Pourquoi, sous prétexte de laïcité, l'Europe devrait-elle être
amnésique de son héritage religieux ?
Ce qui manque, aujourd'hui, à l'Europe c'est le souffle qui nourrit les
projets. Or il ne peut y avoir de projet sans une mémoire qui donne champ
aux possibles. Depuis plusieurs décennies de construction européenne nous
avons rétréci le champ des possibles à l'aune des rationalités courtes de
l'économie. Aujourd'hui, nous savons pertinemment que pour que l'Europe
existe réellement il lui faut refaire le pas de son utopie fondatrice.
En effet, depuis son origine que fut la civilisation grecque, elle a su
donner à l'homme des fins à sa mesure, c'est-à-dire plus exigeantes que
ses intérêts quotidiens. Elle a même eu ce fol idéal d'un citoyen dans une
démocratie participative, idéal enrichi par la notion chrétienne de «
personne » et qui l'a portée au long de son histoire malgré toutes ses
trahisons honteuses et récurrentes.
Il serait fort dommageable que, sous prétexte de cette honte, soit
occulté son héritage religieux car, pour que ce projet soit fécond, il
faut qu'il prenne sens dans une mémoire signifiante.
Preuve en est la Charte des droits fondamentaux propre à cette Union,
ayant eu pour tâche de préciser les valeurs qui sont le socle sur lequel
l'Europe politique pourra se construire.
Dès lors, il paraît bien inquiétant que la France soit intervenue pour
faire retirer toute référence à l'héritage religieux pour raison de
respect de sa culture laïque. Que voudrait dire l'idéal laïc si, alors
qu'il se veut porté par la tolérance, il était contraint de refuser le
passé de l'Europe et son appartenance à une civilisation judéo-chrétienne
? N'y aurait-il pas là plutôt une forme d'intolérance puisque l'on sait
que la plupart des pays de l'Union européenne font explicitement référence
au religieux dans leur Constitution ?
Il se trouve que, malencontreusement, la laïcité à la française,
contrairement à d'autres traditions historiques qui ont su ménager
l'esprit des Lumières et l'esprit religieux, n'autorise pas la dialectique
du même et de l'autre par-delà la tolérance jusqu'à la reconnaissance
(tolérer, c'est souffrir la présence de ce qu'on ne peut éviter). Et
pourtant seule la reconnaissance permet et l'hospitalité de l'autre et la
réciprocité. Elle répond exactement à l'idée de personne qui fonde, par
exemple, le projet de paix perpétuel de Kant, textes d'une actualité riche
pour parvenir à construire une Europe respectueuse de ses différentes
cultures, sachant trouver dans les valeurs communes qui ont fait son passé
la fécondité de sens permettant l'éclosion de projets nécessaires à un
désir de vivre ensemble pour un bien commun porteur de la citoyenneté
européenne.