Le pape dresse un bilan de l’année 2006 : 
            Discours à la curie romaine (I)
            
            
             Dans cette première partie 
            il évoque son voyage en Pologne et la Journée mondiale des Familles, 
            à Valence.
 
            * * *
            
            Messieurs les Cardinaux,
            Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
            Chers frères et sœurs!
            
            C'est avec une grande joie que je vous rencontre aujourd'hui et que 
            j'adresse à chacun de vous mon salut cordial. Je vous remercie de 
            votre présence à ce rendez-vous traditionnel, qui a lieu à 
            l'approche du Saint Noël. Je remercie en particulier le cardinal 
            Angelo Sodano des paroles avec lesquelles il s'est fait l'interprète 
            des sentiments de toutes les personnes présentes, en s'inspirant du 
            thème central de l'Encyclique Deus caritas est. En cette 
            circonstance significative, je désire lui renouveler l'expression de 
            ma gratitude pour le service que, pendant tant d'années, il a rendu 
            au pape et au Saint-Siège, en particulier en qualité de secrétaire 
            d'Etat, et je demande au Seigneur de le récompenser pour le bien 
            qu'il a accompli avec sa sagesse et son zèle pour la mission de 
            l'Eglise. Dans le même temps, je suis heureux de renouveler mes vœux 
            particuliers au cardinal Tarcisio Bertone pour la nouvelle tâche que 
            je lui ai confiée. J’étends volontiers ces sentiments à ceux qui, au 
            cours de cette année, sont entrés au service de la Curie romaine ou 
            du Gouvernorat, alors que nous rappelons avec affection et gratitude 
            ceux que le Seigneur a rappelé à lui de cette vie.
            
            L'année qui touche à son terme – comme vous l’avez dit, Eminence – 
            reste marquée dans notre mémoire par la profonde empreinte des 
            horreurs de la guerre qui s'est déroulée près de la Terre Sainte, 
            ainsi que, en général, du danger d'un affrontement entre cultures et 
            religions — un danger qui pèse encore de manière menaçante sur notre 
            période historique. Le problème des chemins vers la paix est ainsi 
            devenu un défi de première importance pour tous ceux qui ont le 
            souci de l'homme. Cela vaut en particulier pour l'Eglise dont les 
            débuts ont été accompagnés par une promesse signifiant à la fois une 
            responsabilité et un devoir : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux 
            et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance » (Lc 2, 
            14).
            
            Ce salut de l'ange aux pasteurs au cours de la nuit de la naissance 
            de Jésus à Bethléem révèle un lien indissoluble entre la relation 
            des hommes avec Dieu et leur relation réciproque. On ne peut trouver 
            la paix sur la terre sans la réconciliation avec Dieu, sans 
            l'harmonie entre le ciel et la terre. Cette corrélation entre le 
            thème de « Dieu » et le thème de la « paix » a été l'aspect 
            déterminant des quatre voyages apostoliques de cette année: c'est à 
            ces derniers que je voudrais revenir en mémoire maintenant. Il y a 
            tout d'abord eu la visite pastorale en Pologne, le 
            pays natal de notre bien-aimé pape Jean-Paul II. Le voyage dans sa 
            patrie a représenté pour moi un profond devoir de gratitude pour 
            tout ce que, au cours du quart de siècle de son service, il m'a 
            donné, à moi personnellement mais surtout à l'Eglise et au monde. 
            Son don le plus grand pour nous tous a été sa foi inébranlable et le 
            caractère radical de son dévouement. « Totus tuus » était sa devise 
            : dans celle-ci se reflétait tout son être. Oui, il s'est donné sans 
            réserve à Dieu, au Christ, à la Mère du Christ, à l'Eglise : au 
            service du Rédempteur et à la rédemption de l'homme. Il n’a rien 
            conservé, il s'est laissé consumer jusqu'au bout par la flamme de la 
            foi. Il nous a ainsi montré comment, en tant qu'hommes de notre 
            temps, on peut croire en Dieu, dans le Dieu vivant qui s'est fait 
            proche de nous dans le Christ. Il nous a montré qu'un dévouement 
            définitif et radical de toute sa vie est possible et que, 
            précisément lorsqu’on se donne, la vie devient grande, vaste et 
            féconde. En Pologne, partout où je me suis rendu, j'ai trouvé la 
            joie de la foi. « La joie de Yahvé est votre forteresse » — on a pu 
            faire dans ce pays l'expérience, comme une réalité, de cette parole 
            que, face à la misère du nouveau début, le scribe Esdras adresse au 
            peuple d'Israël à peine revenu de l'exil (Ne 8, 10). J’ai été 
            profondément frappé par la grande cordialité avec laquelle j'ai été 
            partout accueilli. Les gens ont vu en moi le Successeur de Pierre à 
            qui est confié le ministère pastoral de toute l'Eglise. Ils voyaient 
            celui à qui, malgré toute la faiblesse humaine, s'adresse, 
            aujourd'hui comme alors, la parole du Seigneur ressuscité : « Pais 
            mes brebis » (cf. Jn 21, 15-19) ; ils voyaient le Successeur de 
            celui à qui Jésus dit, aux environs de Césarée : « Tu est Pierre, et 
            sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Mt 16, 18). Pierre, en 
            soi, n'était pas un roc, mais un homme faible et inconstant. C'est 
            pourtant précisément de lui que le Seigneur voulut faire la pierre 
            et démontrer que, à travers un homme faible, Il soutient lui-même 
            solidement son Eglise et la conserve dans l'unité. Ainsi, la visite 
            en Pologne a été pour moi, au sens le plus profond, une fête de la 
            catholicité. Le Christ est notre paix qui réunit ceux qui sont 
            séparés : au-delà de toutes les différences des époques historiques 
            et des cultures, Il est la réconciliation. A travers le ministère 
            pétrinien, nous faisons l'expérience de cette force unifiante de la 
            foi qui, à partir des nombreux peuples édifie toujours à nouveau 
            l'unique peuple de Dieu. C'est avec joie que nous avons réellement 
            fait l'expérience que, provenant de nombreux peuples, nous formons 
            l'unique peuple de Dieu, sa sainte Eglise. C'est pourquoi le 
            ministère pétrinien peut être le signe visible qui garantit cette 
            unité et qui forme une unité concrète. Je voudrais remercier encore 
            une fois de manière explicite et de tout cœur l'Eglise qui est en 
            Pologne de cette expérience touchante de la catholicité.
            
            La visite à Auschwitz-Birkenau, sur le lieu de la barbarie la plus 
            cruelle — de la tentative d'effacer le peuple d'Israël, de rendre 
            ainsi vaine l'élection faite par Dieu, de bannir Dieu lui-même de 
            l'histoire, ne pouvait pas manquer dans mes déplacements en Pologne. 
            Ce fut pour moi un motif de grand réconfort de voir à ce moment-là 
            un arc-en-ciel apparaître dans le ciel, alors que devant l'horreur 
            de ce lieu, dans l'attitude de Job, j'invoquais Dieu, ébranlé par la 
            frayeur de son absence apparente et, dans le même temps, soutenu par 
            la certitude que, malgré son silence, il ne cesse d'être et de 
            demeurer avec nous. L'arc-en-ciel a été comme une réponse : oui, je 
            suis là, et les paroles de la promesse, de l'Alliance, que j'ai 
            prononcées après le déluge, sont valables aujourd'hui également (cf. 
            Gn 9, 12-17).
            
            Le voyage en Espagne — à Valence — s'est entièrement 
            déroulé à l'enseigne du thème du mariage et de la famille. Il a été 
            beau d'écouter, devant l'assemblée de personnes de tous les 
            continents, le témoignage d'époux qui — bénis par de nombreux 
            enfants — se sont présentés devant nous et ont parlé de leurs 
            chemins respectifs dans le sacrement du mariage et au sein de leurs 
            familles nombreuses. Ils n'ont pas caché le fait d'avoir également 
            vécu des jours difficiles, d'avoir dû traverser des périodes de 
            crise. Mais c'est précisément dans la difficulté de devoir se 
            supporter réciproquement jour après jour, précisément en s'acceptant 
            toujours à nouveau dans le creuset des difficultés quotidiennes, en 
            vivant et en souffrant jusqu'au bout le oui initial — justement sur 
            ce chemin où l'on « se perd soi-même » de manière évangélique, 
            qu'ils avaient mûri, qu'ils s'étaient eux-mêmes trouvés et qu'ils 
            étaient devenus heureux. Le oui qu'ils s'étaient donnés 
            réciproquement, dans la patience du chemin et dans la force du 
            sacrement avec lequel le Christ les avait liés ensemble, était 
            devenu un grand oui face à eux-mêmes, aux enfants, au Dieu Créateur 
            et au Rédempteur Jésus Christ. Ainsi, du témoignage de ces familles, 
            nous arrivait une vague de joie, non pas une allégresse 
            superficielle et pauvre qui se dissipe rapidement, mais une joie 
            mûrie également dans la souffrance, une joie qui va au plus profond 
            et qui rachète vraiment l'homme. Devant ces familles et leurs 
            enfants, devant ces familles dans lesquelles les générations se 
            serrent la main et où l'avenir est présent, le problème de l'Europe, 
            qui en apparence ne désire plus avoir d'enfants, est entré 
            profondément en mon âme. Pour un étranger, cette Europe semble 
            lasse, elle semble même vouloir prendre congé de l'histoire. 
            Pourquoi les choses sont-elles ainsi ? Telle est la grande question. 
            Les réponses sont sûrement très complexes. Avant de chercher ces 
            réponses notre devoir est d'adresser un remerciement aux nombreux 
            époux qui aujourd'hui aussi, en Europe, disent oui à l'enfant et 
            acceptent les difficultés que cela comporte : les problèmes sociaux 
            et financiers, ainsi que les préoccupations et les fatigues jour 
            après jour ; le dévouement nécessaire pour ouvrir aux enfants le 
            chemin vers l'avenir. En mentionnant ces difficultés, apparaissent 
            peut-être également de manière claire les raisons pour lesquelles le 
            risque d'avoir des enfants apparaît trop grand pour un grand nombre 
            de personnes. L'enfant a besoin d'une attention pleine d’amour. Cela 
            signifie : nous devons lui donner un peu de notre temps, du temps de 
            notre vie. Mais cette « matière première » essentielle de la vie — 
            le temps — semble précisément manquer toujours davantage. Le temps 
            que nous avons à disposition suffit à peine pour notre propre vie ; 
            comment pourrions-nous le céder, le donner à quelqu'un d'autre ? 
            Avoir du temps et donner du temps — cela représente pour nous une 
            manière très concrète d’apprendre à se donner soi-même, à se perdre 
            pour se trouver. A ce problème s'ajoute le calcul difficile : de 
            quelles normes sommes-nous débiteurs à l’égard de l’enfant pour 
            qu'il suive le juste chemin et, en faisant cela, comment 
            devons-nous, en faisant cela, respecter sa liberté ? Le problème est 
            devenu particulièrement difficile également parce que nous ne sommes 
            plus sûrs des normes à transmettre ; parce que nous ne savons plus 
            quel est le juste usage de la liberté, quelle est la juste façon de 
            vivre, ce qui constitue moralement un devoir et ce qui est en 
            revanche inadmissible. L'esprit moderne a perdu l'orientation, et ce 
            manque d'orientation nous empêche d'être pour les autres des 
            indicateurs du juste chemin. La problématique va même encore plus 
            loin. L'homme d'aujourd’hui est incertain à propos de l'avenir. 
            Est-il admissible d'envoyer quelqu'un dans cet avenir incertain ? En 
            définitive, est-ce une bonne chose d'être un homme ? Cette profonde 
            insécurité sur l'homme lui-même — à côté de la volonté de posséder 
            toute la vie pour soi — est peut être la raison la plus profonde 
            pour laquelle le risque d'avoir un enfant apparaît à de nombreuses 
            personnes comme un risque qui n'est pratiquement plus envisageable. 
            De fait, nous ne pouvons transmettre la vie de manière responsable 
            que si nous sommes en mesure de transmettre quelque chose de plus 
            que la simple vie biologique, c'est-à-dire un sens qui tienne 
            également dans les crises de l'histoire à venir et une certitude 
            dans l'espérance qui soit plus forte que les nuages qui 
            assombrissent l'avenir. Si nous ne réapprenons pas les fondements de 
            la vie — si nous ne découvrons pas de manière nouvelle la certitude 
            de la foi – nous aurons également toujours plus de mal à confier aux 
            autres le don de la vie et la tâche d'un avenir inconnu. Le problème 
            des décisions définitives est, enfin, lié à cela : l'homme peut-il 
            se lier pour toujours ? Peut-il dire un oui pour toute la vie ? Oui, 
            il le peut. Il a été créé pour cela. C'est précisément ainsi que se 
            réalise la liberté de l'homme et ainsi que se crée aussi le domaine 
            sacré du mariage qui s'élargit en devenant une famille et qui 
            construit l'avenir.
            
            Fin de la première partie
            
            © Copyright du texte original en italien : Libreria Editrice 
            Vaticana 
            Traduction réalisée par Zenit 
            ZF06122205