1970-2025… Tribus recomposées, “monoparents”,
génération fiv… Le schéma familial n’en finit pas de se
métamorphoser. Aujourd’hui, plus que jamais au centre de nos
préoccupations, l’enfant se dirige vers un avenir plein de
surprises. Voici les huit nouveaux codes de la famille.
Paru le 21.12.2007,
par Par Sophie Carquain et Morgane Miel
Rappelez-vous : il y a encore
quarante ans, les parents étaient deux individus mariés, qui avaient
conçu un ou plusieurs enfants ensemble. « On parlait de la famille
comme d’une unité de procréation et d’élevage des enfants. La
formule adoptée par le Conseil d’État était alors deux parents, ni
plus ni moins », rappelle la psychanalyste Geneviève Delaisi de
Parseval (1). Contraception, divorce…, le troisième parent surgit,
c’est le fameux beau-père ou la fameuse belle-mère, tandis que se
développent les mono-parents.
La vraie révolution apparaît en 1984, avec la naissance des premiers
bébés-éprouvette. Fécondation in vitro ou insémination par donneur,
la procréation s’est totalement divisée : d’un côté, le
spermatozoïde, de l’autre, l’ovocyte, et, enfin, l’utérus. La notion
de parentalité éclate : un père peut faire appel à un don de sperme,
une mère peut donner son ovocyte (c’est la mère génétique) ou faire
appel à une mère porteuse (qui devient la mère gestatrice)...
Résultat ? Contrairement à la formule « pater semper incertus, mater
certissima », la mère n’est plus « certaine » du tout !
Progressivement, par ailleurs, les
homosexuels ont eu recours aux PMA, à l’insémination par donneur (en
Belgique), à la mère porteuse (aux États-Unis). « La grande
évolution concernera les couples homosexuels féminins, estime Axel
Kahn, généticien et directeur de l’Institut Cochin. On peut
envisager que dans l’avenir deux femmes aient un enfant ensemble
grâce au clonage : l’une donnerait son ovule, dont on remplacerait
le noyau par celui d’une cellule de peau de sa compagne. » La
première accoucherait alors du clone de la seconde.
« Pour aller plus loin, poursuit Axel Kahn, on sait aujourd’hui
reproduire des souris sans mâles, en prenant les ovules immatures de
l’une et en les bricolant avec les ovules matures de l’autre. À
terme, on peut imaginer que deux femmes conçoivent de cette manière
des filles, cette fois différentes les unes des autres. » Le vertige
continue.
La parentalité différée
Autre scénario, la parentalité différée. « Guidé
par le principe de précaution pour éviter tout risque de handicap dû
à l’âge, on peut imaginer qu’un individu fasse congeler ses ovocytes
ou ses spermatozoïdes vers 20-25 ans, pour ensuite les réimplanter
dans l’utérus au moment adéquat : à 38, 40, 45 ans ? Avec le
vieillissement de la population, il n’y aura plus de limite dans le
temps, surtout si l’on choisit pour ce faire une mère porteuse »,
poursuit Geneviève Delaisi de Parseval.
« Nous allons vers une séparation complète de la sexualité plaisir
et de la conception, grâce à l’utérus artificiel et éventuellement
au clonage », résume Jacques Attali. Imaginer une famille sans mère
– puisqu’on pourrait ne plus avoir besoin d’elle pour concevoir un
enfant – modifie notre perception de la famille. « Ce qu’il restera
d’elle, ce n’est finalement plus les parents, mais la volonté
d’avoir un enfant », conclut-il. Une chose est sûre : la législation
va devenir très compliquée. Quant aux psychanalystes spécialisés
dans les névroses de filiation, ils ont l’avenir devant eux !
Bébé épanoui ou star coachée ?
Jusqu’en 1950, le bébé n’était qu’un tube
digestif, et l’enfant, un être qu’il fallait d’abord rendre conforme
aux impératifs de la société. Et puis les psys pour enfants sont
arrivés, Donald Winnicott en Angleterre et Françoise Dolto en
France. « Ils ont constaté les ravages causés par l’éducation
coercitive », rappelle le Pr Daniel Marcelli, chef du service de
psychiatrie infanto-juvénile du CHU de Poitiers. Et ont opté pour un
maître mot : épanouissement ! « Il y a eu le tournant de la loi de
2002 sur l’autorité parentale, stipulant que la finalité de
l’éducation parentale doit être non plus la conformité aux diktats
de la société mais l’épanouissement individuel », rappelle Daniel
Marcelli.
La formule des « compétences de l’enfant » fait
mouche… Sauf que de plus en plus « on pousse l’enfant, on le
stimule, il n’a pas droit à l’échec », analyse Maryse Vaillant,
psychologue clinicienne. À force de pédagogiser le lien
parents-enfants, que risque-t-on ? « Si l’on continue sur cette
lancée, qui crée aussi des enfants tyrans appelés logiquement à
devenir des parents tyrans, l’objectif de réussite sera si prégnant,
augure le Pr Marcelli, que le taux de natalité risque de chuter ! On
ne va s’autoriser qu’un enfant à partager entre cinq ou six adultes,
afin de mieux le coacher… » Et le harceler ? Curieux retournement
qui consisterait à retourner à une époque où la conformité à la
société l’emportait sur l’épanouissement individuel…
Quand l'enfant fait autorité
L’épanouissement de l’enfant est rattaché à la
question de l’autorité, et ces liens sont devenus tentaculaires.
Alors reprenons. Le pater romain avait le droit de vie et de mort
sur ses enfants, puis le père à la française avait le droit de
correction – il pouvait envoyer son enfant dans une maison de
correction sans avoir à se justifier ! Avec les revendications
féministes, l’autorité maternelle a fait son chemin, jusqu’en 1972,
où la loi énonce « l’exercice de l’autorité parentale conjointe ».
Le début du XXIe siècle a connu un autre rebondissement : « Le
concept d’autorité de l’infantile, que j’avais mis en avant dès la
fin des années 90, signifie que la société est désormais tout
entière à l’écoute des besoins de l’enfant. Ce qui fait autorité
aujourd’hui, c’est le potentiel de développement de l’enfant, et
rien d’autre », analyse encore le Pr Daniel Marcelli. Jusqu’où
irons-nous ?
« On peut aussi augurer qu’à l’avenir l’enfant
choisisse lui-même… les parents qui lui conviennent. Pourquoi ne pas
imaginer une sorte de bourse des parents, où il sélectionnerait sur
Internet ceux qui lui plaisent ? » questionne-t-il en souriant. À
moins que l’État, se substituant aux parents, ne limite ce pouvoir
extravagant de l’enfant. On peut s’interroger alors sur la menace
qui pourrait peser sur la famille… autant que sur la démocratie.
Jacques Attali, lui, nous met en garde : « Le grand défi des
parents, à mon sens, va être d’empêcher l’enfant d’endosser trop tôt
un rôle d’adulte. Il est peut-être au centre de la famille, mais
tout ne doit pas reposer sur ses épaules. Je m’érige en défenseur du
droit à l’enfance. Laissons nos enfants croire au Père Noël… »
Esprit, es-tu là ?
Autrefois, par esprit de famille, on entendait
grande maison, patronyme, valeurs transmises de génération en
génération. « Peu à peu, alors que les enfants non voulus ont
disparu de la descendance pour laisser place à l’enfant désiré,
explique Paul Yonnet, sociologue (2), l’esprit de famille s’est
concentré sur le rapport entre les personnes. » Et sur une valeur
sûre, immuable : le lien filial. Si bien que l’esprit de famille,
aujourd’hui, c’est l’enfant.
« Avant, la famille apparaissait comme une
certitude : on était sûrs qu’elle allait perdurer dans le temps,
ajoute Irène Théry (3), autre spécialiste. Avec les séparations
successives, l’esprit de famille ne veut plus dire que rien ne
changera. Mais que le changement ne sera plus une destruction du
passé au profit du futur. » Les familles recomposées se
reconstruisent en intégrant l’histoire de la structure précédente.
Elles investissent massivement des maisons secondaires où l’on peut
rassembler les différentes générations, les anciens et les nouveaux
conjoints, les enfants de chacun et les amis.
Dans cette famille multipartite, construite sur le choix, pourrait
advenir une certaine confusion générationnelle. « Les femmes dans un
avenir plus ou moins proche pourront avoir des enfants après la
ménopause, et entamer alors une seconde vie de mère », poursuit Paul
Yonnet. Dans ce cas, nous irions vers une sorte de matriarcat géant…
(2) A écrit Le Recul de la mort, éd. Gallimard.
(3) Auteur de La Distinction de sexe, éd. Odile Jacob.