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Etats-Unis et Europe : le choc ....entre deux
conceptions différentes de la civilisation
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Dossier :Le monde civilisation |
Présentation :
article très clair et qui reprend bien ce qui oppose l'HOMENTRANCHE
européen et mondialiste à homocoques des USA ... voir à ce propos les
autres articles sous ...Le monde
Extraits :
Ainsi,
alors qu’en Europe se développent plusieurs théories concurrentes
visant à installer un projet de société normative et prétendument
valable pour toute l’humanité, l’Amérique reste fidèle à l’idée d’une
nécessaire cohabitation entre plusieurs modes de vies. Ce qui sera
d’ailleurs inscrit dans les libertés fondamentales. ....Pour la
plupart des habitants de cette planète, ni la naissance ni la mort ne
nous appartiennent, ce qui est une preuve suffisante pour savoir que
nous ne pouvons pas définir la vie par nos propres moyens. La
transcendance est considérée comme une évidence.
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Etats-Unis et Europe : le choc entre deux conceptions
différentes de la civilisation
Auteur:
Cédric Pialoux
Source:
http://www.checkpoint-online.ch/CheckPoint/Forum/For0091-ChocConceptionCivilisation.html
Date :
10 janvier 2005
Les élections américaines ont rendu évidentes le
décalage religieux entre les deux moitiés de l’Occident, c’est devenu
une banalité que le dire. Mais ce décalage a toujours existé. Comment
se fait-il qu’il ressurgisse aussi violemment à l’occasion des
évènements actuels ?
Ceux-ci étant en train de bouleverser l’ancien ordre
mondial, l’intérêt manifesté par la presse pour la société américaine
est donc légitime. Mais ce qu’elle dit de ce pays relève surtout de
l’angoisse et de l’incompréhension, voire du mépris. Si les Etats-Unis
sont la puissance dominante du moment, la presse dispose aussi d’une
véritable puissance et peut par sa façon de présenter un évènement ou
une population modifier la perception que nous en avons. Elle est
aussi révélatrice des opinions et de l’état d’esprit d’un peuple. En
démocratie, la qualité des médias rentre donc de plain pied dans les
questions stratégiques. Il devient de notre intérêt d’étudier l’art et
la manière dont ils traitent les questions cruciales pour notre
avenir.
«...
Le vrai fossé entre les deux rives de l'Atlantique tient à une
conception de l'histoire et de la vie qui est différente, et qui
influence notre vision du monde et de son avenir. »
Les deux derniers siècles ont vu naître et se
développer la presse d’information, qui révèle par son attitude les
choix politiques et philosophiques fondamentaux qui furent ceux des
Européens par le passé. Dés le XVIIIeme siècle, elle fut actrice des
changements de société et un instrument politique majeur. Toutefois,
la presse aujourd’hui est bien différente de celle qui régna jusqu’à
la deuxième guerre mondiale, et son unanimité actuelle face aux
Etats-Unis tranche avec la multitude d’opinions contradictoires
qu’elle exprimait autrefois.
Cela traduit sans doute de profonds changements
survenus au cour du temps. Mais pour que cette unanimité soit acceptée
par la population, il faut que ce soit la société elle-même qui ait
changé. Par exemple, l’absence d’intérêt pour la question religieuse
est révélatrice de l’aboutissement d’un processus, dont le journalisme
est autant le témoin que l’acteur. C’est ce processus que nous allons
essayer de comprendre dans les lignes qui suivent.
Les médias
et l’Amérique
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Les reportages de télévision et les articles des
hebdomadaires et mensuels traitants régulièrement de faits de société
aux Etats-Unis ont tous un point commun : la hauteur de vue que le
journaliste se donne par rapport aux avis des Américains qu’il
consulte. A de rares exceptions près, la façon de vivre ou de penser
de l’autochtone est déconsidérée, voir sans valeur propre. La thèse
est systématiquement posée avant le recueil des témoignages ou les
prises de vue d’un évènement. Il est curieux de voir que cette façon
de faire, qui serait déontologiquement refusée par les rédactions
s’agissant d’un pays africain ou asiatique, passe pour normale
s’agissant du peuple américain.
Ainsi, leur goût pour les sports automobiles
spectaculaires et les couleurs criardes, la disneylandisation de
l’histoire à travers le cinéma et la télévision sont censés être
révélateur de leur état d’esprit. Ce qu’ils réalisent de plus
spectaculaire et ludique est présenté comme caractéristique de leur
mentalité. Dans cette perspective, le « rêve américain » ne serait-il
pas celui d’un enfant égaré dans l’âge de raison ? La violence des
films, une projection du monde des jeux de rôle, guerriers et
policiers, des enfants ? Et l’économie, l’agressivité commerciale ne
serait-elle pas elle aussi un rêve de richesse à la Picsou ? Et ces
millions de pauvres, de gens vivant en dessous du seuil de pauvreté,
ces quartiers ruinés et ces ghettos ou s’entassent noirs et
hispaniques dans la plus grande misère ne seraient-ils pas victimes de
cet égoïsme et de cette indifférence propres au monde des enfants ?
Pire encore, en matière de religion, on ne voit
qu’engouement pour des prêcheurs hystériques dont certains prétendent
guérir les moribonds par… l’apposition des mains ! « Une foi de
Disneyland ! » est obligé de se dire l’Européen moyen de ce début de
millénaire. Par déduction, la plupart des gens ont pris l’habitude de
considérer les Américains comme un peuple dont la mentalité et les
croyances se seraient attardées à un stade infantile et simpliste.
Cette façon de présenter des éléments réels – mais
secondaires – comme principaux, et de sortir de leur contexte des
exemples étrangers à notre culture européenne, est devenue la norme.
Pourquoi ? Les réponses sont sans doute nombreuses et il est
impossible ici de les étudier toutes, mais nous pourrions considérer
que la principale est peut-être celle-ci : la plupart des journalistes
ont, au XXeme siècle, fait les choix philosophiques inverses de ceux
qui caractérisent la société américaine. Les différentes formes de
socialisme, révolutionnaire ou réformiste, ont conquis la majorité des
rédactions et sont aujourd’hui devenues extrêmement influentes. Les
milieux journalistiques français furent en plus marqués par le
gaullisme, et sa conception de la troisième voie, ni vraiment
capitaliste, ni vraiment socialiste, et très nationaliste.
La chute de l’URSS et le ralliement d’une majorité de
journalistes à un capitalisme mondial critiqué mais non plus combattu
(même les mouvements anarchistes sont devenus des altermondialistes !)
a montré, entre autres, que la doctrine politique était moins
importante que l’idéologie de fond. Le rejet de l’Amérique n’est pas
seulement politique, il reflète une incompréhension générale portant
sur la forme même de la vie en société et qui s’est visiblement
inscrite dans les mentalités. Ceci explique la bienveillance générale
dont bénéficie l’aile gauche du parti démocrate, dont les conceptions
sont plus proches de la sociale démocratie, qui est devenue dans
l’Union Européenne la norme politique. Mais le fait que cette aile
gauche soit très minoritaire pose plus de difficultés qu’il n’en
résout.
Le vrai problème est tout simplement l’éloignement des
mentalités. Les journalistes ne sont pas forcements malveillants de
façon intentionnelle, même si une part de calcul politique peut entrer
en jeu, mais ils ne voient tout simplement pas sur quoi repose la
société américaine et son mode de vie. La caricature est toujours
facilitée par l’incompréhension. Il suffit, pour s’en convaincre, de
relire cette même presse bien intentionnée d’il y a 50 ou 100 ans au
sujet des peuples Africains colonisés et de leurs mœurs.
A travers le prisme des médias, les Européens regardent
donc les Américains vivre chez eux, de manière un peu distante mais
amusée, comme un adulte qui a depuis longtemps dépassé un stade de
compréhension évident et sourit de voir ces grands enfants se débattre
avec des moyens si naïfs et si touchants. Rien d’inquiétant en somme.
Dès lors, que s’est-il réellement passé pour que les doux enfants un
peu brusques, mais si sympathiques, soient présentés désormais comme
les bêtes féroces de l’obscurantisme le plus rétrograde ?
Un premier constat est à faire : de respect pour les
convictions du peuple américain, on peut en chercher en vain dans la
presse. De tentatives de compréhension non plus, tant est élevé
l’orgueil d’une classe journalistique sûre de la justesse de ses
idées. Mais ce mépris a quelque chose de trop violent, trop limpide,
et surtout trop unanime. Il suggère une volonté de cacher quelque
chose qui a toujours marqué le fossé entre l’Amérique et l’Europe, et
qui maintenant ressurgit : les peuples des deux rives de l’Atlantique
n’ont pas vécu la même histoire depuis 1789. Avons-nous vraiment
réfléchi aux conséquences et implications ?
Deux
histoires de la liberté
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Les différences sont devenues trop visibles, et
maintenant nous en avons tous pris conscience. Les mouvements
nihilistes n’ont jamais trouvé aux Etats-Unis l’influence qu’ils
connurent dans une Europe déchirée par une multitude de guerres, les
idées nouvelles n’y ont jamais trouvé de terrains vierges, de
populations traumatisées et déracinées, prêtes à se raccrocher à un
nouvel espoir, à une nouvelle définition de l’homme. De 1789 à 1968,
l’Europe n’a cessé d’être traversée par des mouvements
contradictoires, qui chacun cherchait à renverser les valeurs en
cours, à combattre l’ordre établi, à nier toute légitimité à ses
adversaires pour y substituer un système censé créer un ordre plus
juste.
Toutes ces luttes ont agi, par action ou par réaction,
comme autant de restrictions de l'espace public, de cette agora
immatérielle où la cité débat, seul vrai espace de liberté d’après
l’analyse de Hannah Arendt. Rien de tout cela n’a eu lieu aux
Etats-Unis. La mentalité révolutionnaire est absente du peuple
américain, malgré et peut-être à cause du culte qu’ils vouent à
leur propre révolution – une révolution originaire et fondatrice, et
non rancunière ou destructrice, qui a accouché d’une seule
constitution, amendée mais appliquée depuis plus de deux siècles. A
l’opposé de l’histoire européenne.
Sur le Vieux continent, les mouvements révolutionnaires
ont toujours procédé par élimination intellectuelle de l’ennemi
désigné. Aucun droit de réponse, aucun droit à la parole. C’est
d’ailleurs ce qui frappe le premier jour de la révolution française.
Ce phénomène a continué en s’amplifiant, et les mouvements
contestataires ont cherché des doctrines de plus en plus fatalistes et
radicales, issues de la volonté d’appliquer à la réalité les
spéculations des philosophies matérialistes du XVIIIe siècle.
Celles-ci voulaient créer un monde où l’homme serait débarrassé de
tout devoir à l’égard d’un ordre transcendant, où l’homme, n’obéissant
qu’aux maîtres qu’il se choisit, serait pleinement lui-même.
Leurs adeptes et continuateurs voudront alors remodeler
la société selon ces principes, en abattant un ordre politique et
social considéré comme tyrannique, puisque se légitimant uniquement
par la transcendance du principe qu’il incarne. Face à leurs échecs
politiques répétés, ils se sont de plus en plus structurés, au cours
de XIXe siècle, en idéologies englobantes et implacables. Le
totalitarisme se mettait lentement en place dans les esprits.
Ces mouvements ne furent pourtant jamais vraiment
majoritaires dans les populations, sauf quelques accidents historiques
et parfois dans quelques bastions, mais ils surent, grâce à leur
expérience de la lutte clandestine, admirablement utiliser les règles
écrites ou non écrites de la société qu’ils combattaient. C’est à
partir de leur résistance à la police qu’ils gagnèrent leur réputation
et parvinrent à susciter l’admiration. Ils purent aussi compter sur
des populations d’anciens agriculteurs pauvres et désorientés dans le
nouveau monde des industries, à partir duquel se théorisèrent leurs
programmes politiques.
Ce n’est pas un hasard si les théories socialistes
prétendent libérer les peuples en calquant toutes les activités
économiques et sociales sur celles de l’industrie, alors que c’est la
dureté de la vie ouvrière qui est justement la plus critiquée par les
ouvriers. En effet, ces populations ont perdu les repères coutumiers
auquel leurs systèmes de valeurs se rapportaient, elles recherchent
l’argent et les facilités promises par l’ère industrielle, mais sont
nostalgiques de la sécurité et des certitudes de leur ancien mode de
vie, dépendant essentiellement des cycles de la nature.
Ce que vont proposer les mouvements socialistes, c’est
le maintien des promesses de l’industrialisation avec un projet de
société stable, rassurante, totalisante, où tout est prévisible. Il en
ressortira une grande difficulté à pénétrer les milieux pauvres non
ouvriers, ce qui obligera à un radical changement de tactique, comme
nous le verrons plus loin. Face à un projet de société de progrès et
d’harmonie intégrale, tout opposant ne peut qu’être disqualifié.
Bientôt, au XXe siècle, il sera déshumanisé.
L’Europe
ne perçoit plus son unité historique
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Cette alliance de messianisme matérialiste et de
déterminisme va sortir l’Europe du christianisme en un siècle et demi.
Certes, toutes ses traditions, chrétiennes ou non, ne furent pas
perdues, et il y eut de nombreuses oppositions, mais les applications
politiques concrètes, bien que partielles, ont marqué les mentalités.
Ce qu’avait compris et théorisé quelqu’un comme Gramsci, c’est que
l’esprit révolutionnaire triompherait par le haut, par des gens
d’influence capables de faire passer l’esprit sans forcément la
lettre, souvent trop choquante.
Face à l’impossibilité pratique de mobiliser
suffisamment de monde pour faire advenir le grand soir (en France,
dans les années trente, 70 à 80% des travailleurs sont commerçants,
artisans ou paysans), de nombreux révolutionnaires vont quitter la
violence directe pour devenir instituteurs, professeurs, journalistes
ou écrivains. C’est avec ces nouvelles armes qu’ils vont
s’attaquer à la légitimité des régimes en place, en cherchant à
provoquer un changement de mentalité qui rendra leurs fondements
politiques incompréhensibles. Influencer les écoles, les journaux, et
même les églises, devint un programme de base pour tous les mouvements
totalitaires du XXe siècle. Et si aucune victoire politique définitive
n’est venue concrétiser ces investissements, les conceptions
philosophiques générales, la vision du monde, la psychologie propre à
ces milieux sont restés présents, même partiellement.
Cette façon indirecte de faire la révolution en la
confondant avec le réformisme traditionnel a désarmé la plupart de ses
adversaires, et elle a pu largement se populariser. La vision que les
Européens se font en général de leur histoire a ainsi complètement été
changée. Il n’y a qu’à se souvenir du tollé suscité en Europe par le
terme de « croisade » initialement employé par George W. Bush en
désignant la guerre contre l’islamisme pour sentir l’abîme qui sépare
désormais autant les deux moitiés de l’Occident que l’Europe actuelle
de son propre passé. Ainsi l’Europe pense souvent son histoire de
façon brisée, en opposant des blocs ou des vérités récentes à des
vérités anciennes. Ces dernières sont considérées comme des concepts
dépassés, que l’intelligence moderne a su abandonner au cours de sa
marche.
Il y a là l’étrange application de la théorie
évolutionniste au monde des concepts et de l’intelligence. Ce
n’est pas pour rien si en Europe l’évolutionnisme apparaît plus comme
une doctrine que comme une théorie scientifique. Il semble que les
Européens aient trouvé avec elle la justification théorique à leur
sentiment de supériorité. C’est pour cela qu’ils s’estiment bien
souvent être des exemples universels et se donnent le droit de donner
des leçons aux autres pays. Il est d’ailleurs encore courant de
constater, même dans les milieux tiers-mondistes, une nette confusion
entre développement et occidentalisation. Ce qui est souvent source
d’étonnement pour leurs interlocuteurs.
L’évolutionnisme, beaucoup d’étrangers l’ont constaté,
est une véritable religion en Europe, et cette théorie est appliquée à
tous les domaines. Les Etats-Unis ne connaissent pas cet engouement,
et l’évolutionnisme y est, comme tout concept scientifique, soumis à
la critique. Le point de vue religieux apparaît d’ailleurs comme une
source possible de critique, alors qu’un Européen considèrera le plus
souvent que les concepts de la religion sont dépassés par ceux de
Darwin, et sont donc incapables de se hisser au niveau de la critique.
Pour la plupart des habitants de notre planète, hors d’Europe donc, la
théorie de l’évolution est un concept accepté pour ce qu’il est : la
théorie la plus plausible en l’état actuel de nos connaissances.
Mais nul ne la considère comme une théorie générale de
l’intelligence : la sélection naturelle et l’intelligence, surtout si
l’on y intègre la spiritualité, n’ont rien à voir. Sinon, se plaisent
à dire les Chinois, le monde se serait sinisé bien avant que
l’Occident ne conquière la planète ! Ceci montre bien les différences
qui subsistent dans notre monde et ce qu’une histoire trop
eurocentrique fait perdre de vue. L’évolutionnisme, tel qu’il est
accepté en Europe, nous semble être une question centrale et très
révélatrice, puisqu’il y fait l’objet d’un véritable consensus
politique, philosophique et sociale.
Appliqué ainsi à la raison humaine, il aboutit à se
couper de nos anciennes valeurs et croyances, considérées
nécessairement comme inférieures. Les mouvements des idées nouvelles
ont trouvé là leur principal cheval de bataille, au prix d’une
distorsion du concept qui n’est évidemment pas vécu comme tel
intra-muros. Il est donc très intéressant de constater à quel point
ils ont su influencer les mentalités. De ce fait et malgré les heurts
actuels, ce n’est probablement pas l’Europe qui est intellectuellement
plus proche du monde oriental, mais bien l’Amérique. Les apparences
sont parfois trompeuses.
Pour les Américains, l’histoire n’a jamais été brisée,
aucun héritage refusé, aucune part d’eux-mêmes honnie ou refoulée. Les
populations immigrées ont apporté avec elles leurs cultures, leur foi,
leurs valeurs traditionnelles, sans éprouver le besoin d’en changer.
Même la guerre de sécession fut fondatrice de leur identité après
avoir été destructrice. Les principes de continuité et d’unité sont
restés des modèles intellectuels de base, partagés par l’immense
majorité de la population, toute classe confondue. Les mouvements
révolutionnaires furent présents mais beaucoup moins influents, car il
n’y a jamais eu de monopole de l’information ou de l’éducation sur
lesquels s’appuyer.
La fondation du pays par des immigrés de multiples
origines a rendu obligatoire la cohabitation, tant politiquement que
philosophiquement. De ce fait, les mouvements qui prônent un projet
unique pour toute la société sont beaucoup moins populaires. Ainsi,
alors qu’en Europe se développent plusieurs théories concurrentes
visant à installer un projet de société normative et prétendument
valable pour toute l’humanité, l’Amérique reste fidèle à l’idée d’une
nécessaire cohabitation entre plusieurs modes de vies. Ce qui sera
d’ailleurs inscrit dans les libertés fondamentales.
Voilà pourquoi la spiritualité fait partie de la vie
quotidienne, voilà pourquoi l’espace publique sert à exprimer toutes
ses convictions sans tabous ni fausses pudeurs. Voilà pourquoi surtout
la foi, les croyances religieuses sont vécues dans la vie de tous les
jours. Un chrétien peut chercher à vivre chrétiennement, à conformer
ses actes, ses activités professionnelles même, à sa foi privée, tout
comme un juif, un bouddhiste ou un musulman. L’immigration, fondatrice
de leur identité, a fait le reste, c’est-à-dire la tolérance entre les
religions.
La guerre
civile européenne 1789-1945
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Ce n’est pas eux qui sont devenus différents, c’est
nous qui avons cessé d’être comme eux. Le matérialisme, l’athéisme, le
nihilisme sont différents traumatismes plus ou moins graves propagés
par l’histoire chaotique de l’Europe de ces deux derniers siècles. Les
idéologies révolutionnaires vont en effet trouver un allié de poids
dans les troubles de l’époque, certains étant causés par leurs propres
actions. Les multiples émeutes, guerres civiles et étatiques vont
nourrir le sentiment d’insécurité et d’instabilité générale qui
poussera chacun vers les extrêmes. Les révolutionnaires seront de plus
en plus violents et radicaux, entraînant des phénomènes de repli
culturel et politique chez leurs opposants.
Ceci favorisera les simplifications idéologiques de
part et d’autre plutôt que le raffinement des idées. Toute la société
connaîtra un phénomène de brutalisation des rapports sociaux et de
repli protecteur sur des identités archaïques : ouvriers et paysans
contre bourgeois, progressistes contre réactionnaires, pacifiste
contre militariste, travailleurs contre chômeurs, honnêtes gens contre
vagabonds, amis de l’humanité contre ennemis de l’humanité, etc.
L’enflure du vocabulaire et des positions rendront ces « identités »
de plus en plus imperméables les unes aux autres.
Les attentats anarchistes furent, au cours du dernier
tiers du XIXe siècle et jusqu’à 1914, aussi violents et même plus
fréquents que certains attentats islamistes aujourd’hui. Le terrorisme
était omniprésent. La première guerre mondiale provoqua à son tour une
déshumanisation effroyable et traumatisa la paysannerie, de loin la
population la plus stable et la plus traditionnelle d’Europe. Au
sortir de la guerre, les Américains étaient plus unis que jamais alors
que l’Europe se divisait toujours plus. Ce mélange de peur, de
brutalisation sociale et politique, de recul des valeurs et croyances
traditionnelles va déboucher sur ce chaos que fut la période
1917-1945, magistralement interprété par Nolte dans La guerre civile
européenne.
Les mouvements révolutionnaires n’arrivant pas à
conquérir de bastions populaires suffisants aux Etats-Unis, le pays va
traverser la période dans une réelle unité que la crise de 1929
n’attaquera pas, au contraire de l’autre rive de l’atlantique. La paix
à partir de 1945 sera l’occasion d’un renforcement considérable de la
puissance et de la richesse. Le vieux continent, lui, restera
traumatisé et développera une phobie de la guerre qui dure encore
aujourd’hui, tout en légitimant les doctrines philosophiques
révolutionnaires qui l’ont poussé vers l’abîme. Ceci permettra leur
assagissement progressif (à ce titre, mai 68 apparaît en France comme
leur dernière convulsion) mais évitera de poser les questions de fond.
Grâce à cela, elles vont rentrer dans le paysage
culturel et éducatif courant et pouvoir influencer plus efficacement
les mentalités. C’est pourquoi ces philosophies révolutionnaires,
débarrassées des dangers inhérents à la pratique de la violence
révolutionnaire, vont s’étendre et marquer de leur empreinte la
mentalité européenne. Les conceptions matérialistes et antireligieuses
vont pouvoir se diffuser au grand jour, sans opposition officielle ni
même sociale, puisque auréolées de la victoire récente sur le
fascisme.
C’est donc bien une nouvelle vision du monde portée par
l’application d’une stratégie délibérée qui a refaçonné la mentalité
européenne, et elle seule.
Conclusion
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Nous l’oublions souvent, mais seul le vieux continent
considère comme positives ces philosophies révolutionnaires. Pour la
plupart des habitants de cette planète, ni la naissance ni la mort ne
nous appartiennent, ce qui est une preuve suffisante pour savoir que
nous ne pouvons pas définir la vie par nos propres moyens. La
transcendance est considérée comme une évidence. Tous ceux qui ont
voyagé ont pu le constater. Même ceux qui se proclament marxistes, en
dehors de l’Occident, croient le plus souvent en une religion ou au
moins en une transcendance.
Pourquoi ces doctrines anti-traditionnelles courantes
chez nous sont-elles une exception partout ailleurs ? Cela tient peut
être à la nature interne des catastrophes qui ont touché l’Europe.
Celles-ci trouvent leurs causes dans une volonté de rupture avec un
ordre ancien, présenté comme tyrannique car toujours trop imprégné de
religion. L’Europe à ainsi été le théâtre d’une opposition frontale
entre un rationalisme qui prétend se libérer des concepts dont il
n’est pas à l’origine, et les conservateurs d’un ordre rationnel ou la
métaphysique a sa part.
La fusion entre progressisme et évolutionnisme va
nécessairement mener à la certitude d’être parvenu au sommet de
l’évolution culturelle et politique de l’humanité, si éloignée du
pragmatisme et du relativisme culturel manifesté par les autres
peuples, tant américains qu’asiatiques. En même temps, la
généralisation de la vision révolutionnaire de l’histoire, par
l’intermédiaire de l’école et de la presse, va couper les populations
de leur passé, discréditant l’œuvre des ancêtres dont nous sommes
pourtant les descendants et les obligés.
La liberté va ainsi être définie comme un rejet de tout
ce qui se prétend d’une origine supérieure à l’homme : Dieu, la
morale, les tabous, les convenances sociales, qui sont rabaissés à un
rang strictement superficiel et utilitaire. Une immense majorité de la
classe politique américaine, autant que de la population, a quant à
elle conservé le respect de ces vieux principes, et elle les intègre
même dans la définition courante de la liberté, les considérant comme
inséparables d’une vie réussie.
A l’opposé, une majorité d’Européens, surtout parmi les
jeunes générations, ne perçoit plus ce qui la lie intimement au passé,
les racines de notre histoire étant imprégnées de religieux. La notion
d’héritage s’affaisse alors nécessairement elle aussi, et c’est la
notion même de stratégie qui devient de moins en moins compréhensible.
Ainsi beaucoup d’Européens n’ont tout simplement plus la grille de
lecture nécessaire pour comprendre les actions politiques et
militaires entreprises par l’Amérique depuis le 11 septembre.
Le vrai fossé entre les deux rives de l’Atlantique
tient à une conception de l’histoire mais aussi de la vie qui est
différente et qui influence notre vision du monde et de son avenir.
Nous avons évolué sous le poids de notre passé et intégré des idées
nouvelles qui semblent bien inutiles à la plupart des Américains comme
des autres peuples. Cette histoire nous rend-elle supérieurs et nous
donne-t-elle un point de vue plus juste sur les évènements ?
Il ne nous appartient pas d’y répondre.
Cédric Pialoux
texte hébergé
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..... entendu lors d'une émission radiophonique : " Les
européens ont des questions .... les américains des réponses. " |
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