissance qui meut le monde,
le regard de Dante aperçoit cependant une chose totalement neuve et
inimaginable pour le philosophe grec ».
Lumière et amour
Le pape explique que tout d’abord, « la Lumière éternelle se présente en
trois cercles auxquels il s’adresse par des vers denses ».
Ensuite, un élément « encore plus bouleversant », est que « cette
révélation de Dieu comme cercle trinitaire de connaissance et d’amour est
la perception d’un visage humain, le visage de Jésus-Christ, qui, à Dante,
apparaît dans le cercle central de la Lumière ».
Le pape souligne la réalité du Cœur du Christ en disant : « Dieu, Lumière
infinie, dont le mystère incommensurable avait été pressenti par le
philosophe grec, ce Dieu a un visage humain, et – pouvons-nous ajouter –
un cœur humain ».
« Dans cette vision de Dante, analyse encore le pape, se montre d’un côté
la continuité entre la foi chrétienne en Dieu et la recherche développée
par la raison et par le monde des religions ; mais en même temps, apparaît
aussi la nouveauté qui dépasse toute recherche humaine, la nouveauté que
seul Dieu lui-même pouvait nous révéler : la nouveauté d’un amour qui a
poussé Dieu à assumer un visage humain, et même chair et sang, tout l’être
humain ».
Le Bon Samaritain
Benoît XVI résume ainsi ses conclusions avec l’image du Bon Samaritain : «
L'eros de Dieu n’est pas seulement une force cosmique primordiale ; c’est
un amour qui a créé l’homme et qui se penche vers lui, comme le Bon
Samaritain s’est penché sur l’homme blessé et volé, qui git au bord de la
route qui descend de Jérusalem à Jéricho ».
Le pape repartait du mot « amour » et de ses connotations actuelles en
disant : « Le mot « amour » est abîmé de nos jours, on l’a usé, et on en a
abusé au point que l’on a presque peur de le laisser effleurer nos lèvres.
Et pourtant, c’est uen parole primordiale expression de la réalité
primordiale ; nous ne pouvons pas simplement l’abandonner, mais nous
devons le reprendre, le purifier et le ramener à sa splendeur ioriginelle,
afin qu’il pouisse éclairer notre vie, et la conduire sur le juste chemin
».
Récapitulation de Dante
Il confiait ainsi les raisons de son choix pour sa première encyclique : «
C’est cette conscience qui m’a conduit à choisir l’amour comme thème de ma
premlière encyclique. Je voulais tenter d’exprimer pour notre temps et por
notre existence quelque chose de ce que Dante, dans sa vision a récapitulé
de façon audacieuse ».
« Il raconte, explique encore le pape une « visite » (…) qui le
transformait intérieurement (cf. Par., XXXIII, vv. 112-114). Il s’agit
justement de ceci : que la foi devienne une vision –compréhension qui nous
transforme. C’était mon désir de donner du relief au caractère central de
la foi en Dieu – dans ce Dieu qui a assumé un visage humain et un cœur
humain ».
ZF06012301

ROME, Lundi 6 février 2006 (ZENIT.org)
– Nous publions ci-dessous le texte des allocutions que le pape Benoît XVI
a prononcées à l’occasion de la prière de l’Angélus du dimanche 5 février.
Extrait...
Tout en invitant à méditer le message
des évêques italiens qui a pour thème « Respecter la vie », je repense au
bien-aimé pape Jean-Paul II qui a consacré une attention constante à ces
problématiques. Je voudrais en particulier rappeler l’encyclique «
Evangelium Vitae » qu’il a publiée en 1995 et qui représente une
authentique pierre angulaire dans le magistère de l’Eglise sur une
question si actuelle et décisive. En insérant les aspects moraux dans un
vaste cadre spirituel et culturel, mon vénéré prédécesseur a répété à
plusieurs reprises que la vie humaine est une valeur primordiale à
reconnaître, et que l’Evangile invite à toujours la respecter. A la
lumière de ma récente encyclique sur l’amour chrétien, je voudrais
souligner l’importance du service de la charité pour le soutien et
la promotion de la vie humaine. A ce propos, avant de mettre en place
toute initiative pratique, il est fondamental de promouvoir une juste
attitude envers l’autre : la culture de la vie est en effet basée sur
l’attention aux autres, sans exclusion ni discrimination. Toute vie
humaine, en tant que telle, mérite et exige d’être défendue et promue.
Nous savons bien que cette vérité risque d’être souvent contredite par
l’hédonisme diffus dans les sociétés dites du « bien- être » : la vie est
exaltée tant qu’elle est agréable, mais on a tendance à ne plus la
respecter lorsqu’elle est sujette à la maladie ou diminuée. Mais si l’on
part au contraire de l’amour profond pour toute personne, il est possible
de mettre en œuvre des formes efficaces de service de la vie : de la vie
naissante, ou marquée par la marginalisation ou par la souffrance,
spécialement dans sa phase terminale.
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Par Rémi Brague
«Le Pape rappelle l'évidence : Dieu
n'est pas celui qui demande ou commande, mais d'abord celui qui donne»
[Le Figaro le 01 février 2006]
Un célèbre petit poème (1883) de
l'écrivain suisse C.F. Meyer décrit une fontaine de Rome : l'eau y
déborde d'une vasque à l'autre à partir d'un jaillissement premier, venu
du centre et d'en haut. Benoît XVI, autre Romain de langue allemande,
aurait pu illustrer de cette image sa récente Encyclique, texte
simple et profond.
L'idée principale est que, Dieu étant amour, l'amour vient de Dieu, non
de nous. Nous ne pouvons donner que ce que nous avons reçu. Et ce que
nous avons reçu, nous devons à notre tour le donner. Ou plutôt, puisque
l'amour n'est pas ce que Dieu a, mais bien ce qu'Il est,
nous avons à le laisser se donner en nous. «A partir de l'amour
premier de Dieu, en réponse, l'amour peut aussi jaillir en nous.» Et
«l'amour dont Dieu nous comble... Nous devons le communiquer aux
autres». Aux malheureux qui restent prisonniers de la caricature
d'un Dieu des interdits – que ce soit pour s'y soumettre ou pour le
récuser –, le Pape rappelle l'évidence : Dieu n'est pas celui qui
demande ou commande, mais d'abord celui qui donne. «L'amour n'est
plus seulement un commandement, mais il est la réponse au don de l'amour
par lequel Dieu vient à notre rencontre.»
On notera la formule prudente : l'amour n'est plus seulement un
commandement, ce qui veut dire qu'il le reste aussi. Comment comprendre
cela ? Lorsque Dieu commande, c'est encore pour lui une façon de donner.
Regardons les «dix paroles» (Exode, 20), que nous appelons les
«dix commandements». Dans la première, Dieu ne fait que se présenter
comme celui qui a tiré son peuple de la captivité et l'a libéré. Un
esclave fait ce qu'il veut, une fois que s'éloigne le fouet du gardien.
Un homme libre se sait lié par sa dignité : «Noblesse oblige».
Les «commandements» ne sont que le code d'honneur par lequel les hommes
libres prennent les moyens de rester fidèles à la liberté qui leur a été
accordée.
L'amour est l'objet d'un commandement
parce que, comme tout dans l'homme, il a besoin d'une éducation qui
l'oriente dans la bonne direction. Non pour le rabrouer, mais au
contraire pour lui permettre de s'épanouir pleinement.
Le christianisme «n'a en rien refusé l'eros, mais il a déclaré
la guerre à sa déformation destructrice», explique Benoît XVI. Il ne
refuse à vrai dire jamais rien d'humain ; au contraire, il combat tout
ce qui rend l'homme moins humain, visant ainsi à un «véritable
humanisme». Le culte actuel de l'eros, sous les dehors d'une
idolâtrie du sexe, est en fait la «dégradation du corps humain»,
voire débouche sur la haine de celui-ci et réduit l'autre à l'état
d'objet.
Le christianisme donne à l'amour son objet propre. Celui-ci n'est ni le
corps ni l'âme isolés l'un de l'autre, mais la personne. C'est pourquoi
la doctrine catholique place parmi les «biens du mariage» ce
qu'elle appelle le «remède à la concupiscence». Les sots comprennent :
la sexualité est une maladie ; faute de pouvoir la supprimer, il faut au
moins la canaliser. Mais cela signifie : le désir, créé par Dieu, est un
bien. C'est précisément parce qu'on le respecte qu'il faut l'éduquer, le
mener vers ce qui peut vraiment le satisfaire comme désir pleinement
humain. Se demander s'il vaut mieux aimer Dieu ou les hommes est une
question stupide. Elle suppose deux absurdités. D'une part, du côté de
l'objet, elle sépare ce qui ne forme qu'une seule réalité, car il est
tout simplement impossible d'aimer Dieu autrement qu'en aimant les
hommes. «Seul le service du prochain ouvre mes yeux sur ce que Dieu
fait pour moi.»
D'autre part, du côté du sujet, elle suppose que nous savons déjà aimer,
et qu'il nous faudrait simplement choisir un objet pour cet amour dont
nous maîtriserions l'origine et la destination. Or, nous avons d'abord à
apprendre ce qu'est l'amour, ou plutôt Qui Il est. Ce que la Nouvelle
Alliance apporte de nouveau ne consiste pas en des idées nouvelles sur
l'amour, en un «message», mais en une personne concrète, «la figure
même du Christ», qui a donné sa vie pour ses amis. A sa suite,
«toute l'activité de l'Eglise est l'expression d'un amour qui cherche le
bien intégral de l'homme». La charité n'est pas pour elle une
activité secondaire ; elle «appartient à sa nature». L'Eglise
primitive se distinguait des autres groupes avant tout par le service
des pauvres. En ont témoigné même ses ennemis, jusqu'à l'empereur
Julien. Ce service passe souvent par du «prosélytisme», comme de nos
jours où hindous et musulmans soupçonnent non seulement les prêcheurs,
ce que l'on peut comprendre, mais aussi les écoles, orphelinats,
dispensaires chrétiens. Le Pape rappelle d'une part que «l'amour est
gratuit. Il n'est pas utilisé pour parvenir à d'autres fins». Et en
même temps que rien ne manifeste mieux Dieu : «L'amour, dans sa
pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu auquel
nous croyons et qui nous pousse à aimer». Mais ne pourrait-on se
contenter d'aimer les hommes ? Les Lumières ont prétendu s'y limiter. En
témoigne l'invention de mots qui n'ont guère d'autre sens que d'en
éviter un autre, trop chrétien, celui de «charité», voire de le
remplacer, comme «bienfaisance». Pourquoi ne pas se borner à l'activisme
humanitaire ? Le Pape salue les initiatives «laïques», là où elles sont
réelles et pas seulement verbales. Mais il fait quatre remarques :
1) Chez des saints qu'il énumère, et parmi lesquels il met déjà notre
contemporaine Mère Teresa, la vie de prière ne s'opposait nullement à
une activité débordante en faveur des pauvres. Au contraire, elle la
rendait plus intense encore.
2) «La force du christianisme
s'étend bien au-delà des frontières de la foi chrétienne». Le Pape
donne l'exemple de Julien l'Apostat, qui a voulu réformer le paganisme
en y intégrant le souci des pauvres. On songe aussi à Gandhi, qui
s'inspira moins de l'hindouisme que d'un christianisme qu'il connaissait
d'ailleurs indirectement, par Tolstoï.
3) Les projets révolutionnaires pour
faire le bien de l'humanité n'ont pas manqué. Or, ils ont non seulement
oublié le souci des hommes concrets, mais ils ont voulu éliminer ceux
qui n'entraient pas dans le moule social ou racial par lequel l'humanité
prétendait se définir elle-même.
4) L'amour du prochain ne consiste pas seulement à donner quelque chose,
mais à se donner soi-même : «Pour que le don n'humilie pas l'autre,
je dois lui donner non seulement quelque chose de moi mais, moi-même, je
dois être présent dans le don en tant que personne.»
L'amour est quelque chose que l'on
«fait», comme on le dit au fond très bien, à condition de ne pas oublier
que c'est déjà lui qui nous fait. Ce sont ces deux aspects de l'amour
donné et reçu que le Pape unit en nous proposant de «vivre l'amour».
* Philosophe, professeur à Paris-I et
à l'université de Munich. Auteur notamment d'Europe, la voie romaine
(Gallimard), de La Sagesse du monde (Fayard) et,
dernièrement, de La Loi de Dieu (Gallimard).
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La
cinéaste Liliana Cavani trouve
l’encyclique de Benoît XVI « fascinante »
« Pas de vie sans amour, ni d’Evangile
sans résurrection »
ROME, Mardi 24 janvier 2006 (ZENIT.org)
– La cinéaste Liliana Cavani a commenté le thème de l’encyclique de Benoît
XVI, « Deus Caritas est », qui sera publiée demain, au cours de la session
de ce mardi matin du congrès organisé au Vatican par le conseil pontifical
Cor Unum, sur le thème de la vertu théologale de la charité. La
réalisatrice la trouve « fascinante ».
La cinéaste s’est fait connaître mondialement par son « Francesco » sur la
vie de saint François d’Assise, produit en 1989.
« La force de l’encyclique, a-t-elle déclaré, est justement d’avoir mis
l’accent sur l’amour humain et de l’avoir exalté ».
A propos de ses deux films sur saint François, elle expliquait : « On
parle vraiment du type d’amour que, selon moi, le pape a exprimé: l’amour
qui est justement aimer. Aimer Dieu signifie inévitablement aimer les
hommes, justement parce que chaque homme est une personne, est la
personne-Christ. François, pour arriver à ceci prend du temps. C’est
presque un tour que lui joue le Père éternel lorsqu’il lui fait rencontrer
le lépreux. Tout d’abord, il prend peur et puis il dit : «Mais comment,
c’est le Christ ! Et moi je l’embrasse». Donc, l’amour rend capables de
gestes extraordinaires ».
La cinéaste expliquait : « Le christianisme n’a pas détruit l’éros, au
contraire, il l’a enrichi et complété ». Si l’éros est, disait-elle, comme
attraction, recherche de contact et de réponse », la religion signifie
justement « contacter, prendre contact » et « le contact n’a lieu que dans
l’amour, est une façon continuelle de tomber amoureux entre créatures de
Dieu ».
La réalisatrice de cinéma et de télévision a dit avoir trouvé «
l’encyclique fascinante, très belle, œuvre d’un grand intellectuel ».
Et si, comme le pape le souligne le mot « amour » est aujourd’hui un peu «
déchu », en revanche, « donner l’amour, recevoir l’amour, désirer l’amour
est le moteur de tout l’art ».
« Et j’ai pensé, confie la cinéaste, que la chose la plus belle et la plus
actuelle de l’Evangile, est justement l’annonce de l’amour ».
Selon Mme Cavani, « la foi est un élément qui produit dans le croyant des
effets d’amour pour qui ne croit pas, ou a une foi faible », avec des
résultats bouleversants.
« J’ai connu des personnes d’une grande foi capables d’aimer le prochain
avec la passion des amants », a-t-elle expliqué : « ces personnes sont
convaincues que Dieu se fait vraiment personne dans les autres. Leur
dévouement aux autres est dévouement à Dieu qui se fait personne ».
Considérant le monde d’aujourd’hui, la réalisatrice a constaté que «
l’idée de l’amour s’est appauvrie en général ».
« Dans la culture d’aujourd’hui, l’idée d’amour est rare et c’est pourquoi
l’encyclique du pape est contre-tendance, et surprenante dans son
originalité ».
En parlant de matérialisme qui a envahi nos civilisations, Mme Cavani a
souligné que « parler d’amour en ce moment pourrait sembler presque
bizarre », mais il faut rappeler, ajoutait-elle que « l’homme ne vit pas
seulement de pain, qu’il soit émigré ou qu’il ait fait fortune, sans
l’amour, la vie n’est pas la vie ».
Selon Liliana Cavani , ce sont les idéologies matérialistes qui « ont
appauvri l’imagination, qui ont interdit la réflexion sur soi, et sur le
savoir ontologique de l’existence de chacun en tant qu’individu ».
Elle mentionnait son voyage en Bulgarie dans les années soixante, en
Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie, et en Russie, et la « peine »
qu’elle a ressentie « parce qu’il y avait de la peur et pas de joie ».
« L’encyclique, disait-elle, lance un message très fort, annonce l’amour
en tant que projet fondamental de la vie, place l’amour au centre de tout,
de l’économie, de la technique, et de l’histoire. L’objectif de toute
chose est l’amour, ou tout est vain ».
« A une époque marquée par le matérialisme, l’hédonisme, la possession
comme une fin en soi, qui a dénaturé l’amour, continuait celle que les
Italiens appellent « la Cavani », cette encyclique peut apparaître comme
une bizarrerie ».
Mais elle explique : « Je pense que le besoin d’amour est fondamental. Si
nous l’écoutons, je pense que nous devenons aussi un peu plus équilibrés,
parce que nous comprenons ce qui nous trouble intérieurement. Nous avons
envie d’être aimés et de donner de l’amour, d’aimer. Je pense que c’est
une forme de lucidité ».
En soulignant l’importance d’un dialogue franc entre l’Eglise et la
société, Mme Cavani voit dans le cinéma l’instrument de communication
privilégie pour favoriser un processus de connaissance réciproque en
aidant les hommes d’Eglise à entrer en relation avec ce qui concerne ceux
qui vivent dans le monde et à défaire les préjugés sur les réalités
ecclésiales qui caractérisent souvent la pensée commune, en éloignant
ainsi du message le plus révolutionnaire de tous les temps l’amour
inconditionné qui, dans le mystère de la résurrection, a su vaincre même
la mort ».
A une question du cardinal Cormac Murphy O’Connor sur les suggestions du
New Age, Liliana Cavani répondait que « Là où il y a le New Age, il n’y a
pas d’Eglise », racontant l’histoire d’une jeune qui a suivi le New Age et
s’est « perdue ».
Reprenant la réflexion du pape sur l’éros, Liliana Cavani a développé une
réflexion sur la signification du corps, et elle disait : « La
résurrection des corps est fondamentale et étrangement moins répandue ».
« Les corps sont le seul moyen que nous ayons et le résultat de l’amour de
Dieu qui nous a créés à son image et à sa ressemblance. Le corps est
l’unique possibilité pour exister, aimer, être aimés, et au contraire,
c’est comme s’il y avait une certaine peur, une phobie, parce que le corps
peut se comporter bien ou mal ».
« La bonne nouvelle, c’est la résurrection, a encore insisté Liliana
Cavani. Jésus est mort pour notre vie, pour nous annoncer la résurrection.
S’il n’y avait pas ce final, toute cette histoire ne signifierait rien. L’Evangile
est comme un film, s’il n’y a pas ce final, il ne m’intéresse pas, il se
réduit au « aimons-nous les uns les autres » ».
La résurrection, disait encore la cinéaste, « c’est la fin extraordinaire
qui propose la représentation du vrai amour de l’Eglise catholique et des
chrétiens qui croient en ce film : l’Evangile ».
Le président du conseil pontifical Cor Unum, Mgr Paul Josef Cordes, a
conclu : « Je suis très heureux d’entendre ces paroles sur la
résurrection. Nous, dans l’Eglise, nous avons souvent oublié ce mot, et
cette réalité. C’est si important d’aller dans le monde avec cette idée
pour tenter d’y apporter le vrai amour de l’Eglise ».
ZF06012405
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Chiara Lubich commente l’encyclique « Dieu est
amour »
ROME, Dimanche 29 janvier 2006 (ZENIT.org)
– Nous publions ci-dessous le commentaire de Chiara Lubich, fondatrice du
Mouvement des Focolari, sur la première encyclique de Benoît XVI « Deus
caritas est ».
* * *
« Dieu est amour ». Ma gratitude est grande envers le pape Benoît XVI
depuis l’annonce du titre de sa première encyclique ! Il fait naître en
nous l’espoir que le grand message « Dieu est amour », que le mot « amour
» ramené à sa splendeur originelle, se propagent à l’infini, comme
lorsqu’on jette un caillou dans l’eau et que se forment des cercles
concentriques qui vont en s’élargissant. L’intérêt des médias, dès avant
sa présentation et plus encore maintenant, le laisse prévoir.
« Dieu est Amour » est certainement la Parole que Jésus veut dire
aujourd’hui, en ce nouveau millénaire.
Oui, l’amour est inscrit dans la nature même de l’Église, comme l’écrit le
pape. Ces dernières décennies de nouveaux charismes suscités par l’Esprit
sont venus accroître son patrimoine déjà riche. L’annonce : « Dieu est
amour ! Dieu t’aime tel que tu es » est passée de bouche à oreille,
transformant la vie de millions de personnes. Pour nous, ce fut une
lumière qui a brillé aux heures les plus noires de notre histoire – la
seconde guerre mondiale – et qui nous a donné un éclairage sur tout
l’évangile, nous faisant découvrir que Jésus n’avait pas craint de
prononcer le mot amour. Mieux, nous avons compris que l’amour est le cœur
même de Son message, qu’il est bien « la puissance créatrice primordiale
qui meut l’univers », notre petite histoire personnelle comme l’Histoire
du monde.
Je suis sûre que l’encyclique du pape suscitera un écho spontané dans
toute l’Église et ailleurs. L’amour vécu ne se limite pas à apporter une
aide concrète au prochain, mais pousse aussi à « communiquer aux autres
l’amour de Dieu que nous avons reçu ». Aussi cet amour, souvent vécu avec
héroïsme et silencieusement, sera-t-il fécond au sein des familles, dans
les parlements et dans les usines, dans les universités et dans les
quartiers, dans les zones du monde sous-développées et en ceux qui portent
en eux l’empreinte de l’Homme-Dieu qui crie l’abandon du Père.
Ainsi, d’une certaine façon, seront visibles le Dieu vivant et son agir
dans notre temps, comme le souhaite Benoît XVI. Et Dieu, redécouvert
Amour, attirera le monde.
[Traduction française distribuée par le site
www.focolare.org]
ZF06012910
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Pour le porte-parole du Saint-Siège, M.
Joaquin Navarro-Valls, président de séance, « dans le domaine de la
charité, ce que les gens apprécient le plus, c’est cette découverte : « Je
ne suis pas seul, Dieu m’aime ». Ce qui naturellement ouvre les portes
pour comprendre quelle est la dignité de tout homme ». Ces témoignages
signifient, disait M. Navarro Valls, que « l’amour engendre l’amour ».
ZF06012406

[1]
Cf.
Jenseits
von
Gut
und
Böse,
IV,
168
(Par
delà
le
bien
et
le
mal).
[2] X, 69: Les Belles Lettres, Paris (1942), p. 71.
[3] Cf. René Descartes, Œuvres XII: V. Cousin éd., Paris (1824), pp. 95 ss.
[4] II, 5: SCh 381, p. 196.
[5] Ibid., p. 198.
[6] Cf. Métaphysique, XII, 7.
[7] Cf. Pseudo-Denys l’Aréopagite qui, dans Sur les noms divins IV, 12-14: PG 3, 709-713:Œuvres complètes, Paris (1943), pp. 106-109, appelle Dieu en même temps eros et agapè.
[8] Cf. Le Banquet, XIV-XV, 189c-192d: Les Belles Lettres, Paris (1984), pp. 29-36.
[9] Salluste, Conjuration de Catilina, XX, 4.
[10] Cf. Saint Augustin, Confessions, III, 6, 11: CCL, 27, 32: Bibliothèque augustinienne 13, Paris (1962), p. 383.
[11] De Trinitate, VIII, 8, 12: CCL 50, 287: Bibliothèque augustinienne 16, Paris (1955), p. 65.
[12] Cf. Apologie I, 67: PG 6, 429: Les Pères dans la foi, Paris (1982), pp. 91-92.
[13] Cf. Apologeticum 39,7: PL 1, 468: Les Belles Lettres, Paris (1929), p. 83.
[14] Épître aux Romains, titre: PG, 5, 801: SCh 10, p. 108.
[15] Cf. Saint Ambroise, De officiis ministrorum, II, 28, 140: PL 16, 141.
[16] Cf. Ep. 83: L’empereur Julien, Œuvres complètes, J. Bidez éd., Les Belles Lettres, Paris (1960), vol I, 2 a , p. 145.
[17] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 194: Cité du Vatican (2004), pp. 215-216.
[18] La Cité de Dieu, IV, 4: CCL 47, 102: La Pléiade, Paris (2000), p. 138.
[19] Cf. Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 36.
[20] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 197: Cité du Vatican (2004), p. 219.
[21] Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 42: AAS 81 (1989), p. 472: La Documentation catholique 86 (1989), p. 177.
[22] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale sur certaines questions sur l’engagement des chrétiens dans la vie politique (24 novembre 2002), n. 1: La Documentation catholique 100 (2003), pp. 130-131.
[23] Catéchisme de l’Église catholique, n. 1939.
[24] Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, n. 8.
[25] Ibid., n. 14.
[26] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 195: Cité du Vatican (2004), pp. 217-218.
[27] Cf. Jean-Paul II, Exhor. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 41: AAS 81 (1989), pp. 470-472: La Documentation catholique 86 (1989), p. 177.
[28] Cf. n. 32; AAS 80 (1988), p. 556; La Documentation catholique 85 (1988), pp. 246-247.
[29] N. 43; AAS 87 (1995), p. 946: La Documentation catholique 92 (1995), p. 579.
[30] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 196: Cité du Vatican (2004), pp. 218-219.
[31] Cf. Pontificale Romanum, De ordinatione episcopi, n. 43: Paris (1996), n. 40, p. 34.
[32] Cf. can. 394: Code des Canons des Églises orientales, can. 203.
[33] Cf. nn. 193-198: l.c., pp. 214-221.
[34] Cf. ibid., n. 194: l.c., pp. 215-216.
[35] Sermon 52, 16: PL 38, 360.
[36] Cf. Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, 3, 1-3: SCh 133, 256-258.
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messages reçus
en retour d'abonnés à homocoques.com ... début 2006:
F.D. : «Super, je ne suis pas
perdue, moi … mais rassurée au contraire !
»
F.B. : «Apprécié
l'encyclique de Benoit XVI (suite au thème choisi par vous ,l'année
dernière !)»
X.X. : .... la caricature de VOUTCH
est pour ...., je l'ai imprimée afin de lui la donner ! »
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Première lettre
encyclique du pape Benoît XVI par Mgr Pontier
« Dieu est Amour »
ROME, Jeudi 12 mai 2006 (ZENIT.org)
– A l’occasion de la nomination de Mgr Georges Pontier comme archevêque
de Marseille, nous publions cette réflexion sur l’encyclique de Benoît
XVI, « Dieu est Amour » en janvier dernier, dans le bulletin du diocèse
de La Rochelle et Sainte, où Mgr Pontier est évêque depuis 1996 (http://catholique-larochelle.cef.fr).
Première lettre encyclique du pape Benoît XVI
« Dieu est Amour »
Lorsque le cardinal Joseph Ratzinger fut élu pape, voici neuf mois,
les réactions furent pour le moins diverses et contrastées. N'était-il
pas le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ?
Depuis, beaucoup ont pris une posture d'observateur : que nous réserve
-t- il ? Une poursuite du pontificat de Jean-Paul II ou une rupture,
qualifiée de retour en arrière ? Une réforme attendue de la Curie ?
Des rappels à l'ordre liturgiques ? Poursuivra-t-il sur la route de
l'œcuménisme et du dialogue avec les juifs ? Que fera -t- il de
Vatican II ? Quel pape sera-t-il ?
Les Journées Mondiales de la Jeunesse sont apparues réussies, révélant
un pape humble, à la parole profonde, soucieux de centrer sur le
Christ.
Et voici qu'il vient de publier sa première lettre encyclique. Nous
sommes en train de la découvrir.
Mais ce qui peut déjà s'entendre, c'est que son sujet ne se situe pas
à la périphérie de la foi, sur une de ces multiples questions qui
donnent prises à des interprétations, des échanges, voire des
affrontements. En intitulant sa première encyclique " Dieu est
Amour ", Benoît XVI nous parle de l'essentiel de la révélation
chrétienne, de l'identité de Dieu, de celle de l'homme, de la manière
de vivre, d'aimer, de s'épanouir, de se dépasser, de s'unifier,
d'espérer.
Nous sentons bien depuis des années que nous sommes invités à une
nouvelle évangélisation, à une nouvelle proposition de la foi, et cela
en toutes occasions et circonstances. Au cœur de la Bonne Nouvelle, il
y a cette annonce : " Dieu est Amour ". C'est de cela que nous vivons,
nous autres chrétiens. Non pas seulement de notre amour pour Dieu,
mais de la foi en l'amour qu'Il nous porte. Et nous nous engageons
dans une réponse d'amitié avec Lui. Cette expérience transforme
notre manière d'être avec les autres, parce que nous les savons aimés
de Dieu de toujours à toujours.
Je me réjouis lorsque entre chrétiens nous osons partager jusque-là.
Au cours de la visite pastorale que je vis actuellement sur le doyenné
de Saintes, j'ai rencontré un certain nombre de professionnels de la
santé. Quelle joie d'avoir pu se dire que ce qui nous remue et nous
nourrit, ce qui nous stimule et nous maintient en éveil, c'est cette
foi tranquille de savoir et de croire que l'autre est habité par
l'amour de Dieu, que son corps est le temple de l'Esprit.
Cela appelle tellement au respect et à la compassion ! Qu'on pense au
détenu qui a commis un acte condamnable et condamné mais qu'on ne peut
limiter à cela, ou au malade qui verse dans un Alzheimer violent…
L'amour est comme une source intarissable qui sans cesse renouvelle
en nous nos capacités à aimer. Et cela est sans fin parce que l'amour
ne met pas de limites ou alors il n'est pas amour : quel mystère qui
nous dépasse…
Nous le savons bien, la conversion dont nous parlons consiste à
mieux aimer, à élargir nos capacités d'amour. Et pas seulement dans
leur expression interpersonnelle, mais encore dans leur prolongement
collectif, dans la manière même de nous engager pour relever, là où
nous vivons, les défis de l'avènement de la civilisation de l'amour.
Qu'il est bon que Benoît XVI consacre sa première encyclique, son
premier texte important à parler du Mystère du Dieu qui est Amour !
" Celui qui aime connaît Dieu "…
pourvu qu'il aime non pas seulement en parole, mais en acte et en
vérité.
Le 28 janvier 2006
+ Georges Pontier
Évêque de La Rochelle et Saintes
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La Bible se résume en trois mots : Dieu est amour, explique le P.
Cantalamessa
Commentaire de l’Evangile du dimanche 6 avril
ROME, Vendredi 4 avril 2008 (ZENIT.org)
- Nous publions ci-dessous le commentaire de l'Evangile du dimanche 6
avril, troisième dimanche de Pâques, proposé par le père Raniero
Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.
Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 24,
13-35
Le troisième jour après la mort de Jésus, deux
disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures
de marche de Jérusalem, et ils parlaient ensemble de tout ce qui
s'était passé. Or, tandis qu'ils parlaient et discutaient, Jésus
lui-même s'approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient
aveuglés, et ils ne le reconnaissaient pas. Jésus leur dit : « De quoi
causiez-vous donc, tout en marchant ? » Alors, ils s'arrêtèrent, tout
tristes.
L'un des deux, nommé Cléophas, répondit : « Tu es bien le seul de tous
ceux qui étaient à Jérusalem à ignorer les événements de ces jours-ci.
» Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui
est arrivé à Jésus de Nazareth : cet homme était un prophète puissant
par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple. Les
chefs des prêtres et nos dirigeants l'ont livré, ils l'ont fait
condamner à mort et ils l'ont crucifié. Et nous qui espérions qu'il
serait le libérateur d'Israël ! Avec tout cela, voici déjà le
troisième jour qui passe depuis que c'est arrivé. A vrai dire, nous
avons été bouleversés par quelques femmes de notre groupe. Elles sont
allées au tombeau de très bonne heure, et elles n'ont pas trouvé son
corps ; elles sont même venues nous dire qu'elles avaient eu une
apparition : des anges, qui disaient qu'il est vivant. Quelques-uns de
nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses
comme les femmes l'avaient dit ; mais lui, ils ne l'ont pas vu. » Il
leur dit alors : « Vous n'avez donc pas compris ! Comme votre coeur
est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas
que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, en
partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur expliqua, dans
toute l'Écriture, ce qui le concernait. Quand ils approchèrent du
village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d'aller plus loin.
Mais ils s'efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous : le soir
approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le
rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le
reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Alors ils se dirent
l'un à l'autre : « Notre coeur n'était-il pas brûlant en nous, tandis
qu'il nous parlait sur la route, et qu'il nous faisait comprendre les
Écritures ? » A l'instant même, ils se levèrent et retournèrent à
Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs
compagnons, qui leur dirent : « C'est vrai ! le Seigneur est
ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » A leur tour, ils
racontaient ce qui s'était passé sur la route, et comment ils
l'avaient reconnu quand il avait rompu le pain.
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droits réservés
Il leur expliqua les Ecritures
« Notre coeur n'était-il pas brûlant en nous, tandis
qu'il nous parlait sur la route, et qu'il nous faisait comprendre les
Écritures ? » Nous allons réfléchir précisément sur ce point de
l'évangile des disciples d'Emmaüs : les Ecritures. Il y a deux
manières d'aborder la Bible. La première est de la considérer comme un
livre ancien, plein de sagesse religieuse, de valeurs morales, et
aussi de poésie. De ce point de vue, il s'agit du livre sans aucun
doute le plus important qui existe pour comprendre notre culture
occidentale et la religion judéo-chrétienne. C'est aussi le livre qui
connaît le plus gros tirage et le plus lu de toute l'humanité.
Mais il y a une autre manière, bien plus exigeante,
d'aborder la Bible : celle de croire qu'elle contient la parole
vivante de Dieu pour nous, qu'il s'agit d'un livre « inspiré »,
c'est-à-dire écrit, certes, par des auteurs humains, avec toutes leurs
limites, mais avec l'intervention directe de Dieu. Un livre très
humain et en même temps, divin, qui parle à l'homme de tous les temps,
lui révèle le sens de la vie et de la mort.
Il lui révèle surtout l'amour de Dieu. Si toutes les
Bibles du monde, disait saint Augustin, étaient détruites par un
cataclysme, et qu'il n'en restait qu'un seul exemplaire et que de cet
exemplaire une seule page fut lisible et de cette page, une seule
ligne ; si cette ligne était celle de la première lettre de Jean qui
dit : « Dieu est amour », toute la Bible serait sauve, car elle est
entièrement résumée dans cette phrase. Ceci explique pourquoi tant de
personnes abordent la Bible sans culture, sans avoir fait de grandes
études, avec simplicité, en croyant que c'est l'Esprit Saint qui parle
à travers elle, et trouvent des réponses à leurs problèmes, une
lumière, un encouragement, dans une parole de vie.
Les deux manières d'aborder la Bible - la manière
érudite et celle de la foi - ne s'excluent pas, au contraire, elles
doivent être étroitement liées. Il est nécessaire d'étudier la Bible,
la manière de l'interpréter (ou tenir compte des résultats de ceux qui
l'étudient ainsi), pour ne pas tomber dans le fondamentalisme. Le
fondamentalisme consiste à prendre un verset de la Bible, tel qu'il
est, et l'appliquer en bloc aux situations d'aujourd'hui, sans tenir
compte des différences de culture, de temps, des différents genres
littéraires de la Bible. Certains croient par exemple que le monde a
un peu plus de quatre mille ans, car c'est ce qui résulte de la
lecture de la Bible, alors que nous savons qu'il a plusieurs milliards
d'années. Cependant, nous savons que la Bible n'a pas été écrite pour
faire de la science mais pour apporter le salut. Dans la Bible, Dieu a
adapté son langage pour que les hommes de l'époque puissent
comprendre ; il n'a pas seulement écrit pour les hommes de l'ère
technologique.
D'autre part cependant, réduire la Bible uniquement
à un objet d'étude et d'érudition, en restant neutre face à son
message, c'est la tuer. Ce serait comme si un fiancé qui a reçu une
lettre d'amour de sa fiancée se mettait à l'examiner avec une quantité
de dictionnaires, du point de vue grammatical et syntaxique, et
s'arrêtait là, sans y puiser l'amour qu'elle contient. Lire la Bible
sans la foi, c'est comme ouvrir un livre en pleine nuit : on ne
peut rien lire, ou en tous cas, on ne lit pas l'essentiel. Lire
l'Ecriture avec foi signifie la lire en faisant référence au
Christ, en relevant, dans chaque page, tout ce qui se rapporte à lui.
Exactement comme il fit lui-même avec les disciples d'Emmaüs.
Jésus est resté au milieu de nous de deux manières :
dans l'Eucharistie et dans sa parole. Il est présent dans les
deux : dans l'Eucharistie sous forme de nourriture, dans la Parole
sous forme de lumière et de vérité. La parole a un grand avantage par
rapport à l'Eucharistie. Seuls ceux qui croient déjà et qui se
trouvent en état de grâce peuvent communier ; tous en revanche,
croyants et non croyants, personnes mariées, divorcées, peuvent avoir
accès à la parole de Dieu. Pour devenir croyant, le moyen le plus
normal est d'ailleurs précisément celui d'écouter la parole de Dieu.

Michel Fromaget .....
l'anthropologie ternaire
http://www.leseditionsromaines.com/?pg=interview&SID=72f9909e2942307660dbf08348cce1db&id=4
L.E.R. : Comment interprétez-vous
le fait que la première encyclique écrite par le pape Benoît XVI, «
Deus Caritas est », traite du thème de l’anthropologie ternaire ?
M.F. : Je ne peux interpréter un fait
qui n’existe pas. On peut, à la rigueur, s’interroger sur son absence.
Car il faut le constater, et croyez bien que je suis le premier à le
regretter, l’encyclique de Benoit XVI Deus Caritas est ne
traite pas de l’anthropologie ternaire. Il est vrai que son
vocabulaire peut induire aisément en erreur. Car, dans sa première
partie, en quelque sorte théorique, sur l’amour chrétien (la seconde
traitant de la pratique, de l’exercice de cet amour par l’Eglise),
cette encyclique emploie maintes fois les trois mots de « corps », d’«
âme » et d’« esprit ». Mais elle le fait en usant de manière
indistincte et indifférenciée les mots « âme » et « esprit », ce qui
est tout à fait symptomatique d’une anthropologie qui ne sait pas, ou
ne veut pas, reconnaître que les deux dimensions psychique et
spirituelle de l’humain sont en réalité, dans les faits, - que ceux-ci
soient considérés de manière objective, de l’extérieur, ou de manière
subjective et phénoménologique, de l’intérieur – foncièrement
différentes. Cette anthropologie ne connaît et n’authentifie de
l’homme, à titre substantiel, que deux composantes ontologiques,
c’est-à-dire nécessaires à la définition de l’être : le corps et
l’âme, le physique et le psychique. Une telle anthropologie est, en ce
sens, « dualiste », non pas parce qu’elle oppose les deux termes
qu’elle distingue, mais parce qu’elle refuse catégoriquement tout
troisième terme. Elle n’est en rien ternaire. Or tel est le cas de
l’anthropologie utilisée par la présente encyclique qui, dès son
introduction, tout en récusant une forme particulière de dualisme
(celui qui oppose), affiche clairement le sien (celui qui refuse), en
claironnant bien haut, et comme de manière incantatoire, que « le
corps et l’âme ne forment qu’une seule réalité ». Soit ! Mais l’homme
nouveau, l’homme adulte de saint Paul, l’homme teleios (achevé,
accompli), « l’homme vivant » de saint Irénée (Irénée dans la pensée
duquel, je le rappelle au passage, Jean–Paul II voyait une source où
les chrétiens gagneraient à retremper leur foi), cet homme-là n’est
plus tissé de deux dimensions, mais de trois : le corps, l’âme,
l’esprit. Je ne peux développer cet aspect ici, mais retenons que
cette encyclique jamais n’aborde l’être humain comme tricoté de trois
brins de laine, mais toujours de deux, qui sont indifféremment
désignés par les couples suivants : « âme, corps » (trois fois), «
esprit, chair » (une fois), « esprit, corps » (une fois) et « esprit,
matière » (deux fois). Comme on le voit, d’un coté l’âme et l’esprit
sont tenus pour synonymes, mais de l’autre aussi : le corps, la chair
et la matière. Ce qui, à maints égards, ne serait-ce qu’en raison du
respect dû au vocabulaire biblique (vocabulaire dans lequel les mots «
âme » et « esprit » sont toujours clairement distingués - la
distinction est d’origine divine cf. He 4,12 – et dans lequel le mot «
chair », à lui tout seul, désigne toujours et indissociablement le
couple « âme-corps »), est tout à fait regrettable. De la même manière
on ne peut que regretter que cette encyclique, dont le sujet est
l’Amour, ne connaisse de ce dernier que deux dimensions, savoir Eros
et Agape, alors que toute l’anthropologie antique, aussi bien biblique
que grecque savait et expliquait qu’il en avait trois : Eros, qui
vient du corps et va au corps, Philia, qui vient de l’âme et va à
l’âme et Agape, qui vient de l’esprit et va à l’esprit, c’est-à-dire à
l’homme tout entier. Une dernière remarque. Cette encyclique estime
bon pour son propos de rappeler les échanges entre Descartes et
Gassendi, le premier s’adressant au second par ces mots : «Ô Chair »
et ce dernier saluant le premier en ces termes : « Ô Âme ». Plutôt que
d’en référer à ces deux savants du XVIIe siècle dont l’anthropologie
est si étriquée, il eut été je crois bien préférable de rappeler la
manière extraordinaire dont saint Ignace d’Antioche (IIe siècle),
s’adressait à saint Polycarpe. Il lui disait : « Toi qui es chair et
esprit » (Lettre à Polycarpe 2,2). C’est-à-dire : « Toi qui es corps,
âme et esprit, toi qui es un homme accompli, toi qui es un homme
arrivé à l’âge de l’Amour. »
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