Laissons de côté les interprétations 
          politiciennes sur le vote des Français lors du référendum européen du 
          29 mai. Qu'il y ait une vague de mécontentements et un rejet de 
          Jacques Chirac, c'est exact ; qu'il y ait quelques contradictions dans 
          le camp du non de Marie-Georges Buffet à Jean-Marie Le Pen, de 
          Philippe de Villiers à Laurent Fabius, c'est incontestable. Pour 
          autant, il y a - au niveau des électeurs du non - de vraies 
          cohérences. 
          1. Cohérence dans le refus 
          d'un monde sans frontière. Ce qui a été rejeté, ce n'est pas 
          l'Europe, c'est l'Europe sans frontière voulue par les élites 
          bruxelloises. Dans leur diversité, les électeurs se sont prononcés 
          pour des frontières : géographiques et culturelles pour les uns, 
          économiques et sociales pour les autres. N'en déplaise au 
          politiquement correct, le seul non toléré dans les médias, à savoir le 
          « non de gauche », n'avait rien d'« internationaliste ». 
          La victoire du non, c'est aussi une 
          motion de censure contre les trois « élargissements » successifs de 
          l'Europe : l'élargissement passé aux pays d'Europe orientale, 
          l'élargissement en cours aux pays balkaniques (la Bulgarie), 
          l'élargissement projeté à la Turquie. 
          2. Cohérence dans le refus d'un 
          monde de « sachant ». Ceux qui « savent » votaient « oui » avec 
          des arguments rationnels, pas toujours inexacts d'ailleurs : la 
          mécanique des pouvoirs du traité constitutionnel était sans doute 
          meilleure pour la France que celle du traité de Nice. Mais ceci ne 
          pouvait suffire à entraîner l'adhésion des sentiments. De ce point de 
          vue là, le rejet des Français dépasse largement celui de la classe 
          politique : il touche aussi la classe économique et la classe 
          syndicale, et surtout la classe médiatique massivement engagée pour le 
          oui. Ceux qui ont crié « Chirac démission » le soir du 29 mai auraient 
          pu aussi réclamer celle des Serge July ou Claire Chazal ! 
          Pour la première fois, les 
          Français n'ont pas suivi les consignes que leur donnaient les grands 
          médias : les échanges sur Internet ont sans doute joué un rôle très 
          important dans ce phénomène, d'autant plus, il est vrai, que le « non 
          de gauche » a dédiabolisé le non tout court. 
          3. Cohérence dans le refus d'un 
          monde lointain. Instinctivement ? et expérimentalement - les 
          Français savent qu'ils ont plus de poids auprès de leur maire que de 
          leur député, plus de poids auprès de leur député national qu'auprès de 
          leur député européen. Ils ont compris que déplacer le pouvoir vers le 
          haut, c'était l'éloigner de leurs préoccupations. C'était le voir 
          obéir à d'autres logiques que la leur. C'est aussi cela qui a été 
          rejeté. D'autant plus que, par le jeu de la représentation médiatique, 
          ce qui est lointain, c'est souvent ce qui est catastrophique : on 
          ignore tout d'une fête à Colombo mais rien d'un tsunami ! 
          Ainsi, ce qui est lointain est 
          souvent inquiétant. 
          Quels que soient les replâtrages 
          en cours - gouvernemental ou européen - la victoire du non pose des 
          questions fondamentales : celles de la reconstruction d'un consensus 
          français et européen prenant en compte les identités et les 
          particularités. Le chemin en sera long. 
          © POLEMIA 
          30/05/2005