Ce que disent les Français ...par Ivan Rioufol

Dossier :

 Document en cours de traitement

Présentation :  m

Extraits :   m

en zo-relation ....  mmm

 

 

 

n

Auteur: Ivan Rioufol

Source: Agor

Date :  

Le bloc-notes d'Ivan Rioufol

irioufol@lefigaro.fr

[03 juin 2005]

Ce que disent les Français

Le non oblige les élites – qui ne sont plus des exemples – à ouvrir enfin les yeux sur l'état de la nation. Et le choc s'annonce rude, pour ceux qui auront refusé de regarder vivre les Français, malgré leur premier avertissement du 21 avril 2002. Dans le grand déballage qui s'amorce depuis dimanche, apparaissent des réalités brutales. Celle-ci, par exemple : ceux qui ont refusé le traité estimeraient à 67% qu'il y a trop d'étrangers en France (1). Ainsi parlent, notamment à gauche, des électeurs exaspérés. Inutile de les diaboliser encore : il va falloir les écouter.

«Seuls les monstres peuvent se permettre de voir les choses telles qu'elles sont», disait Cioran. En dévoilant rudement les blessures de la France, les vilains nonistes n'ont pas fini d'effrayer la bien-pensance. Mais la droite n'a pas à redouter ces rustres : ils viennent déjà de réhabiliter la démocratie, la souveraineté populaire et l'État-nation. Alors que Neuilly (Hauts-de-Seine) a voté oui à 82,51% et Drancy (Seine-Saint-Denis) non à 72,95%, cette fracture peut sans doute se réduire autour de nouvelles valeurs communes.

Le poids des évidences – chômage persistant, appauvrissement du pays, malaise identitaire – impose l'épreuve de vérité. Elle oblige le monde politique à admettre ses aveuglements. Pourquoi n'a-t-il pas bronché lorsque la commission Barroso a annoncé, dans son livre vert du 11 janvier 2005, que «des flux d'immigration plus soutenus pourraient être de plus en plus nécessaires pour couvrir les besoins européens du marché du travail et pour assurer la prospérité de l'Europe» ?

Ce genre de réflexion, née d'une vision multiculturelle et déracinée de l'Europe, illustre le désintérêt des «puissants» pour les peuples, culpabilisés dans leur attachement à leur culture. Le refus massif (61,6%) de la Constitution par les Pays-Bas, mercredi soir, confirme l'analyse : comme les Français, les Hollandais, confrontés à un chômage moindre (6%), ont dit leur opposition à une Union hautaine, supranationale et sans frontières arrêtées. Ces désaveux en annoncent vraisemblablement d'autres, au Danemark et ailleurs.

Les nonistes peuvent aider la France à sortir de son hibernation. En rejetant l'«ancien régime», ses consensus médiatiques et ses raisonnements doctrinaires, ils invitent à la réflexion collective. Une opportunité comprise, dès dimanche soir, par Nicolas Sarkozy : «(Les Français) nous appellent à des remises en cause profondes, rapides et vigoureuses (...) Il faut redonner vie à la préférence communautaire (...) Il faut lutter contre les délocalisations. Il faut organiser une politique d'immigration maîtrisée plutôt que subie.»

Le non veut en finir avec la politique traditionnelle, ses camelotes et ses mots creux. Il ne saurait évidemment se contenter du départ de Jean-Pierre Raffarin, de la nomination de Dominique de Villepin à Matignon et du remaniement ministériel qui conduira à nouveau Sarkozy à l'Intérieur. Le pouvoir désavoué a cru bon de s'en tenir aux échéances présidentielles de 2007. Il va donc devoir rompre lui-même avec son train-train, ses tics et ses tocs. Mais saura-t-il mener sa révolution ?

Libéralisme, le recours

A dire vrai, le diagnostic de la France malade commence mal : ce n'est pas l'antilibéralisme qui a majoritairement gagné, comme le tambourinent les nonistes de gauche. Le refus de l'Europe «trop libérale» aurait motivé 32% des votants (1). La Carmagnole, dansée dimanche soir place de la Bastille à l'appel des altermondialistes, n'a pas fait illusion, avec ses 3 000 participants rameutés. Si le 29 avril a sa part de révolution, elle n'est pas du côté de ceux qui promettent, one more time, le paradis socialiste ou le grand soir. Le bouleversement est à attendre des Français eux-mêmes, qui se sont exprimés au-delà des partis. Ils veulent travailler, s'enrichir, être protégés. Et ils en ont marre.

Mais qui est responsable du chômage installé massivement depuis trente ans, de l'endettement colossal du pays, de l'exil des fortunes et de talents, de la déprime ? Le «modèle social français», issu d'une idéologie de l'économie planifiée de l'après-guerre. Celle dont se réclame la vieille gauche anticapitaliste, qui tente de s'approprier le non et qui hurle devant les réussites de Tony Blair. Or Jacques Chirac, qui s'exprimait mardi soir, n'a pas cherché à mettre ce choix en doute. En se faisant le défenseur du «modèle français» – «Ce n'est pas un modèle de type anglo-saxon mais ce n'est pas non plus un modèle synonyme d'immobilisme» – il a replongé dans la pensée unique.

Cependant, là comme ailleurs, le dogme ne peut plus servir de prétexte pour imposer des politiques inopérantes. «Oui, l'extrême gauche a bien paralysé nos têtes et nos langues», reconnaissait le sénateur socialiste Jean-Marie Bockel, mardi dans Le Figaro, en rappelant les réussites de l'Angleterre, de la Suède et du Danemark qui, «sans faire le choix d'un État providence centralisé et égalitariste», ont fait baisser le chômage, augmenté les salaires et le pouvoir d'achat, amélioré les services publics, lutté contre l'exclusion et la grande pauvreté. Pourquoi faire des épouvantails de ces démonstrations ?

En ayant dit non à leurs représentants, les Français ont montré qu'ils ne répondaient plus aux ordres et qu'ils jugeraient aux résultats. Si des décennies de matraquage sur les bienfaits de l'économie dirigée les ont rendus, pour certains, méfiants devant le capitalisme, il appartient aux hommes politiques et aux médias d'ouvrir, après l'Europe, cet autre débat. Mais les nonistes de gauche, qui auront protesté (avec raison) contre la propagande en faveur de la Constitution, laisseront-ils la libre parole juger sans tabou du bilan du «modèle français» ?

Les convictions de Villepin

La désignation de Dominique de Villepin comme premier ministre est-elle la réponse adéquate ? Certes, son pacifisme et son antibushisme lui valent, depuis le conflit irakien, les faveurs d'une opinion en vogue. Il lui faudra néanmoins mettre en sourdine ses convictions sur l'Europe «plurielle» et les bienfaits que pourrait lui apporter l'Islam : deux sujets qui, à travers les critiques sur l'élargissement sans fin de l'Union et l'entrée de la Turquie, ont participé au rejet du traité.

S'arrêter un instant sur la vision que Villepin a de l'Islam : elle éclaire sa perception du Vieux Continent. Voilà ce qu'il déclarait, le 14 juin 2003, au Sénat : «(...) Les mondes de l'Islam et de l'Occident s'entremêlent. Les cinq millions de musulmans de France nous le montrent : la dimension islamique fait partie intégrante de l'Europe (...) Les musulmans européens, authentiques passeurs de culture, représentent une chance que nos sociétés doivent saisir pour se projeter dans l'avenir. (...) Oui, l'Islam a toute sa place en Europe, d'ores et déjà et davantage encore à l'avenir (...).»

Mais cette ouverture espérée annonce-t-elle l'occidentalisation de l'Islam ou, au contraire, l'islamisation de l'Europe ? Une telle incertitude ne peut se contenter des postures angéliques appelant à «vivre ensemble» et à suivre le «chemin de l'autre», ce catéchisme complaisant. Sur ce dossier aussi, un devoir de lucidité s'impose aux politiques. Il existe dans l'Islam – pourquoi le nier ? – de possibles dérives vers une idéologie conquérante, puisant ses comportements guerriers dans le Coran, et n'ayant plus rien à voir avec la respectable pratique religieuse.

Sarkozy contre Fabius ?

La droite parlementaire saura-t-elle canaliser la rébellion populaire ? Bien qu'elle n'ait su en mesurer l'ampleur – elle a très largement voté oui et a été inutilement arrogante avec ses contradicteurs – elle reste apte à répondre aux demandes de réformes d'une population en quête de travail, d'identité, et indifférente aux aspirations universalistes déclamées par la gauche. Nicolas Sarkozy, qui s'exprimait hier soir sur TF 1, semble tout désigné pour accompagner avec pragmatisme, sans langue de bois ni conformisme, cette évolution démocratique.

Cependant, Laurent Fabius reste un recours pour de nombreux nonistes, à droite y compris. Certes, pour s'être affiché avec José Bové, avoir revendiqué son «internationalisme» dans L'Humanité et avoir mêlé sa voix aux extrêmes, il s'est fait des alliés encombrants. Et l'on voit mal, a priori, le numéro deux du PS arriver à convaincre ses nouveaux camarades de rejoindre une gauche réformiste. Mais qui sait...

Il faut reconnaître à l'ancien premier ministre d'avoir contribué à la libération de la critique. Il a sa part importante dans la victoire du non, qui a su résister – singulièrement avec Philippe de Villiers – aux insultes qui ont continué, cette semaine encore, à être déversées par certains perdants. Et sa stratégie consistant à se mettre à l'écoute des aspirations du peuple quitte à s'opposer «à la ligne du parti», n'est pas la moins habile, dans la crise de la représentation révélée le 29 mai.

«Revoter»

«Ceux qui n'ont pas voté la Constitution, on leur demandera de la revoter. (...) Nous votons sur le même texte», avait déclaré Valéry Giscard d'Estaing à la veille du scrutin. Mais ce qui avait pu passer pour une mauvaise humeur est bien envisagé par les dirigeants de l'Union. Mercredi, ils ont annoncé qu'ils pourraient prolonger la période de ratification afin de «donner le temps de la réflexion». Un nouveau vote pourrait alors intervenir en France après l'élection présidentielle. Rien que d'avoir pu imaginer ce scénario en dit long sur le mépris des eurocrates pour le jugement populaire. Sans doute imaginent-ils qu'un peu plus de pédagogie arriverait à assouplir les esprits. Réflexion de Renaud Camus, tirée de son dernier livre (2) : «La pédagogie est le nouveau nom de la lobotomie sociale. Elle est à la dictature de la petite bourgeoisie ce que les internements psychiatriques des dissidents étaient à la dictature du prolétariat – c'est vous dire les progrès de la civilisation.»

(1) Sondage Louis-Harris, Libération de mardi.

(2) La Dictature de la petite bourgeoisie, Éditions Privat.

 

 

 

texte hébergé en  05/05

 

 

haut de page