Monsieur le Recteur, 
          Messieurs les Doyens, 
          Excellence, 
          Mesdames et messieurs les 
          professeurs, 
          Chers étudiants, 
          Chers amis, 
          1. « L’Europe des peuples et des 
          cultures », l’Europe née de la volonté d’hommes de foi et de culture – 
          Robert Schuman, Alcide De Gasperi et Konrad Adenauer – est l’unique 
          modèle d’un ensemble géographique et humain qui puisse répondre aux 
          exigences de la paix et de la liberté pour notre continent. Si 
          l’Europe peine tant aujourd’hui à trouver sa véritable physionomie, 
          c’est qu’elle est traversée par un ensemble de crises qui 
          affaiblissent sa culture et l’empêchent de construire la « Maison 
          Europe » dans la conscience des valeurs communes partagées dans la 
          pluralité des cultures. C’est ce qu’a clairement mis en évidence 
          le Colloque européen que j’ai eu la joie de présider avec le ministre 
          de la culture et des cultes en Roumanie, à Bucarest, les 15 et 16 mai 
          2001.[1] 
          Mais permettez-moi tout d’abord de 
          vous dire ma joie de me retrouver aujourd’hui en Roumanie et de vous 
          rencontrer, chers amis, pour partager avec vous un certain nombre de 
          convictions fondées sur l’humanisme chrétien et sans cesse alimentées 
          aux sources de l’Évangile. Depuis deux millénaires d’histoire 
          européenne, des hommes et des femmes de toute origine ont vu leur 
          intelligence et leur sagesse humaine fécondées par la Révélation 
          chrétienne qui, avec le mystère de Dieu, nous enseigne le 
          mystère de l’homme, ce qui est bon pour lui et son semblable, et nous 
          donne d’édifier la civilisation de l’amour pour le plus grand bonheur 
          de tous les peuples. Cette civilisation se construit sur les 
          quatre piliers porteurs de l’Encyclique Pacem in terris du Bienheureux 
          pape Jean XXIII du jeudi saint 1963, il m’en souvient, j’étais alors 
          son jeune collaborateur à la Secrétairerie d’État : la vérité, la 
          justice, la charité et la liberté. 
          Ces convictions, partagées par ses 
          successeurs, le Serviteur de Dieu Paul VI, que j’ai eu le privilège 
          aussi de servir pendant de longues années à la Secrétairerie d’État, 
          et notre bien-aimé Pape Jean-Paul II, ami de la Roumanie, continuent 
          de l’être par notre cher Pape Benoît XVI, qui a voulu prendre le beau 
          nom du Patron de l’Europe, et dont la continuité de pensée avec son 
          prédécesseur en ce domaine est pour nous tous un grand don de Dieu. 
          C’est ce qui apparaît dans ses nombreux écrits comme dans sa dernière 
          conférence donnée comme Cardinal à Subiaco avant son élection au Siège 
          de Pierre, la veille de la mort du pape Jean-Paul II, sur L’Europe et 
          la crise des cultures. 
          Comme Président du Conseil 
          Pontifical de la Culture, mais aussi comme ancien Recteur de 
          l’Institut catholique de Paris, c’est toujours pour moi une grande 
          joie de m’adresser à de jeunes étudiants et à de savants professeurs, 
          et d’apporter ma contribution à ce véritable laboratoire de la pensée 
          que vous animez en cette université par vos recherches et vos débats, 
          dans l’amour partagé de la vérité et la quête de la Sagesse, tout 
          particulièrement en vos quatre Facultés de théologie. 
          Un anniversaire. 
          2. Je voudrais commencer notre 
          entretien –vous le comprendrez – en évoquant la date de ce jour : 20 
          mai 2005. C’est pour le Conseil Pontifical de la Culture que je 
          préside depuis sa fondation, le 23ème anniversaire de sa création par 
          le Pape Jean-Paul II. Pour répondre à votre regard interrogateur, je 
          voudrais vous dire en quelques mots pourquoi l’Église s’intéresse à la 
          culture. C’est en effet la mission du Conseil Pontifical de la 
          Culture, définie par le Pape Jean-Paul II dans sa Lettre autographe de 
          Fondation de cet organisme du Saint-Siège, le 20 mai 1982 : 
          
          J'ai décidé de fonder et d'instituer 
          un Conseil pour la culture capable de donner à toute l'Église une 
          impulsion commune dans la rencontre sans cesse renouvelée du message 
          de salut de l'Évangile avec la pluralité des cultures, dans la 
          diversité des peuples auxquels il doit porter ses fruits de grâce… Ce 
          Conseil me sera directement rattaché… comme un service nouveau et 
          original, que la réflexion et l'expérience permettront peu à peu de 
          structurer de façon adaptée, tant il est vrai que l'Église ne se situe 
          pas en face des cultures de leur extérieur, mais bien au-dedans 
          d'elles-mêmes comme un ferment, en raison du lien organique et 
          constitutif qui les réunit étroitement. 
          Ce Conseil poursuivra ses finalités 
          propres dans un esprit œcuménique et fraternel, en promouvant aussi le 
          dialogue avec les religions non chrétiennes et avec les personnes ou 
          les groupes qui ne se réclament d'aucune religion, dans la recherche 
          conjointe d'une communication culturelle avec tous les hommes de bonne 
          volonté. Il apportera régulièrement au Saint-Siège l'écho des grandes 
          aspirations culturelles à travers le monde. » 
          Mais tout d’abord, une belle image 
          récente que vous avez sans nul doute en mémoire. C’était le 24 avril 
          dernier, après trois semaines d’intenses émotions avec la mort 
          bouleversante de notre bien-aimé pape Jean-Paul II et l’élection de 
          son successeur au Siège de Pierre, Benoît XVI. Nous étions sur la 
          Place Saint-Pierre dans la joie partagée de l’inauguration du nouveau 
          Pontificat. J’étais avec mes frères les Cardinaux, placé sur le parvis 
          supérieur devant la Basilique Saint-Pierre, et j’avais sous les yeux 
          les Rois et les Reines, les Chefs d’État et de Gouvernement et les 
          représentants de l’ensemble des Eglises et des Communautés ecclésiales 
          chrétiennes, avec une foule innombrable de fidèles, dont beaucoup de 
          jeunes, un parterre impressionnant d’hommes et de femmes qui 
          représentaient la plupart des Nations du vaste monde. De sa voix 
          suave, légèrement enrouée par la fatigue de ces dures journées, le 
          Saint-Père concluait son homélie avec les mots mêmes de son 
          Prédécesseur Jean-Paul II au tout premier instant de son pontificat : 
          « N’ayez pas peur ! ». Et le pape Benoît XVI explicitait : « N’ayez 
          pas peur du Christ…Le Pape parlait aux forts, aux puissants du monde, 
          qui avaient peur que le Christ les dépossède d’une part de leur 
          pouvoir, s’ils l’avaient laissé entrer et s’ils avaient concédé la 
          liberté à la foi. Oui, il les aurait certainement dépossédés de 
          quelque chose : de la domination de la corruption, du détournement du 
          droit, de l’arbitraire. Mais il ne les aurait nullement dépossédés de 
          ce qui appartient à la liberté de l’homme, à sa dignité, à 
          l’édification d’une société juste. » Le message de l’Évangile est un 
          message pour tous les hommes et toutes les cultures, et il appartient 
          aux pasteurs de l’Église d’en dire les exigences pour un une société 
          renouvelée par l’accueil de ce puissant ferment évangélique. 
          
          Permettre au Christ de parler à 
          l’homme. 
          3. Pour ma part, je voudrais avec 
          vous, prêter attention à l’invitation qui accompagnait le vibrant 
          appel de Jean-Paul II à vaincre nos peurs : « Ouvrez, ouvrez toutes 
          grandes les portes au Christ, les immenses domaines de la culture, de 
          la civilisation, du développement. Permettez au Christ de parler à 
          l’homme. Lui seul a les paroles de vie, oui, de vie éternelle. »[2] 
          Permettre au Christ de parler à l’homme : c’est là le grand défi de la 
          vie chrétienne. Nous ne pouvons nous contenter de recevoir le trésor 
          incomparable de l’Évangile : nous l’avons reçu pour le vivre et le 
          partager. C’est la mission de l’Église que nous avons reçue avec le 
          baptême, la mission de transmettre la foi à nos frères, au cœur des 
          cultures de ce monde. Aujourd’hui comme aux temps apostoliques, 
          l’Église reçoit du Seigneur Ressuscité la mission confiée aux Apôtres 
          d’annoncer la Bonne Nouvelle de l’Évangile afin que les hommes croient 
          que Jésus est le Fils de Dieu et en reçoivent la vie. 
          Permettre au Christ de parler à 
          l’homme ! Le message de l’Évangile est bonne nouvelle pour tous les 
          hommes et toutes les femmes de tous les temps et toutes les cultures. 
          En venant en ce monde, le Christ, le Verbe de Dieu, est venu parler à 
          l’homme, lui transmettre la parole de Vie, lui donner la grâce de 
          devenir enfant du Père. En parlant à l’homme, en s’unissant à lui, Il 
          nous permet de répondre à Dieu dans un merveilleux échange d’amour, 
          sous le souffle de l’Esprit d’amour du Père et du Fils. 
          La culture de notre temps. 
          
          4. Aujourd’hui, des pans entiers de 
          l’Europe semblent devenus comme étrangers à cette Parole de vie. Une 
          multitude d’hommes et de femmes sont comme emportés loin de Dieu et de 
          l’Église par une culture de l’indifférence marquée par l’éclipse de 
          Dieu. La Roumanie, l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie, la 
          Pologne, la grande majorité des Nations européennes a plongé, au long 
          des siècles, ses racines dans la foi chrétienne. L’Europe y a puisé 
          des valeurs qu’elle a répandues dans le monde par ses philosophes et 
          théologiens, hommes de lettres et artistes, hommes de science et 
          hommes d’État, tout autant qu’à travers ses saints. Elle a développé 
          une culture dont l’ouverture à l’universel, le sens de la dignité et 
          des droits de toute personne humaine, quels que soient sa race, sa 
          condition sociale et son âge, sont autant de phares pour les nations. 
          Cependant, sollicités que nous sommes, harcelés parfois par la 
          pression des besoins suscités par le vaste mouvement de la 
          mondialisation économique et ce qu’il véhicule pour satisfaire la 
          pulsion des désirs, la recherche des plaisirs, la poursuite de 
          l’avoir, du savoir et du pouvoir, nous observons l’étrange 
          endormissement d’une culture qui semble frappée d’une amnésie 
          profonde. En effet, comment pourrions-nous ouvrir la porte de la 
          culture si nous avons perdu la clé de lecture, et avec elle tout ce 
          qui a contribué à humaniser la vie de notre continent ? « Que ma 
          langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir, Jérusalem ! » 
          Sans la foi chrétienne, que deviendraient les monastères, les églises, 
          les cathédrales et tant de chefs d’œuvres du génie de la Roumanie qui 
          vous sont chers et qu’il m’est toujours une joie de revoir quand je 
          reviens en votre beau pays, marqué par deux millénaires de culture 
          chrétienne, comme toute l’Europe[3]. 
          Dieu à la recherche de l’homme.
          
          5. L’Église est au défi des 
          cultures. [4] Pour faire entendre la voix du Seigneur, l’Église se 
          doit d’aller en tous les pâturages à la recherche de toutes les brebis 
          du troupeau. Dans sa Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, 
          le regretté Pape Jean-Paul II développe le mystère de Dieu qui 
          recherche l’homme : « En Jésus Christ, Dieu ne parle pas seulement à 
          l’homme, mais il le recherche. L’Incarnation du Fils de Dieu en 
          témoigne : Dieu recherche l’homme »[5]. Cette recherche se poursuit à 
          travers la mission de l’Église et s’achève dans les retrouvailles de 
          la brebis perdue (cf. Lc 15, 1-7). Vous avez sans nul doute en mémoire 
          l’homélie de son successeur le pape Benoît XVI pour l’inauguration de 
          son Pontificat, et le beau développement sur le pasteur qui va à la 
          recherche de la brebis perdue. Je le cite : « La parabole de la brebis 
          perdue que le berger cherche dans le désert était pour les Pères de 
          l’Église une image du mystère du Christ et de l’Église. L’humanité – 
          nous tous – est la brebis perdue qui, dans le désert, ne trouve plus 
          son chemin. Le Fils de Dieu ne peut pas admettre cela ; il ne peut pas 
          abandonner l’humanité à une telle condition misérable. Il se met 
          debout, il abandonne la gloire du ciel, pour retrouver la brebis et 
          pour la suivre, jusque sur la croix. Il la charge sur ses épaules, il 
          porte notre humanité, il nous porte nous-mêmes. Il est le bon pasteur, 
          qui donne sa vie pour ses brebis… L’Église dans son ensemble, et les 
          Pasteurs en son sein, doivent, comme le Christ, se mettre en route, 
          pour conduire les hommes hors du désert, vers le lieu de la vie, vers 
          l’amitié avec le Fils de Dieu, vers Celui qui nous donne la vie, la 
          vie en plénitude. » C’est la merveille de la Révélation chrétienne : « 
          Dieu est amour », et ce même amour anime l’Église et la pousse au 
          large des cultures : Duc in altum. L’amour de charité s’enracine dans 
          le cœur même de Dieu, pour qui l’homme est une créature différente de 
          toutes les autres : Dieu nous a façonnés, tel un Père, à son image et 
          sa ressemblance, et élevés à la dignité de fils adoptifs. L’Église, 
          aujourd’hui comme hier, va à la recherche de l’homme pour le conduire 
          à Dieu, et cette recherche « naît au cœur même de Dieu »[6]. 
          
          Les déserts de notre temps.
          
          6. La recherche de l’homme a été 
          rendue nécessaire parce que l’homme s’est éloigné de Dieu : « Si vous 
          mangez du fruit de l’arbre, vous deviendrez comme des dieux ». En 
          succombant à la tentation, les hommes n’ont cessé, depuis la faute 
          originelle, d’édifier des tours de Babel, se persuadant qu’ils 
          pouvaient par eux-mêmes décider du bien et du mal, et gouverner le 
          monde en maîtres absolus sans tenir compte de la volonté divine. Mais 
          nous le constatons avec Benoît XVI : « Tant de personnes vivent dans 
          le désert. Et il y a de nombreuses formes de désert. Il y a le désert 
          de la pauvreté, le désert de la faim et de la soif ; il y a le désert 
          de l’abandon, de la solitude, de l’amour détruit. Il y a le désert de 
          l’obscurité de Dieu, du vide des âmes sans aucune conscience de leur 
          dignité ni du chemin de l’homme. Les déserts extérieurs se multiplient 
          dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très 
          grands. C’est pourquoi, les trésors de la terre ne sont plus au 
          service de l’édification du jardin de Dieu, dans lequel tous peuvent 
          vivre, mais sont asservis par les puissances de l’exploitation et de 
          la destruction. »  
          En allant à la recherche de l’homme, 
          l’Église veut se mettre humblement à son service pour lui faire 
          abandonner les chemins qui ne mènent nulle part, si ce n’est au 
          meurtre d’Abel et des Saints-innocents. Lorsque l’Évangile va au 
          devant des cultures, il va au devant des hommes et des femmes pour les 
          aider à irriguer leur milieu de vie et leur permettre d’étancher leur 
          soif d’une vie authentiquement humaine dans l’ouverture au dessein 
          d’amour du Créateur, révélé en Jésus-Christ. C’est ce que j’exprimais 
          dans le Document Pour une pastorale de la culture, publié par le 
          Conseil Pontifical de la Culture en la solennité de la Pentecôte, le 
          23 mai 1999 : « La foi a le pouvoir de rejoindre le cœur de toute 
          culture, pour le purifier, le féconder, l’enrichir et lui donner de se 
          déployer à la mesure sans mesure de l’amour du Christ »[7]. 
          
          Le livre de la Genèse nous révèle la 
          nostalgie de la civilisation de l’amour inscrite dans le cœur de tout 
          homme depuis la chute originelle au jardin d’Eden. L’Incarnation du 
          Verbe de Dieu dans le sein de la Vierge Marie, et la puissance de sa 
          Résurrection au matin de Pâques opèrent le mystère admirable de la 
          Rédemption de chacune et de chacun d’entre nous, en nous donnant, avec 
          l’aide de la grâce, de nous purifier du poids du péché qui alourdit 
          nos âmes et nous empêche de construire avec nos frères, un monde de 
          beauté où règnent entre les hommes et les peuples, la justice, la paix 
          et l’amour. 
          Qu’est-ce que la culture ? 
          
          7. J’en reviens au Conseil 
          Pontifical de la Culture. Pourquoi ce Conseil ? De quoi s’agit-il 
          lorsque l’Église parle de culture ? Sans entrer dans les définitions 
          de ce terme – elles sont légion –, il me paraît utile, pour notre 
          propos, de clarifier sa double signification, que l’usage courant ne 
          distingue guère, car elles ne sont pas séparables en vérité. 
          
          – Parler de culture, c’est, en un 
          premier sens, parler de connaissances, et même de connaissances 
          parvenues à un certain degré de qualité, qu’il s’agisse de sciences 
          appliquées, des arts, ou de connaissances spéculatives. Nous le disons 
          de vous par excellence, professeurs et étudiants des Facultés de 
          théologie : vous êtes des hommes, vous êtes des femmes cultivés.
          
          – Nous parlons aussi de culture pour 
          caractériser un certain mode de vivre, de penser, de travailler, 
          d’organiser la vie sociale. Ainsi parlons-nous de culture africaine, 
          anglo-saxonne, slave, méditerranéenne, française, roumaine. Bien 
          entendu, l’homme d’une culture donnée peut être aussi un homme 
          cultivé. Mais les deux points de vue sont différents. Ce qui les 
          réunit, et qui assure leur unité, c’est l’homme, et plus précisément, 
          ce qui fait qu’un homme est plus pleinement homme dans sa manière 
          d’être homme. C’est à ce niveau, celui du sens profond de la vie, de 
          sa recherche du bonheur, de son besoin de justice, de sa soif de paix, 
          de sa quête de vérité, de sa faim de beauté, de son souci de 
          solidarité, que le message de l’Église rencontre les aspirations 
          profondes incarnées dans les cultures. 
          Nous sommes emportés, si nous n’y 
          prenons garde, dans un tourbillon de sollicitations qui sont autant de 
          formes des trois concupiscences que dénonce l’évangéliste saint Jean 
          dans sa première Épître. Nous ressentons en même temps comme un appel 
          à quelque chose de plus profond. Notre culture millénaire, les romans 
          et les pièces de théâtre, la musique et la peinture, les arts et la 
          littérature aussi bien que la philosophie et la théologie, sont autant 
          d’essais d’interprétation de la condition humaine. Les grands hommes 
          de culture thématisent, théorisent, ou tout simplement montrent, pour 
          le dire avec Pascal, la grandeur et la misère de l’homme, ses 
          aspirations et ses limitations, ses contradictions et ses 
          frustrations, ses projets et ses rêves ; pour le dire avec le Concile 
          Vatican II : Gaudium et spes, luxus et angor, le joies et les espoirs, 
          les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps. 
          Foi et cultures. [8] 
          
          8. Après le temps des humanités, 
          depuis la Renaissance, et surtout au cours des deux derniers siècles, 
          la culture occidentale a connu un développement fantastique, surtout 
          dans le domaine des sciences de la nature et de la technique. Il en 
          est résulté un degré d’humanisation dont ne pouvaient pas même rêver 
          nos ancêtres d’avant le XVIIIème siècle : la santé des hommes s’est 
          améliorée, la mortalité enfantine et juvénile a régressé, la longévité 
          de la vie et sa qualité ont augmenté, les connaissances se sont 
          multipliées, et l’accès des multitudes au musée imaginaire de la 
          sculpture mondiale, comme à la musique, aux spectacles, au livre et 
          aux imprimés sont de très grands acquis de notre temps. Ces 
          acquisitions furent telles qu’elles donnèrent naissance à l’illusion 
          d’un progrès indéfini. « Ouvrir une école, c’est fermer une prison », 
          disait Victor Hugo. Nous savons aujourd’hui, hélas, que ce n’est plus 
          vrai. Les cerveaux qui ont armé les Brigades rouges en Italie, 
          enseignaient la sociologie à l’Université. Les réseaux terroristes 
          islamistes ne recrutent pas des jeunes laissés-pour-compte de nos 
          banlieues, mais des étudiants en médecine et en droit, et des hommes 
          versés dans les différents domaines de la technologie. 
          Au long des siècles, la foi au 
          Christ et la vie spirituelle des chrétiens ont profondément marqué les 
          différentes expressions de la culture. Parce que le Christ s’est 
          adressé à l’homme, à tout homme et à tout l’homme, l’Église veut 
          continuer à emprunter cette route de l’homme[9], route qui traverse 
          les différents domaines de la vie. Nous nous trouvons aujourd’hui, un 
          peu partout dans le monde, confrontés à des mutations telles que les 
          cultures traditionnellement chrétiennes ou imprégnées de traditions 
          religieuses millénaires – c’est le cas en Afrique et en Asie – se 
          trouvent ébranlées. Le développement de l’économie au niveau mondial 
          tend à uniformiser les comportements, et la recherche du profit pour 
          lui-même en vient à déshumaniser le vaste monde du travail et des 
          échanges entre les hommes, sans parler des conséquences désastreuses 
          sur les familles. 
          9. Nous assistons à une sorte de 
          vaste ébranlement d’un monde qui perd ses fondements. Après avoir 
          proclamé la mort de Dieu, il assiste comme frappé d’impuissance à 
          l’agonie de l’homme précaire, errant dans les déserts qu’il a créés. 
          Dès lors, il s’agit, en greffant la foi sur les cultures, de redonner 
          vie à un monde déchristianisé et de rendre aux valeurs qui guident 
          encore la société, leur sève évangélique, « l’eau vive » de Jésus à la 
          Samaritaine, pour un jaillissement en vie éternelle. Le vaste monde 
          que ma responsabilité du dialogue de l’Église avec les Cultures – 
          c’est précisément la mission du Conseil Pontifical de la Culture au 
          sein de la Curie Romaine – me fait sans cesse parcourir, de Rio de 
          Janeiro au Brésil à Soweto en Afrique du Sud, d’Oxford en Angleterre à 
          Sarajevo en Bosnie-Herzégovine, de Goa en Inde à Moscou en Russie et 
          Minsk en Biélorussie, présente en tous lieux de nouvelles situations 
          culturelles qui sont autant de défis pour l’Église, en même temps 
          qu’elles ouvrent des champs nouveaux d’évangélisation où la voix du 
          Christ demande à pouvoir être entendue. 
          Dans sa Lettre Encyclique 
          Redemptoris missio, Jean-Paul II décrit notre époque comme « tout à la 
          fois dramatique et fascinante »[10]. Dramatique, car des masses 
          entières d’hommes et de femmes sont entrées dans l’éclipse de Dieu, 
          tandis que de tristes individus organisés dans la terreur aveugle sont 
          capables des actes les plus abominables qu’ils prétendent accomplir – 
          suprême blasphème ! – au nom de Dieu. Je pense aussi avec une immense 
          tristesse à ces multitudes d’enfants victimes de la folie des hommes : 
          l’utilisation sans vergogne à des fins idéologiques d’enfants-soldats 
          sacrifiés sur les premières lignes des combats, l’exploitation d’une 
          main d’œuvre facilement manipulable pour engranger le maximum de 
          profits, et tant d’autres maux qui s’abattent sur ces faibles 
          innocents – de la prostitution à la pédophilie – qui sont nos frères 
          en humanité, à qui l’avenir devrait appartenir, mais qui sont le jouet 
          des désirs les plus vils et des trafics les plus honteux. 
          10. Il ne faudrait cependant pas se 
          focaliser sur les dimensions peccamineuses et mortifères de la culture 
          à l’aube du millénaire, sous peine de laisser croire que la foi 
          chrétienne n’offrirait d’espace qu’à la seule lamentation : nous 
          sommes, nous chrétiens, porteurs d’espérance. Jean-Paul II nous le 
          disait : notre époque est fascinante. En effet, les immenses avancées 
          de la culture scientifique, la réduction des distances entre les 
          hommes par un développement sans précédent des moyens et des 
          techniques de communication, l’attention croissante apportée aux 
          problèmes sociaux et collectifs – même en des régions totalement 
          étrangères qui deviennent, par un effet inverse, de moins en moins 
          étranges –, sont autant de domaines de la vie des hommes qu’il nous 
          revient d’investir pour y annoncer la beauté du mystère de la vie, la 
          grandeur d’une existence fondée sur la justice et l’amour de l’autre, 
          et la noblesse d’une culture ouverte sur l’universel, qui ne craint 
          pas de s’enrichir au contact des peuples, tout en préservant son 
          patrimoine d’humanité patiemment engrangé au long des siècles et des 
          millénaires. 
          Le défi du dialogue 
          interculturel. 
          11. À l’heure de l’Europe comme à 
          celle de la mondialisation, l’un des grands défis qui se posent à nos 
          hommes politiques et aux citoyens qui les choisissent, est celui des 
          identités culturelles. Il se pose pour vous en Roumanie comme dans mon 
          pays d’origine, la France, avec les Corses, les Basques, ou les 
          Bretons. Il se pose encore devant l’accroissement de l’immigration et 
          les risques supposés ou réels de déstabilisation des cultures 
          traditionnelles. Il prend des formes dramatiques en certaines régions 
          du monde, nous l’avons vu au Rwanda et au Soudan, en Afrique, dans 
          l’ancienne Yougoslavie, au cœur de l’Europe, et en différentes régions 
          du vaste continent asiatique, en Indonésie et en Inde. Il apparaît 
          dans sa dimension mondiale depuis qu’un après-midi du 11 septembre 
          2001, les hommes et les femmes de la planète ont été soudainement 
          réveillés de leur torpeur en découvrant dans la stupeur la capacité de 
          nuisance jusque-là insoupçonnée de réseaux terroristes souterrains 
          prêts à accomplir des actes barbares d’une violence extrême. La 
          recherche d’actions destructrices spectaculaires dont la puissance des 
          images sera relayée par les télévisions du monde entier et par le 
          réseau mondial Internet, est la face visible d’une stratégie 
          diabolique de la terreur, qui n’a d’autre but que de plonger les 
          hommes dans la peur et de les détourner ainsi de leur vocation à vivre 
          en frères, dans le respect des particularités de chacun et le désir de 
          s’enrichir de la culture des autres. 
          C’est dire le défi du dialogue 
          interculturel pour l’Église qui – je le soulignais dans une récente 
          intervention au Siège de l’UNESCO à Paris – a la mission singulière de 
          réunir en son sein des hommes de toutes les nations. « L’originalité 
          d’une culture, bien loin de s’identifier à sa fermeture sur elle-même, 
          implique son ouverture à l’universel. Le pluralisme culturel dans 
          l’Église n’est pas la juxtaposition de mondes antagonistes, mais la 
          complémentarité de richesses multiformes. »[11] De fait, c’est parce 
          que les cultures sont porteuses d’humanité et, par là, sont ouvertes à 
          l’universel que le dialogue est non seulement possible entre elles, 
          mais demande à être promu pour un mutuel enrichissement entre les 
          peuples. Combien d’exemples, notamment dans le domaine de l’art, en 
          sont le témoignage : tel ce directeur d’Orchestre Coréen, Myung-Whun 
          Chung, un asiatique qui excelle dans l’interprétation des plus grands 
          compositeurs de la musique classique allemande, italienne ou 
          française. C’est bien que la culture d’un peuple possède en elle-même, 
          dès lors qu’elle est authentique, quelque chose d’universel dans sa 
          singularité. 
          L’homme se grandit à vouloir 
          découvrir chez son semblable une autre manière de voir, de sentir, 
          d’appréhender le monde, son prochain et Dieu lui-même. C’est du moins 
          ma conviction profonde, celle qui oriente ma vie au service du 
          Saint-Siège depuis déjà un quart de siècle, lorsque le 27 juin 1980 le 
          Saint-Père me demandait de quitter l’Institut Catholique de Paris dont 
          j’étais Recteur, pour devenir Président du Secrétariat pour les 
          Non-croyants. Je devenais, deux ans plus tard, le premier Président du 
          Conseil Pontifical de la Culture, et je le suis encore pour ma plus 
          grande joie. Ce n’est pas trahir un secret des rencontres entre 
          Cardinaux que de vous dire que le thème de la rencontre de la foi et 
          des cultures est central dans nos échanges. Car, de fait, c’est l’un 
          des thèmes développés par le Concile Vatican II réuni par le 
          Bienheureux pape Jean XXIII pour un aggiornamento de l’Église et un 
          nouvel élan dans l’œuvre de l’évangélisation au cœur des cultures où 
          vivent les hommes de notre temps. Et c’est pourquoi l’Église du 
          Concile s’est présentée en son mystère d’amour pour « illuminer tous 
          les hommes de la lumière du Christ qui resplendit sur le visage de 
          l’Église » (Lumen gentium, 3) et manifester « son étroite solidarité 
          avec l’ensemble de la famille humaine » (Gaudium et spes, 1). 
          
          L’Europe des peuples et des 
          cultures. 
          12. Que recouvre l’idée de l’Europe 
          ? Si la question se pose, c’est qu’elle ne trouve pas de réponse 
          convaincante par sa délimitation dans un espace géographique. Il 
          s’agit en réalité d’un concept « culturel », riche de deux millénaires 
          d’histoire, né d'un processus qui s’origine fondamentalement dans 
          l’annonce de la foi chrétienne. Certes, l’Europe est actuellement un 
          ensemble de nations laïques, mais toutes ont un fondement chrétien 
          même si elles semblent – ou du moins leurs dirigeants – aujourd’hui 
          l’oublier, voire le nier, au moins le passer sous silence – aphasie, 
          amnésie, ce qui est du reste un phénomène très récent. 
          Tout au long de deux millénaires, la 
          foi chrétienne s’est transmise sur tout le territoire européen et a 
          tissé un vaste filet d’églises et monastères, d’universités et 
          bibliothèques, d’établissements scolaires et d’institutions de santé. 
          Elle a pénétré les cultures, modelant les hommes et les Nations. Elle 
          a agi dans les activités humaines comme un levain dans la pâte. Elle a 
          progressivement fécondé les multiples cultures et l’immense diversité 
          des peuples, et a constitué comme un ciment, un socle d’unité, en 
          invitant les hommes à communier à des valeurs communes provenant de 
          l’Évangile. En réalité, même dans la période où l’Europe est apparue 
          comme une grande entité indiscutable, elle s’est toujours distinguée 
          par la richesse et la diversité de ses peuples et de ses nations. Elle 
          possédait pour cela un élément unificateur, la foi chrétienne, 
          demeurée indivise pendant plus de sept siècles.[12] 
          La blessure des grandes guerres 
          et du communisme léniniste. 
          13. Cet héritage est entre nos 
          mains. Tout en regardant le passé bimillénaire de l’Europe, nous ne 
          pouvons oublier notre histoire plus récente, et le traumatisme de la 
          seconde guerre mondiale. Cette tragédie a marqué une rupture, ou tout 
          du moins une blessure profonde dans la conscience européenne. Parmi 
          les conséquences, la création de deux blocs antagonistes n’a pas été 
          sans répercussions sur l’avenir de l’Europe : après les horreurs de la 
          guerre, puis celles des goulags, l’Europe arbitrairement divisée en 
          deux a connu deux évolutions radicalement différentes, sinon opposées, 
          du moins en apparence. C’était le diagnostic sévère du Pape Jean-Paul 
          II s’adressant au VIè Symposium des Évêques d’Europe, le 11 octobre 
          1985 : « À l’Ouest, la personne a été sacrifiée au bien-être, à l’Est 
          elle a été sacrifiée à la structure. Mais ces positions se révèlent 
          dépourvues de perspective convaincante de civilisation… Aujourd’hui, 
          on vit et on lutte surtout pour le pouvoir et le bien-être, non pour 
          des idéaux. »[13] 
          Nous le savons, ce n’est pas le 
          phénomène de la mondialisation et ses relents d’impérialisme 
          économique – sinon plus –, qui guériront une Europe trop souvent 
          inconsciente des blessures qui la saignent et l’affaiblissent. Les 
          nationalismes comme l’individualisme, le marxisme-léninisme communisme 
          athée comme le libéralisme agnostique sont négateurs de la dignité de 
          la personne humaine, et ils emprisonnent les âmes dans des idéologies 
          aux horizons intra-mondains et réducteurs. 
          Pour créer une Europe de la liberté, 
          il nous faut libérer l’homme de l’illusion d’un futur meilleur qui 
          naîtrait comme par enchantement des progrès des sciences et de la 
          médecine, et d’une économie de marché qui rendrait toujours plus riche 
          en dehors de toute référence religieuse et éthique. Cette utopie qui 
          endort les consciences, entraîne les hommes sur des chemins qui ne 
          mènent nulle part, sinon à la désillusion tragique et aux violences 
          qu’elle entraîne[14]. 
          Libérer l’homme. 
          14. Mais comment libérer l’homme ? 
          Pour Robert Schuman, l’Europe doit retrouver son âme, c’est à dire le 
          principe qui la fait vivre et lui donne d’être elle-même, avec sa 
          propre identité et la mission qui est la sienne à l’aube du troisième 
          millénaire. Le rationalisme qui prétend libérer l’homme de 
          l’obscurantisme, suscite en réalité ses propres mythes pour sa survie. 
          Le temps n’est plus aux grandes idéologies qui, de Feuerbach à Sartre, 
          ont sécrété un athéisme virulent contre l’Église. Elles ont laissé 
          place, nous le constatons, à une sorte de « mythisation des valeurs » 
          sur lesquelles les politiciens entendent fonder la société de demain. 
          C’est l’analyse pénétrante du Cardinal Ratzinger, dans une 
          intervention sur « Politique et morale » insérée dans son ouvrage Un 
          tournant pour l’Europe. Diagnostics et pronostics sur la situation de 
          l’Église et du monde. Le futur pape Benoît XVI constate la chute des 
          grandes idéologies, mais observe que les mythes politiques n’ont pas 
          disparu : ils se cachent derrière ce qu’il appelle « une mythisation 
          des valeurs ». Il entend par là dénoncer l’usage unilatéral de valeurs 
          qui sont en elles-même authentiques, mais que l’on voudrait imposer à 
          la conscience commune comme des absolus, postulats et normes 
          indiscutables du vivre-ensemble. Ces trois valeurs « continuellement, 
          mythiquement unilatéralisées » sont le progrès, la science et la 
          liberté. Et les deux péchés de l’Europe à l’époque moderne sont le 
          rationalisme et le totalitarisme de la raison technique et la 
          destruction de la conscience morale.[15] 
          Certes, l’Église n’est pas contre le 
          progrès, la science ni la liberté : elle n’a cessé, depuis deux 
          millénaires, de favoriser à travers universités, hôpitaux et 
          institutions sociales, le déploiement des connaissances, la 
          démocratisation du savoir et l’approfondissement des sciences, le 
          progrès de la justice et l’accroissement de la solidarité, le 
          développement des peuples et la défense de la dignité de la personne 
          humaine. Pour l’Église, il n’est de progrès, de liberté et de science 
          que pour le bien de l’homme. Pour l’Église, en démocratie politique, 
          service du bien commun, la seule norme indiscutable est la personne 
          humaine : Dieu l’a voulue pour elle-même à son image et à sa 
          ressemblance, et lui a conféré une dignité incomparable et intangible 
          en s’unissant à elle par son Incarnation en Jésus Christ, le Fils 
          éternel du Père qui a pris chair dans le sein de la Vierge Marie au 
          matin de l’Annonciation, à Nazareth. Libérer l’homme, c’est le 
          rétablir dans sa dignité d’homme, et lui donner de pouvoir se situer 
          dans sa propre vocation : c’est le libérer des sortilèges de la 
          modernité qui en fait la victime du progrès économique à tout crin, de 
          scientifiques agissant sans normes éthiques, de marchands d’illusions 
          à la recherche du profit à tout prix qui l’enserrent dans les filets 
          de l’hédonisme, les liens de la drogue, l’esclavage des sens,. Ce 
          n’est pas de la religion que l’homme doit se libérer, mais du mythe 
          d’une société sans référence à Dieu, qui serait l’idéal d’une humanité 
          sans âme et sans propre identité. Libérer l’homme, c’est le soustraire 
          au positivisme érigé en philosophie d’État, c’est lui donner de 
          construire une société d’amour, de justice et de paix, une Europe où 
          une laïcité réelle, au rebours du laïcisme, permette la reconnaissance 
          du pluralisme religieux et respecte la pleine existence publique des 
          religions et leur réelle participation aux débats de sociétés, à leurs 
          enjeux, et à leur solution humaine. 
          Une Europe des peuples et des 
          cultures. 
          15. Chers amis, vous le savez : 
          l’Europe est un continent culturel avant d’être géographique. Sa 
          culture, forgée au long des siècles et alimentée aux sources de 
          l’Évangile, lui a donné une identité commune. En réaffirmant les 
          racines chrétiennes de l’Europe, le Pape Jean-Paul II et, à sa suite, 
          Benoît XVI ne se réfèrent pas à un passé révolu. C’est ma conviction : 
          l’histoire est la mémoire du futur. Tandis que nous venons de fêter le 
          60ème anniversaire de la Libération du totalitarisme nazi, n’oublions 
          pas que la renaissance de l’Europe, après ces sombres heures de 
          l’histoire qui ont vu les pires atrocités, a été rendue possible grâce 
          à des hommes politiques, Schuman[16], Adenauer, De Gasperi, les Pères 
          de l’Europe qui, loin de cacher leur foi au Christ, y puisaient leur 
          inspiration et y trouvaient le ressort de leur audace créatrice, dans 
          la conviction que les pires ennemis peuvent devenir frères, que 
          l’amour est plus fort que la haine, que la paix peut et doit avoir le 
          dernier mot sur toutes les déchirures les plus saignantes et les 
          oppositions séculaires. C’est le message que le pape Benoît XVI a 
          voulu adresser, en se référant à son prédécesseur et à son expérience 
          personnelle, aux représentants des pays du monde entier, dans 
          l’audience qu’il a donnée au Corps diplomatique accrédité auprès du 
          Saint-Siège, le 12 mai dernier. Les Pères de l’Europe, ces trois 
          chrétiens ont eu le courage de s’opposer aux totalitarismes du nazisme 
          et du communisme-léninisme, idéologies athées, en réalité, par dessus 
          tout, antichrétiennes. Ces pères fondateurs de l’Europe appellent 
          aujourd’hui, à l’aube du nouveau millénaire, d’autres chrétiens à 
          poursuivre leur œuvre pour donner une âme à l’Europe et permettre à 
          ses racines chrétiennes de sécréter la sève d’un humanisme universel 
          pour le bien de peuples réunis dans la liberté, la fraternité et 
          l’égale dignité des enfants de Dieu. 
          C’est pour moi un privilège de 
          partager ces convictions avec les professeurs de quatre Facultés de 
          théologie de l’Université BABES-BOLYAI, romano-catholique, 
          greco-catholique, orthodoxe et protestante. Vous êtes tous des 
          disciples de Jésus-Christ, réunis dans la même foi au Seigneur. « En 
          réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le 
          mystère du Verbe incarné. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation 
          même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme 
          à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation »[17] 
          
          À tous, je souhaite de belles et 
          fécondes années universitaires qui vous donnent de nourrir et 
          d’approfondir cette conviction de foi pour la partager par toute votre 
          vie et construire sur ces racines chrétiennes l’Europe des peuples et 
          des cultures de demain. 
          [1] Pontificium Consilium de Cultura 
          et Konrad Adenauer-Stiftung, L’Europe. Vers l’union politique et 
          économique dans la pluralité des cultures, Cité du Vatican, 2001.
          
          [2]. JEAN-PAUL II, HOMELIE du 22 
          octobre 1978, in Documentation Catholique, n° 1751, 1978, p. 915-916.
          
          [3] Cardinal Paul Poupard et Bernard 
          Ardura, Abbayes et monastères aux racines de l’Europe, Cerf Histoire, 
          2004. 
          [4] P. Poupard, L’Église au défi des 
          cultures. Inculturation et évangélisation, Desclée 1989. 
          [5] Jean-Paul II, Lettre apostolique 
          Tertio millennio adveniente, n. 7. 
          [6] Cf. Ibid. 
          [7] Conseil Pontifical de la 
          Culture, Pour une pastorale de la culture, 23 mai 1999, n. 3. 
          
          [8] Cardinal Paul Poupard, Foi et 
          cultures au tournant du nouveau millénaire, CLD 2001. 
          [9] Cf. Jean-Paul II, Encyclique 
          Redemptor hominis, 4 mars 1979, n. 14 : « Cet homme est la route de 
          l’Église, route qui se déploie, d’une certaine façon, à la base de 
          toutes les routes que l’Église doit emprunter, parce que l’homme, tout 
          homme sans aucune exception a été racheté par le Christ, parce que le 
          Christ s’est en quelque sorte uni à l’homme, à chaque homme sans 
          aucune exception, même si ce dernier n’en est pas conscient : “Le 
          Christ, mort et ressuscité pour tous, offre à l’homme”, à tout homme 
          et à tous les hommes “… lumière et forces pour lui permettre de 
          répondre à sa très haute vocation”. ». 
          [10] JEAN-PAUL II, Lettre Encyclique 
          Redemptoris missio, n. 38. 
          [11]. Cf. les Actes du Colloque 
          International Un nouvel humanisme pour le troisième millénaire, 
          organisé conjointement par le Conseil Pontifical de la Culture et le 
          Centre Catholique International pour l’UNESCO, 3 et 4 mai 1999, Paris, 
          p. 16. 
          [12] Cf. le Colloque réuni par le 
          Conseil Pontifical de la Culture à Klingenthal du 27 au 30 mai 1993 : 
          Christianisme et identité nationale. Une certaine idée de l’Europe. 
          Paris, Beauchesne, Coll. Politiques et Chrétiens, 1994. 
          [13] In Documentation Catholique, n° 
          1906, 17 novembre 1985, p. 1085. 
          [14] Cf. Paul Poupard, Nouvelle 
          Europe. Reconquête de la liberté et défi du libéralisme, Mame 1993.
          
          [15] Cardinal Joseph Ratzinger, Un 
          tournant pour l’Europe : diagnostics et pronostics sur la situation de 
          l’Église et du monde, Flammarion, Saint Augustin 1996. 
          [16] Cf. Cardinal Paul Poupard, La 
          sainteté au défi de l’histoire. Portrait de six témoins pour le IIIème 
          millénaire, Conférences de Carême de Notre-Dame de Paris, Ch. I, « 
          Robert Schuman, 1886-1963, Une âme pour l’Europe », Presses de la 
          Renaissance 2003, p. 11-50. 
          [17] Concile Vatican II, Gaudium et 
          spes, n° 22.