Radio Vatican : Après les documents
de Jean-Paul II "Mulieris Dignitatem" (15 août 1988 et la Lettre aux
Femmes (29 juin 1995), qu’est-ce que cette lettre aux évêques veut
apporter de nouveau à la réflexion chrétienne ?
Mgr Amato : La nouveauté réside dans la réponse à deux tendances bien
précises de la culture contemporaine. La première tendance souligne
fortement la condition de subordination de la femme, qui, pour être
elle-même devrait se situer en opposition à l’homme. On établit ainsi
une rivalité radicale entre les sexes : l’identité et le rôle de l’un
est au détriment de l’autre. Pour éviter cette opposition, un second
courant tend à effacer les différences entre les deux sexes. La
différence corporelle, qu’on appelle "sexe", est minimisée et considérée
comme le simple effet de conditionnements socio-culturels. On souligne
donc au maximum la dimension strictement culturelle, appelée "genre".
D’où la contestation du caractère naturel de la famille composée de
père-mère, l’équivalence établie entre homosexualité et hétérosexualité,
la proposition d’une sexualité polymorphe.
Radio Vatican : Quelle est la racine de cette dernière tendance ?
Mgr Amato : Cette perspective naît du présupposé que la nature
humaine n’aurait pas en elle-même des caractéristiques qui la
déterminent de façon absolue comme homme ou comme femme. Chaque
personne, libre de toute prédétermination biologique, pourrait se
modeler à sa convenance. Face à ces conceptions erronées, l’Eglise
rappelle certains aspects de l’anthropologie chrétienne fondée sur les
données révélées par l’Ecriture Sainte.
Radio Vatican : Que dit la Bible à
ce propos?
Mgr Amato : La partie la plus ample du
document est justement consacrée à une méditation sapientielle des
textes bibliques sur la création de l’homme et de la femme. Le premier
texte (Genèse 1,1 - 2,4) décrit la puissance créatrice de Dieu qui opère
des distinctions dans le chaos primitif (lumière, ténèbres, mer, terre,
plantes, animaux), et crée finalement l’homme : "à son image et à sa
ressemblance il le créa, homme et femme il les créa". Le second récit de
la création, en Genèse 2, 4-25, confirme également l’importance de la
différence sexuelle. A côté du premier homme, Adam, Dieu place la femme,
créée de sa chair et enveloppée du même mystère.
Radio Vatican : Qu’est-ce que cela
signifie?
Mgr Amato : Le texte biblique offre trois
indications importantes. L’homme est une personne, de façon égale
pour l’homme et pour la femme. Ils sont en relation réciproque. En
deuxième lieu, le corps humain, marqué par le sceau de la masculinité ou
de la féminité, est appelé à exister dans la communion et dans le don
réciproque. C’est pourquoi le mariage est la première dimension
fondamentale de cette relation. En troisième lieu, même bouleversées et
obscurcies par le péché, ces dispositions originelles du créateur ne
pourront jamais être annulées. L’anthropologie biblique suggère ainsi
d’aborder selon une approche relationnelle et non concurrentielle les
problèmes qui, au niveau public ou privé, impliquent la différence
sexuelle.
Radio Vatican : Y a-t-il d’autres indications bibliques?
Mgr Amato : La lettre offre aussi des considérations théologiques
sur la dimension "sponsale" du salut. Dans l’Ancien Testament, par
exemple, on représente une histoire du salut qui met en jeu
simultanément la participation du masculin et du féminin, par les
métaphores d’époux-épouse, et d’alliance. Il s’agit d’un vocabulaire
nuptial qui oriente le lecteur vers la figure masculine du Serviteur
Souffrant, et vers la figure féminine de Sion (cf. n.9). Dans le Nouveau
Testament, ces préfigurations trouvent leur accomplissement d’une part
en Marie, fille de Sion élue, qui récapitule la condition d’Israël-Epouse
dans l’attente du jour du salut, et de l’autre Jésus, qui récapitule
dans sa personne l’amour de Dieu pour son peuple, comme l’amour d’un
époux pour son épouse. Saint Paul développe ce sens nuptial de la
rédemption en concevant la vie chrétienne comme un mystère nuptial entre
le Christ et l’Eglise, son Epouse. Insérés dans ce mystère de grâce, les
époux chrétiens, en dépit du péché et de ses conséquences, peuvent vivre
leur union dans l’amour et dans la fidélité réciproque. La conséquence
est que l’homme et la femme ne ressentent plus leur différence en termes
de rivalité ou d’opposition, mais en termes d’harmonie et de
collaboration.
Radio Vatican : Quel est l’apport
du féminin à la vie de la société?
Mgr Amato : La femme, à la différence de
l’homme, a son charisme propre, appelé "la capacité de l’autre" (n .13).
Il s’agit d’une intuition, liée à sa faculté physique de donner la vie,
qui l’oriente vers la croissance et la protection de l’autre. C’est
"le génie de la femme" qui lui permet d’acquérir tôt maturité,
sens de responsabilité, respect du concret, résistance dans l’adversité.
Ce bagage de vertus pousse les femmes à être activement présentes dans
la famille et dans la société avec la proposition de solutions
innovatrices aux problèmes économiques et sociaux.
Radio Vatican : Comment la femme
peut-elle concilier le travail et son rôle dans la famille ?
Mgr Amato : Il s’agit d’un problème important.
La société devrait mettre adéquatement en valeur le travail de la femme
dans la famille, et dans l’éducation des enfants, en en reconnaissant la
valeur au niveau social et économique.
Radio Vatican : Comment se présente
aujourd’hui l’apport de la femme à la vie de l’Eglise ?
Mgr Amato : Dans l’Eglise, le signe de la
femme est plus que jamais central et fécond. Depuis ses débuts, l’Eglise
s’est considérée comme une communauté liée au Christ par une relation
d’amour. En cela, l’Eglise, Epouse du Christ, a toujours vu en Marie sa
Mère et son modèle. D’elle, elle apprend certains comportements
fondamentaux comme l’accueil dans la foi de la Parole de Dieu et la
connaissance profonde de l’intimité avec Jésus et de son amour
miséricordieux. La référence à Marie, avec ses dispositions à l’écoute,
l’accueil, l’humilité, la fidélité, la louange et l’attente, situe
l’Eglise dans la continuité de l’histoire spirituelle d’Israël. Ces
attitudes sont communes à tous les baptisés. Mais de fait, c’est une
caractéristique de la femme de les vivre avec une intensité et un
naturel particulier. Aussi la femme a-t-elle dans l’Eglise un rôle de la
plus grande importance, en devenant pour tous les chrétiens un témoin et
un modèle de la façon dont l’Epouse doit répondre à l’amour de l’Epoux
(n. 16). Et ainsi, elle contribue de façon unique, à manifester le
visage de l’Eglise comme mère des croyants.
Radio Vatican : Un mot en
conclusion?
Mgr Amato : Les mots de conclusion sont au
nombre de deux : redécouverte et conversion. Redécouverte de la
commune dignité de l’homme et de la femme, dans la reconnaissance
réciproque et dans la collaboration. Conversion de la part de l’homme et
de la femme à leur identité originelle, d’"image de Dieu", chacun selon
la grâce qui lui est propre.
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