L'Europe de la culture ....

Dossier :Europe

Présentation :  Lors de sa séance du 30 mai 1979, au moment où les partis politiques sollicitaient de toutes parts le soutien des personnalités à l'occasion des élections européennes, Georges Mathieu crut devoir alerter les membres de l'Académie des Beaux-Arts sur l'impérieuse urgence de la France à faire de la dimension spirituelle de la vie l'objet dune préoccupation essentielle et sur le rôle que l'Académie des Beaux-Arts pourrait jouer afin de faire du besoin absolu de culture la base de toute I'activité européenne de production. ... toujours d'actualité.

Extraits :   Ce qui fait aujourd'hui l'Europe, c'est qu'elle est liée fondamentalement - et on le souhaite irrévocablement - à la notion de personne, élaborée à Nicée en 325. C'est à partir de cette même notion que l'Europe doit se faire et non à partir de structures économiques dérisoires

On a commencé par l'économique dans la construction européenne. Ma conception est tout à fait opposée . la culture constitue la base, puis vient le politique, puis l'économique. »

ce qui nous concerne c'est l'envahissement d'un messianisme matériel qui affecte nos moeurs dans ce qu'elles ont de plus profond et de plus quotidien, qui affecte le style de notre société, notre langue, notre morale, notre culture.

résonances :   le mouvement dénoncé par Mathieu n'a fait que s'amplifier... Le réveil ne peut venir du haut... S'il doit venir il ne peut trouver son origine que dans la base. À nous d'agir .... réveillon homocoques.... peut-être la crainte de l'islamisation de l'Europe va-t-elle réveiller l'Europe de la culture.

en io-relation ....  euro, constitution européenne, l'Europe de l'HOMENTRANCHE, entrée de la Turquie,

 

 

 

Intervention sur l'Europe à l'Académie des Beaux-Arts

Auteur: Ja

Source: Agor

Date :  

Après le bonheur d'exposer dans la plus belle et la plus prestigieuse galerie des États-Unis et dans la plus ancienne et la plus grande galerie du Canada, je suis heureux de me retrouver, Messieurs et chers Amis, parmi vous.

Je ne viens pas souvent. Mais je vous aime bien. Une part de mon honneur est ici. Et c'est pourquoi il me peine, étant attentif à l'ordre du jour de nos réunions, de ne pas y avoir vu la trace d'un souci qui à mes yeux devrait être le vôtre, le nôtre : je veux parler de notre rôle, de notre action possible au sein de l'Europe de demain.

Il ne s'agit pas pour nous de faire de la politique, mais de manifester notre présence, notre existence, notre raison d'être, notre alarme, notre refus.

je sais qu'il nous est difficile d'infléchir les politiques de l'État. Nos Ministres ne nous reçoivent pas, ne nous écoutent pas, ne nous répondent pas. Toutefois, en face de fonctionnaires provisoires, nous représentons une force, une tradition -je dirais une élite - qu'il est de notre devoir de mettre au service de la nation, au service de tous les hommes et de toutes les femmes de France et même d'Europe, puisqu'il est avéré que la France - ce fut sa vocation tout au cours des siècles - est par excellence un pays de culture.

Répondant à une enquête dans le journal Le Monde en janvier 1976, je déclarais: « Ce qui fait aujourd'hui l'Europe, c'est qu'elle est liée fondamentalement - et on le souhaite irrévocablement - à la notion de personne, élaborée à Nicée en 325. C'est à partir de cette même notion que l'Europe doit se faire et non à partir de structures économiques dérisoires.

L'Europe que nous souhaitons n'est pas une Europe matérialiste, c'est une Europe sensible et humaine », et j'ajoutais dans la revue Paradoxes en septembre 1978 : « Tant que l'ordre culturel ne l'emportera pas sur les ordres économique et politique, il n'y aura pas de vraie civilisation. »

Devant le vide offert à cette pensée solitaire, rien ne pouvait me conforter davantage que les propos du Président de la République grecque, le Président Constantin Tsatsos répondant fin avril à Jean-Marie Benoist : « On a commencé par l'économique dans la construction européenne. Ma conception est tout à fait opposée . la culture constitue la base, puis vient le politique, puis l'économique. »

Quelle leçon, Messieurs, pour les hommes politiques de France que cette attitude du Premier des Grecs, alors que son pays est le dernier à entrer dans la communauté ! Quelle leçon aussi pour tous les autres pays ! Comme le dit Le Roy Ladurie: « Quand la Grèce entre en Europe ce n'est pas seulement de l'huile d'olive et des raisins secs, c'est Eschyle, c'est Platon » Cela est vrai, mais ce qui est plus vrai encore, c'est que notre culture à nous est vivante. Elle ne s'est pas arrêtée à Platon, et c'est pourquoi un certain nombre d'esprits - peu nombreux il est vrai - s'insurgent devant la carence des politiques à l'égard de la conscience culturelle de notre continent.

je ne sais si sont fondées les craintes de ceux qui ne veulent voir dans la future Europe confédérale qu'un prolongement économique et politique des États-Unis. Cela ne nous concerne pas ici. Mais ce qui nous concerne c'est l'envahissement d'un messianisme matériel qui affecte nos moeurs dans ce qu'elles ont de plus profond et de plus quotidien, qui affecte le style de notre société, notre langue, notre morale, notre culture. Il s'agit aussi de tout le climat de technocratie sociale et économique qui depuis quelques années s'empare partout de la vie publique et de l'administration. Pierre Emmanuel dénonçait récemment cet état de fait : « La multiplication des colloques internationaux n'est pas l'effet d'une mode, c'est la mise en place de l'instrument d'élaboration d'un système universel. Ces colloques réunissent tout ce qui compte dans la société de production en vue d'une réflexion sur ses pratiques. Il n'y est jamais parlé de valeurs et l'on n'y rencontre ni artistes, ni philosophes, ni théologiens, tous supposés incompétents. » « Au demeurant », ajoutait-il, « l'activité culturelle, regardée comme un simple reflet de la sphère de production, est passée aux mains d'administrateurs qui en font une annexe de la politique ».

C'est contre cette Europe qu'il faut agir. Cette Europe qui oublie que la finalité humaine c'est la culture. Cette Europe qui a relégué au second Plan la notion du progrès de l'homme par la valeur presque mythique conférée au progrès économique. Cette Europe, où l'accroissement de la richesse matérielle apparaît aux gouvernants et à beaucoup de gouvernés, comme l'objectif suprême et le fondement du bonheur universel.

Je le dis tout net: « Il ne peut y avoir de politique européenne en dehors de la recherche et du maintien de la primauté spirituelle et culturelle de la France en Europe. »

Mais où donc est la présence du monde de l'art et des lettres, de la pensée et des sciences sur les listes des quatre formations majeures qui engagent à elles seules, le destin de la France ?

Je n'ai trouvé que 4 représentants de l'esprit sur 324 noms ! N'est-ce pas éloquent ?

Oui, il me peine de ne voir sourdre, non plus, aucune initiative de nos confrères de l' Académie française, lorsque la culture ou la langue sont en danger. Seul, Pierre Emmanuel - encore lui - s'est insurgé contre la confirmation de la suprématie de la langue anglaise voulue récemment par notre Ministre de l'Éducation, Beullac.

Il me peine, aussi, - vous l'avouerais-je - de ne voir jamais nos efforts conjugués - péchant par la même absence d'osmose et de concertation que celle de nos ministères - alors que nous siégeons sous la même coupole, alors que nous appartenons au même Institut.

Oui, il me peine, d'avoir entendu il y a quelques semaines M. Paul Germain, notre confrère de l'Académie des Sciences, souligner de son côté, avec amertume, que depuis que le pouvoir s'est mêlé de l'avenir scientifique, l'accent autrefois mis sur la recherche fondamentale, est orienté désormais vers les applications pratiques, créant une crise de la culture qui dépasse le problème des connaissances.

Et il me peine d'être seul ici avec M. Georges Auric à m'inquiéter de voir s'élaborer une Europe sans âme et seul avec lui à lancer un appel en faveur d'une « Union européenne pour la Culture ».

Certes, le silence des hommes de pensée sur l'Europe ne met pas en question la validité de leur pensée et de leur sensibilité. Elle met en question la validité de l'Europe que l'on nous fait, que l'on va nous faire.

Comment l'Académie des Beaux-Arts peut-elle rester à l'écart d'une entreprise qui va engager autant la vie de l'esprit que la vie matérielle de 185 millions d'hommes ? Comment l'Institut tout entier qui rassemble tout ce que la France compte de savoir et de dons, d'intelligence sensible et de sagesse peutil être indifférent à l'évolution qui va se faire sous nos yeux, menaçant notre langue, nos goûts, nos moeurs ?

Enfin oui. Il me peine de voir notre assemblée toujours plus vivement orientée vers la défense du patrimoine, vers le maintien de la tradition, en un mot vers le passé, et montrer moins d'enthousiasme pour les actions qui engagent l'avenir et le construisent.

Notre vocation n'est-elle pas double ?

A l'inverse des fonctionnaires et des parlementaires de Bruxelles et de Strasbourg, nous sommes presque tous ici des créateurs, ne l'oublions pas. Il nous appartient de prendre des initiatives, d'élaborer des projets, en un mot de promouvoir. La civilisation de demain résultera de nos oeuvres certes, mais aussi de nos actes. Il y va de notre honneur de signifier par quelque façon et quelque forme que ce soit, notre refus des conditions de vie qui se préparent pour demain. Ne nous laissons pas réduire à la seule dimension économique. Le discrédit jeté sur ce qui accentue la souveraineté des nations risque de ruiner la souveraineté culturelle et singulièrement celle de la France. Ne nous laissons ni égaliser, ni homogénéiser ni uniformiser, ni quantifier. Ne devenons pas le Québec de l'Europe ! Encore que ce Québec aujourd'hui se réveille et affirme plus que jamais son identité en face du monde anglo-saxon qui tentait de le cerner.

Montrons à l'ancien Chancelier Willy Brandt qui traite les Français de « chiens endormis », que les membres de l'Académie des Beaux-Arts sont non seulement vigilants et réveillés, mais qu'ils sont aussi prêts à mordre et... de grâce, Messieurs, ne retombez pas tout à l'heure trop vite dans le passé avec l'Histoire et même la Préhistoire... de nos Musées et de nos monuments... fussent-ils français !

Discours prononcé à l'Académie des Beaux-Arts le mercredi 30 mai 1979

 

 

 

texte hébergé en  01/05

 

 

 

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 voir " Eclats de Coq(ue)s antérieurs" auquel ce document était joint

 

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