Pentecôte : Homélie de Benoît XVI
Texte intégral
ROME, Lundi 12 mai 2008 (ZENIT.org)
- Nous publions ci-dessous le texte de l'homélie que le pape Benoît
XVI a prononcée le dimanche de la Pentecôte, au cours de la messe
qu'il a présidée en la basilique Saint-Pierre.
Chers frères et sœurs,
Le récit de l'événement de la
Pentecôte, que nous avons écouté dans la première lecture, est
rapporté par saint Luc dans le deuxième chapitre des Actes des
Apôtres. Le chapitre commence par la phrase : « Quand arriva la
Pentecôte (le cinquantième jour après Pâques), ils se trouvaient
réunis tous ensemble » (Ac 2, 1). Ce sont des paroles qui font
référence à l'épisode précédent, dans lequel Luc a décrit la petite
compagnie des disciples, qui se rassemblait assidûment à Jérusalem
après l'ascension de Jésus au ciel (cf. Ac 1, 12-14). Il s'agit
d'une description riche de détails : le lieu « où ils habitaient » -
le Cénacle - est une pièce située « à l'étage supérieur » ; les onze
apôtres sont cités par leur nom, et les trois premiers sont Pierre,
Jean et Jacques, les « colonnes » de la communauté ; avec eux sont
mentionnées « quelques femmes », « Marie la mère de Jésus » et « ses
frères », désormais intégrés dans cette nouvelle famille, fondée non
plus sur les liens du sang mais sur la foi en Christ.
Le nombre total des personnes, qui
était « environ de cent vingt », multiple du chiffre « douze » du
Collège apostolique, fait clairement allusion à ce « nouvel Israël ».
Le groupe constitue un authentique « qahal », une « assemblée » selon
le modèle de la première Alliance, la communauté convoquée pour
écouter la voix du Seigneur et marcher sur ses traces. Le Livre des
Actes souligne que « d'un seul cœur, ils participaient fidèlement à la
prière » (1, 14). La principale activité de l'Eglise naissante est
donc la prière, à travers laquelle elle reçoit son unité du Seigneur
et se laisse guider par sa volonté, comme le démontre également le
choix de tirer au sort pour élire celui qui prendra la place de Judas
(cf. Ac 2, 25).
Cette communauté se trouvait réunie
dans le même lieu, le Cénacle, le matin de la fête juive de la
Pentecôte, fête de l'Alliance, où l'on faisait mémoire de l'événement
du Sinaï, lorsque Dieu, à travers Moïse, avait proposé à Israël de
devenir sa propriété parmi tous les peuples, pour être le signe de sa
sainteté (cf. Ex 9). Selon le Livre de l'Exode, ce pacte
antique fut accompagné par une manifestation de puissance terrifiante
de la part du Seigneur : « Or la montagne du Sinaï - y lit-on - était
toute fumante, parce que Yahvé y était descendu dans le feu ; la
fumée s'élevait comme d'une fournaise et toute la montagne tremblait
violemment » (Ex 19, 18). Nous retrouvons les éléments du vent
et du feu dans la Pentecôte du Nouveau Testament, mais sans aucune
connotation de peur. En particulier, le feu prend la forme de langues
qui se posent sur chacun des disciples, qui furent « tous remplis de
l'Esprit Saint » et par l'effet de cette effusion « ils se mirent à
parler en d'autres langues » (Ac 2, 4). Il s'agit d'un
véritable « baptême » de feu de la communauté, une sorte de nouvelle
création. Lors de la Pentecôte, l'Eglise est constituée non par une
volonté humaine, mais par la force de l'Esprit de Dieu. Et il apparaît
immédiatement comment cet Esprit donne vie à une communauté qui est à
la fois une et universelle, dépassant ainsi la malédiction de Babel
(cf. Gn 11, 7-9). En effet, seul l'Esprit Saint, qui crée l'unité dans
l'amour et dans l'acceptation réciproque des différences, peut libérer
l'humanité de la tentation permanente d'une volonté de puissance
terrestre qui veut tout dominer et uniformiser.
« Societas Spiritus »,
société de l'Esprit : c'est ainsi que saint Augustin appelle l'Eglise
dans l'un de ses sermons (71, 19, 32 : PL 38, 462). Mais avant lui,
saint Irénée avait déjà formulé une vérité qu'il me plaît de rappeler
ici : « Là où se trouve l'Eglise, se trouve l'Esprit de Dieu, et là où
se trouve l'Esprit de Dieu, là se trouve l'Eglise et chaque grâce, et
l'Esprit est la vérité ; s'éloigner de l'Eglise signifie refuser
l'Esprit » et donc « s'exclure de la vie » (Adv Haer. III, 24,
1). A partir de l'événement de Pentecôte se manifeste pleinement cette
union entre l'Esprit du Christ et son Corps mystique, c'est-à-dire
l'Eglise. Je voudrais m'arrêter sur un aspect particulier de l'action
de l'Esprit Saint, c'est-à-dire sur le lien entre multiplicité et
unité. C'est ce dont parle la deuxième lecture, en traitant de
l'harmonie des divers charismes dans la communion du même Esprit. Mais
dans le récit des Actes que nous avons écouté, ce lien se révèle déjà
avec une extraordinaire évidence. Lors de l'événement de la Pentecôte
il apparaît clairement que l'Eglise est faite d'une multitude de
langues et de cultures différentes ; dans la foi, celle-ci peuvent se
comprendre et se féconder réciproquement. Saint Luc veut clairement
transmettre une idée fondamentale, c'est-à-dire qu'au moment même de
sa naissance, l'Eglise est déjà « catholique », universelle. Elle
parle dès le début toutes les langues, car l'Evangile qui lui est
confié est destiné à tous les peuples, selon la volonté et le mandat
du Christ ressuscité (cf. Mt 28, 19). L'Eglise qui naît lors de
la Pentecôte n'est pas tout d'abord une communauté particulière -
l'Eglise de Jérusalem - mais l'Eglise universelle, qui parle les
langues de tous les peuples. De celle-ci naîtront ensuite d'autres
communautés dans toutes les parties du monde, des Eglises
particulières qui sont toutes et toujours des réalisations de la seule
et unique Eglise du Christ. L'Eglise catholique n'est pas cependant
une fédération d'Eglises, mais une réalité unique : la priorité
ontologique revient à l'Eglise universelle. Une communauté qui ne
serait pas catholique en ce sens ne serait même pas une Eglise.
A cet égard, il faut ajouter un
autre aspect : celui de la vision théologique des Actes des Apôtres à
propos du chemin de l'Eglise de Jérusalem jusqu'à Rome. Parmi les
peuples représentés à Jérusalem le jour de la Pentecôte, Luc cite
également les « Romains résidant ici » (Ac 2, 10). A cette
époque, Rome était encore lointaine, « étrangère » pour l'Eglise
naissante : elle était le symbole du monde païen en général. Mais la
force de l'Esprit Saint guidera les pas des témoins « jusqu'aux
extrémités de la terre » (Ac 1, 8), jusqu'à Rome. Le livre des
Actes des Apôtres se termine précisément lorsque Paul, à travers un
dessein providentiel, arrive dans la capitale de l'empire et y annonce
l'Evangile (cf. Ac 28, 30-31). Ainsi, le chemin de la Parole de
Dieu, commencé à Jérusalem, parvient à son but, car Rome représente le
monde entier et incarne donc l'idée que Luc a de la catholicité. L'Eglise
universelle, l'Eglise catholique, qui est la continuation du peuple de
l'élection et qui en reprend l'histoire et la mission, s'est réalisée.
Cela dit, et pour conclure,
l'Evangile de Jean nous offre une parole qui s'accorde très bien avec
le mystère de l'Eglise créée par l'Esprit. La parole sortie à deux
reprises de la bouche de Jésus ressuscité lorsqu'il apparut au milieu
des disciples au Cénacle, le soir de Pâques : « Shalom - Paix à vous !
» (Jn 20, 19.21). L'expression « shalom » n'est pas un
simple salut ; elle est bien davantage : elle est le don de la paix
promise (Jn 14, 27) et conquise par Jésus au prix de son sang,
elle est le fruit de sa victoire dans la lutte contre l'esprit du mal.
Elle est donc une paix « non à la manière du monde », mais comme Dieu
seul peut la donner.
En cette fête de l'Esprit et de
l'Eglise nous voulons rendre grâce à Dieu d'avoir donné à son peuple,
choisi et formé parmi toutes les nations, le bien inestimable de la
paix, de sa paix ! Dans le même temps, nous renouvelons la prise de
conscience de la responsabilité qui est liée à ce don : la
responsabilité de l'Eglise d'être constitutionnellement signe et
instrument de la paix de Dieu pour tous les peuples. J'ai cherché à me
faire l'intermédiaire de ce message en me rendant récemment au siège
de l'ONU pour adresser ma parole aux représentants des peuples. Mais
ce n'est pas seulement à ces événements « au sommet » que l'on doit
penser. L'Eglise réalise son service à la paix du Christ en
particulier à travers sa présence et son action ordinaire parmi les
hommes, avec la prédication de l'Evangile et avec les signes
d'amour et de miséricorde qui l'accompagnent (cf. Mc 16, 20).
Parmi ces signes, il faut
naturellement souligner principalement le sacrement de la
réconciliation, que le Christ ressuscité institua au moment même où il
fit don aux disciples de sa paix et de son Esprit. Comme nous l'avons
entendu dans l'évangile, Jésus souffla sur les apôtres et dit : «
Recevez l'Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés,
ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés,
ils lui seront maintenus » (Jn 20, 21-23). Comme le don de la
réconciliation, qui n'est malheureusement pas suffisamment compris,
est important, car il pacifie les cœurs ! La paix du Christ ne se
répand qu'à travers des cœurs renouvelés d'hommes et de femmes
réconciliés et devenus serviteurs de la justice, prêts à diffuser la
paix dans le monde grâce à la seule force de la vérité, sans jamais
faire de compromis avec la mentalité du monde, car le monde ne peut
pas donner la paix du Christ : voilà comment l'Eglise peut-être le
ferment de cette réconciliation qui vient de Dieu. Elle ne peut l'être
que si elle reste docile à l'Esprit et rend témoignage à l'Evangile,
que si elle porte la Croix comme Jésus et avec lui. C'est précisément
ce que témoignent les saints et les saintes de chaque époque !
Chers frères et sœurs, à la lumière
de cette Parole de vie, que la prière que nous élevons aujourd'hui à
Dieu en union spirituelle avec la Vierge Marie devienne encore plus
fervente et intense. Que la Vierge de l'écoute, la Mère de l'Eglise
obtienne pour nos communautés et pour tous les chrétiens une effusion
renouvelée de l'Esprit Saint Paraclet. « Emitte Spiritum tuum et
creabuntur, et renovabis faciem terrae - Envoie ton Esprit, tout
sera à nouveau créé et tu renouvelleras la face de la terre ». Amen !
[© Copyright du texte original
plurilingue : Libreria Editrice Vaticana - Traduction réalisée par
Zenit]