..un plaidoyer pour la relationnalité trine .. F. CHENG

Dossiers 

<<< précédent                                                    suivant >>>

Date d'émergence  : 2010 

lecture EN relationnalité .. ...

 

 EN UN

Pour qu’une unicité puisse se constituer et se révéler, il est indispensable qu’elle soit en constant échange avec d’autres unicités; plus l’échange est plénier, plus elle a la chance de rendre fécond et fécondant ce qui fait sa qualité intrinsèque.  En élargissant cette vérité, il est permis de dire que le particulier n’est nullement en contradiction avec le général; au contraire, la vraie valeur d’un particulier se mesure à sa capacité à s’ouvrir à l’universel.

 

Comment, par exemple, endiguer l’individualisme à outrance qui naît certes de l’exaltation du sujet – un thème central de la philosophie occidentale –, mais qui finit par oublier quelquefois qu’un sujet ne devient sujet et ne le reste que grâce aux autres sujets.

 

 Si, dans l’ordre de la Matière, on peut formuler des théorèmes par lesquels des faits objectifs se vérifient invariablement, dans l’ordre de la Vie en revanche tout ce qui a lieu résulte toujours d’une rencontre, chaque fois singulière, entre un sujet et un autre sujet, entre le sujet et le réel.

 

La bonté implique toujours une relation réelle et personnalisée, laquelle revêt un contenu et un devenir chaque fois spécifiques. Il en va de même pour la vérité de vie.

 

Ce qui se réalise est un Trois qui, né du Deux, dépasse le Deux. Ce Trois, que les Anciens chinois désignaient par le Souffle du Vide, ne serait pas sans le Deux. Mais une fois là, drainant la meilleure part du Deux, il devient une présence en devenir marquée par le dépassement et la transformation. Incarnant la dimension de l’infini du Deux, il est à proprement parler la véritable transcendance devant laquelle le Deux s’incline volontiers.

 

en relations ....  ...tiers inclus ... la civilisation de l'amour ...transcender le temps par une forme de création.  ..... de la sublimation: ...éthique de la transvaluation :

..... contribution au Synode 78 ...

 

n  

Source: http://www.fsa.ulaval.ca/personnel/vernag/REF/Textes/Cheng_valeurs.htm

 

 

François Cheng, de l'Académie française

Y a-t-il des valeurs universelles?

 

«Comme certains prétendent que les valeurs démocratiques occidentales ne sont pas applicables à la Chine, je me sens en droit de démontrer leur erreur»

 

2 janvier 2003 - n°1991 - Les débats de l'Obs

--------------------------------------------------------------------------------

Le destin humain implique un certain nombre de faits et gestes communs à tous: naître, mourir, procréer, affronter souffrances et maux, assumer rêves et désirs, tenter de vivre en harmonie avec autrui, de transcender le temps par une forme de création. D’où l’idée de l’universalité qui se vérifie, du moins à ce premier degré.

Force nous est de constater que la manière de nommer et d’envisager ces faits varie selon les langues et les cultures. Qu’en réalité on ne peut atteindre le général que par le particulier. Cette constatation nous rappelle un point plus essentiel encore, à savoir que tout être humain est unique. Il ne peut aborder l’existence terrestre qu’à partir de cette unicité. Cela affirmé, il convient d’ajouter aussitôt qu’en cet univers créé il n’y a point d’unicité isolée, à part. On est unique dans la mesure où d’autres sont uniques. Sinon, on n’est qu’une bizarrerie bonne à être mise dans la vitrine d’un musée. Pour qu’une unicité puisse se constituer et se révéler, il est indispensable qu’elle soit en constant échange avec d’autres unicités; plus l’échange est plénier, plus elle a la chance de rendre fécond et fécondant ce qui fait sa qualité intrinsèque. En élargissant cette vérité, il est permis de dire que le particulier n’est nullement en contradiction avec le général; au contraire, la vraie valeur d’un particulier se mesure à sa capacité à s’ouvrir à l’universel. Cela à l’instar d’un arbre qui, certes, est tenu de s’enraciner profondément dans un sol particulier, de pousser à partir de ce terreau originel, mais qui, une fois qu’il a gagné l’air libre, ne met aucune entrave à se nourrir et à jouir de ce que la Création peut apporter à sa croissance: le soleil, le vent, la pluie, la rosée. Il est d’autant plus proche de son épanouissement qu’il demeure à ciel ouvert, dans un état de réceptivité et d’échange, sans qu’en rien il perde de sa particularité. C’est là, nous semble-t-il, une évidence. Pour nous convaincre davantage de cette évidence, on pourrait observer encore l’exemple de grands créateurs humains. Citons, du côté de l’Occident, le cas d’un Vinci, d’un Rembrandt, d’un Bach, d’un Mozart, d’un Shakespeare, d’un Cervantès ou d’un Hugo. Il n’y a pas d’êtres plus particuliers qu’eux, enracinés qu’ils sont dans une époque, dans un pays, dans une culture. Pourtant tous, ils ont atteint la dimension universelle et sont capables de toucher les personnes de l’autre bout du monde, car à partir d’un terroir natif ils ont posé les questions fondamentales et cherché à y répondre avec toute la profondeur des aspirations humaines qu’ils portaient en eux.

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, nous pensons pouvoir, concernant le problème des valeurs, avancer ceci: sont valables les principes qui permettent aux hommes en société de s’ouvrir vers la plus grande potentialité de Vie. Et puisque nous parlions de l’Occident, pourquoi ne pas indiquer sans tarder certains de ses acquis qui sont en accord avec ces principes, notamment ceux qui sont au fondement de la démocratie: l’inaliénable statut de la personne, les droits fondamentaux qui la protègent, une liberté de pensée et d’action dans le respect du bien commun, autant d’éléments – qui, toujours fragiles, demandent à être sans cesse consolidés – pour empêcher l’arbitraire et la corruption, pour contrer le risque de la tyrannie et garantir le légitime développement individuel. Ces valeurs sont-elles universelles? Elles le sont si manifestement que la question semble superflue. Pourtant, d’aucuns prétendent qu’elles ne sont pas exportables, que certains peuples d’autres contrées, pour des raisons historiques, géographiques ou démographiques, n’en auraient pas forcément besoin.

Comme certains de ces théoriciens appliquent ce point de vue à la Chine, mon pays d’origine que je connais bien, je me sens en droit de démontrer leur erreur. Considérons les deux courants de la pensée chinoise, le taoïsme et le confucianisme. Le taoïsme est la doctrine qui a exalté l’idée de la liberté humaine: celle-ci, selon elle, ne devait obéir qu’à la loi naturelle de la Voie régie par le Souffle-Esprit. Le confucianisme a surtout mis l’accent sur la responsabilité humaine au sein de la société. Aussi bien Confucius que Mencius, son continuateur, ont péché par trop de confiance en la nature humaine. Ils ont misé sur le souverain éclairé et sur la bonté innée des gens du commun, et une réflexion conséquente sur le problème du droit leur a fait cruellement défaut. Mais tous deux ont exalté la dignité de l’homme, lequel doit participer en troisième à l’œuvre du Ciel et de la Terre. Leur exigence éthique est proche de celle d’un Kant. Je ne vois pas ce qui peut empêcher ces deux courants de pensée d’épouser les valeurs énoncées plus haut.

Comment nier que les principes de la personne, du droit et de la liberté font partie de ce que l’on peut qualifier de valeurs universelles? Toutefois, si l’on observe l’état du monde par rapport à ces valeurs de base, on se rend à l’évidence que le chemin sera long, un chemin semé encore d’embûches. Même dans les pays où ces principes sont affirmés, pratiqués, il n’est pas rare, hélas, qu’ils ne soient pas respectés lorsque ces pays agissent à l’extérieur. On peut constater en outre qu’ils sont assaillis par d’autres types de crises qui, devenues aiguës, sont toujours susceptibles d’ouvrir des brèches par où le monstrueux peut resurgir. C’est dire qu’immense est notre tâche commune.

Les crises en question ont des causes profondes d’ordre social et économique, dont il importe de tenir compte. A un niveau peut-être plus fondamental, je ne résiste pas au désir, pour ma gouverne, de poser une ou deux questions à cette société occidentale – qui est, ne l’oublions pas, à l’avant-garde du monde – à ce moment de son développement historique; car je ne doute pas que ces questions concerneront l’humanité entière.

Comment, par exemple, endiguer l’individualisme à outrance qui naît certes de l’exaltation du sujet – un thème central de la philosophie occidentale –, mais qui finit par oublier quelquefois qu’un sujet ne devient sujet et ne le reste que grâce aux autres sujets. Que partant toujours de soi et ramenant toujours à soi sa mesure de vie et son autoanalyse, laquelle rend ses complexes toujours plus complexes, l’individu ne peut aboutir qu’à une impasse. Que l’accomplissement de toute personne n’est pas en soi mais en avant de soi, tant il est vrai, n’est-ce pas, qu’on ne peut se transformer en présence qu’en interaction avec une autre ou d’autres présences. Si j’élargis mon interrogation, j’aimerais demander ceci: comment rompre la logique duelle fondée sur l’identité du Même et l’exclusion du tiers? Cette logique a fait la grandeur de l’Occident, mais, poussée à l’extrême, elle isole l’homme du reste de l’univers créé, l’installe dans la posture de l’éternel conquérant. Cet homme, ivre de sa puissance narcissique, «superbe» peut-être, est de fait un «déraciné», en ce sens que, perdue la chance d’un rapport de confiance ou de connivence avec les vivants, obsédé par son propre avoir, il n’est plus tout à fait enraciné dans l’Etre. C’est une erreur d’affirmer que «l’homme est la mesure de toute chose», car ce serait terrible pour l’univers quand on sait ce dont l’homme sans frein et sans repentance est capable. Au contraire, devenu un être de langage, il a pour mission d’être l’interlocuteur; il sera d’autant plus grand qu’il entre en relation avec quelque chose de plus vaste et qui cherche à s’élever. Oui, l’humain est un pari, un devenir. C’est une aventure qui n’a pu et ne pourra prendre corps et sens qu’au sein d’une aventure plus prometteuse, plus exigeante, celle de la Vie en devenir. A partir de cette considération, je me permets d’avancer le point de vue suivant. Si, dans l’ordre de la Matière, on peut formuler des théorèmes par lesquels des faits objectifs se vérifient invariablement, dans l’ordre de la Vie en revanche tout ce qui a lieu résulte toujours d’une rencontre, chaque fois singulière, entre un sujet et un autre sujet, entre le sujet et le réel. Prenons les trois Excellences platoniciennes. La bonté implique toujours une relation réelle et personnalisée, laquelle revêt un contenu et un devenir chaque fois spécifiques. Il en va de même pour la vérité de vie. De même aussi pour la beauté, car il n’y a d’authentique beauté que révélée. Celle révélée par un tableau de Cézanne, par exemple, résulte de la rencontre décisive entre le peintre et la montagne Sainte-Victoire. Cette rencontre se fait d’ailleurs à de multiples niveaux. Du côté de la montagne, d’abord, entre divers éléments qui la composent: poussée géologique interne, concaténation des rochers stratifiés, houle des végétaux sous l’effet du vent, lumière changeante selon les heures, etc. Du côté du peintre, entre son état présent et toutes les expériences vécues et assumées, entre son regard personnel et ceux d’autres créateurs valables qu’il a pu croiser au cours de son cheminement. C’est alors que, le moment étant enfin mûr, l’interaction entre l’homme et la montagne est à même de se produire. Et, comme le pensait déjà Schelling, une vraie œuvre ne se réalise qu’au prix de cet échange en profondeur. Ce qui se réalise est un Trois qui, né du Deux, dépasse le Deux. Ce Trois, que les Anciens chinois désignaient par le Souffle du Vide, ne serait pas sans le Deux. Mais une fois là, drainant la meilleure part du Deux, il devient une présence en devenir marquée par le dépassement et la transformation. Incarnant la dimension de l’infini du Deux, il est à proprement parler la véritable transcendance devant laquelle le Deux s’incline volontiers. C’est ainsi qu’on peut dire que l’accomplissement de Cézanne, comme toute personne, n’est pas en lui-même, mais en avant de lui, quand il consent à tendre vers une autre présence capable de le révéler, et par là le transfigurer. Tel est sans doute le miracle humain: de deux finitudes naît l’infini. A condition, bien entendu, qu’il y ait vrai échange, selon l’absolue exigence de la Vie ouverte où les trois Excellences observées plus haut relèvent, en réalité, de la même essence.

C’est ici que, pour revenir à notre thème des valeurs universelles, nous tentons de mettre en avant un vocable passablement galvaudé: le dialogue. Ce thème qui d’ordinaire suggère un moyen passager, un effort supplémentaire ou alors une complaisance à laquelle on cède, nous l’élevons ici à une dignité plénière en lui accordant une valeur en soi, proprement universelle. Nous l’avons dit, l’homme étant devenu un être de langage, sa mission même est d’être l’interlocuteur, de dialoguer, avec ses semblables certes, mais sur une plus large échelle, avec la Création entière, depuis ses éléments constitutifs jusqu’à sa part la plus sublime, la plus sacrée. Un dialogue généralisé fondé sur la conviction que l’univers créé forme un tout unitaire et organique où tout se relie et se tient, où ce qui se passe entre les entités vivantes est aussi important que les entités mêmes. Le Souffle vital qui les anime toutes assurant en permanence cette possible communication. Quelle personne, quelle culture peut réellement respirer l’ouverture et jouir de la métamorphose sans s’engager dans le plus vaste chemin de Vie qu’est la Voie où, selon «le Livre des mutations», tout change ne peut provenir que de l’échange? F. C.

 

François Cheng, né en Chine en 1929, a été élu à l’Académie française en juin 2002. Il est notamment l’auteur de «l’Ecriture poétique chinoise» et «Vide et Plein» (Seuil), «D’où jaillit le chant» (Phébus, 2000), «le Dit de Tianyi» et «L’éternité n’est pas de trop» (Albin Michel), et «le Dialogue. Une passion pour la langue française» (Desclée de Brouwer, 2002).

 

Date d'émergence  : 2010 

nombre de consultation de cette page depuis sa création : Pages trouvées

haut de page

... en France ..en Europe ...

...L'amour s'est en effet "refroidi »  ... la charité fait face à l'empire aujourd'hui planétaire de la violence....

Cette montée vers l'apocalypse est la réalisation supérieure de l'humanité. Or plus cette fin devient probable, et moins on en parle.

Il faut donc réveiller les consciences endormies.

Vouloir rassurer, c'est toujours contribuer au pire.

René Girard.

  

 

  "L'esprit constitue un champ de relations tourné vers la totalité de ce qui existe "  Joseph Pieper

Loin que ce soit être qui illustre la relation , c'est la relation qui illumine l'être.     Gaston Bachelard

Les composantes de la société ne sont pas les êtres humains, mais les relations qui existent entre eux.   Toynbee

 

 

  Â JE NOUS  

 

ÔùVrÔir