L'idéal de la laïcité germe lentement
entre le XVIIIe siècle, dit siècle des Lumières, et le 9 décembre 1905,
date de la promulgation de la loi de séparation entre l'Eglise et l'Etat
français. Deux principes fondamentaux sont énoncés : «La République
assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des
cultes...» et «la République ne reconnaît, ni ne subventionne aucun
culte...».
Un ordre nouveau se
cristallisait alors que le Code civil de 1810 interdisait déjà aux
ministres du culte de procéder à des mariages, la loi de 1882 laïcisait
l'école publique et celle de 1904 interdisait tout enseignement aux
congréganistes. Les religieux et les religieuses choisirent alors entre
l'exil et la sécularisation. La République établissait un espace de
liberté, il n'y avait plus de religion d'Etat mais un projet éducatif
patriote et moral pour tous les enfants et en théorie une égalité de
chance pour toutes les communautés, croyants et incroyants et pour
toutes les classes sociales. Un tel idéal d'humanisme avait été prôné
par les francs-maçons les plus prestigieux comme les plus humbles au
sein de toutes les obédiences françaises et en ce qui nous intéresse
dans les loges. Il fallait du temps avant que la laïcité ne porte ses
fruits et devienne vivante au coeur de notre société.
Sans remettre en cause les mouvements
d'émancipation, car il fallait bien qu'ils eurent lieu dans l'histoire,
qu'en est-il de notre société cent ans après ?
Nous savons tous que notre
civilisation vit un drame. Partout, au coeur de la France –
l'enseignement aurait-il manqué à ses devoirs ou tout au moins ses
cibles ? –, nous assistons à des violences, des injustices ou des
terrorismes. Ces déchaînements allument des guerres culturelles, des
barbaries civiles que nous croyions appartenir à des temps révolus.
Nous craignons pour l'avenir des troubles graves, voire une révolution,
nous imaginons la perte de notre travail et de nos biens, nous sommes
inquiets pour nos enfants et parfois écoeurés devant la misère de
certains de nos concitoyens. Nous avons l'impression que notre
civilisation est en danger, qu'elle va vers sa fin inexorable.
Les luttes politiques, les crises
économiques, le malaise social... c'est le monde entier qui vacille. Les
initiés ne peuvent pas rester des spectateurs silencieux et passifs face
à l'engrenage de la désorganisation, de la haine et de la violence.
Nous, francs-maçons, ne vivons pas en marge du chaos, retirés dans une
sagesse de bon aloi. Nous faisons partie intégrante de la société qui
produit le chaos. Si nous ne participons pas activement au bien-être
moral, spirituel et matériel de l'humanité, nous deviendrions
responsables du chaos. Nous, francs-maçons, ne sommes pas seulement
dans une spiritualité éthérée et ne pouvons demeurer les bras croisés,
nous contentant, par manque d'idées, d'efforts et de réflexions, de
célébrer le 275e anniversaire de la maçonnerie française, le 250e
anniversaire de la naissance de Mozart ou le 100e anniversaire de la loi
promulguant la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Nous ne devons pas
vivre en célébrant seulement le passé, fût-il glorieux, mais vivre dans
le présent.
Il y a, d'une part, la Tradition,
méthode de développement de l'Homme par l'étude de la profondeur humaine
et d'autre part l'évolution de notre civilisation empêtrée dans un
matérialisme, dont l'homme est absent, qui crée une solitude le
conduisant à des communautarismes conflictuels. La maçonnerie ne se
résigne pas à cet impossible «grand écart».
L'actuelle crise n'est ni une crise
de formes ni une crise d'idées mais une crise du sens. L'homme n'a
plus de place, l'individu n'a plus de valeur, seul le profit compte et
chacun s'enferme derrière des murs qui l'isolent davantage.
Au Moyen Age, l'homme cherchait son
bonheur uniquement en Dieu, du XVIIIe au XXe siècle l'homme a cru que
les technosciences apporteraient un bonheur universel, en vain, la
prochaine étape en ce siècle devra être de mettre l'Homme au centre des
décisions politiques, économiques, sociales. Or s'il y a un endroit
où les vertus sont encore des valeurs humaines, c'est bien en
franc-maçonnerie. S'il y a un endroit où l'on sait comment transmettre
le sens de ces valeurs, c'est bien en franc-maçonnerie. S'il y a un
endroit où l'homme est au centre des réflexions, c'est bien en
franc-maçonnerie. A un certain niveau de conscience initiatique, nous
devenons des hommes nouveaux, des hommes neufs avec un regard nouveau
sur l'agitation du monde et des solutions nouvelles accompagnent ce
regard. Nous ne pouvons pas être dans l'hier, nous ne pouvons pas
être dans le demain, nous ne pouvons être que dans le présent qui se
souvient d'hier et construit demain. L'initiation est une méthode
rationnelle et précise qui conduit à une conscience plus large, plus
responsable, plus juste et plus objective à partir de la conscience de
ce que nous sommes de plus concret, de plus réel jusqu'à atteindre une
conscience du monde dans sa globalité universelle en passant par la
conscience des autres et de leur place dans la société. Cette méthode de
perfectionnement, d'achèvement de l'homme, peut être appliquée dans
l'éducation des jeunes enfants dès la 6e et poursuivie jusqu'en
terminale. Elle répondrait à la crise du sens.
L'homme d'aujourd'hui, comme celui de
toujours, a cette ambivalence d'aspirer à vivre dans la paix et l'amour
pour répondre à l'appel de son humanitude profonde et en même temps de
chercher à s'affirmer par la violence dominatrice en répondant aux
pulsions de son animalité. Animalité et humanité sont les deux sources
de vie qui alimentent, déchirent et construisent notre civilisation. Une
société est d'autant plus civilisée que l'humanitude domine l'animalité,
mais les deux se côtoient toujours. L'amour
chrétien a engendré le massacre de milliers de païens et d'hérétiques,
la Révolution a créé les droits de l'homme, en même temps que la
Terreur. Le «barbarisme» - la propension à la barbarie - fait partie de
l'animalité de l'homme, il est une menace permanente. Nous avons besoin,
non pas d'idéaux mais d'hommes vigilants pour que le barbarisme
n'envahisse pas nos institutions et nos modes de vie.
La science traditionnelle du
développement de la conscience de l'humaine nature, rigoureusement
méthodique, objective et laïque, incarne sans équivoque, à nos yeux,
l'espérance des hommes et du monde. Cette méthode d'éveil des
consciences peut être transposée dans le monde civil pour répondre à
l'éthique politique et économique, à l'évolution de notre société, à la
mondialisation. Il faut inventer un nouvel humanisme plus
essentiellement humain, réinventer l'orientation de nos manières de
penser les buts de la vie, d'agir au quotidien et la façon d'être avec
autrui. Donner du sens à la vie, c'est bien ce qui manque
aujourd'hui, c'est bien ce que les sages de la GLDF savent faire, c'est
aussi ce qu'ils doivent faire en dehors de tout prosélytisme maçonnique
ou initiatique pour servir la prochaine génération et pour qu'existe un
monde dans lequel l'homme libre soit enfin au centre de toutes les
décisions économiques, politiques, sociales et familiales.
La Connaissance maçonnique, transmise
laïquement, est l'autre voie d'espérance pour l'homme et pour notre
civilisation.
*Grand Maître de la Grande Loge de
France. Dernier ouvrage paru : L'Agir et l'Etre initiatiques (Dervy).
L'ancien grand maître,
qui a
démissionné de la plus nocive des grandes obédiences maçonniques,
promet dans le titre d'une
tribune du Monde de donner les raisons de son départ. En
fait, le non-initié qui aura lu le texte n'en saura pas beaucoup plus
sur ces raisons, évoquées par allusions hermétiques et private jokes.
Mais le lecteur se consolera en découvrant deux scoops :
- Le Grand Orient aurait,
depuis 2003, travaillé sur des lois libéralisant, devine-t-on, la
recherche embryonnaire et l'euthanasie :
"(...)
Mais, depuis la fin 2003, le circuit de communication, le haut-parleur
de la franc-maçonnerie semble brouillé. Après les célébrations communes
à toute la franc-maçonnerie française, cet appel d'air formidable qui
avait rendu le travail des loges visible, une fois amorcé le
travail de mise en place d'une législation favorisant la liberté de la
recherche dans le domaine bioéthique ou le droit de mourir dans la
dignité, le système qui asphyxie les ateliers a repris le
dessus."
- La République, loin
d'être laïque, aurait en fait une Eglise officielle :
"(...) Le
Grand Orient a été l'Eglise et le parti de la République
et a construit la boîte à outil de la citoyenneté."