Auteur:
Suze
Source: un
courriel du 5.03.10
......ce sont mes notes pour la
réunion .... de Samedi 20 Mars sur "Vérité-Vérités". Ca m'a plu de
me replonger un peu dans la philo. Je ne vais pas lire ça bien sûr
mais je me suis fortifié, ravivé les neurones ; toutes les occasions
sont bonnes ! Je préfère quand même Rabelais, un ami de longue date
que j'ai plaisir à retrouver. Voilà, c'est tout, bises, Yaya.
Relativement à "Vérité-Vérités"
voici mes dernières pensées.
La Vérité est un concept irritant. Comme tu
le dis, elle est plurielle et ça n'est pas en juxtaposant des vérités
multiples ni en totalisant cette pluralité sous un nouvel étendard qu'on
va arriver à "La vérité !". C'est pourquoi c'est conflictuel et qu'on
ne va pas être d'accord.
Là je m'inspire d'André Green (philosophe
anglais probablement des années 1970). "Il n'y plus de vérité unique,
totale mais la vérité plurielle ne se fait pas encore entendre. [...]
Dire vérité plurielle c'est reconnaître que la vérité rationnelle (celle
de SaintThomas d'Aquin, en gros "je ne crois que ce que je vois") doit
accepter les autres comme son ombre :
- la vérité de l'imaginaire
- la vérité de spéculation
- la vérité de l'action.
On ne peut plus choisir entre politique,
philosophie, sciences, arts... il nous reste à chercher leur
articulation, et ça à partir de ce que la vérité refuse :
l'inconscient, parceque c'est lui qui en structure la fragmentation.".
Cet inconscient que je situe dans l'enfance,
du temps où nous étions encore infondés, incultes, innocents oui c'est
vrai des vices et des vertus car nous sommes les plus grands prématurés
des mamifères (= incapables de survivre seuls avant des années !). A ce
stade je ne suis pas d'accord avec J.J. Rousseau (qui a abandonné tous
ses enfants ! en est resté un lui-même à cause de bien des "manques"
d'ailleurs) qui imagine des petits être purs et sans perversité et
préconise "de ne point ensigner ni la vertu ni la vérité mais
garantir son coeur du vice et son esprit de l'erreur" = quelle
utopie ! suite logique de "Lhonne naît bon par nature, c'est la société
qui le corrompt".
Personnellement je relie notre sens de la
vérité, à notre monde socio-culturel, affectif et oui aussi
"inconscient" parcequ'à mon avis l'enfance nous livre d'abord à nos
sens, nos appétits et non à la raison, inexistante pendant de longues
années ; de 0 à 7 ans (l'âge de raison, moult fois constaté au cours de
mon existence !)
Qu'est-ce qu'on fait avec nos enfants,
petits : "Dis-moi la vérité", "Ne me ments pas"...
ou "C'est bien vrai c'mensonge-là !". Pourquoi dit-on
ça ? Parceque nous sentons bien que ces enfants ne sont pas innocents,
ni dupes du discours sur leur innocence ! mais voilà, l'enfant est
considéré (et de plus en plus...) comme pur et innocent et celui qui dit
le contraire est sacrilège ! Voire Freud qui qualifiait l'enfant de
"pervers polymorphe" !
A mon sens, on naît avec tous les vices et
les vertus et ça n'est que par l'éducation l'exemple qu'on peut, qu'on
arrive parfois, à leur donner un sens de la vertu, de la vérité et
autres valeurs, le courage, la compassion, la générosité, la tolérance,
l'abnégation... etc... Il n'y a jamais eu de "manuels" pour ces
choses-là ("choses" dit-on quand il ne s'agit justement pas de
"choses").
Comment parvenir à faire ce tri ?
Descartes propose une image :
devant un panier de pommes mélangées il faut tout examiner, trier, tout
jeter et ne garder que les meilleures, de peur que les gâtées ne
pourrissent l'ensemble. Par goût de l'ordre moral on préfère certaines
vérités qui se laissent ranger dans des cadres, des dogmes, des tables
de catégorie et tout y concourt : les religions, les philosophies, les
régimes politiques.car nous cultivons ce "préjugé foncier" de croire que
l'ordre, la clarté, la méthode tiennent à la vérité, au vrai des choses
; et qu'à contrario le désordre, le chaos, l'imprévu sont les traces
d'un monde faux, fou, enfin mal connu et domaine de l'erreur. Ceci est
un préjugé moral, une mentalité de "fonctionnaire modèle" (CF Nietzsche
1886) car l'homme sincère, digne de confiance n'est pas forcément un
homme d'ordre, de principes, un être prévisible ; et même parfois il
provoque beaucoup de dégâts ! Cette doxa est cependant récurrente (doxa
= ensemble d'opinions, voire de préjugés qui ont cours à un moment donné
dans une société).
Moi j'en ai une aussi : nous passons une
grande part de notre temps à nous goinfrer, nous empiffrer de
connaissances diverses : certaines restent en nous, deviennent nos
préférées, nous sont utiles ou même nous deviennent indispensables : ce
sont elles qui pourront servir à l'élaboration de notre personne vraie
(la réelle et celle qui vit au-delà des apparences, n'est connue que de
nous-mêmes. Le reste, les résidus seront oubliés, occultés ou voués aux
Gémonies ! Dans ce tri qui ne dépend que de nous-mêmes il y a aussi des
erreurs, des "pommes à moitié bonnes, ou pourries... mais cet être-là
nous appartient en propre ! il doit rester méfiant envers lui-même, se
garantir de tout orgeuil, savoir que cet être-là qui est en constante
recherche, affinement de sa vérité, ne la détient provisoirement que
pour son usage personnel. Il doit être irénique (= éviter les excès
d'une attitude purement polémique) et ne pas chercher à s'imposer pour
s'affirmer.Par contre il doit lui être fidèle le plus possible, tendre
à devenir "chêne" ; ne pas rester le "roseau" qui se courbe et oscille
au moindre changement d'air !
Se pose la question : que penser des
hérétiques et des hystériques ? dont l'entendement, les sens nous
semblent déréglés ?
- les Inquisiteurs (1494) disent
qu'il "faut les faire taire" : ils sont tenaces, affirmatifs,
négatifs, croyants impénitents contre l'ordre établi, la vérité.
- Michel Foucault (1976) (400 ans
plus tard) : "il faut les faire parler" : leur aveu est un
rituel qui se développe dans un rapport de pouvoir avec un interlocuteur
qui écoute, juge, pardonne, punit, console et libère le répentant.".
Voilà un irénisme de bon aloi, une attitude de compassion et de charité
rassurante mais qui est le "gagnant" dans l'affaire ? le malade ou
l'interlocuteur ? Que ressort-il de ce "choc entre deux mondes" ?
Autrement dit : "Est-que la folie
ouvre sur une autre vérité ?"
- Descartes (1641) dit non
! selon sa logique "ceux qui s'imaginent être des rois ou des arbres
sont fous" = irrecevables
- Kant (1766) nuance :
folie et entendement ont des frontières indistinctes mais, quand-même
"il est nécessaire, sinon de brûler les visonnaires, du moins de les
purger" (tout un programme !)
- Freud (1901) : "Le
paranoïaque voit quelque chose qui échappe à l'homme normal" (genre TOC
= interprétation par des détails) et, pour lui le problème c'est qu'il
projette ces interprétatiobns dans les autres alors que ce "réel" ne
concerne que lui.
- Lacan (1946) : fou
lui-même dit que "la folie est le risque de la liberté" et que "ne
devient pas fou qui veut" c'est donc qu'il y a bien un raisonnement, une
recherche de vértié au sein même de la folie.
Moi j'aime cette phrase de Kafka :
"Notre art c'est d'être aveuglé par la vérité. Seule est vraie la
lumière sur la face grotesque qui recule, rien d'autre.".
Ca c'est la définition du manichéisme. Mani
ou Manès (216/274 ap. JC) : le bon est la lumière (2/3) et le mal est
les ténèbres (1/3). Ce tiers est en lutte incessante pour gagner du
terrain sur les deux autres. L'humanité est née du dieu mauvais,
obscur, et ne peut être affanchie que par la connaissance de la vraie
science, le recherche de vérités enfouies, cachées momentanément alors
en Sciences des particules c'est mille fois vérifié !). C'est un peu
l'esprit franc-maçonnique par rapport aux idéaux et dogmes religieux monothéïstes,
obédiences de tout ordre. Nietzsche écrivait : "Il m'est odieux de
suivre autant que de guider.". J'ai aussi lu (?) qu'il était plus
dangereux de suivre une boussole déréglée que de l'avoir perdue".
Pourquoi faire le "coucou", aller loger dans le nid des autres quand on
a les capacités de s'en construire un soi-même !
Seuls la passion et le génie peuvent
dérégler nos sens, nous faire "perdre la raison" or, ce sont deux
sphères hautement dangereuses.
Alors bien sûr qu'il existe des
vérités nettes et sans ambiguïté :
- Quand César est né
- Combien de pieds a un stade
- le carré de l'hypothénuse est égal à la
somme des carrés des deux autres côtés
- "omnia mors aequat" = la mort égalise tout
- le temps fuit et la mort est inéluctable
(toute l'histoire des "vanités" entourées de montres, de bougies qui
s'éteignent, de verres renversés, le livres ouverts sans être finis de
lire etc...)
Mais la vérité pilosophique ne se
ramène pas à une proposition exacte et c'est là tout le problème !
- elle est logique le plus souvent
: conformité de la pensée à la chose
- elle est aussi ontologique :
conformité de la chose à la pensée.
On utilise souvent la première parce que la
vérité est une propriété des énoncés ou jugements exprimés mais la
seconde est aussi en usage pour exprimer que la chose considérée dépasse
l'appellation, il y a surplus de vérité (voire perfection divine) : une
"vraie joie", un "vrai bijou", "un vrai cheval", un parler "vrai"
etc...Enfin, la vérité comporte toujours, à la fois, une
référence à la pensée et à la chose. Elle ne peut se résoudre à
la seule réalité, ce que l'on fait souvent en prenant le "réel" pour le
"vrai" ; c'est le "Je ne crois que ce que je vois" de Saint Thomas d'Aquin.
Pourquoi cette volonté absolue de
vérité ? ou de vérité absolue ?
- volonté de ne pas se laisser tomper, mais
par qui ? Pourquoi une telle méfiance ?
- volonté de ne pas se tromper soi-même,
mais au nom de quoi ? Pourquoi un tel manque de confiance ?
Pourquoi décider que la méfiance
absolue présente plus d'avantages que l'absolue confiance ?
Pourquoi recourir à "une pensée"
quand toutes sont à notre portée ?
Einstein disait : "Quand on est confronté
entre deux théories, il faut en chercher une troisième.". C'est dire que
nos capacités sont infinies non ?
Quant à nos choix, ils ne sont pas innés,
ils sont acquis et deviennent intrinsèques, inhérents, constitutifs de
nous-mêmmes ; et nous en devenons responsables.
C'est ainsi que parfois, en revenant sur un
passé pavé d'erreurs, on découvre de nouvelles vérités, inconnue avant,
et aussi un véritable repentir intellectuel. (=moi). Cette expérience
améliore notre compréhension des autres, réduit nos a priori. C'est
bien.
C'est pourquoi j'ai tant aimé Marcel
Proust, de la "Recherche du temps perdu" jusqu'au "Temps retrouvé" car
il ne fait que ça ! Détecter ses erreurs, débusquer ses manques, traquer
ses folies et essayer de se trouver lui-même. Il découvre, le dit,
l'écrit que chaque être humain est un vase clos sur lui-même, ne peut se
faire une idée du monde, des autres, des événements, des situations, des
arts, des musiques qu'à travers le filtre de sa propre sensibilité.
Une fois sa période de mondanités terminée,
il ne retourne dans le monde que pour quelques véirifications, sinon
c'est dans sa chambre capitonnée de liège, avec ses fumigations et peu
de lumière qu'il écrit sans relâche ou dicte à Célèste s'il est trop
fatigué.
Notre "illustre et prolifique Victor Hugo"
écrit : "Les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et
des causeries mais de l'obscurité et du silence.".
Alors, comment définir une vérité après cela
?
Il faut se résigner à ce que nos sensations,
nos opinions, nos vérités soient dissemblables, et multiples. Il faut se
garder de juger.
"Toutes nos impressions et nos
opinions sont vraies car l'être est entièrement dans ce qui paraît à
chaque individu"... et ça c'est de Platon, 4ème siècle av. JC.
! Le mythe de la caverne et tout ce que cela entraîne de la vision du
monde et des choses selon qu'on soit dans la caverne ou sorti de la
caverne, ou retourné dans la caverne. Ce récit "paraît"
ennuyeux alors qu'en "vérité" il est fameux.
Vérité : certes c'est une adéquation entre
la réalité et l'humain qui la pense : le première défintion de ce mot
est de Saint Thomas d'Aquin, après Aristote bien sûr, c'est "la
conformité de la pensée et de la chose". C'est donc la vérité logique,
c'est une branche de l'arbre seulement !
D'ailleurs, ce mot d'exception on en use et
en abuse dans moult locutions :
- dire à quelqu'un ses quatre vérités
(pourquoi 4 ?)
- en vérité
- minute ou quart d'heure de vérité
- sérum de vérité
- vérité de la Palice = La palissade
- vérité des prix (le prix par rapport au
coût réel)
- "La vérité, toute la vérité, rien que la
vérite, levez la main droite et dites "je le jure". (célèbrissime phrase
des tribunaux)
Toutes ces expressions attestent du désir de
recherche de vérité (= "le temps perdu" de Proust) alors qu'on sait
d'expérience que la vie est une suite de contingences, de hasards, de
circonstances dénuées de toute nécessité ; tout bouge, fluctue, on a
constamment le cul entre deux chaises, on ne peut s'installer nulle
part, on déboulonne nos idoles etc.. etc... et c'est dans ce magma, pour
être poli, qu'on doit se frayer un chemin ! Les animaux n'ont pas ces
problèmes. Les gens témoins de Jéhova ou les créationnistes ou les
fanatiques probablement pas non plus. Stop ! pas de jugements !
Y-a-t-il des critères pour la
définir ? (puisqu'une définition semble impossible)
- Descartes (1650) : c'est
"l'évidence" mais cette certitude subjective n'est pas une
garantie suffisante de "vérité".
- Kant (1750) : il ne peut y avoir
de critère général de vérité car ce critère varie selon la
nature de la chose considérée.
- école phénoménologique allemande (XXème) :
la conformité entre la pense et la chose (la vérité donc) présuppose une
pensée qui ne soit pas fermée sur elle-même.
- Heidegger (1935) dégage la notion
de "dévoilement" comme si la vérité était cachée, invsible mais
douée d'une existence primordiale antérieure à son établissement, sa
révélation.
Cela rejoint l'image mythique
évoquée par les arts plastiques. (sculpture, dessin, peinture, musique
peut-être aussi...)
Car, avec eux, la "Vérité" a un
visage :
C'est une jeune femme nue, sortant d'un
puits, debout ou assise sur la margelle. Sur le tête ou sur la poitrine
elle porte un soleil ou une étoile d'or et, à la main, un miroir ou un
flambeau.
Cette allégorie contient des thèmes majeurs
relatifs à la vérité :
- la vérité est cachée
- la vérité éblouit quand elle paraît, et
peut être nouvelle source d'aveuglement, le passage de l'obscurité au
plein soleil.
- la vérité propose une image (le miroir)
avec tout ce que cela peut induire de "mirages", de possibles erreurs !
Pour finir cette phrase de Martin Scorsese
("Sutter Island", film sur la mince frontière entre la folie et la
raison - comme dans l'autre film, mangifique "Un homme d'exception") : "La
vérité est aussi fugace et fragile qu'une flamme soufflée par le vent
dans l'obscurité d'une grotte." (Salut Platon !).