New York. Oriana Fallaci risque
la prison. A 75 ans, avec un cancer qui en ce moment lui permet de
s'alimenter uniquement de liquides, une des journalistes les plus
célèbres du monde a été dénoncée par un juge italien sur la base de
l'article du code pénal qui punit le "mépris" de "n'importe quel
religion admise par l'État".
Dans ce cas la religion considérée
objet de mépris est l'islam ; le mépris a été commis, à ce qu'il
parait, dans un livre publié l'année dernière, intitulé "La Force de
la Raison", qui a vendu plus d'un million de copies dans toute Europe.
La thèse principale du livre est que le Vieux Continent est en train
de devenir une domination de l'islam, et que les peuples de l'occident
se sont lâchement rendus aux "fils d'Allah".
Pour ses convictions Oriana Fallaci
risque deux ans de prison, raison pour laquelle elle a choisi de ne
pas quitter New York.
....
"Lorsque je l'ai su - raconte O.
Fallaci à propos de sa récente accusation - je me suis mise à rire.
Amèrement, certes, mais j'ai ri. Aucun amusement, aucune surprise,
parce que le procès est uniquement la démonstration que tout ce que
j'ai écrit est vrai". Un juge activiste de Bergame s'est engagé à
accueillir l'accusation contre Oriana Fallaci, ….. L'auteur de cette
accusation est un certain Adel Smith (qui, malgré son nom, est
musulman et est un provocateur public connu), qui est parait-il
responsable de la publication d'un pamphlet ("l'Islam punit Oriana
Fallaci") qui exhorte les musulmans "à l'éliminer". Ironiquement,
monsieur Smith a été également dénoncé pour mépris de la religion -
dans son cas la religion Catholique - car il avait décrit (à la
télévision) l'Église catholique comme une "organisation criminelle".
Il y a deux ans il était sur toutes les premières pages des journaux
italiens pour avoir demandé qu'on enlève les croix sur les murs des
salles de classe à l'école et la croix qui se trouvait dans la chambre
d'hôpital où sa mère était soignée.
Oriana Fallaci parle avec passion :
"L'Europe n'est plus l'Europe ; elle est devenue l'"Eurabie",
une colonie de l'islam, dans laquelle l'invasion islamique ne procède
pas seulement dans un sens physique mais elle pénètre aussi dans les
esprits et dans la culture. Le servilisme vis-à-vis des
envahisseurs a empoisonné la démocratie, avec des évidentes
conséquences pour la liberté de pensée et pour le concept même de
liberté ". Des mots comme "envahisseurs", "invasion", "colonie", "Eurabie"
sont profondément "politically incorrect", et c'est probablement le
ton qu'elle a employé, les mots utilisés, et pas la substance de son
message, qui ont suscité la rage du juge de Bergame.
... Quelque chose d'elle nous
rappelle Oswald Spengler.
L'historien Arnold Toynbee a écrit
que "les civilisations se suicident, ne sont pas assassinées" :
ces paroles pourraient très bien être sorties de la bouche d'Oriana
Fallaci, qui est très pessimiste sur le futur de l'Europe : "La
présence croissante des musulmans en Italie et en Europe est
directement proportionnelle à notre perte de liberté". Il y a en elle
quelque chose qui nous rappelle Oswald Spengler, le philosophe
allemand prophète du déclin, auquel on ajoute le conflit de
civilisation théorisé par Samuel Huntington.
Mais surtout il y a du pessimisme à
l'état pur. Lorsque je lui ai demandé quelle "solution" il pourrait y
avoir pour empêcher l'effondrement de l'Europe, Oriana Fallaci s'est
enflammée comme une mèche : "Comment oses-tu me demander une solution
? Ce serait comme demander une solution à Sénèque. Tu sais ce qu'a
fait Sénèque ?". Ensuite, en imitant le geste de quelqu'un qui se
coupe les veines, il a dit : "Puah ! Il s'est suicidé !". Sénèque
avait été accusé d'être impliqué dans un complot pour tuer l'empereur
Néron. Sans avoir eu de procès, Néron lui ordonna de se suicider. On a
l'impression que Mme Fallaci voie dans l'islam l'ombre de Néron. "Que
pouvait-il faire, Sénèque ?", elle demande, avec un sursaut. "Il
savait que ce serait fini de cette façon : avec la chute de l'Empire
romain. Mais il ne pouvait rien faire".
L'imminente chute de l'occident est
ce qui tourmente à présent Oriana Fallaci. Et de la même façon elle
est tourmentée par l'indifférence de l'occident qui marche gaiement
vers le gouffre que lui-même a choisi. "Regardez le système
scolaire actuel de l'occident. Les étudiants ne connaissent pas
l'histoire ! Mon Dieu, ils n'en savent rien. Ils ne savent même pas
qui était Churchill ! En Italie ils ne savent pas qui était Cavour !".
Mme Fallaci, qui ne fait presque
jamais d'éloges, à ce point s'arrête et réfléchit sur cet homme
politique italien et sur le sort de tous les conservateurs européens :
"Au debout j'étais déconcertée et je me demandais pourquoi nous
n'avions pas un homme comme Cavour... pas même un. Cavour était un
révolutionnaire... et il n'était pas de gauche. L'Italie a besoin d'un
nouveau Cavour, l'Europe en a besoin ". Oriana Fallaci se considère
elle-même une "révolutionnaire", "parce que je fais ce que les
conservateurs en Europe ne font pas, c'est-à-dire je n'accepte pas
d'être traitée comme une délinquante". Elle avoue que "parfois je
pleure parce que je n'ai pas vingt ans de moins ou parce que je suis
malade. Si j'étais plus jeune, je renoncerais même à écrire pour
entrer en politique".
Une autre pause pour s'allumer un
petit cigarillo et pour boire un peu de Champagne. Avec une grimace de
douleur elle avale le liquide froid et pétillant ; ensuite, fortifiée,
elle recommence à parler avec véhémence et des mots qui rappellent
plus que jamais ceux de Spengler : "On ne peut pas survivre si on
ne connaît pas le passé. Nous savons pourquoi les autres civilisations
ont disparu : à cause de l'excès de bien-être et de richesse et à
cause du manque de moralité et de spiritualité... Dans l'instant
même où tu renonces à tes principes et à tes valeurs... où tu te
moques de ces principes et de ces valeurs, tu es mort, ta culture est
morte et ta civilisation est morte. Point à la ligne". La force avec
laquelle elle a répété le mot "mort" a été impressionnante. J'ai pris
dans ma main la coupe de champagne, comme si c'était une béquille.
..... L'âme jumelle et un sourire
amer.
"Je me sens moins seule lorsque je
lis les livres de Ratzinger". Je lui avais demandé s'il y avait
quelques auteurs contemporains qu'elle admirait particulièrement, et
Pape Bénit XVI était sans doute un homme pour lequel elle avait une
certaine confiance. "Je suis athée, et si une athée et un Pape
pensent la même chose, il doit y avoir quelque chose de vrai.
C'est très simple ! Il doit y avoir ici une vérité humaine qui va
au-delà de la religion ".
Mme Fallaci, qui est devenue célèbre
en interviewant de nombreux hommes d'état (et pas mal de tyrans),
estime que notre ère est "une ère sans leader". "Nous avons cessé
d'avoir des authentiques guides à la fin du vingtième siècle". Sur
George W. Bush, par exemple, elle est disposée à lui accorder
uniquement d'avoir de la "vigueur", elle pense qu'il est "obstiné"
(dans son livre ceci est considéré un compliment) et "qu'il a du
courage... Personne ne l'a obligé à faire quelque chose pour Terri
Schiavo ou à prendre une position sur les cellules staminales. Mais il
l'a fait quand même".
Mais sa vraie âme jumelle est
Ratzinger (elle continue d'appeler ainsi le nouveau Pape). Wojtyla
(Jean Paul II) était un "guerrier, qui a contribué plus que l'Amérique
au collapsus de l'Union Soviétique", mais on ne lui peut pas pardonner
sa "faiblesse vis-à-vis du monde islamique. Pourquoi, pourquoi a-t-il
été si faible ?".
Le peu d'espoir qu'elle nourrit
encore pour l'occident elle le confie au nouveau Pape. Lorsque il
était encore cardinal, le Pape Bénit XVI écrivait souvent sur la
situation de l'Europe et de l'occident. L'année dernière il a écrit un
essai intitulé "Si l'Europe haït elle-même", à partir duquel Mme
Fallaci m'a lu cet extrait :
"L'occident montre une haine
envers lui-même, qui paraît étrange et peut être considérée uniquement
comme un phénomène pathologique ; l'occident ne s'aime plus ; dans son
histoire il voit uniquement ce qui est blâmable et destructif, et il
n'est plus capable de reconnaître ce qui est grand et pur ".
"Voilà !", elle exclame. Un homme
qui pense comme elle. "Voilà !". Mais je ne suis pas sûr si dans ses
yeux je vois le triomphe ou la douleur. Quant à l'accusation de mépris
contre l'Islam, Oriana Fallaci n'a aucune intention de se présenter au
procès de Bergame, qui devrait commencer en Juin 2006. "Je ne sais
même pas si je serai encore là l'an prochain. Mon cancer est si étendu
que je suis désormais arrivée à la fin de ma route. Quel dommage. Je
voudrais vivre non seulement parce que j'aime la vie mais aussi pour
voir la conclusion du procès. Je suis certaine qu'ils me jugeront
coupable ". À ce moment précis elle se met à rire. Avec amertume,
évidemment, mais elle rit.
Article source (en italien) :
http://www.ilfoglio.it/articolo.php ?idoggetto=23151
Illustration :
une société
mortifère ....
"Je souhaite esquisser rapidement pour vous l’image
de la culture d’une société non précisée. Mais tout
ce que je vais vous dire, ce sont des faits vérifiables. Cette société
est très avancée dans les sciences et dans les arts. Elle possède une
économie complexe et une puissante force militaire. Plusieurs
religions coexistent en son sein, mais la religion à plutôt
tendance à devenir une affaire privée ou un simple ornement
pour des cérémonies officielles. Cette société particulière doit aussi
affronter de gros problèmes. Parmi eux, sa fécondité dont le taux ne
permet pas de renouveler les générations. Il n’y a pas assez d’enfants
qui naissent pour combler le nombre des adultes et pour occuper les
emplois nécessaires au bon fonctionnement de la société. [...] Le
concubinage est généralisé et accepté. Comme le sont
la bisexualité et l’homosexualité.
Et la prostitution de même. Le contrôle des
naissances et l’avortement ont été
légalisés, ils sont largement pratiqués et justifiés par les
intellectuels reconnus par la société. [...]
De quelle société suis-je en train de parler ? [...]
Je viens juste de donner un aperçu des conditions qui
prévalaient dans le monde méditerranéen au temps du
Christ. Nous avons tendance à idéaliser l’Antiquité
[...]. Mais cette médaille a son revers. [...]
Mais je considère que les défis que nous devons
[...] affronter aujourd’hui sont très semblables à ceux
qu’affrontèrent les premiers chrétiens. Et il ne serait pas
inutile de comprendre comment ils s’y prirent pour évangéliser leur
culture. [...] le succès du christianisme découle de deux
choses : premièrement, la doctrine chrétienne ; et
deuxièmement, la fidélité des gens à cette doctrine. [...] L’Église
par ses Apôtres et leurs successeurs proclama l’Évangile de
Jésus-Christ. Les gens crurent à l’Évangile. Mais ils
ne se contentaient pas de donner leur assentiment à un ensemble
d’idées. Croire à l’Évangile signifiait changer toute leur manière de
penser et de vivre. C’était une transformation radicale.
[...] Puisque nous constatons des signes semblables de nos jours,
nous devons trouver le courage qu’eurent ces premiers
chrétiens en contestant leur culture. Nous ne devons pas nous
contenter de croire en ce qu’ils croyaient, nous devons croire en ces
choses avec la même profonde ferveur."
__________________________________________________________
Copie de la partie principale du discours....
Je souhaite esquisser rapidement pour vous l’image
de la culture d’une société non précisée. Mais tout ce que je vais
vous dire, ce sont des faits vérifiables.
Cette société est très avancée dans les sciences et
dans les arts. Elle possède une économie complexe et une puissante
force militaire. Plusieurs religions coexistent en son sein, mais la
religion à plutôt tendance à devenir une affaire privée ou un simple
ornement pour des cérémonies officielles.
Cette société particulière doit aussi affronter de
gros problèmes. Parmi eux, sa fécondité dont le taux ne permet pas de
renouveler les générations. Il n’y a pas assez d’enfants qui naissent
pour combler le nombre des adultes et pour occuper les emplois
nécessaires au bon fonctionnement de la société. Le gouvernement offre
des avantages pour encourager les gens à avoir plus d’enfants. Mais
cela ne semble pas marcher.
Le concubinage est généralisé et accepté. Comme le
sont la bisexualité et l’homosexualité. Et la prostitution de même. Le
contrôle des naissances et l’avortement ont été légalisés, ils sont
largement pratiqués et justifiés par les intellectuels reconnus par la
société.
De temps à autre, un législateur fait passer une
mesure pour promouvoir le mariage, au motif que le bon état et le
futur de la société dépend des familles stables. Mais ces mesures ne
débouchent très exactement sur rien.
Parfait. De quelle société suis-je en train de
parler ? Notre pays, évidemment, semblerait, de façon générale,
correspondre à cette description. Mais ce n’est pas de nous que je
parle.
Je viens juste de donner un aperçu des conditions
qui prévalaient dans le monde méditerranéen au temps du Christ. Nous
avons tendance à idéaliser l’Antiquité, à considérer la Grèce ou Rome
comme des époques de réussites extraordinaires. Elles le furent bien
sûr. Mais cette médaille a son revers.
On ne se figure habituellement pas Platon ou
Aristote comme des soutiens d’un État favorisant l’avortement et
l’infanticide. Pourtant, ils le furent. Hippocrate, ce grand pionnier
de la médecine, est aussi célèbre pour avoir créé une trousse
d’avortement qui comportait des lames affûtées destinées à démembrer
le fœtus et un crochet pour l’arracher de l’utérus. On n’a pas
l’habitude de relier cela au Serment d’Hippocrate. Pourtant, voici
quelques années, des archéologues ont découvert les vestiges de ce qui
semble être une “clinique” où se pratiquaient des avortements et des
infanticides à l’époque romaine : une canalisation d’égout remplie des
os de plus d’une centaine de nourrissons.
Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous encourage
à aller quérir un petit livre écrit voici une dizaine d’années : The
Rise of Christianity [4] écrit par un professeur à la Baylor
University, Rodney Stark. Vous y trouverez toute cette histoire et
bien d’autres choses.
Permettez-moi de vous expliquer cela. On dit souvent
que nous vivons une époque « post-chrétienne ». Manière d’expliquer
le fait que les nations occidentales ont abandonné ou sérieusement
minimisé, au cours des dernières décennies, leur héritage chrétien.
Mais notre époque « post-chrétienne » ressemble en fait énormément à
l’époque pré-chrétienne. Les signes de notre temps dans les nations
développées – moraux, intellectuels, spirituels et même démographiques
– se rapprochent dangereusement des signes perceptibles dans le monde
à l’époque de l’Incarnation.
Tirer des leçons de l’Histoire est subjectivement
aventureux. Le risque est toujours présent d’un excès de
simplification.
Mais je considère que les défis que nous devons,
comme catholiques américains, affronter aujourd’hui sont très
semblables à ceux qu’affrontèrent les premiers chrétiens. Et il ne
serait pas inutile de comprendre comment ils s’y prirent pour
évangéliser leur culture. Ils le firent si bien qu’en l’espace de
quatre cents ans le christianisme devint la religion dominante dans le
monde entier et la civilisation occidentale fondée. Si nous pouvons
apprendre de cette histoire, alors Dieu pourra plus aisément
travailler avec nous au déclenchement d’une nouvelle évangélisation.
Je ne suis ni historien ni sociologue, aussi je
laisse à d’autres le soin d’évaluer l’œuvre de Rodney Stark. Mais
Stark traite d’une série de questions-clé : Comment le christianisme
a-t-il réussi ? Comment a-t-il été capable de faire autant en si peu
de temps ? Non seulement Stark est spécialiste en sciences sociales,
mais il se définit lui-même comme agnostique. Il n’est donc pas
intéressé à traiter de la volonté de Dieu ou de l’œuvre du Saint
Esprit. Il se limite aux faits qu’il peut vérifier.
Stark conclut que le succès du christianisme découle
de deux choses : premièrement, la doctrine chrétienne ; et
deuxièmement, la fidélité des gens à cette doctrine. Stark écrit : «
Un aspect essentiel du succès de la religion [chrétienne], c’est que
les chrétiens croyaient (…) Et c’est pour cela que ces doctrines
prirent vraiment chair, c’est à cause de la manière dont ils
orientèrent les actes visant à s’organiser et les comportements
personnels que se produisit l’essor du christianisme ».
Mettons cela en termes moins universitaires : L’Église
par ses Apôtres et leurs successeurs proclama l’Évangile de
Jésus-Christ. Les gens crurent à l’Évangile. Mais ils ne se
contentaient pas de donner leur assentiment à un ensemble d’idées.
Croire à l’Évangile signifiait changer toute leur manière de penser et
de vivre. C’était une transformation radicale. Si radicale qu’ils ne
pouvaient plus du tout continuer à vivre comme les gens qui les
entouraient.
Stark met le doigt sur un des domaines-clé par
lequel les chrétiens rejetèrent la culture environnante : le mariage
et la famille. Dès le début, être chrétien signifiait croire que
la sexualité et le mariage étaient sacrés. Dès le début, être chrétien
signifiait rejeter l’avortement, l’infanticide, le contrôle des
naissances, le divorce, les actes homosexuels et l’adultère : toutes
choses largement pratiquées par leurs voisins romains.
Athenagoras, un laïc chrétien, déclara à l’empereur
Marc-Aurèle, en l’an 176, que l’avortement était un « meurtre » et que
ceux qui y trempaient auraient « à en rendre compte à Dieu ». Et il en
expliqua la raison à l’empereur : « Car nous estimons que même le
fœtus dans l’utérus est un être créé et qu’il est donc objet de
l’attention divine ».
Comme mon auditoire le sait déjà, le respect
chrétien pour l’enfant à naître n’est pas né au Moyen Âge. Il vient
des débuts de notre foi. L’Église primitive ne débattait pas sur le
thème des hommes politiques et de la communion sacramentelle. Il n’y
en avait aucun besoin. Personne tolérant ou promouvant l’avortement
n’aurait osé s’approcher de la table eucharistique, ni même oser se
proclamer chrétien.
Et voici pourquoi : les premiers chrétiens
avaient compris qu’ils étaient les surgeons d’une nouvelle famille
universelle de Dieu. Ils considéraient la culture qui les environnait
comme une culture de mort, et la société comme étant en train
lentement de s’éteindre. En vérité, quand vous lisez la
littérature chrétienne primitive, les pratiques comme l’adultère et
l’avortement y sont souvent décrites comme faisant partie d’une « voie
mortifère » ou d’une « voie du [démon] ».
On trouve un passage intéressant dans une œuvre
d’apologétique du écrite par Minucius Felix au IIe siècle. C’était un
avocat romain et un converti. Il signale l’existence d’une potion
contraceptive qui agit comme un abortif. Il en décrit ainsi les effets
: « Il y a des femmes qui avalent des potions pour étouffer dans leur
propre ventre les débuts » d’une personne destinée à exister.
C’est cela que les premiers chrétiens voyaient
autour d’eux dans leur monde. Ils croyaient que ce monde était en
train d’étouffer son propre avenir, qu’il étouffait les générations
futures avant même qu’elles naissent, qu’il était en train de se tuer
lui-même lentement.
Puisque nous constatons des signes semblables de nos
jours, nous devons trouver le courage qu’eurent ces premiers chrétiens
en contestant leur culture. Nous ne devons pas nous contenter de
croire en ce qu’ils croyaient, nous devons croire en ces choses avec
la même profonde ferveur.
Les premiers chrétiens mirent en jeu leurs vies sur
la foi que Dieu est notre Père. Ils respectaient César, mais ils ne le
confondaient pas avec Dieu, et ils mettaient Dieu à la première place.
Ils croyaient que l’Église est notre mère. Ils croyaient que leurs
évêques et leurs prêtres étaient des pères spirituels et que par les
sacrements ils étaient faits fils de Dieu ou « participants de la
nature divine » comme le dit saint Pierre [5].
Il est temps pour nous tous qui nous disons «
catholiques » de recouvrer notre identité catholique en tant que
disciples de Jésus-Christ et missionnaires de son Église. Envisagé sur
le long terme, nous servons mieux notre pays en nous souvenant que
nous sommes d’abord des citoyens du Ciel. Nous sommes de meilleurs
Américains en étant plus authentiquement catholiques, et la raison en
est que sauf à vivre en vérité notre foi catholique, de tout notre
cœur et de toute notre force, nous n’aurons rien de valable à apporter
au débat public qui va déterminer l’évolution de notre nation.
Le pluralisme dans une démocratie ne veut pas dire
se taire sur les questions qui fâchent. Cela veut dire parler plus
fort, de manière respectueuse, dans un esprit de justice et de
charité, mais vigoureusement et sans repentance. Jésus a dit que nous
connaîtrons la vérité et que la vérité nous rendra libre. Il ne nous a
rien dit sur le fait que nous devrions être appréciés des autorités du
monde dès lors que nous aurions cette liberté. En fin de compte, si
nous voulons que nos vies portent du fruit, il nous faut comprendre
par nous-mêmes ce que Dieu veut que nous comprenions, parce que nous
sommes ses témoins sur terre, non seulement dans nos comportements
privés mais dans nos actes publics y compris nos choix sociaux,
économiques et politiques.
Si la Rome païenne a pu être gagnée à Jésus-Christ,
c’est que nous pouvons réussir la même chose dans notre propre monde.
Ce qu’il en coûte c’est le zèle et le courage de vivre conformément à
ce qu’en quoi nous disons croire. Chacun d’entre nous, ce soir,
possède ce désir en son cœur. Alors prions les uns pour les autres et
encourageons-nous les uns les autres et remettons-nous à l’ouvrage du
Seigneur.
[1] www.catholicsocialscientists.org
[2] Je souhaite renvoyer ici, notamment, à la
synthèse d’une conférence donné par le prélat du 27 septembre 2005
(traduite dans L’Homme Nouveau, n° 1359 du 24 décembre 2005) où il
fait un constat « mitigé » (le mot est de lui) des conséquences du
Concile de Vatican II.
[3] William F. Murphy, âgé de 67 ans, ancien évêque
auxiliaire de Boston (Massachusetts), nommé évêque de Rockville Center
(New York) en 2001.
[4] The Rise of Christianity : A Sociologist
Reconsiders History (L'essor du christianisme : un sociologue revisite
l'Histoire). Non traduit en français.
[5] 2 Pierre 1, 4.