L'Europe, l'Amérique et la politique
avec ou sans Dieu
LE CUBE, c'est la “Grande Arche” de
la Défense ; la cathédrale, c'est Notre-Dame de Paris, cet édifice
religieux qui pourrait tenir, tours et flèches comprises, sous l'Arche
elle-même, comme l'expliquent complaisamment les guides touristiques
parisiens. De cette observation, George Weigel, l'ami américain et le
biographe de Jean Paul II (*), a tiré cette interrogation : quelle
culture est la plus à même d'assurer les fondements moraux de la
démocratie ? La culture de ce cube rationnel et anonyme ? Ou la
culture de la “sainte folie” de Notre-Dame ?


multples et Un ?
.......... Un ?
L'essai de Weigel n'a rien de
théorique. Le contexte de sa réflexion, c'est le divorce
Europe-États-Unis de l'après 11-septembre et le projet de Constitution
européenne. Et les questions ne cessent pas : quelle est la crise
morale que traverse l'Europe ? Comment a-t-elle pu enfanter hier
Auschwitz et le Goulag ? Pourquoi nie-t-elle aujourd'hui ses racines
chrétiennes ? L'amnésie volontaire la condamne-t-elle à la passivité
politique ? Et la volonté de sortir de l'histoire au déclin
démographique ? Ou, plus simplement, le rejet de la Bible à la haine
de soi ?
Pour l'auteur, ces interrogations
n'en font qu'une. Contemplant, sur les bords de Seine, le face-à-face
entre le vide de l'“Arche de la Fraternité” et le foisonnement de
Notre-Dame, il ose poser, de manière iconoclaste, la seule question
vraiment taboue de ce début de XXIe siècle: une civilisation qui
prétend se fonder sur les droits de homme peut-elle se donner pour
culte l'ignorance de Dieu ?
Weigel s'attarde beaucoup sur le
projet de Constitution européenne, 70.000 mots, mais pas de place pour
"christianisme". Le problème n'est pas d'abord historique, il est
spirituel (il évoque longuement les multiples visages de la "christophobie"
européenne), mais aussi politique : "La mémoire historique est
vitale pour la communauté éthique. Et il n'existe pas de communauté
politique libre sans la fondation d'une communauté éthique, reposant
sur le partage d'engagements moraux communs." Quel crédit accorder
à cette Europe-puissance laïque qui prétend résister aux États-Unis et
la mondialisation en refusant d'assumer son identité ? Ce n'est pas la
logique des blocs, montre l'Américain, qui éteindra le choc des
cultures.
Plus fondamentalement, c'est la
vieille question “christianisme et démocratie” qui est reposée. L'Église
assume désormais la démocratie. Mais "est-il possible de construire
une communauté politique démocratique en l'absence des références
morales transcendantes que le christianisme offre pour régler la vie
publique ?" En Europe, dit Weigel, la réponse est claire : "Ceux
qui ont gagné la partie constitutionnelle dans l'Europe de 2004
répondront pas l'affirmative : une politique sans Dieu est non
seulement possible, mais elle est nécessaire." Mais la crise de
civilisation morale que connaît l'Europe suggère que les promoteurs du
traité sont dans l'erreur.
Inquiet sur l'impact que cette
laïcisation forcée de la politique pourrait avoir sur les États-Unis,
George Weigel éclaire le chemin de ceux qui veulent réarmer l'Europe
de l'esprit pour faire face à ses propres défis, mais aussi aux défis
du monde.
* Politologue et philosophe proche
du pape Jean-Paul II, chercheur au Ethics and Public Police Center de
Washington, George Weigel est l'auteur de la biographie de référence,
Jean-Paul II, témoin de l'espérance (Lattès, 1999), qui a rencontré
une audience mondiale.