Implications philosophiques et
spirituelles
des sciences de la complexité
Mars
2009
Depuis "La nouvelle
Alliance" d'Ilya Prigogine, la physique de la complexité a fort évolué.
Le cosmos y est vu comme un processus global unique qui engendre
lui-même l'espace, le temps, la matière et les lois physiques comme
autant de propriétés émergentes. Le temps ne passe pas, mais il
s'accumule actant ainsi le principe d'une mémoire cosmique permanente :
l'oiseau n'apprend pas à construire son nid, il se le "rappelle". Mais
surtout, l'improbabilité notoire de notre univers et de la conjonction
des valeurs des constantes cosmiques, induit un questionnement
incontournable sur l'idée d'intention qui devient inévitable pour rendre
compte de l'improbable. Le principe d'autoréférence devient essentiel
pour comprendre la texture réelle de notre univers.
Une brève histoire des sciences …
L'histoire des sciences, depuis des millénaires
jusqu'il y a peu, s'est confondue avec une recherche effrénée des
"élémentaires" : particules élémentaires, forces élémentaires et lois
élémentaires. Les particules forment les briques, les forces forment le
ciment et les lois forment les contraintes de cet assemblage supposé qui
constitue l'univers physique.
Tout cela avait commencé du jour où, sur le seuil
de sa caverne, le vieil homme constata son incompréhension du monde
alentour, si imprévisible, si désordonné, si inextricable alors que
là-haut, par une nuit claire, l'ordonnancement des astres lui donnait
une image parfaite d'ordre et de régularité.
Toute l'histoire des sciences relève, dès ses
origines chaldéennes, de ce rêve de faire descendre sur le chaos
terrestre, l'ordre géométrique céleste.
L'autre rêve fut alchimique. Devant le spectacle de
la diversité et de la disparité des matériaux, la curiosité
réductionniste fut excitée : toutes ces matières ne seraient-elles pas
le résultat de combinaisons compliquées d'éléments simples ? Les Grecs
en inventèrent quatre (l'eau, l'air, le feu et la terre) parfois
assortis d'une cinquième : l'éther. Les Chinois, de leur bord, en
imaginèrent cinq d'emblée : l'eau, le bois, le métal, la terre et le
feu. Quelques siècles plus tard, Mendeleïev classifia une petite
centaine d'atomes élémentaires qui se réduisirent à trois particules de
base : le proton, le neutron et l'électron.
Grâce à ces découvertes, la Terre et le Ciel se
répondaient enfin dans l'ordre de l'élémentarité : partout trois
particules élémentaires, partout quatre forces élémentaires (gravifique,
électromagnétique, hadronique et leptonique), partout des lois
élémentaires : celles de la cosmologie là-haut, celles de la chimie
ici-bas. "Dormez, braves gens, l'ordre règne". C'était à la fin du 19ème
siècle : Lord Kelvin en Angleterre et Berthelot en France pouvaient
allègrement proclamer en chœur : "la science est achevée à quelques
détails de calcul près".
L'histoire scientifique du 20ème siècle
devait leur donner tort. La technologie offrit à ce dernier siècle des
instruments d'investigation et de mesure d'une finesse et d'une
précision colossales. Et cette puissance d'analyse centuplée fit voler
en éclat le bel ordonnancement de la physique positive et scientiste.
Le Ciel, c'est-à-dire l'Espace-temps, se révéla
bientôt être un chaos infernal, peuplé des métriques tordues de la
relativité généralisée, peuplé d'étoiles vivantes et explosives, ayant
naissance, croissance, maturité, déclin et mort, peuplé d'êtres bizarres
et effrayants, inconstants et imprévisibles, comme les trous noirs,
peuplé d'énergie noire et de matière sombre inaccessibles,
inobservables, intangibles.
Quant à la Terre, c''est-à-dire la Matière, elle
offrit le navrant spectacle de l'émiettement des particules que l'on
croyait élémentaires, et d'un foisonnement de particules
sub-élémentaires toutes plus instables les unes que les autres.
L'incertitude quantique y jeta un trouble définitif. Les forces et les
matières ne se distinguèrent plus que par le nom des deux familles de
particules insaisissables : bosons là, fermions ici. La théorie de la
super symétrie propose un tableaux de plus d'une centaines de particules
que l'on a du mal à appeler "élémentaires". Et cette théorie est
elle-même sous la pression d'un autre modèle : celui des supercordes
exigeant une espace à 9, 12 ou 21 dimensions, c'est selon.
Bref, vers la fin du 20ème sicle, la
complexité avait rattrapé les physiciens. Plus rien ne semblait
élémentaire. A chaque niveau de regard, l'élémentarité du niveau d'avant
volait en éclat et reconduisait le chaos qu'il fallut restructurer à
grands coups d'hypothèses de plus en plus fumeuses, de plus en plus
"magiques", de plus en plus abracadabrantesques.
Le panorama, aujourd'hui, est alarmant. La science
classique s'appuie sur deux modèles standards, celui dits des
"particules élémentaires" et celui dit "cosmologique" qui sont
incompatibles entre eux. Chacun de ces deux modèles standards s'enlisent
de plus en plus dans d'inextricables contradictions internes qui
appellent des hypothèses et des théories de plus en plus farfelues pour
sauver la face. De plus, et surtout, aucun de ces deux modèles n'est
capable de rendre compte des processus d'auto-organisation et d'autopoïèse
qui pourtant gouvernent la Matière, la Vie et la Pensée. Les
gesticulations d'un Stephen Weinberg en physique, d'un Richard Dawkins
en biologie ou d'un Jean-Pierre Changeux en neurobiologie n'y changeront
rien.
Dans le cours des années 1960, la question
épistémologique de fond commença d'être posée : la recherche d'une
élémentarité foncière derrière le spectacle du chaos universel
était-elle légitime ? Le rêve analytique cartésien avait-il un sens ?
Bref : la complexité de l'univers réel était-elle réductible à quelques
élémentaires ?
Sur ces questions fondamentales, deux écoles
émergèrent : l'école de la physique classique qui continua de croire,
dur comme fer, que le réductionnisme analytique restait la seule méthode
d'accès à la connaissance universelle, et l'école naissante de la
physique complexe qui, forte des leçons de l'histoire, prit le parti de
ne plus considérer le réductionnisme classique que comme un cas
particulier, commis aux systèmes les plus rudimentaires, mais inadéquat
partout ailleurs. A la suite de mon maître, Ilya Prigogine, j'appartiens
à cette seconde école qui, partout, émerge comme le nouveau paradigme
scientifique et physique. Sans entrer dans les détails, je m'en réfère
ici à deux noms : Thomas Kuhn pour son travail sur les révolutions
scientifiques et les changements de paradigme, et Max Planck pour cette
phrase dure mais célèbre : "La vérité ne triomphe jamais, ce sont ses
ennemis qui meurent peu à peu". Il suffit donc d'être patient.
Emergence
La notion clé pour comprendre la physique des
processus complexes est celle de propriété émergente. Il s'agit d'une
propriété que possède le tout sans qu'aucune de ses parties ne la
possède en propre. Autrement dit, ce n'est pas une propriété qui est
apportée par l'un des composants du système, mais bien une propriété qui
surgit des modes d'organisation et d'agencement entre ces composants au
sein même du système. Il s'agit, en somme, d'une propriété au second
degré, d'une propriété qui ne soit pas un apport externe mais qui soit
une production interne, d'une propriété dynamique et homéostatique qui
soit une structure de fonctionnement au-dessus des structures
d'agencement.
Le cas le plus simple est celui des atomes de
carbone qui cristallisent soit sous la forme transparente et dure du
diamant, soit sous la forme opaque et friable du graphite. Les
propriétés de dureté et de friabilité, de transparence et d'opacité qui
distinguent ces cristaux, ne sont pas des propriétés de l'atome de
carbone, mais des propriétés émergentes surgissant de leurs agencements
géométriques réciproques au sein du cristal. On comprend que ces
propriétés au second degré s'appuient sur les interactions entre atomes
de carbone sans se réduire à ces atomes eux-mêmes. Dans la même logique,
on peut dire que la Vie est une propriété émergente dynamique qui
s'appuie sur des macromolécules biochimiques sans s'y réduire. De même,
on peut dire que la Pensée est une propriété émergente dynamique qui
s'appuient sur des tissus neuronaux sans s'y réduire.
De façon beaucoup plus générale, tous les
phénomènes d'auto-organisation et d'autopoïèse s'affichent comme des
processus d'émergence qui s'appuient, sans s'y réduire, sur un substrat
loin de l'équilibre, c'est-à-dire sur un milieu riche et actif qui
évolue loin des conditions rudimentaires où excelle la physique
classique.
Il est intéressant de noter, dans le cadre de
l'histoire des idées, que le débat actuel entre réductionnisme et
émergentisme ressuscite le vieux débat qui opposa, jadis, les tenants de
la création ex-nihilo (le rabbinisme talmudique) et les tenants de
l'émanation (le kabbalisme mystique). Pour ceux-là, l'univers était le
fruit de la volonté et de l'action extérieures du Dieu créateur ; le
monde était le vase sorti des mains d'un potier divin que les physiciens
classiques appelleraient aujourd'hui "hasard et nécessité". Pour les
autres, par contre, l'univers était le fruit d'une poussée intérieure,
comme pousse un arbre au départ de sa graine, sans intervention interne,
ni d'un dieu nécessaire, ni du dieu hasard. L'univers, alors, est son
propre fruit, son propre produit. Pour reformuler la chose dans le
langage de la physique, l'univers est alors perçu comme un processus
global autoréférentiel, comme un processus d'auto-déploiement au départ
d'un germe, d'une singularité que l'on peut assimiler au big-bang du
modèle standard cosmologique.
Cette notion d'autoréférence est cruciale en
physique des processus complexes : un processus n'est pas fabriqué de
l'extérieur, mais il se fabrique lui-même, de l'intérieur. Il est
déploiement de soi. Il est accomplissement de soi, non pas grâce à son
milieu extérieur, mais malgré ce milieu. Pour le dire autrement, en
inversant les termes : le milieu externe ne détermine pas un processus
complexe, mais il le contraint c'est-à-dire qu'il restreint le champ de
ses possibles.
Emergentisme vs. déterminisme
Une question essentielle fut longtemps esquivée par
la physique classique : si lois universelles de la physique il y a, et
si ces lois sont des donnés intemporels, précédant le big-bang et
s'appliquant donc à tout dès l'instant "un", d'où viennent ces lois ? De
même, si l'univers se déploie dans l'espace et le temps, d'où vient cet
espace-temps préexistant à la matière et à l'énergie qui le courbe et le
tord ?
La question dépasse le cadre de la physique et
titille un brin la métaphysique. Elle est néanmoins incontournable.
De deux choses l'une, ou bien les lois de la
physique préexistent à l'univers réel et il reste à savoir qui ou quoi
les ont choisies parmi l'infinité des lois possibles, ou bien ces lois
ne préexistent pas à l'univers et doivent donc être produites par lui
comme des structures de déploiement adéquates.
Si l'on veut faire l'économie de l'hypothèse d'un
dieu créateur, il faudra bien considérer les "lois-structures" de la
physique comme des émergences du processus cosmique lui-même. Les lois
universelles - et les constantes universelles qui leur sont adjointes -
pourraient alors n'être pas immuables et s'élaborer progressivement au
fur et à mesure des "besoins" du processus cosmique.
De même encore pour l'espace-temps : s'il n'est pas
un "donné" préalable, il faut en conclure que c'est l'univers lui-même
qui engendre de l'espace et du temps afin de pouvoir s'y
déployer selon sa propre logique interne. Cet espace-temps qu'il se
génère, se construit en fonction des besoins locaux de déploiement et,
par conséquent, donne forcément un espace-temps inhomogène donc non
euclidien, courbe et tordu, conformément à la théorie de la relativité
généralisée.
De même enfin, pour l'énergie-matière : c'est
l'univers lui-même qui la produit afin de se donner un substrat et d'y
déployer les formes de plus en plus complexes qui correspondent à sa
propre évolution.
Retenons, à ce stade, les trois dimensions du
déploiement cosmique : des lois-structures, de l'espace-temps, de l'énergie-matière.
Toute la physique classique repose sur l'hypothèse
fondatrice d'un univers gouverné par des lois immuables et
déterminantes. Cette détermination inhérente à la vision classique passe
du déterminisme strict de la mécanique newtonienne ou einsteinienne, au
déterminisme probabiliste de la mécanique statistique ou quantique. Peu
importe, en somme. L'idée centrale est que tout est soumis à ces lois
intemporelles et données a-priori, que rien n'y échappe et qu'elles
régissent tous les rapports entre tout ce qui existe. Mais comment alors
rendre compte d'un arbre qui pousse ? D'où vient la force qui le pousse
à pousser à l'encontre de la force de gravitation, à l'encontre de la
loi de l'entropie maximale et du second principe de la thermodynamique ?
Comment comprendre qu'il se déploie malgré les circonstances et les
fluctuations de son milieu ? D'où lui vient cette énergie intérieure qui
ressemble à s'y méprendre à une force d'intention de se réaliser, de se
déployer, de s'accomplir le plus complètement possible ? Comment
expliquer que cet arbre qui pousse, puisse pousser sans plan, en
s'adaptant aux pressions externes, en optimisant à chaque instant le jeu
des paramètres de forme qui le caractérisent ?
La vision de la physique des processus complexes
est tout autre et inverse la logique de détermination. En fait, la
complexité s'élabore comme un immeuble à étages et se construit
progressivement depuis les fondations et les premiers étages
rudimentaires de la physique classique, vers les étages supérieurs, de
plus en plus complexes, articulés sur des architectures de plus en plus
sophistiquées.
Sur chaque étage, le cosmos s'organise
dynamiquement jusqu'à produire des propriétés émergentes stabilisées qui
vont structurer cet étage-là. Aux niveaux les plus bas, ces structures
stabilisantes émergentes sont les "élémentaires" de la physique
classique : des particules, des forces, des lois.
Mais, de cet étage inférieur, émerge, un jour ou
l'autre, les prémisses d'un étage supérieur qui devra élaborer ses
propres structures de stabilité parmi toutes les solutions possibles,
mais qui devra aussi respecter les structures de l'étage inférieur -
s'il ne le faisait pas, le château de cartes s'effondrerait.
Autrement dit : les "lois" du niveau inférieur ne
déterminent pas les modes d'organisation du niveau supérieur, mais elles
les contraignent. Au-delà de cette contrainte, tous les possibles sont
permis et le principe déterministe s'efface. Cela explique pourquoi,
plus on monte dans la cathédrale de la complexité, chaque étage devient
plus foisonnant, plus riche de formes et d'organisations, plus
disparates et apparemment chaotiques.
Au niveau le plus bas, on trouve trois espèces de
particules élémentaires stables. Quelques étages plus haut, on trouve
plus de 300.000 espèces de coléoptères bigarrés et biscornus, aux
comportements individuels et sociaux les plus divers.
A chaque montée d'un niveau de complexité, le
nombre de scénarii morphogénétiques possibles devient plus infini, mais
les filtres contraignants de tous les niveaux inférieurs restreignent ce
nombre qui, malgré tout, augmente considérablement à chaque étage.
Prenons une analogie et partons des 26 lettres de
l'alphabet. Avec celles-ci, on pourrait créer 18.278 syllabes de une,
deux ou trois lettres. Mais toutes ces syllabes ne seraient pas
prononçables. Si on les filtre en imposant au moins une voyelle par
syllabe, on obtiendra quelques 4.244 syllabes utilisables. Si l'on veut
à présent monter encore d'un étage, et que l'on veuille fabriquer des
mots de une, deux ou trois syllabes, on voit très vite le nombre des
combinatoires exploser pour offrir un lexique quasi infini. Et l'on peut
continuer en assemblant ces mots en phrases soumises à des règles
syntaxiques - élaborées progressivement au fur et à mesure du
développement du processus linguistique - et l'on obtient des infinités
de propositions aux sens les plus variés.
Ce qu'il faut ici bien noter, c'est que les règles
de construction des syllabes prononçables, contraignent mais ne
déterminent pas les règles syntaxiques des étages supérieurs.
S'il fallait, d'un mot, résumer l'impact de l'émergentisme
sur notre vision de l'univers, on pourrait parler d'une sorte
d'existentialisme cosmique : rien n'est prédéfini, rien n'est
préfabriqué, rien n'est prédéterminé. L'essence ne précède donc pas
l'existence. L'univers se crée lui-même, librement, soumis à ses propres
seules contraintes, et, chemin faisant, il se découvre des voies de
déploiements, inédites et imprévues, qui peuvent ou non se déployer à
leur tour dans un nouveau phylum. Plus il monte en complexité, plus le
nombre de ces voies morphogénétiques augmentent dans des proportions
exponentielles qui frisent l'infini.
Organicisme vs. mécanicisme
On l'a vu : les propriétés émergentes sont des
structures secondes qui naissent des interactions entre les composants.
L'ensemble devient un tout, paré d'une identité propre qui dépasse
celles de ses composants. L'ensemble devient un tout cohérent et
cohésif, qui vit alors d'une vie propre, au-delà de la vie propre de ses
constituants.
Autrement dit, la mayonnaise est plus que la
juxtaposition du jaune d'œuf, de l'huile et de la moutarde. La
mayonnaise est une émulsion globale qui "émerge", avec ses propriétés
propres, d'un processus d'interaction entre les biomolécules de ses
ingrédients.
Qui plus est, cette mayonnaise est irréversible -
comme tout processus complexe. Une fois qu'elle a pris, elle ne peut
plus se déprendre. Elle peut tourner, moisir, tomber, être transformée
de mille manières, mais elle n'est plus démontable. Comme le béton
lorsqu'il a séché, comme la glaise du potier une fois cuite, comme la
graine après qu'elle ait germé.
La physique classique ne connaît et ne reconnaît
que des systèmes mécaniques, c'est-à-dire démontables, analytiquement
démontables. Elle excelle donc aux niveaux les plus bas de l'édifice des
complexités, là où s'assemblent et se désassemblent les "élémentaires".
Là, beaucoup est réversible. Toutes les équations fondamentales de la
mécanique rationnelle, relativiste ou quantique, ignorent la flèche du
temps. Dans ces équations fondatrices, il serait tout-à-fait loisible
d'imaginer l'inversion du cours du temps : les planètes tourneraient
dans l'autre sens autour du soleil, voilà tout.
Tel n'est pourtant pas le cas pour les systèmes
plus complexes. La flèche du temps ne peut pas s'inverser pour eux.
L'adulte ne peut pas rajeunir et retourner dans le ventre de sa mère. La
mayonnaise ne peut pas être remise dans un batteur électroménager qui
tournerait à l'envers et rendrait ses trois ingrédients séparés et
intacts. Les principes de la thermodynamique s'y opposent formellement.
Dès que la loi des grands nombres joue et que des effets statistiques se
font jour, le temps devient irréversible, la flèche du temps devient
incontournable. Le principe de Carnot-Clausius et l'équation de
Boltzmann l'avaient démontré il y a plus de cent ans. La thermodynamique
avait alors déjà enfoncé ce coin déstabilisateur dans l'édifice
mécaniste de la physique classique.
Car le mécanicisme classique s'oppose à
l'organicisme complexe. Pourquoi ?
Pour la physique classique, l'univers est un
assemblage de briques élémentaires au sein de ce vaste contenant vide
mais malléable qu'est l'espace-temps ; cet assemblage résulte du jeu des
quelques forces élémentaires soumis à ces quelques lois élémentaires qui
les déterminent. Le temps n'y est qu'un paramètre neutre, prêt à
recevoir tout mouvement, toute transformation. Le temps y est "offert",
en somme, autant que l'espace.
Une telle vision du monde ne peut, en aucun cas,
rendre compte des phénomènes de propriété émergente, pour la simple
raison que ceux-ci ne sont ni démontables, ni réversibles. Ils ne sont
pas réductibles à quelque "élémentaire" que ce soit puisqu'ils
constituent des complexes autonomes résultant d'interactions fortes
entre leurs "élémentaires". Ces phénomènes ne sont pas
séparables de la logique interne du processus qui les porte. Et cette
logique a un sens, c'est-à-dire au moins une direction (la flèche de
"leur" temps), sinon une signification (une finalité).
La physique complexe propose une autre vision de
notre univers. Un vision non pas mécaniciste, mais organiciste. Pour le
dire d'un mot un peu caricatural, pour elle, l'univers est un tout
vivant, intégré, unitaire, cohésif et cohérent.
L'univers est un tout : cela signifie qu'il n'est
pas un assemblage d'élémentaires séparés et séparables - qui,
d'ailleurs, en aurait été le mécanicien-monteur ? -, mais qu'il est un
processus global, comme un arbre qui pousse au départ de sa graine.
Cet univers "pousse" mû par trois propensions
universelles et par une intention : celle d'accomplir tous les possibles
qui s'offrent. Nous y reviendrons plus loin. Cet univers s'engendre de
l'espace-temps, de l'énergie-matière et des lois-structures afin de se
donner les moyens de son propre déploiement. Cet univers est
autoréférentiel qui ne connaît aucun "extérieur", ni matériel, ni
immatériel. Cet univers est un vaste processus autopoïétique en marche,
qui s'invente, se crée et s'improvise au fil des opportunités de son
propre accomplissement et des émergences inédites et imprévisibles qui
surgissent.
Ce processus universel se construit par expansion
spatiotemporelle, par enrichissement des architectures et par
sophistication des régulations ; bref, par une triple montée en
complexité.
Friedman et Lemaître avaient bien compris que
l'univers est en expansion.
Heisenberg avait bien compris que l'univers élabore
des poupées russes architecturales.
Prigogine avait bien compris que l'univers génère
des régulations dissipatives globales.
Teilhard de Chardin avait bien compris que
l'univers évolue vers toujours plus de complexité.
Il suffit à présent d'allier tout cela pour
comprendre les enjeux de la physique des processus complexes.
Holisme vs. analycisme
L'existence de propriétés émergentes induit une
autre conséquence essentielle. Puisque ces propriétés appartiennent au
tout sans appartenir à aucune de ses parties, toute décomposition
analytique du système détruit fatalement ces précieuses propriétés
émergentes. Lorsque l'on dissèque une cellule vivante, on la tue. Ainsi,
si l'on veut connaître les "secrets" de la Vie en tant que propriété
émergeant d'un substrat de macromolécules biochimiques, il faut étudier
la cellule vivante dans son ensemble sans la découper en morceaux. Si
nous la tronçonnions, nous serions réduits à inventorier les composants
morts de ce qui, naguère, fut une cellule vivante. Les "secrets" de la
Vie nous auraient ainsi irrémédiablement échappé. C'est très exactement
l'impasse où se trouvent les biochimistes d'aujourd'hui qui veulent
réduire la Vie à de la Chimie : ils s'obstinent dans la voie mécaniste
et réductionniste en reniant la voie proprement organique des
biologistes non réducteurs.
Plus généralement, l'existence de propriétés
émergentes de niveau supérieur, irréductibles aux composants du niveau
inférieur, implique une conséquence inouïe : le tout est plus que la
somme de ses parties. Ce principe simple est appelé le principe
holistique et fonde l'holisme : si le tout est plus que la somme des
parties, il faut considérer ce tout comme un tout global et non comme
l'assemblage de ses parties. Cela signifie encore qu'il faut considérer
le tout et ses parties dans un rapport dialectique réciproque où les
parties expliquent partiellement le tout, mais où le tout implique
partiellement ses parties.
Cette perspective avait été parfaitement perçue par
Blaise Pascal contre René Descartes.
Je cite :
"Toute chose étant aidée et aidante, causée et
causante, et tout étant lié par un lien insensible qui relie les parties
les plus éloignées les unes aux autres, je tiens pour impossible de
connaître les parties si je ne connais le tout, comme de connaître le
tout si je ne connais les parties".
Et Pascal ajoutait, malicieux : "Descartes,
inutile et incertain".
Le principe holistique est central pour la physique
des processus complexes. Un processus est un tout, indécomposable. Il
est bien plus qu'une succession d'états. Il est bien plus qu'un jeu
élémentaire de causes et d'effets, plus ou moins déterministes. En son
temps, après la défaite de l'entreprise de fonder, avec Bertrand Russell,
une axiomatique mathématique et logique définitive, en 1929, Alfred
North Whitehead avait tenté, dans un livre aussi fameux qu'illisible,
intitulé "Process and reality", de fonder une logique processuelle
au-delà de nos logiques objectales. Cette entreprise est plus que jamais
à l'ordre du jour. Essayons d'en tracer les contours.
Si le tout est plus que la somme de ses parties,
cela signifie que un plus un n'égale pas deux. Ce qui rend les
mathématiques classiques, pourtant langage essentiel et central de la
physique classique, inopérante. Si un plus un n'égale pas deux, alors
toute la mathématique additive et analytique qui fonde la physique
mathématique s'écroule. Et la physique perd son langage de base.
Plus précisément, puisqu'un processus n'est pas un
assemblage, c'est-à-dire n'est pas une addition ou une juxtaposition
d'élémentaires identifiables et immuables, il faut leur inventer des
langages qui renonce à l'analycité et à l'additivité. Les chimistes,
déjà, ont bien connu le problème puisqu'ils ont éradiqué le signe
"égale" de leurs équations. On ne dit pas "sodium plus chlore égale
sel", on dit "sodium plus chlore DONNE sel". Le sel de cuisine résulte
d'une réaction qui n'est pas une addition. Les propriétés du sel ne sont
pas la somme des propriétés du sodium et du chlore. Le sel de cuisine
est une molécule résolument neuve, dotée de propriétés résolument
neuves, même si certains principes, hérités du niveau inférieur,
obligent à la conservation de la masse et de l'énergie qui continuent de
s'y additionner.
On voit bien, dans l'exemple chimique, que si les
mathématiques sont parfaitement bien adaptées pour calculer les
coefficients stœchiométriques qui équilibrent la réaction, elles sont,
en revanche, impuissantes à prévoir le goût du sel, sa couleur, ses
structures cristallines et toutes ses propriétés physiques et chimiques.
Plus généralement, la physique des processus devra
compléter son recours aux mathématiques par le recours à d'autres
langages scientifiques qui restent encore largement à inventer. La
simulation informatique ou la logique conceptuelle sont déjà parmi
ceux-là. Mais comme Whitehead l'a monté, nous n''en sommes qu'aux tout
premiers balbutiements. Car le saut conceptuel est immense. Depuis
toujours, les langages humains traitent des objets, c'est-à-dire des
traces laissées par les processus sous-jacents. Ces objets sont
identifiables, dénombrables, modélisables, objectivables. Mais qu'en
est-il des processus sous-jacents ?
Lorsque l'astronomie décrit le système solaire
comme une immense masse en fusion nucléaire entouré de neuf planètes
plus ou moins solides, ancrées sur des orbites presque rigoureusement
elliptiques, elle fait fi de l'histoire et de l'évolution de tout ce
système qui n'apparaît durablement stable qu'à nos yeux myopes et
enfermés dans le court terme. En réalité, ce système solaire actuel,
n'est que la trace d'un processus qui commença il y a quelques milliards
d'années par l'explosion d'une supernova, par l'effondrement
gravitationnel des gaz libérés en une immense réaction nucléaire, par la
condensation des matières éjectées sur des anneaux qui, peu à peu, se
concentrèrent en planète … et qui s'effondrera, dans quelques milliards
d'années lors de l'extinction, par épuisement, de notre soleil.
La physique classique adore faire fi des évolutions
et des processus pour se concentrer sur ce qu'elle croit stable,
intemporel, sur ce qu'elle croit fait d'objets clairement identifiables.
Dans la réalité, il n'y a rien de tel.. Pour le
dire plus fortement : dans le réel, rien n'est ni géométrique, ni
régulier, ni élémentaire, ni récurrent. Rien n'est intemporel ou
immuable. Tout cela n'est qu'idéalisation, simplification, réduction.
Car rien n'échappe à l'usure, au frottement, au vieillissement, à la
naissance et à la mort. C'est cela qu'affirme la physique complexe
lorsqu'elle affirme que tout est processus ; lorsqu'elle affirme que
tous les objets et systèmes que nous observons ne sont que des traces de
ces processus sous-jacents qui constituent la vie de l'univers, qui en
tissent l'histoire et l'évolution, qui en nourrissent le déploiement et
l'accomplissement.
Il n'y adonc rien d'intemporel. Tout est sujet au
temps. Ou, plus exactement, le temps est en tout puisque nous avons dit
que l'univers se crée du temps pour s'y déployer. Le temps est donc un
facteur second et endogène.
Mais qu'est-ce donc que ce temps dont Augustin
d'Hippone, dans ses confessions, disait : "Si personne ne me le
demande, je le sais bien ; mais si on me le demande, et que
j'entreprenne de l'expliquer, je trouve que je l'ignore".
Classiquement, le temps est vu comme une suite
d'instants qui s'enchainent à la queue-leu-leu, s'annihilant
successivement et mutuellement. Un seul instant, éternellement
changeant, est réel. Les instants passés ne sont plus ; et les instants
futurs sont à venir et n'existent donc pas encore. L'instant présent est
l'interface réelle entre deux éternités irréelles. Bref : le temps
passe.
Cette tripartition du temps en passé, présent et
futur est typique des langues indo-européennes. Les langues sémitiques,
elles, ne connaissent que deux états temporels : l'accompli qui est
achevé définitivement, et l'inaccompli qui est en-cours, peut-être pour
longtemps encore.
Ne fussent que ces deux regards sur le temps
induisent l'idée que peut-être notre "temps qui passe" n'est pas la
juste interprétation.
Et si le temps ne passait pas ? Et si le temps
s'accumulait ?
Et si l'univers se construisait comme se construit
un arbre, cerne après cerne, saison après saison. Une mince couche entre
bois et écorce, appelée cambium, est seule active et vivante : elle
seule produit la vie et engendre les cellules qui feront l'arbre de
demain. Mais les couches inactives et mortes qui sont sous le cambium et
qui forment le bois, n'en sont pas moins réelles pour autant : elles
participent d'un autre mode d'existence, voilà tout.
Abordons encore le temps de manière légèrement
différente : selon la vision classique, le temps s'écoule. Il est le
paramètre d'évolution universel. Il passe d'un instant présent à un
autre instant présent. Le passé n'existe plus et le futur n'existe pas
encore. On représente souvent le présent comme la position d'un curseur
qui parcourt un axe infini. Seule sa position présente est réelle : ses
positions passées ne sont plus dans le réel et ses positions futures ne
sont pas encore dans le réel. Et lorsqu'une position future sera dans le
réel, sa position présente ne le sera plus puisque passée.
Tout objet physique est donc vu dans
l'instantanéité de son présent. Ses états passés et futurs ne font pas
partie du réel, de son réel. Autrement dit : l'objet n'est réel que dans
son présent. En retournant cette proposition, il vient que la notion
même d'objet nait de ce que l'on n'en "voit" que l'état présent : un
objet est une "boule" d'espace vue à l'instant présent.
Dire que le temps s'écoule d'instant en instant et
que l'épaisseur du réel se réduit au seul instant présent, est pure
hypothèse. Ce n'est pas parce que notre conscience n'a conscience que de
l'instant présent que le réel s'y borne.
Imaginons que le présent ne soit pas la totalité du
réel, mais seulement sa couche superficielle active, couche
infinitésimale (de l'épaisseur d'un seul instant) de laquelle et à
laquelle notre conscience participe totalement (comme le surfeur
participe de la vague qui le porte, alors que cette vague n'est que la
très superficielle manifestation d'un océan infini sous-jacent).
Je propose ici l'hypothèse fondamentale que le
temps ne s'écoule pas, mais qu'il s'accumule. Le présent n'est alors que
la dernière couche du réel. Sa couche superficielle et active qui ne
cesse de se superposer à elle-même comme les cernes du tronc de l'arbre
s'accumule, l'un autour de l'autre, année après année.
Cela signifie que tout le passé est encore
totalement présent dans le réel, mais "dessous" la couche superficielle
du présent à laquelle appartient notre conscience humaine.
Ce qui fait la différence, alors, entre présent et
passé est le degré d'activité : le présent présent est totalement
actif et le passé passé est totalement inactif (inerte et mort,
comme le bois du tronc sous le cambium actif de sa surface) ; et entre
eux deux, il peut y avoir des zones et/ou des couches semi-actives -
et/ou peut-être ré-activables - où, probablement, se nichent nos
mémoires.
On fait ici, donc, l'hypothèse d'une logique
accumulative dont la logique successive de la physique classique n'est
que l'approximation superficielle. Par parenthèse, il ne serait pas
étonnant de découvrir la réalité de l'énergie et de la matière "noires"
ou "sombres" des cosmologistes contemporains, dans la masse des matières
et énergies du passé, accumulées "sous" la couche active observée dans
le présent ; quoi d'étonnant, alors, à ce que la masse active connue ne
fasse que quelques maigres pourcents
de la masse totale de l'univers.
L'hypothèse accumulative signifie que les "objets"
de la physique classique ne sont, en fait, que l'apparence "au présent"
des processus cumulatifs dont ils ne sont que "l'extrémité" apparente.
Pour reprendre l'imparfaite analogie de l'arbre, on pourrait dire que
l'ensemble de tous les "objets" observés par la physique classique est
similaire à l'ensemble de tous les bourgeons qui, au printemps,
"sortent" de l'arbre (dont la masse totale est faite, à plus de 90%, de
bois mort, mais bien réel).
On comprend donc que le passage de la physique
classique à la physique complexe exige le passage du temps successif au
temps accumulatif, et exige aussi, par voie de conséquence, le passage
de la notion d'objet à la notion de processus dont l'objet n'est que
l'extrémité "présente".
Sans entrer ici dans les détails, il est loisible
de dire que chaque système réel participe d'un phylum mnésique dont il
n'est qu'une des extrémités actives présentes. En bref, cela signifie
que chaque système participe d'une "mémoire" réelle "selon son espèce",
dirait le livre de la Genèse. Ce principe s'appelle "homéomnésie" et
consacre le fait qu'une famille de processus-systèmes participe d'une
même et unique mémoire collective. Cette hypothèse permet de tenter des
explications nouvelles pour tous les processus morphogénétiques comme la
technique de nidification chez les oiseaux, comme la construction
morphique des embryons, comme l'inconscient collectif et les archétypes
de Jung, comme les processus d'autorégulation, d'auto-organisation et
d'homéostasie chez tous les organismes complexes, etc …
Globalisme et réductionnisme
Une autre grande conséquence du regard de la
physique des processus complexes et de l'inévitable concept d'émergence,
est méthodologique.
Dans les années 1920, les biologistes arrivent avec
jubilation à une conclusion claire : tout ce qui vit est construit à
partir d'une brique élémentaire appelée "cellule". Connaître le "secret"
de la vie revient donc à percer le "secret" de la cellule. Fidèlement à
la méthode cartésienne qui impose de "diviser la difficulté en autant de
parcelles qu'il serait requis pour la mieux comprendre", les
biologistes, armés de leur scalpel, dissèquent la cellule et en arrivent
à ne pouvoir inventorier que les constituants … morts de ce qu'était
naguère une cellule vivante. En découpant la cellule, ils l'ont tuées
et, ainsi, ils sont passés à côté de l'objet de leur recherche : le
secret de la vie. Il en va de même pour tout système complexe : le
disséquer, c'est le tuer, et le tuer, c'est se condamner à passer à côté
de son essentiel.
Nous en savons ici déjà la cause : disséquer, c'est
rompre les interactions subtiles et dynamiques entre les
constituants, c'est réduire le tout au rudimentaire assemblage de ses
parties.
Il faut donc prendre l'affaire par un autre bout.
Si ce ne sont pas les constituants qui expliquent le tout, qu'est-ce
donc ?
Regardons-nous nous-mêmes. Qu'est-ce qui explique
nos comportements, nos actions, nos décisions ? Sont-ce nos organes ? Ou
sont-ce nos intentions ? La question est d'importance. Sommes-nous
déterminés par le bas ou par le haut ? Sommes-nous le jouet de nos
cellules ou sommes-nous porteurs d'une intention de vie qui suscite des
objectifs à désirer et des cheminements à inventer pour les atteindre ?
Poser la question, c'est y répondre : nous sommes,
chacun d'entre nous, au croisement de ces deux forces qui nous poussent
à avancer. Une force qui vient d'en bas et qui nous fait écouter les
gargouillis de la faim dans nos estomacs. Mais aussi, une force qui
vient d'en haut et qui nous fait entendre des désirs de joie , de
plaisir, de bonheur, de paix, de beauté, de vérité, de bonté.
Et ce qui est vrai pour l'homme, peut être
généralisé à tous les systèmes de l'univers. Chaque système est poussé
sur le chemin de son existence par autre chose que le rudimentaire jeu
mécanique des engrenages physico-chimiques. Nous savons, au plus profond
de nous, que nous sommes plus que des automates lobotomisés.
Bien longtemps, à la question de ce "plus" qui nous
mène sur les chemins de la vie, fut donnée une réponse difficilement
acceptable par la science d'aujourd'hui. Cette réponse était celle même
de Newton ou de Descartes : l'âme. Le corps n'y était perçu que comme
une machine mécanique, mue par le bas ; mais l'âme, parce que d'essence
divine et purement spirituelle, échappait aux déterminismes matériels et
donnait à la vie humaine une attraction vers le haut, voire le plus
haut. Descartes et Newton, en bons chrétiens qu'ils étaient, avaient
accepté le dualisme ontologique platonicien et la séparation
irrémédiable entre le monde spirituel et le monde matériel dont l'homme
n'était que la pénible interface.
La seule alternative à ce dualisme idéaliste et
ontologique est-il le monisme matérialiste et mécaniciste ? Il faut
répondre "non". Entre le Dieu-créateur et le dieu-hasard, il y a place
pour autre chose : l'intention. Non pas une intention transcendante,
venue du dehors, pensée par quelque Dieu personnel extérieur à
l'univers, mais bien plutôt une intention immanente, jaillissant du
dedans, une intention fondatrice et naturelle dont tout ce qui existe
n'est que la conséquence, le déploiement, l'accomplissement.
Pourquoi, si elle est plantée dans des conditions
adéquates, la châtaigne devient-elle châtaignier ? Son monde extérieur
nourrit sa germination, mais ne l'impose nullement. D'où lui vient ce
qui apparaît si évidemment comme une finalité immanente : devenir
châtaignier ? D'où lui vient ce qui ressemble tant à une volonté de
s'accomplir, de se déployer et de devenir le plus châtaignier possible,
non pas grâce à son milieu, mais malgré lui ?
Pour le dire autrement et plus généralement, s'il
est bien impossible de comprendre un processus complexe en le réduisant
à une mécanique entre ses composants, force est de recourir à une autre
compréhension de lui : celle qui passe par la compréhension de sa
finalité. "Dis-moi pour quoi tu vis et je te dirai comment tu vis".
Et coupons d'emblée les ailes à un vilain canard :
il s'agit ici d'une finalité immanente et évolutive et non d'un
finalisme transcendant et fixé une fois pour toute. Tout processus se
donne à lui-même sa propre finalité et celle-ci évolue, change, se
transforme parfois radicalement, au fur et à mesure que le processus se
déploie et s'accomplit.
Cette finalité variable et endogène, la physique
des processus complexe lui a donné un nom technique et mathématique :
attracteur. Un attracteur est un être mathématique dans l'espace des
états qui "attire" le présent d'un processus vers un ensemble de futurs
possibles. Plus un processus est complexe, plus ses attracteurs sont en
grand nombre et de structures très élaborées. Pour citer un exemple
seulement, les attracteurs de processus chaotiques comme le système
météorologique terrestre, ou le système économique, ou un écosystème
élémentaire, sont des attracteurs dits "étranges" et leur structure est
un fractal.
Notons au passage que plus un attracteur est
complexe, plus le nombre des avenirs possibles s'accroit et plus
l'indéterminisme et l'imprévisibilité sont grands. La crise actuelle de
notre système économique n'en est que la simple illustration : les
économistes s'obstinent à vouloir mécaniser l'économie et à lui imposer
des attracteurs élémentaires et mécaniques, donc déterministes, dont
elle se rit joyeusement à nos dépens : le processus économique mondial
relève d'attracteurs chaotiques complexes dont l'instabilité est une
caractéristique foncière.
Lorsque le physicien affirme que tout processus
complexe évolue vers ses attracteurs, le philosophe comprend que tout
système complexe est porté par une intention et que sa finalité est de
l'accomplir en plénitude.
Et puisque cela s'applique à tous les processus
complexes, cela s'applique aussi à l'univers pris dans sa globalité. A
la source de notre univers, il y a une intention immanente, endogène,
naturelle : celle d'accomplir tous les possibles qui s'offrent au fur et
à mesure de son déploiement. La matière, l'espace, le temps, pour ne
citer que ceux-ci, ne sont qu'autant d'émergences de cette intention
native, fondatrice, originelle et universelle.
Rien de surnaturel ou de transcendant là-dedans.
Seulement une force dont toutes les autres sont issues comme autant de
variantes spécifiques.
Le théologien ne s'y trompera pas, cette idée d'une
intention universelle, immanente et endogène ruine autant le
créationnisme du Dieu personnel extérieur au monde, que le matérialisme
du hasard et de la nécessité. La physique des processus complexes, en ce
sens, est beaucoup plus proche de la métaphysique du Tao chinois ou des
Upanishads indiens. Ni théiste parce que rien n'existe au dehors de
l'univers réel et naturel, ni matérialiste parce qu'une intention n'est
pas un être matériel et que, au contraire, la matérialité n'en est
qu'une émanation parmi d'autres.
Cette idée essentielle et révolutionnaire
d'intention immanente permet d'aborder une autre question fondamentale
des sciences physiques d'aujourd'hui : celui de la probabilité de notre
univers tel qu'il est.
Admettons, avec Stephen Hawking ou Stephen
Weinberg, que le hasard pur soit à l'origine du déploiement de notre
univers au départ du big-bang. Cet univers, mû totalement par le hasard,
a réussi des prouesses comme la synthèse d'une molécule d'ARN
auto-duplicable. Il est possible de calculer la probabilité d'une telle
synthèse sous la seule pression du hasard. Il est par conséquent
possible de calculer aussi le temps qu'il faudrait à un univers
hasardeux pour y arriver. Ce temps est de plusieurs millions de millions
de fois l'âge de notre univers actuel. Donc, la vie n'existe pas encore
sur Terre, qu'on se le dise.
Dans la même veine, on constate que les constantes
universelles qui règlent la structure profonde de notre univers, doivent
être assez précisément ce qu'elles sont pour pouvoir faire éclore des
structures complexes comme celles de la cellule vivante ou du cerveau
humain. La probabilité pour qu'un univers "sorte" d'un big-bang, doté
par pur hasard de ces constantes merveilleusement bien ajustées, est
nulle.
Autrement dit, l'hypothèse du pur hasard est
réfutée par ce qui lui est son propre langage : celui du calcul des
probabilités. Alors ?
Alors, les cosmologistes se sont lancés dans des
cascades d'hypothèses les plus compliquées et saugrenues qui soient, et
dont celle des multivers n'est qu'un exemplaire fameux.
Par contre l'idée d'une intention processuelle
immanente offre des réponses moins abracadabrantesques.
D'une part, elle induit une rupture de symétrie
dans les calculs de la probabilité d'apparition des structures
complexes, du simple fait qu'elle y réduit le rôle du hasard pur. Pour
le dire simplement, la probabilité de trouver quelque chose est
infiniment plus grande lorsque l'on cherche quelque chose (ce qui
suppose une intention) que lorsqu'on ne cherche rien (ce qui n'est alors
que du hasard pur).
D'autre part, le concept d'intention immanente
propose que les constantes universelles ne soient pas des données
originelles et fixées (par qui, d'ailleurs ?), mais bien des propriétés
émergentes qui se sont peu à peu cristallisées, par essais et erreurs,
au fur et à mesure de l'évolution du processus à la recherche de son
chemin d'accomplissement maximal. Les constantes universelles ne
tiennent alors plus du tout du miracle surnaturel, mais d'une sélection
naturelle progressive de l'ajustement optimal.
Trois moteurs universels d'action
La physique des processus complexes tente de
comprendre comment se déploie un tel processus. Quels en sont les
moteurs intimes ? Quelles en sont les dimensions ? Quels sont les
paramètres qui y entrent en jeu ?
Les trois notions basales de la physique classique
sont celle de corps, celle de champ de force et celle de trajectoire. La
géométrie classique envisage, parallèlement, trois types de
transformation : celui de translation, celui de torsion et celui
d'homothétie. La philosophie, quant à elle, avait posé les notions de
substance, de forme et de mouvement. Tous ces ternaires classiques
convergent pour peu qu'on les généralise adéquatement.
Sans entrer dans les détails techniques, on peut
dire que tout processus se construit au départ de trois propensions
complémentaires.
La première propension est appelée "dynamique" :
elle forge les mouvements et induit les trajectoires, elle génère toutes
les translations, toutes les rotations, toutes les vibrations qui
animent l'univers ; plus généralement, elle mesure l'activité du
processus.
La deuxième propension est appelée "eidétique" (du
grec Eïdos qui signifie "forme") : elle sculpte les formes et
produit toutes les sortes de matière depuis les particules les plus
élémentaires jusqu'aux agrégats de matériaux les plus sophistiqués,
depuis les biomolécules de base jusqu'aux organismes vivants les plus
étranges, elle mesure la complexité du processus.
La troisième et dernière propension est appelée
"métrique" : elle joue sur l'espace et le temps, elle engendre de
l'espace et du temps pour que le processus puisse s'y déployer, elle
courbe et tord cet espace-temps et y induit des champs de forces, elle
mesure l'élasticité du processus.
Ces trois propensions sont universelles, elles sont
présentes dans tout processus aussi minuscule ou immense soit-il. Elles
se combinent entre elles selon huit scénarii logiques possibles.
Le premier scénario fait catégorie à part ; c'est
celui où les trois propensions sont faibles, presque nulles. C'est le
scénario entropique : l'espace et le temps sont vide, l'uniformité règne
et il n'y a que du repos. Il ne s'y passe rien : c'est un univers mort.
Il reste donc sept scénarii positifs où il se passe
quelque chose. Ces sept types de processus, corrélés avec les sept
catégories de la théorie des catastrophes de René Thom, se répartissent
en trois types où une des trois propensions est fortement dominante sur
les deux autres, en trois autres types où, à l'inverse, une seule des
trois propensions est particulièrement faible par rapport aux deux
autres, et, enfin, en un septième type où les trois propensions sont
totalement actives.
On peut ainsi tracer une intéressante typologie des
processus, étagée sur quatre niveau de complexité. Le niveau le plus bas
qui est le niveau entropique où il ne se passe rien. Au niveau suivant,
une seule propension est réellement active. Au niveau supérieur, deux
propensions sont actives. Et au niveau le plus élevé, les trois
propensions jouent à fond.
La physique classique ne s'est intéressée qu'aux
systèmes des trois niveaux du bas. La physique complexe se place au
niveau le plus élevé et le plus général et peut, de là, considérer tous
les systèmes étudiés par la physique classique comme autant de cas
particuliers du cas général avec trois propensions actives.
Si l'on veut bien projeter tout ce qui vient d'être
dit quant aux trois propensions et regarder ce que cela donne au niveau
des comportements humains, on entre de plain-pied dans le domaine de
l'éthique. La théorie des processus complexes nous susurre à l'oreille
que chaque homme possède en lui trois forces intérieures qui le poussent
à s'accomplir en plénitude.
La première de ces forces lui conseille de
s'activer, c'est-à-dire d'entrer en action, de produire, de travailler,
de s'agiter, de bouger, de faire : ainsi nait la dimension économique de
l'humanité.
La seconde de ces forces lui enjoint de se
construire un espace-temps propre, suffisamment large et tranquille pour
pouvoir y déployer son accomplissement, de se créer un territoire
spacieux et protégé où vivre en paix : ainsi nait la dimension politique
de l'humanité.
La dernière des trois forces lui propose de
combattre, en tout, la facilité, l'uniformité, le simplisme,
l'homogénéité et de leur préférer, en tout, la diversité, la complexité,
la sophistication, l'effort, l'hétérogénéité, elle lui révèle que les
formes les plus complexes sont celle de la connaissance qui est la
science des formes par excellence : ainsi nait la dimension noétique de
l'humanité.
Ainsi, et cela fera sans doute plaisir aux mânes de
Georges Dumézil, nous avons montré que les trois fonctions de base de
toute société humaine, symbolisées respectivement par le marchand, le
guerrier et le prêtre, ne sont, en somme, que des applications
particulières de la théorie des processus complexes.
De là, il est loisible de dresser le catalogue
complet des types de société humaine en observant toutes les
combinaisons des trois pouvoirs en termes de dominances et d'alliances.
Mais ceci nous mènerait trop loin ici.
On peut cependant encore faire un pas de plus. Des
trois dimensions du processus humain, la plus spécifique à l'homme est
la dimension noétique, la dimension gnoséologique, liée aux activité
culturelle et exprimée, en terme générique, comme la quête de la
Connaissance. Il est tentant de franchir le pas et de prétendre que ceci
implique que la grande vocation de l'humanité sur Terre est d'y
développer cette dimension et de faire ainsi de l'homme le promoteur
terrestre de l'esprit au sein du processus cosmique.
Ainsi, curieusement, la physique des processus
complexes prend une dimension proprement sotériologique qui reste à
creuser.
Connexité et causalité
A ce stade, nous savons que tout processus complexe
est animé par une logique interne qui exprime une intention immanente,
concrétisée par une finalité évolutive et formalisée par un attracteur
mathématique.
Nous savons aussi qu'il existe trois propensions
universelles qui induisent une logique ternaire, trialogique, au sein
des processus complexes.
Il nous faut aborder maintenant la question de la
connexité tant verticale entre les divers échelons des échelles
cosmiques, qu'horizontale, sur un même niveau, entre deux événements au
sein d'un même processus.
La connexité verticale observe que chaque processus
possède sa propre intention immanente, mais aussi que chaque processus
est le tout des micro-processus qui le composent, et une partie du
macro-processus qui l'englobe. Pour l'illustrer, observons seulement
qu'un homme est à la fois le tout de ses organes et une partie de sa
communauté. Cet homme, ces organes et cette communauté ont chacun leur
intention immanente. Trois logiques processuelles et intentionnelles
sont ainsi connectées verticalement, comme les poupées russes dans une
matriochka. Rien ne dit que ces trois logiques soient ni convergentes,
ni même compatibles.
Et voilà que l'éthique pointe son nez car que dit
la physique complexe ? Elle dit que l'accomplissement de n'importe quel
processus implique qu'il réussisse à établir une bonne convergence entre
son propre accomplissement, l'accomplissement de toutes ses parties et
l'accomplissement du processus supérieur dont il participe. Autrement
dit : la joie de s'accomplir de chaque homme n'est possible que
moyennant le bon accomplissement de ses organes c'est-à-dire la santé,
et le bon accomplissement de la communauté à laquelle appartient cet
homme, c'est-à-dire la paix. Traduit en termes éthiques, cela signifie
que le bonheur se construit "avec" et non "contre", cela signifie que
tout est inextricablement interdépendant et que le principe d'harmonie
doit gouverner tous les comportements.
Cela signifie, au niveau supérieur, que le
développement de l'humanité passe par l'épanouissement de chaque homme
particulier, ce qui exclut toute tentation totalitaire, et aussi par une
respectueuse harmonie avec la Nature, avec la biosphère dont cette
humanité procède totalement, ce que notre monde ne semble pas avoir
encore compris.
La connexité horizontale est triple et introduit la
notion de distance processuelle. Au sein d'un même processus, deux
événements sont plongés dans une logique de déploiement unique, qui
possède trois dimensions. Une dimension volumique qui induit leur
distance spatiotemporelle qui est la distance géométrique classique,
l'éloignement, dans l'espace et le temps, des deux événements observés.
Une dimension eidétique qui mesure leur similitude de forme, leur
ressemblance formelle. Et une dimension dynamique qui mesure la
résonance et la corrélation entre leurs mouvements.
Une règle majeure dit que plus un processus est
cohérent et cohésif, plus ces trois distances entre les événements qui
le composent sont minimales. C'est d'ailleurs cette minimalité qui
définit sa cohésion dans l'espace et sa cohérence dans le temps.
Ces notions sont introduites ici afin de lever le
voile sur la réponse que la physique des processus complexes propose au
paradoxe EPR qui fut inventé par Einstein, Podolsky et Rozen pour tenter
de contrer les thèses quantiques de Bohr.
Einstein et consorts proposèrent une expérience de
pensée : soit une paire de particules créées ensemble mais s'éloignant
l'une de l'autre, porteuses des spins contraires. Si, à un moment donné
le milieu extérieur impose le basculement du spin d'une des deux
particules, la conservation quantique de la parité des spins impose que
l'autre particule, même très éloignée de la première, doive basculer
également et immédiatement son propre spin. Einstein en tirait la
conclusion suivante : ou bien le signal de basculement de spin circule
entre les deux particules à une vitesse infinie ce qui est contraire au
principe fondateur de la théorie de la relativité (aucune vitesse réelle
ne peut dépasser celle de la lumière), ou bien le principe de
conservation de la parité quantique est faux.
Alain Aspect, de 1980 à 1982, a tenté l'expérience
réelle et a montré, contre toute attente, qu'Einstein avait tort et
Bohr, raison. Les deux particules gardent bien une connexion logique
entre elles malgré la distance physique qui les sépare. Faudra-t-il donc
choisir entre la théorie relativiste et la théorie quantique ? La
physique des processus complexes répond par la négative. La relativité a
raison lorsque l'on parle de distance spatiotemporelle et de vitesse de
propagation du signal entre les deux événements. La théorie quantique a
malgré tout aussi raison grâce aux notions complémentaires de distance
eidétique (les deux particules sont de même forme) et de distance
dynamique (les deux particules procèdent d'une seule unique logique
processuelle et cinétique). Dans le cas qui nous occupe; les deux
particules sont effectivement séparées par une grande distance
spatiotemporelle, mais cela n'empêche pas, au contraire, leurs distances
eidétique et dynamique de rester nulle, ce qui explique leur connexion
logique.
Ce dernier exemple montre que, très généralement,
la notion de connexité annule et remplace celle de causalité.
En effet, le principe de causalité, au sens
classique, repose sur la seule connexité entre événements dans le temps
: ceci suit cela donc cela est cause de ceci. En introduisant la triple
connexité métrique, eidétique et dynamique, la physique des processus
complexes dépasse très largement la seule connexité temporelle.
Le problème n'est plus celui de la succession des
événements dans le temps, mais bien celui de la participation de deux
événements à une même logique processuelle dans toutes les dimensions de
celle-ci. Le paradoxe EPR évoqué plus haut le démontre déjà. Mais on
pourrait en donner des illustrations bien plus prosaïques comme, par
exemple, celle du mimétisme animal, celle de l'unité de mouvement d'un
vaste banc de poissons ou d'un vol d'étourneaux, celle de la psychologie
des foules qui ne se réduit jamais au seul enchaînement des psychologies
individuelles.
Dans tous ces exemples, c'est la participation à
une logique commune qui explique les comportements, et non les seules
relations de cause à effet entre eux.
Un principe universel d'économie et d'optimalité
On l'a vu, tout processus complexe, qu'il soit ou
non "isolé", est travaillé de l'intérieur par trois propensions qui
œuvrent, en permanence, à tenter d'accomplir ce processus en plénitude.
Pour le dire autrement, tout processus complexe tend à aller au bout de
lui-même, à épuiser tous ses possibles, en s'appuyant sur trois moteurs
complémentaires qui lui créent du volume (de l'espace-temps), de la
forme (de la matière-énergie), du mouvement (des structures-lois).
Ces propensions se combinent incessamment, se
nourrissent, s'amplifient ou s'accélèrent mutuellement. Mais quelle est
la logique de ces combinaisons de plus en plus sophistiquées qui
ensemencent le réel ?
Cette logique s'exprime comme la constante
recherche d'un optimum, d'une optimalité, d'un principe d'économie dont
le bien connu principe de moindre action en physique, est une excellente
et ancienne illustration.
Tout ce qui existe, tend à s'accomplir par le
chemin le plus court. Mais que signifie "par le chemin le plus court" ?
De quelle économie s'agit-il ?
C'est encore la notion de connexité, déjà entrevue
précédemment, qui ouvre la voie. La physique complexe a pris l'habitude
de représenter les processus et les systèmes dans un espace abstrait,
nanti de multiples dimensions que l'on appelle "espace des états" ou
"espace des phases".
L'état instantané d'un système y est représenté par
un seul point et le processus qui le porte, en tant que suite d'états
successifs, se représente par une courbe, une trajectoire qui unit les
points-états du système.
Dans ce même espace des états, d'autres points ou
lignes caractérisent le processus étudié. Ce sont ses attracteurs
c'est-à-dire ces états particuliers et potentiels vers lesquels tend à
s'accomplir le processus.
Donnons un exemple. Supposons que l'espace de mes
états de santé ait trois dimensions à savoir : mon pouls, ma tension
artérielle et ma température. Dans cet espace, je pourrais représenter
mon état de santé actuel : pouls de 103 (je suis ému), tension de 14
(même cause) et température de 37.8° (idem). Je puis y représenter aussi
mon histoire physiologique comme la courbe qui relie tous mes états de
santé antérieurs. Et je puis enfin y représenter mon état de santé idéal
vers lequel je tends, soit un pouls à 62, une tension à 12 et une
température de 36.5°. Ce dernier point de santé "idéale" est
l'attracteur vers lequel toute ma physiologie est attirée.
Ceci étant posé, nous pouvons reprendre la
discussion sur l'économie des processus complexes et le principe
d'optimalité qui guide leurs évolutions. Que signifie, alors,
l'expression qui dit que "tout processus tend à s'accomplir par le
chemin le plus court" ? Elle signifie que tout processus tend à franchir
le plus optimalement la distance qui le sépare de son attracteur actif.
Mais de quelle "distance" parlons-nous ? Est-ce la
"distance" classique, spatiotemporelle, qui tend à faire évoluer les
processus par les chemins les moins longs et les plus rapides ? Est-ce
la "distance" morphique qui mesure l'écart entre la forme actuelle
réelle et la forme finale, entre l'ébauche et le modèle, c'est-à-dire,
en somme, la mesure du travail qui reste à faire ? Est-ce, enfin, la
"distance" dynamique qui sépare le métabolisme actuel du métabolisme
parfaitement économe et homéostatique, comme dans l'exemple de mes états
de santé ?
Toute la physique classique s'est cantonnée dans la
seule prise en compte de la "distance" spatiotemporelle et de
l'optimisation énergétique qui en découle. Toute la mécanique
lagrangienne ou hamiltionnienne, et toute la thermodynamique en
découlent. Mais en revanche, cette physique classique se révèle
évidemment inapte à rendre compte des autres formes d'optimalité ou
d'optimisation qui relèvent, elles, des deux autres formulations de la
"distance" systémique.
Terminons ce point par un exemple.
Tout le monde sait que l'eau qui coule de la
montagne, choisit le chemin à la fois le plus court en espace et le plus
rapide en temps : cela s'appelle une géodésique.
Mais quel est le chemin le plus efficace entre un
problème et sa solution ? Autrement dit, quelle est la méthodologie la
meilleure pour réduire la distance eidétique qui sépare la forme du
problème posé, à la forme de sa solution la meilleure ?
Ou encore : quel sera le meilleur chemin pour
recouvrer ma bonne santé après avoir contracté une maladie virale qui a
perturbé grandement mon métabolisme global et mes équilibres
homéostatiques ?
On comprend, dans ces deux derniers cas, que
l'optimisation spatiotemporelle du "plus vite" ou du "plus court" ne
sont pas l'essentiel et que ce sont d'autres optima et d'autres critères
d'optimalité que l'on parle ici.
Quelques considérations épistémologiques
Au terme de ce parcours où l'on a vu les
prolongements métaphysiques, philosophiques, éthiques, voire même
sotériologiques, de la physique des processus complexes, il reste un
dernier domaine à explorer : celui de l'épistémologie, c'est-à-dire
celui des conditions de validité et de véracité de ces théories et de
leurs conséquences.
La raison raisonnante est un outil fabuleux, mais
elle a une faiblesse intrinsèque : elle est analytique et convient donc
mal à l'approche des processus complexes qui requièrent des
méthodologies holistiques, téléologiques et analogiques.
Le grand Henri Poincaré, peu suspect
d'irrationalité, disait déjà : " C'est avec la logique que nous prouvons
et avec l'intuition que nous trouvons."
L'intuitivité, au côté de la rationalité, entre à
présent par la grande porte dans l'épistémologie scientifique. Mais que
sait-on, au juste, sur cette intuition ?
L'intuitivité est la capacité à développer et à
exploiter valablement son intuition, ses intuitions.
Les phénomènes d'intuition se redécouvrent peu à
peu.
La tyrannie rationaliste et scientiste avait
interdit jusqu'au mot. Le tabou se lève, à présent. Il y a des gens
intuitifs qui perçoivent la réalité par d'autres canaux que leur cinq
sens classiques, des gens qui ont développé un sixième sens, voire un
septième ou un huitième ou plus.
Sixième sens, intuition féminine : être en prise
directe avec la réalité, la sentir, la ressentir…
Non plus raisonner, mais résonner.
Être en phase avec le réel. Le ressentir. Vibrer
avec lui.
Point n'est besoin d'hurler au mysticisme. Nous
avons tous connu des intuitions flagrantes. Nous avons tous expérimenté
cette mystérieuse coïncidence mentale au moins une fois.
Ressentir une présence. Avoir une prémonition.
Pressentir un imprévu. Etc …
Ressentir une antipathie ou une sympathie au
premier regard avec un inconnu, première impression qui est souvent la
bonne, dit-on (ce que nous confirmons).
On ne sait pas pourquoi, ni comment, mais on sait.
Depuis que le tabou a commencé à se lever,
l'intuition est étudiée non plus comme un phénomène de foire, mais comme
une réelle faculté humaine, objectivable et expérimentable.
Nous n'en sommes qu'aux balbutiements, mais la
récolte promet d'être fructueuse.
Une chose, déjà, est claire : l'intuitivité, comme
la créativité et la visualité (capacité à visualiser anticipativement
les détails d'une action ou d'un événement ou d'une processus), se
cultive, se muscle, s'exerce.
On naît tous un peu intuitif, mais seuls ceux qui
travaillent leur intuition peuvent réellement prétendre en tirer quelque
chose de valable.
Ressentir les signaux faibles du milieu ambiant et
développer une hypersensibilité en élargissant notre niveau de
conscience, est une chose, tout à fait sérieuse et probable. Deviner le
prochain numéro lors du tirage du loto en est une autre, tout à fait
crétine et imbécile, totalement étrangère aux concepts d'intuitivité et
d'intuition.
Il suffit de se laisser surfer sur la toile pour
voir combien le mot et le concept "intuition" attire les charlatans et
les gogos. Il faut, dès lors, être prudent et bien comprendre que
l'intuition n'est ni divination, ni mancie, ni magie. Il s'agit de
pallier les carences de la raison mais pas de sombrer dans
l'irrationnel. Peut-être faudrait-il parler de "transrationnel" ou de "méta-rationnel".
Les mots-clés en matière d'intuitivité sont
"signaux faibles", "hypersensibilité" et "niveau de conscience". Les
millénaires techniques de méditation extrême-orientales nous éclairent
en ce sens.
L'entrée en résonance profonde avec le monde
environnant est une réalité psychique largement démontrée et mesurée à
partir d'électroencéphalogrammes de moines tibétains, par exemple, qui
parviennent, volontairement et consciemment, à contrôler leurs ondes
alpha et, ainsi, à atteindre des niveaux de conscience parfois vécus
sous l'effet de drogues psychédéliques.
Nos sens "normaux" ne sont sensibles qu'à des
signaux grossiers, volumineux, physico-chimiques ; mais notre
environnement émet quantités d'autres signaux, plus subtils, plus
faibles, plus ténus mais au moins aussi "parlant" à qui sait les
entendre. Ces signaux énergétiques faibles peuvent être captés et
interprétés au moyen d'une petite antenne spéciale : l'intuitivité.
Mais il faut, pour cela, que cette petite antenne
soit convenablement activée : c'est l'hypersensibilité.
Une fois capté, le signal faible doit encore être
interprété dans une conscience élargie susceptible de le recevoir et de
le com-prendre (de le prendre avec soi).
Un autre point épistémologique crucial relève de
l'adéquation ou de l'inadéquation, partielles ou totales, des
mathématiques comme langage de représentation et de modélisation des
processus complexes.
Sans entrer dans le détail, relevons seulement ceci
: dans les processus complexe, rien n'est ni additif ni indépendant,
rien n'est ni linéaire ni linéarisable, aucun tout n'est réductible à la
seule somme de ses parties. Pour le dire d'un mot, lorsque un plus
n'égale pas deux, comment recourir à un langage dont cette somme est la
base axiomatique ? Comment recourir au calcul différentiel et intégral
lorsque rien n'est décomposable en un suite d'éléments infinitésimal ?
Comment ramené une représentation à un référentiel extérieur stable
alors que tout processus est strictement autoréférentiel ? Comment
mesurer quoi que ce soit lorsqu'il n'existe aucun système d'unités de
mesure et que l'on est condamner à ne travailler qu'avec des variables
sans dimensions ? Comment faire de la géométrie sans points, ni lignes,
ni espace ? Comment comparer des grandeurs locales lorsque toute
réduction locale est nécessairement fausse ?
Arrêtons là la litanie des questions. Il ne s'agit
nullement de trancher entre le "tout-mathématique" et le "rien-mathématique"
; il s'agit plutôt de cerner lucidement les limites du langage
mathématique et de constater que celui ne couvre qu'une petite partie du
domaine de la physique complexe. Il faut alors prendre son courage à
deux mains et se mettre à inventer d'autres langages en espérant qu'ils
puissent devenir aussi rigoureux et exact que le langage mathématique.
Epilogue
A l'issue de cet exposé, comment conclure ? Y
a-t-il seulement une conclusion possible, alors que tout ne fait que
commencer, alors que nous nous trouvons au tout début d'une mutation
paradigmatique, au tout début d'une nouvelle science, au tout début d'un
nouveau regard sur l'univers, sur la connaissance et sur la métalogique
cosmique ?
Peut-être faut-il revenir sur une seule idée qui
serait celle-ci : la complication est toujours une mauvaise réponse à la
complexité !
Perfection et simplicité se répondent, se
conjuguent, fusionnent et s'unissent jusqu'aux tréfonds.
Tout perfectionnement est recherche de la plus
grande simplicité. Sans simplisme ni simplification. Une simplicité
authentique qui respecte, en la magnifiant, la grande complexité du
réel. Car contrairement à ce que croient les esprits lourds ou
ignorants, simplicité et complexité ne s'opposent jamais. Tout au
contraire. Elles se répondent, se nourrissent réciproquement. Rien n'est
à la fois aussi complexe et aussi simple que le geste du calligraphe
qui, précisément, parce qu'il est à la fois simple et complexe, atteint
à la perfection.
La perfection, c'est la totale maîtrise de la
complexité dans la simplicité.
Les humains n'aiment pas la simplicité. Elle les
irrite. Probablement, parce qu'ils sont incapables de l'atteindre.
Alors, ils inventent la complication et ils se compliquent la vie qu'ils
encombrent de tous les inutiles, de tous les futiles.
C'est probablement cette propension à la
complication qui est l'apanage de la modernité. Contre elle monte une
nouvelle propension inédite : l'absolue simplicité dans l'intégrale
complexité. Assumer - et magnifier - intégralement la complexité du réel
dans la simplicité de l'acte. La vie : si complexe et si simple à la
fois.
Pourquoi donc les humains sont-ils ainsi si souvent
allergiques à la simplicité ? Le réponse est claire : parce que la
simplicité sied au projet et à l'œuvre, mais dérange l'ego et le sujet.
La simplicité diminue l'ego alors que la complication l'enfle. Enflure
artificielle, évidemment, mais qui convient à cet autre artifice
illusoire qu'est, précisément, le "moi".
Choisir la simplicité, c'est renoncer à l'enflure
du "moi".
Et il faut être déjà bien un sage pour faire ce
choix contre-culture. Car c'est le cœur de la philosophie occidentale
que d'avoir hypertrophié le sujet au détriment du projet, d'avoir opté
pour l'Être contre le Devenir. CQFD.
Revenons un instant au couple
complexité/simplicité. Il faut bien comprendre que ce couple n'induit
aucune dualité. Il n'y a aucun rapport dialectique d'opposition entre
ces deux. Complexité et simplicité sont les deux faces du même réel :
l'un ne va pas sans l'autre, comme le yin et le yang du taï-chi.
La simplicité EST dans la complexité et la
complexité EST dans la simplicité. Le complexe est simple et le simple
est complexe. Il ne s'agit ni d'un paradoxe, ni d'un oxymore. Il s'agit
d'une vérité conceptuelle fondamentale que les très récentes sciences de
la complexité redécouvrent bien après les très anciennes traditions
spirituelles et mystiques de l'Orient.
Il faut ici comprendre que le compliqué naît de
l'assemblage mécanique d'éléments externes, alors que la
complexité/simplicité naît de l'émergence organique de processus
internes.
Passer de l'assemblage à l'émergence c'est donc
passer du compliqué à la complexité/simplicité. C'est passer du
mécanique à l'organique. C'est passer de la technique à l'art. C'est
passer de l'exogène à l'endogène. C'est passer de l'extériorité à
l'intériorité. C'est passer du paraître au devenir.
Mutation profonde. Pour chaque homme. Pour tout
notre monde au sortir de sa très contemporaine modernité moribonde.
La complexité/simplicité, c'est comme l'art de
rouler à vélo. Lorsqu'on sait, c'est facile. Mais c'est extrêmement
compliqué - voire impossible - à exprimer. On n'apprend pas à rouler à
vélo dans les livres, mais bien dans le vécu, dans l'expérientiel. On
peut décrire ou expliquer le roulage à vélo, sans savoir rouler
soi-même, mais ce sera très compliqué. Rouler vraiment à vélo,
comprendre réellement le roulage à vélo, passent nécessairement par la
complexité/simplicité de l'apprentissage direct, par soi-même, au-delà
des échecs, des chutes et de éraflures.
C'est cette leçon primordiale que véhicule la
nouvelle sagesse : si l'on veut dépasser le fait d'exister et apprendre
à vivre réellement, il faut abandonner les complications de l'apparence
et faire patiemment l'apprentissage, par soi-même, de la
complexité/simplicité de la vie.
Perfection et simplicité se répondent, se
conjuguent, fusionnent et s'unissent jusqu'aux tréfonds.
Tout perfectionnement est recherche de la plus
grande simplicité. Sans simplisme ni simplification. Une simplicité
authentique qui respecte, en la magnifiant, la grande complexité du
réel. Car contrairement à ce que croient les esprits lourds ou
ignorants, simplicité et complexité ne s'opposent jamais. Tout au
contraire. Elles se répondent, se nourrissent réciproquement. Rien n'est
à la fois aussi complexe et aussi simple que le geste du calligraphe
qui, précisément, parce qu'il est à la fois simple et complexe, atteint
à la perfection.
La perfection, c'est la totale maîtrise de la
complexité dans la simplicité.
Les humains n'aiment pas la simplicité. Elle les
irrite. Probablement, parce qu'ils sont incapables de l'atteindre.
Alors, ils inventent la complication et ils se compliquent la vie qu'ils
encombrent de tous les inutiles, de tous les futiles.
C'est probablement cette propension à la
complication qui est l'apanage de la modernité. Contre elle monte une
nouvelle propension inédite : l'absolue simplicité dans l'intégrale
complexité. Assumer - et magnifier - intégralement la complexité du réel
dans la simplicité de l'acte. La vie : si complexe et si simple à la
fois.
Pourquoi donc les humains sont-ils ainsi si souvent
allergiques à la simplicité ? Le réponse est claire : parce que la
simplicité sied au projet et à l'œuvre, mais dérange l'ego et le sujet.
La simplicité diminue l'ego alors que la complication l'enfle. Enflure
artificielle, évidemment, mais qui convient à cet autre artifice
illusoire qu'est, précisément, le "moi".
Choisir la simplicité, c'est renoncer à l'enflure
du "moi".
Et il faut être déjà bien un sage pour faire ce
choix contre-culture. Car c'est le cœur de la philosophie occidentale
que d'avoir hypertrophié le sujet au détriment du projet, d'avoir opté
pour l'Être contre le Devenir. CQFD.
Revenons un instant au couple
complexité/simplicité. Il faut bien comprendre que ce couple n'induit
aucune dualité. Il n'y a aucun rapport dialectique d'opposition entre
ces deux. Complexité et simplicité sont les deux faces du même réel :
l'un ne va pas sans l'autre, comme le yin et le yang du taï-chi.
La simplicité EST dans la complexité et la
complexité EST dans la simplicité. Le complexe est simple et le simple
est complexe. Il ne s'agit ni d'un paradoxe, ni d'un oxymore. Il s'agit
d'une vérité conceptuelle fondamentale que les très récentes sciences de
la complexité redécouvrent bien après les très anciennes traditions
spirituelles et mystiques de l'Orient.
Il faut ici comprendre que le compliqué naît de
l'assemblage mécanique d'éléments externes, alors que la
complexité/simplicité naît de l'émergence organique de processus
internes.
Passer de l'assemblage à l'émergence c'est donc
passer du compliqué à la complexité/simplicité. C'est passer du
mécanique à l'organique. C'est passer de la technique à l'art. C'est
passer de l'exogène à l'endogène. C'est passer de l'extériorité à
l'intériorité. C'est passer du paraître au devenir.
Mutation profonde. Pour chaque homme. Pour tout
notre monde au sortir de sa très contemporaine modernité moribonde.
La complexité/simplicité, c'est comme l'art de
rouler à vélo. Lorsqu'on sait, c'est facile. Mais c'est extrêmement
compliqué - voire impossible - à exprimer. On n'apprend pas à rouler à
vélo dans les livres, mais bien dans le vécu, dans l'expérientiel. On
peut décrire ou expliquer le roulage à vélo, sans savoir rouler
soi-même, mais ce sera très compliqué. Rouler vraiment à vélo,
comprendre réellement le roulage à vélo, passent nécessairement par la
complexité/simplicité de l'apprentissage direct, par soi-même, au-delà
des échecs, des chutes et de éraflures.
C'est cette leçon primordiale que véhicule la
nouvelle sagesse : si l'on veut dépasser le fait d'exister et apprendre
à vivre réellement, il faut abandonner les complications de l'apparence
et faire patiemment l'apprentissage, par soi-même, de la
complexité/simplicité de la vie.