Le 13 décembre 2000,
l'Académie des sciences morales et politiques de Paris s'était
déplacée à Moscou pour remettre son grand prix à Soljenitsyne. Et
celui-ci parla aux émissaires parisiens avec la même tranquille
liberté qu'il avait eue à l'égard des Américains dans son discours
d'Harvard du 8 juin 1978, quand il leur disait déjà : « Non, je ne
peux pas recommander votre société comme un idéal pour la
transformation de la nôtre », c'est-à-dire pour la transformation
de la société soviétique qui était encore sous la domination
communiste. Aux émissaires parisiens, le 13 décembre 2000, il parla
carrément, pour eux, pour nous, non pas d'un avenir radieux, mais de «
la crise profonde qui s'annonce ». Et comme le Pape, il indiqua la
cause : « Il y a cinq siècles, l'humanisme s'est laissé entraîner
par un projet séduisant : emprunter au christianisme ses lumineuses
idées, son sens du bien, sa sympathie à l'égard des opprimés et des
miséreux, son affirmation de la libre volonté de chaque être humain,
mais en essayant de se passer du Créateur de l'univers. »
Chesterton lui aussi nous disait que le monde moderne
est plein « de vertus chrétiennes devenues folles », parce qu'elles
essaient de se passer de Dieu et n'ont plus de norme ni de repère.
A
Moscou le 13 décembre
2ooo,
Soljenitsyne présentait aux
Français cette vérité devenue incompréhensible
à la France officielle
:
« L'exercice suprême de
la liberté
consiste à se restreindre
dans tous les aspects de
l'expansion et de la limitation.
»
Il
avait dit aux Américains en
1978,
sans être mieux compris d'eux
:
« Seule l'éducation
volontaire en soi-même d'une
auto-limitation
radieuse élève les hommes
au-dessus du flux matériel
de la vie. »
Il
leur avait proposé
l'
« auto-limitation librement
consentie » par laquelle
l'homme « limite lui-même
ses exigences, renonce à ce
qui lui revient de droit,
consent
au sacrifice ou au risque gratuit
»,
parce que, annonçaitil,
«
le
moment est venu pour l'Occident de ne plus tant affirmer les droits
des gens que leurs devoirs".
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