Bientôt Noël. Comme chaque année, les chrétiens du monde
entier font mémoire de la naissance du Sauveur. Mais beaucoup d’autres
célèbrent cette fête. Au cœur de l’hiver, ce moment de paix et de
réconciliation parle à tous les hommes – croyants ou non. Le nouveau-né
de la crèche est en quelque sorte devenu le porte-parole de tous les
enfants de la terre. Voilà pourquoi, Noël est aussi la fête de
l’enfance.
S’il est un acquis de la tradition judéo-chrétienne que
la modernité a fait sienne, c’est bien celui-ci : « un enfant est une
valeur en soi – un enfant, c’est sacré ». Bien avant qu’il soit capable
de parler le langage des adultes, le petit d’homme est une personne
inviolable.
Ce socle de toute civilisation humaniste est fragile.
Dans le récit des évangiles, succède à la joie Noël le récit du massacre
d’enfants par le roi Hérode (Matthieu 2, 13-18). Cet épisode tragique
n’est pas sans évoquer la prise d’otages de Beslan en Ossétie du Nord,
le 3 septembre dernier. Le monde en fut saisi d’effroi. Aucune
revendication politique ou autre ne peut justifier que soit versé le
sang des petits.
Un enfant, c’est sacré. Non seulement le petit d’homme
est promesse d’avenir, mais il nous rappelle notre propre passé – le
temps de l’innocence. Blesser l’enfance, c’est abîmer la part
d’innocence qui reste à notre monde. Notre Eglise en est consciente,
même si – jusque dans ses rangs – elle est confrontée avec des personnes
qui ont commis l’irréparable. Notre pays en est également conscient. En
automne 1996, nous étions nombreux à descendre en rue pour le rappeler
par une marche blanche. Cette année, le procès Dutroux en a ravivé la
douloureuse mémoire.
Nous vivons dans un monde dur. Un des symptômes les
plus forts de cela, est le refus de certains adultes à devenir père ou
mère. A cet égard, notre société risque de devenir stérile et de
perdre l’espérance.
Mais tout n’est pas noir dans notre civilisation. Plus
que jamais, beaucoup prennent à cœur la protection de l’enfance et de la
jeunesse. Chez nous, l’enfant a beaucoup de droits : droit à
l’intégrité, à l’éducation, au soin et à l’affection. Quantités
d’enseignants, de travailleurs sociaux, d’auxiliaires de justice et
d’éducateurs se dévouent pour instruire la jeunesse et épauler ceux qui
vivent en décrochage. De par le monde, nous voyons des organisations non
gouvernementales et des communautés de diverses inspirations
philosophiques ou religieuses, lutter pour l’abolition de l’esclavage
économique ou militaire des petits, combattre l’exploitation sexuelle
des mineurs d’âge et militer pour améliorer le sort de l’enfance
handicapée et négligée.
Trop souvent cependant, les lois aveugles du profit
agressent l’enfance. Dans notre société de consommation, les jeunes sont
devenus la cible d’un marketing assidu. Le cartable sera de telle marque
; le sweat-shirt de telle autre ; les souliers porteront l’effigie d’un
héros de la TV et le GSM celui d’un chanteur à la mode. Ceci pèse
lourdement – et parfois trop lourdement – sur le budget des parents.
Pire encore, pareille stratégie commerciale pousse les enfants et
adolescents à sans cesse se comparer avec leurs copains et congénères.
En effet, ils n’ont pas encore acquis la maturité nécessaire pour
prendre recul par rapport à la séduction de la publicité.
Une autre évolution nous préoccupe : l’enfant devient
lui-même davantage un objet de consommation. Ainsi, entend-on nombre
de penseurs, scientifiques ou hommes politiques débattre sur la place
publique du « droit à l’enfant ». En poursuivant pareille
logique, on devrait pouvoir un jour « s’acheter son gosse », en veillant
à sélectionner à l’aide de notre expertise en génétique son sexe, son
caractère et la couleur des cheveux ou des yeux. Mais non, un enfant
n’est pas simplement l’objet du désir des adultes. Il n’est pas un
objet, mais un sujet. Ce n’est pas du « droit à l’enfant », mais du «
droit de l’enfant » qu’il s’agit de traiter.
Les droits de l’enfant ne sont pas que matériels. Il y
a aussi la dimension spirituelle. Nos petits ont besoin qu’on leur
consacre du temps et de l’attention. Combien de parents ne se
reprochent-ils pas trop tard : « Je ne les ai pas vu grandir ? » Plus
grave encore, combien d’enfants ne vivent pas, au sein même de leur
famille, le drame de la maltraitance physique et psychique ?
Qui parle des droits de l’enfant, pense également au
droit à grandir au sein d’une famille équilibrée, stable et aimante,
avec un père et une mère. A cet égard, le taux croissant d’échecs
conjugaux devrait davantage préoccuper nos sociétés. Dans les familles
recomposées, les parents sont en général admirables pour éduquer leurs
enfants, mais souvent la rupture reste une blessure durable. Le coût
social du divorce auprès des enfants n’est pas à sous-estimer.
Oui, nos enfants ont également des droits spirituels.
Ainsi ont-ils droit à une éducation qui laisse place à des valeurs
religieuses ou spirituelles dignes de ce nom, afin de ne pas grandir
sans repères humains et éthiques. A quoi cela sert-il de veiller à ce
que son enfant maîtrise cinq langues étrangères et autant de programmes
informatiques, si on néglige de l’initier à l’alphabet spirituel qui
lui servira de boussole tout au long de sa vie ?
Noël est la fête de l’enfance. Aussi pour les grands. Il
ne s’agit pas pour les adultes de sombrer dans l’infantilisme, mais il
leur faut redécouvrir l’enfant intérieur ; celui qui reste capable
d’émerveillement et de confiance. Jésus disait : « Si vous ne
retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume »
(Matthieu 18, 3). Autrement dit, celui qui n’écoute pas son enfant
intérieur, devient un être cynique et se coupe d’une source profonde de
bonheur.
A tous sans exceptions – aux enfants comme aux grands –
nous souhaitons de vivre ce Noël sous le signe de l’enfance authentique.
Les Evêques de Belgique
20.12.2004