pages 89 à 96
LA BIOLOGIE
La
théorie de l'hérédité acquiert, durant la première moitié du XXe siècle, un statut véritablement
scientifique; la génétique se constitue : l'exhumation des travaux de Mendel,
les recherches de l'Américain Morgan, puis, en 1944, la mise en évidence de
l'ADN et, enfin, en 1953, les découvertes de Watson et Crick concernant la
structure en double hélice de l'ADN constituent les principaux moments de cette
évolution. Les mécanismes de la transmission héréditaire sont de
mieux en mieux compris.
Quant
à l'évolution des espèces vivantes, elle constitue, durant la première moitié du xx" siècle,
un acquis que nul ne remet plus en cause, dans le monde / scientifique tout au
moins. Mais si la réalité de l'évolution n'est plus contestée par personne, demeure
le problème du moteur de cette dernière ainsi que des ' mécanismes qui en
rendent compte. De ce point de vue, le transformisme prend une physionomie
nouvelle avec le mutationnisme de Hugo De Vries
Qu'est-ce, en définitive,
que la vie? Le célèbre physicien Schrôdinger nous dit qu'une portion de la
matière est vivante quand elle résiste à l'entropie et au désordre croissant.
L'essor de la génétique de 1900 à 1953
C'est en 1900 que les
travaux du moine et botaniste tchèque Mendel (1822-1884) — le véritable
fondateur de la génétique qui, dès 1865, établit les principes de la
transmission des caractères héréditaires — sont exhumés et vérifiés
expérimentalement par plusieurs biologistes, dont Hugo de Vries.
Les mécanismes de l'hérédité
sont, de 1910 à 1930, de mieux en mieux compris, grâce aux recherches du
biologiste américain Thomas Morgan (1866-1945), qui prend comme matériel
expérimental la mouche drosophile et établit la carte de répartition des gènes —
unités élémentaires et héréditaires — sur le chromosome. Citons La Génétique de
la drosophile (1925), La Théorie des gènes (1926) et Embryologie et génétique
(1933). Thomas Morgan devient Prix Nobel de médecine en 1933.
C'est en 1944 que l'ADN,
l'acide désoxyribonucléique, se trouve mis en évidence : il apparaît désormais
comme le constituant des chromosomes, l'agent de la transmission héréditaire.
Enfin, en 1953, Watson et Crick montrent que l'ADN possède une structure en
double hélice : l'ADN est enroulé de nombreuses fois sur lui-même et le
chromosome est formé de cette longue et fine molécule, dont les propriétés de
reproductibilité et de codage d'information génétique permettent enfin
d'atteindre une explication fine du vivant. Watson partagera le Prix Nobel de
médecine avec Crick pour cette découverte de la structure de l'ADN.
La conception générale du transformisme
L'évolution des espèces
vivantes constitue un acquis que nul, dans le monde scientifique, ne remet plus
en cause. Mais le transformisme se métamorphose, aux alentours de 1900, quand
Hugo De Vries (1848-1935) découvre l'existence de mutations, variations brusques
et héréditaires. Darwin, pour sa part, ne croyait pas aux mutations, puisque, à
ses yeux, la nature ne fait pas de sauts.
Le mutationnisme, théorie
biologique d'après laquelle l'évolution est un phénomène discontinu provoqué par
des mutations, jouera un grand rôle dans la pensée biologique du XXe siècle.
Certes, depuis le moment où De Vries a proposé sa théorie au monde scientifique,
cette dernière a été profondément transformée. Néanmoins, l'idée de mutations
(sélectionnées) est au centre de la science moderne.
Quelques lignes de Maurice
Caullery, biologiste français (1868-1958). Il s'attache, dans le passage
suivant, aux acquis de De Vries.
LES MUTATIONS DU VIVANT •
« Les conceptions
générales du transformisme ont pris une physionomie nouvelle, au seuil du XXe
siècle, par les travaux et théories du botaniste hollandais Hugo de Vries
(1848-1935). À la suite d'expériences prolongées sur une plante de la famille
des Onagrariées, l'Œnothera lamaroçkiana, De Vries avait vu apparaître
soudainement des variations discontinues qu'il avait constatées par des cultures
méthodiques7Ces variations se perpétuant de façon totale. De Vries est arrivé à
la . conclusion que c'est par de semblables variation^ brusques, discontinues et
de caractère sporadique, — il les a appelées des mutations-^, que s'effectue
l'évolution, la sélection intervenant pour éliminer les unes et conserver les
autres.
L'espèce serait généralement
stable, mais, à plus ou moins longs intervalles, elle passerait par des phases
de mutabilité, en quelque sorte explosives. II est avéré maintenant que le cas
de VŒnothera lamarckiana ne saurait servir de base à une théorie générale de
l'évolution. Les variations constatées chez elles par De Vries s'expliquent par
le fait qu'elle est un hybride complexe. Mais grâce à elle, l'attention a été
attirée sur les variations brusques, sporadiques et immédiatement héréditaires
que présentent les animaux comme les plantes. En fait, il en a été constaté un
assez grand nombre, surtout sur les animaux domestiques et les plantes
cultivées, dans les derniers siècles. Et on en a récemment enregistre nombre
d'autres. Elles répondent à la définition donnée par De Vries des mutations et
ce terme a été conservé. »
Maurice CAULLERY, «Les
sciences biologiques aux xix" et xx° siècles », in
Histoire de la science.
Encyclopédie de la Pléiade-NRF-Gallimard,
1957, p. 1239.
Puis, un texte prophétique
du physicien Erwin Schrôdinger. Il n'a pas seulement développé la mécanique
ondulatoire et posé la célèbre équation de Schrôdinger (1926). Dans un ouvrage
de 1948, Qu'est-ce que la Vie?, il pose le problème du vivant de manière
originale : vivre, c'est se débarrasser de l'entropie et du désordre, à la fois
se nourrir de l'entropie et l'éliminer.
UN ORGANISME VIVANT SE
NOURRIT D'ENTROPIE ET LA REJETTE • « Quel est le trait caractéristique de la
vie? Quand dit-on qu'une portion de matière est vivante? Quand elle ne cesse de
"faire quelque chose", de se mouvoir, d'échanger des matériaux avec le milieu
environnant et ainsi de suite, et cela pendant une période beaucoup plus longue
que nous supposerions une substance inanimée capable de se maintenir en état de
mouvement dans des circonstances ^ analogues. Quand un système non vivant est
isolé ou placé dans un milieu v uniforme, tout mouvement cesse en général assez
vite en conséquence de diverses espèces de friction [...]. En fin de compte, le
système tout entier se réduit à une portion de matière inerte, morte. Un état
permanent est atteint où l'on n'observe plus aucun événement. Le physicien
appelle cela l'état d'équilibre thermodynamique ou d'"entropie maxima".
En pratique, un état de
cette espèce est en général très rapidement atteint. Du point de vue théorique,
ce n'est pas encore en bien des cas un équilibre absolu correspondant au
véritable maximum d'entropie. Mais alors le rapprochement final de l'état
d'équilibre est très lent. Il pourrait durer des heures, des années, des siècles
[...].
C'est en évitant la
décomposition rapide vers un état inerte d'équilibre qu'un/ organisme apparaît
si énigmatique ; à tel point que depuis les temps les plus lointains de la
pensée humaine on a prétendu qu'une force spéciale non physique, surnaturelle
(vis via, entéléchie), opérait sur l'organisme. Comment l'organisme vivant /
retarde-t-il la décadence? La réponse est évidente : en mangeant, buvant,
respirant / et (dans le cas des plantes) en assimilant. Le terme technique est
métabolisme. Le mot grec (U£T(XPOA,TI) signifie changer ou échanger. De quel
échange s'agit-il? [...]. '',
Quel est donc ce précieux
quelque chose incorporé à notre nourriture qui nous sauve de la mort? La réponse
est facile : tout processus, ou événement, ou développement, [...] en un mot
tout ce qui se passe dans la nature, signifie un accroissement de l'entropie de
la partie du monde où l'événement se produit. Ainsi un organisme vivant accroît
constamment son entropie — ou, pourrait-on dire, crée de l'entropie positive —
et ainsi tend à se rapprocher de l'état dangereux d'entropie maxima, qui est la
mort. Il ne peut s'en maintenir éloigné, c'est-à-dire rester en vie, qu'en
soutirant continuellement au milieu environnant de l'entropie négative... Donc
un organisme se "nourrit" d'entropie négative. En d'autres termes, [...] la
chose essentielle en métabolisme est que l'organisme réussisse à se débarrasser
de toute l'entropie qu'il ne peut s'empêcher de produire tant qu'il vit.
SCHRÔDINGER
Erwin, Qu'est-ce que laVie?, Christian Bourgois, 1948-1986, pp.168-172.