En 1989, la partie soviétique du
pôle communiste implose dans la paix. A l'intérieur du pôle démocratique
les États-Unis, assis sur une puissance militaire et technologique
inégalable, décident d'assumer un rôle de « leader ». Aussi aujourd'hui
parle-t-on d'une « hyperpuissance »,et, à partir de là, d'un monde
unipolaire.
Ce brutal déséquilibre de puissance incite ceux qui, parmi les moins
puissants, ne se résignent pas à accepter, du moins comme une donnée
durable, la suprématie américaine, à se prononcer pour un monde
multipolaire. France et Russie s'en font particulièrement les avocats.
A première vue, un monde multipolaire peut paraître plus satisfaisant
qu'un monde bipolaire qui comporte le risque d'une confrontation ou qu'un
monde unipolaire qui comporte celui d'un impérialisme dominateur et
arbitraire. Mais cette vue est courte, car un tel monde peut aussi bien être
source de conflits ou d'anarchie que de stabilité. Tout dépend en effet
des rapports que ces pôles entretiennent entre eux.
Or, à l'heure actuelle, si États-Unis, Russie, Chine peuvent, bien qu'à
des degrés différents de puissance, être appelés pôles, l'Union européenne
ne le peut, sinon à titre de puissance commerciale et, progressivement,
monétaire, mais pas diplomatique et militaire. Et cette impuissance tient
en majeure partie précisément à un profond désaccord interne sur la
nature de ses rapports avec les États-Unis. Aussi longtemps que celui-ci
ne sera pas surmonté, toute tentative pour une « Europe Puissance » sera
vouée à l'échec.
En France, il est fréquent d'entendre, parmi les meilleurs des
partisans d'une « Europe Puissance », justifier cet objectif par la
nécessité de créer un « contrepoids » à la puissance américaine..
Cependant, outre que pour être un contrepoids il faudrait tout d'abord «
faire le poids », ce dont malheureusement l'on ne se préoccupe pas assez,
le mot est mal choisi. Pourquoi en effet être « contre » les États-Unis.
Pour se poser il n'est pas nécessaire de s'opposer. L'on ne rassemblera
pas les Européen: sur une politique étrangère et par conséquent, sur une
politique de défense commune, si un certain antiaméricanisme semble être
la motivation plus ou moins cachée de l'entreprise.
En Grande-Bretagne, c'est à un travers inverse qu'il faut s'en prendre.
Les dirigeants britanniques ont trop souvent tendance à agir comme
si, en matière diplomatique et militaire, le dernier mot devait appartenir
à Washington. On en vient ainsi à opposer une « Europe européenne » à une
« Europe atlantique ».
Ceci conduit au débat sur la notion d'indépendance. Les grands pôles de
puissance doivent-ils être indépendants les uns des autres ? Oui et non.
Oui, si l'on veut éviter une position hyper-hégémonique de l'un d'eux, par
exemple des États-Unis sur l'Europe ou, à long terme, d'une Chine qui
aurait refoulé la Russie au moins jusqu'au lac Baisai. Mais non, si l'on
s'en tient là, car un monde multipolaire ne peut être une source de
stabilité que si les pôles créent entre eux des liens, d'interdépendance.
La dialectique entre indépendance et interdépendance est subtile. D'un
côté, il y a l'indépendance des moyens, de l'autre, il y a
l'interdépendance des intérêts. Même les États Unis n'y échappent pas.
Aujourd'hui, s'ils disposent de l'indépendance des moyens militaires, il
leur faut néanmoins créer une interdépendance d'intérêts avec le Koweït et
le Qatar pour que ceux-ci leur offrent des bases. Apparemment ils n'ont pas
réussi à la crée avec la Turquie.
Pour ce qui est de l'Europe elle peut, elle doit s'efforcer d'atteindre
un certain degré d'indépendance des moyens.. mais tout autant qu'à
l'époque de la guerre froide, bien que face à des menaces nouvelles, notre
Union européenne doit inscrire cette indépendance dans une
l'interdépendance des intérêts avec les États-Unis, intérêts qui demeurent
tout à la fois ceux d'un sécurité mutuelle et d'une défense solidaire des
valeurs démocratiques.
Il ne suffit pas d'en
être d'accord, il va falloir se mettre autour d'une
table pour en débattre sérieusement .
' Ambassadeur de France.