BIOLOGIE ......... extraits de « La marche des idées contemporaines » de Jacqueline Russ    

 

 

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LA BIOLOGIE

 

La théorie de l'hérédité acquiert, durant la première moitié du XXe siècle, un statut véritablement scientifique; la génétique se constitue : l'exhumation des travaux de Mendel, les recherches de l'Américain Morgan, puis, en 1944, la mise en évidence de l'ADN et, enfin, en 1953, les découvertes de Watson et Crick concernant la structure en double hélice de l'ADN constituent les principaux moments de cette évolution. Les mécanismes de la transmission héréditaire sont de mieux en mieux compris.

Quant  à l'évolution des espèces vivantes, elle constitue, durant la première moitié du xx" siècle, un acquis que nul ne remet plus en cause, dans le monde / scientifique tout au moins. Mais si la réalité de l'évolution n'est plus contestée par personne, demeure le problème du moteur de cette dernière ainsi que des ' mécanismes qui en rendent compte. De ce point de vue, le transformisme prend une physionomie nouvelle avec le mutationnisme de Hugo De Vries

Qu'est-ce, en définitive, que la vie? Le célèbre physicien Schrôdinger nous dit qu'une portion de la matière est vivante quand elle résiste à l'entropie et au désordre croissant.

L'essor de la génétique de 1900 à 1953

C'est en 1900 que les travaux du moine et botaniste tchèque Mendel (1822-1884) — le véritable fondateur de la génétique qui, dès 1865, établit les principes de la transmission des caractères héréditaires — sont exhumés et vérifiés expérimentalement par plusieurs biologistes, dont Hugo de Vries.

Les mécanismes de l'hérédité sont, de 1910 à 1930, de mieux en mieux compris, grâce aux recherches du biologiste américain Thomas Morgan (1866-1945), qui prend comme matériel expérimental la mouche drosophile et établit la carte de répartition des gènes — unités élémentaires et héréditaires — sur le chromosome. Citons La Génétique de la drosophile (1925), La Théorie des gènes (1926) et Embryologie et génétique (1933). Thomas Morgan devient Prix Nobel de médecine en 1933.

C'est en 1944 que l'ADN, l'acide désoxyribonucléique, se trouve mis en évidence : il apparaît désormais comme le constituant des chromosomes, l'agent de la transmission héréditaire. Enfin, en 1953, Watson et Crick montrent que l'ADN possède une structure en double hélice : l'ADN est enroulé de nombreuses fois sur lui-même et le chromosome est formé de cette longue et fine molécule, dont les propriétés de reproductibilité et de codage d'information génétique permettent enfin d'atteindre une explication fine du vivant. Watson partagera le Prix Nobel de médecine avec Crick pour cette découverte de la structure de l'ADN.

La conception générale du transformisme

L'évolution des espèces vivantes constitue un acquis que nul, dans le monde scientifique, ne remet plus en cause. Mais le transformisme se métamorphose, aux alentours de 1900, quand Hugo De Vries (1848-1935) découvre l'existence de mutations, variations brusques et héréditaires. Darwin, pour sa part, ne croyait pas aux mutations, puisque, à ses yeux, la nature ne fait pas de sauts.

Le mutationnisme, théorie biologique d'après laquelle l'évolution est un phénomène discontinu provoqué par des mutations, jouera un grand rôle dans la pensée biologique du XXe siècle. Certes, depuis le moment où De Vries a proposé sa théorie au monde scientifique, cette dernière a été profondément transformée. Néanmoins, l'idée de mutations (sélectionnées) est au centre de la science moderne.

Quelques lignes de Maurice Caullery, biologiste français (1868-1958). Il s'attache, dans le passage suivant, aux acquis de De Vries.

 

LES MUTATIONS DU VIVANT • « Les conceptions générales du transformisme ont pris une physionomie nouvelle, au seuil du XXe siècle, par les travaux et théories du botaniste hollandais Hugo de Vries (1848-1935). À la suite d'expériences prolongées sur une plante de la famille des Onagrariées, l'Œnothera lamaroçkiana, De Vries avait vu apparaître soudainement des variations discontinues qu'il avait constatées par des cultures méthodiques7Ces variations se perpétuant de façon totale. De Vries est arrivé à la . conclusion que c'est par de semblables variation^ brusques, discontinues et de caractère sporadique, — il les a appelées des mutations-^, que s'effectue l'évolution, la sélection intervenant pour éliminer les unes et conserver les autres.

L'espèce serait généralement stable, mais, à plus ou moins longs intervalles, elle passerait par des phases de mutabilité, en quelque sorte explosives. II est avéré maintenant que le cas de VŒnothera lamarckiana ne saurait servir de base à une théorie générale de l'évolution. Les variations constatées chez elles par De Vries s'expliquent par le fait qu'elle est un hybride complexe. Mais grâce à elle, l'attention a été attirée sur les variations brusques, sporadiques et immédiatement héréditaires que présentent les animaux comme les plantes. En fait, il en a été constaté un assez grand nombre, surtout sur les animaux domestiques et les plantes cultivées, dans les derniers siècles. Et on en a récemment enregistre nombre d'autres. Elles répondent à la définition donnée par De Vries des mutations et ce terme a été conservé. »

Maurice CAULLERY, «Les sciences biologiques aux xix" et xx° siècles », in

Histoire de la science. Encyclopédie de la Pléiade-NRF-Gallimard, 1957, p. 1239.

 

Puis, un texte prophétique du physicien Erwin Schrôdinger. Il n'a pas seulement développé la mécanique ondulatoire et posé la célèbre équation de Schrôdinger (1926). Dans un ouvrage de 1948, Qu'est-ce que la Vie?, il pose le problème du vivant de manière originale : vivre, c'est se débarrasser de l'entropie et du désordre, à la fois se nourrir de l'entropie et l'éliminer.

 

UN ORGANISME VIVANT SE NOURRIT D'ENTROPIE ET LA REJETTE • « Quel est le trait caractéristique de la vie? Quand dit-on qu'une portion de matière est vivante? Quand elle ne cesse de "faire quelque chose", de se mouvoir, d'échanger des matériaux avec le milieu environnant et ainsi de suite, et cela pendant une période beaucoup plus longue que nous supposerions une substance inanimée capable de se maintenir en état de mouvement dans des circonstances  ^ analogues. Quand un système non vivant est isolé ou placé dans un milieu v uniforme, tout mouvement cesse en général assez vite en conséquence de diverses espèces de friction [...]. En fin de compte, le système tout entier se réduit à une portion de matière inerte, morte. Un état permanent est atteint où l'on n'observe plus aucun événement. Le physicien appelle cela l'état d'équilibre thermodynamique ou d'"entropie maxima".

En pratique, un état de cette espèce est en général très rapidement atteint. Du point de vue théorique, ce n'est pas encore en bien des cas un équilibre absolu correspondant au véritable maximum d'entropie. Mais alors le rapprochement final de l'état d'équilibre est très lent. Il pourrait durer des heures, des années, des siècles [...].

C'est en évitant la décomposition rapide vers un état inerte d'équilibre qu'un/ organisme apparaît si énigmatique ; à tel point que depuis les temps les plus lointains de la pensée humaine on a prétendu qu'une force spéciale non physique, surnaturelle (vis via, entéléchie), opérait sur l'organisme. Comment l'organisme vivant / retarde-t-il la décadence? La réponse est évidente : en mangeant, buvant, respirant / et (dans le cas des plantes) en assimilant. Le terme technique est métabolisme. Le mot grec (U£T(XPOA,TI) signifie changer ou échanger. De quel échange s'agit-il? [...].   '',

Quel est donc ce précieux quelque chose incorporé à notre nourriture qui nous sauve de la mort? La réponse est facile : tout processus, ou événement, ou développement, [...] en un mot tout ce qui se passe dans la nature, signifie un accroissement de l'entropie de la partie du monde où l'événement se produit. Ainsi un organisme vivant accroît constamment son entropie — ou, pourrait-on dire, crée de l'entropie positive — et ainsi tend à se rapprocher de l'état dangereux d'entropie maxima, qui est la mort. Il ne peut s'en maintenir éloigné, c'est-à-dire rester en vie, qu'en soutirant continuellement au milieu environnant de l'entropie négative... Donc un organisme se "nourrit" d'entropie négative. En d'autres termes, [...] la chose essentielle en métabolisme est que l'organisme réussisse à se débarrasser de toute l'entropie qu'il ne peut s'empêcher de produire tant qu'il vit.

 SCHRÔDINGER Erwin, Qu'est-ce que laVie?, Christian Bourgois,  1948-1986, pp.168-172.