UN ordre moral mondial ... UNE nouvelle religion dogmatique ...

Dossiers :Ensembles humains  Mondialisme  Chantal Delsol

Présentation:

Cet article est un large extrait de l' ouvrage de Chantal Delsol, .Philosophe, professeur à l'université de Marne-la-Vallée, qui signe La Grande Méprise. Justice internationale, gouvernement mondial, guerre juste... qui sort ce jour (le 24 septembre 2004)aux éditions de La Table ronde (coll. «Contretemps», 18 euros, 174 p.).

Extraits: 

Dans l'effondrement des espoirs terrestres et des visions du monde, la morale devient le substitut des idéologies et des Etats coupables. ...... Pour le combat des droits de l'homme comme pour celui des idéologies défuntes, l'adversaire est coupable, non plus ici en raison de son appartenance à une race ou à une classe, mais en raison de son immoralité......... Comme autrefois les jacobins, nous avons commencé à instrumentaliser la morale pour en faire un outil politique. Ce qui est la plus grave des erreurs.....Pour briser des souverainetés, il instaure un monopole qui équivaut à une souveraineté surplombante....

il n'est pas bon que toute la puissance gise dans une seule main, car cette main tremble toujours, et si le pouvoir corrompt, comme on sait, le pouvoir absolu corrompt absolument....

....La vie de l'homme a perdu son sens parce qu'elle est devenue elle-même le sens.

en io-relation ....

ONU, Tribunal Pénal International, État, totalitarisme, monopole,droits de l'homme, Derrida, ensemble-ENUN état voyou, bouc émissaire, René Girard, ensemble-HOMENTRANCHE, ...UN et multiple, ensembles-homocoques ... pouvoir, souveraineté ... corruption  ...

Le régime de la Pentecôte ...opposé à  Babel .

Existe-t-il une civilisation universelle ?

les francs-macs à l'Elysée

la laïcité ...

Comment naît ... tabou ....

 

 

 

«La Grande Méprise»

La naissance d'une religion dogmatique
 

Auteur: Chantal Delsol*

Source: Le Figaro le 24.09.04

 Dans son livre, «La Grande Méprise», la philosophe met à nu les contradictions de l'«ordre moral mondial»

La volonté d'instaurer des autorités mondiales, chargées de juger et de punir, répond à la monstruosité et à la perversion extrême de certains Etats. Les idéologies avaient confié à la politique le soin de régénérer l'humanité et, au lieu de cela, la politique l'a terrorisée et détruite. Des Etats, chargés de veiller sur le bien commun, ont utilisé leur puissance pour écraser les populations laissées à leur soin. Devant la perversion des politiques, c'est la morale qui prend le dessus et veut s'attribuer le gouvernement des hommes. La morale vise à prendre la place de l'État, à s'attribuer son autorité et sa légitimité à juger et à punir. La justice internationale efface la limite entre le droit et la morale. Elle instaure un ordre moral mondial.
 

Dans l'effondrement des espoirs terrestres et des visions du monde, la morale devient le substitut des idéologies et des Etats coupables. Elle exige le statut du politique, qu'elle prétend surplomber parce qu'elle s'établit sur sa perversion. Elle emprunte la forme caractéristique des idéologies qu'elle remplace, et dont elle représente le prolongement. Pour le combat des droits de l'homme comme pour celui des idéologies défuntes, l'adversaire est coupable, non plus ici en raison de son appartenance à une race ou à une classe, mais en raison de son immoralité. Aussi la guerre accomplie au nom des droits de l'homme n'a-t-elle rien à voir avec les anciennes guerres de territoires ou de puissance : elle s'apparente plutôt aux guerres de religion et aux guerres idéologiques, qui traquaient des coupables davantage que des ennemis de clan.

D'où sa volonté non seulement de juger les criminels, mais de leur arracher une repentance, de les contraindre à l'aveu, phénomènes observables historiquement dans les guerres inquisitoriales comme dans les combats idéologiques. (...)
 

La justice internationale, pour cette raison, peine à organiser des procès véritablement démocratiques. Le procès démocratique met en jeu la difficulté à établir la culpabilité, c'est pourquoi il exprime un débat entre les parties adverses, et l'on ne peut jamais savoir, au début, si l'accusé sera déclaré ou non coupable. C'est dans les procès inquisitoriaux et totalitaires que l'accusé se trouve coupable avant le jugement : «Non, non, dit la Reine dans le procès du valet de coeur chez Lewis Carroll : la sentence d'abord, la délibération après !» – ou encore, chez Kafka, dans La Colonie pénitentiaire : «Le principe en vertu duquel je prononce est que la faute est toujours hors de doute. Les autres tribunaux ne peuvent appliquer ce principe, car ils jugent à plusieurs et ont toujours d'autres cours plus importantes au-dessus d'eux. Ici ce n'est pas le cas.» (...)
 

Si la justice internationale a tant de mal à entrer dans le cadre démocratique, c'est parce qu'elle est le tribunal de la morale davantage que du droit. Quoique le droit soit inspiré par la morale, il représente cependant une médiation entre la morale et le pouvoir, et il atténue par ses nuances et ses débats la grande violence du pouvoir qui veut juger directement au nom de la morale. Seul le droit jette le doute et tergiverse, laissant voir que le monde est gris plutôt que blanc et noir. La conquête démocratique répond à la volonté d'instaurer le droit entre la morale et le gouvernant.
 

Il est assez paradoxal de la part des Européens d'ironiser comme ils le font sur le manichéisme des Etats-Unis. Les discours vengeurs de George Bush contre l'«axe du Mal» peuvent faire sourire ou jeter l'alarme devant un simplisme provocateur et mal placé. Cependant nous faisons preuve du simplisme lorsque nous identifions Milosevic, Hitler et Berlusconi à Mussolini.
 

Ici aussi, les Etats sont en cours de répartition entre «Etats voyous» et «Etats vertueux», ainsi que les différents programmes de gouvernements, comme l'indique Alain Lipietz (1) : «Si l'on essaie de réaliser ce programme vertueux de manière isolée, est-ce que le «vice» – c'est-à-dire l'ensemble des acteurs qui refusent cet impératif – ne va pas triompher, dans un monde globalisé et sans règle du jeu, par le biais de la libre concurrence ? Comment, dans ce contexte, essayer de protéger la vertu et de contenir le vice ?» Le programme vertueux de l'auteur se traduit ainsi : «augmentation du niveau de vie et du temps libre pour tous.» Cette version morale des choses, caractéristique des âges prémodernes, s'affiche aujourd'hui comme si les Lumières n'avaient jamais existé : c'est une régression en termes de civilisation. Dans ce cadre, en Europe, la Serbie, l'Autriche et l'Italie sont des Etats voyous. Une mise en garde a été adressée à la Hongrie au moment des élections d'avril 2002 : elle serait devenue un Etat immoral si le parti d'extrême droite avait fait l'appoint pour l'élection de Victor Orban. Et ainsi de suite.
 

Cette impassible certitude avec laquelle nous distribuons les bons et les mauvais points marque à quel degré le pluralisme des jugements et des attitudes, le sens de la nuance, l'hésitation civilisée devant le difficile verdict de la morale pratique, sont en train de nous quitter. Comme autrefois les jacobins, nous avons commencé à instrumentaliser la morale pour en faire un outil politique. Ce qui est la plus grave des erreurs. Nul n'a jamais le droit de faire la morale à d'autres, à moins qu'il ne soit éducateur ou directeur de conscience. (...)
 

En d'autres époques de l'histoire les Européens ont décrété que comptait seule la puissance, et aujourd'hui, la morale. (...) Le désir de monopoliser le jugement est une tendance naturelle aux peuples anciens, un réflexe tribal d'avant la connaissance des autres. (...) Le désir d'instaurer un tribunal mondial et plus loin un gouvernement mondial répond à la nécessité de briser la puissance des gouvernements particuliers, en cas de crimes d'Etat. Il s'agit là d'inventer une instance de pouvoir capable de remettre en cause des pouvoirs souverains, en principe indépendants. Et, donc, de remettre en question le caractère souverain du pouvoir politique, de lui indiquer qu'il n'est pas seul au monde, qu'il a des comptes à rendre. Qui récuserait le bien-fondé de ce projet ? Et pourtant, c'est un projet contradictoire. Pour briser des souverainetés, il instaure un monopole qui équivaut à une souveraineté surplombante. Qui viendra au secours de ceux que les instances mondiales pourraient persécuter ? Imagine-t-on que ces instances seront «toujours bonnes» à l'instar du gouvernant de Platon ?
 

Les mêmes, d'ailleurs, qui réclament des instances pénales mondiales s'inquiètent de l'ampleur de la puissance américaine, dorénavant capable de régenter le monde. Leur inquiétude est légitime : il n'est pas bon que toute la puissance gise dans une seule main, car cette main tremble toujours, et si le pouvoir corrompt, comme on sait, le pouvoir absolu corrompt absolument. C'est bien parce que tout monopole est voué, dans le monde humain, à la perversion, que les Européens se sont toujours acharnés à diviser le pouvoir sur lui-même et seule la diversité a permis, non pas d'éviter les catastrophes, mais au moins d'en entraver la marche autant que possible. Si un monde libre n'avait pas existé en face d'eux, le nazisme et le communisme seraient probablement toujours là, à moins que l'un n'ait mangé l'autre, ce qui ne serait pas une consolation.
 

L'aspiration à la justice internationale indique un déni de la modernité au sens où celle-ci doute et relativise ses propres certitudes. Peut-être rend-elle compte d'une sorte de retour à la case départ. Comment cela, puisqu'il s'agit de l'idée considérée comme la plus innovante, la plus progressiste, un aboutissement des rêves historiques (...) La justice internationale juge des crimes hors la politique et la loi positive, hors la culture et la coutume. Elle juge les crimes en soi, dans l'indifférence de l'histoire et de la géographie. Par sa vision de la racine des normes, elle n'a rien à envier à une Eglise. Elle prétend pouvoir imposer ses normes parce que, précisément, ce ne sont pas les siennes : elle les a découvertes dans le sol profond d'une nature considérée comme un état. Elle ne les impose pas. Ces normes s'imposent d'elles-mêmes. Dit-elle.
 

L'aspiration à la justice internationale raconte la naissance d'une nouvelle religion dogmatique, sa naissance, son implantation et sa montée en puissance. (...) La justice internationale en appelle à un consensus de la répugnance, et c'est bien pourquoi elle ne parvient pas à désigner nettement les excès haïssables qu'elle se donne pour but de punir : la monstruosité des crimes dépend de la force d'indignation des spectateurs historiques. Si la désignation des crimes intolérables n'était pas tant liée à la subjectivité, comment pourrions-nous expliquer l'indulgence vis-à-vis des crimes communistes ?

 

(voilà le système René Girard qui apparaît nettement...boucs émissaires pour retrouver l'unité... Naissance d'une religion...)
 

Mais le contenu des normes dogmatiques a été également transformé. La différence entre l'ancien essentialisme religieux et celui des droits de l'homme se trouve dans le contenu et la propriété du naturel. Ce qui est «évident de soi» n'a plus la même définition. Les normes dont aucune raison ne saurait se défaire ne possèdent plus le même contenu. Il s'est produit à cet égard ce que Robert Spaemann appelait une «inversion de la téléologie», au sens où les valeurs autrefois distanciées de l'individu ont été intériorisées. Spaemann trouvait chez Campanella, notamment, la racine précurseur non pas d'une abolition des finalités mais de leur renversement de l'extérieur vers l'intérieur. Cette nouvelle ontologie, qu'il qualifie d'«ontologie bourgeoise», correspond à ce qu'on nomme aujourd'hui la perte du sens de la vie. La vie de l'homme a perdu son sens parce qu'elle est devenue elle-même le sens. Il n'existe plus de visée ni d'élan en dehors d'elle. Dans la modernité tardive, la vie biologique de l'individu a acquis le statut de valeur suprême, à laquelle tout idéal, valeur ou idée, doit être sacrifié.
 

Cette inversion trouve déjà des titres de noblesse chez Rousseau, pour ne citer que lui. On la voit apparaître, influente et massive, dans les textes de l'après-Seconde Guerre mondiale : «Sauvons les corps !», s'exclame Camus dans Ni victimes ni bourreaux, en novembre 1946. Devant le terrorisme des grandes idées, les massacres opérés par des héros nantis d'élans suprêmes, «ma conviction est que nous ne pouvons plus avoir raisonnablement l'espoir de tout sauver, mais que nous pouvons nous proposer au moins de sauver les corps, pour que l'avenir demeure possible». (2)
 

Le caractère dogmatique de la justice internationale, quels que soient ses fondements et ses contenus, s'exprime encore à travers la diversité de ceux auxquels elle prétend s'imposer, négligeant les critères de ce que l'on entend par justice, en tout cas, en tant qu'elle est humaine.


(1) Morale et relations internationales, Iris, Paris, 2000, p. 141 et ss.

(2) Gallimard, 1965, Essais, p. 335.


 

 

 

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