Paris, le 8 juillet 2005
Vous le lirez dans la pétition
ci-jointe, le Musée National des Arts et Traditions Populaires (ATP)
doit fermer ses portes début septembre. Et comme toujours, quand il
s’agit de ces mauvais coups contre la science, la connaissance, le
patrimoine culturel, tout se fait dans l’ombre : on l’apprend au détour
d’un article de journal, et c’est un décret ministériel du 22 juin, à la
veille des vacances, qui le confirme.
Le Musée des ATP était lui aussi un de
ces lieux privilégiés où les enseignants se retrouvaient avec les
élèves, les étudiants pour y apprendre la connaissance de leur passé.
Un Comité de défense du Musée des ATP
s’est constitué pour en appeler à l’opinion publique et demande au
ministre d’abandonner sa décision. Notre comité Patrimoine & Résistance
s’en fait le relais et vous appelle à contresigner cette pétition.
Cette fermeture s’inscrit dans la
suite des destructions précédentes, celle du Musée de l’Homme, avec la
fermeture de ses galeries ethnographiques et la dispersion de ses
collections du monde entier, celle du Musée National des Arts d’Afrique
et d’Océanie auquel on substitue un « musée de l’immigration » qui sera
– nouveau concept – un musée sans objets ! Ce qui permettra toutes
les élucubrations intéressées…
Elle s’inscrit aussi dans des mesures
similaires menées dans l’Europe entière, voire plus largement, avec par
exemple la fermeture du Musée des ATP de Madrid, musée ethnographique
des peuples d’Espagne, remplacé par un « musée de la mode » !
Cette fermeture des ATP annoncée
fin juin est une sorte d’aboutissement d’une année scolaire de mesures
particulièrement brutales contre le patrimoine.
Ainsi, et cela donne le ton, à
l’automne, au Muséum National d’Histoire Naturelle, une délégation d’«
emplois-jeunes », dont les contrats arrivent à échéance, demande que
leur travail soit pérennisé par la création de postes statutaires. La
question est d’importance : il s’agit du classement de la préservation,
de la conservation des 75 millions d’objets et de spécimens de toutes
sortes qui constituent les collections du Muséum dans tous les domaines
des sciences de la nature. Et ce sont eux, 43 « emplois-jeunes » qui ont
la charge de ce travail.
Que leur répond la Direction ? Qu’elle
n’a plus d’argent pour les collections, et que s’il le faut, elles
seront cédées à des organismes qui en ont les moyens. Et aux jeunes
elle dira : « Il n’y aura pas de postes. Nous vous proposons de vous
mettre à votre compte et de constituer votre entreprise, on vous
sous-traitera la conservation des collections. »
Voilà à quoi mène le désengagement de
l’Etat, cette politique d’abandon au partenariat et à la sous-traitance
!
Mais voilà aussi à quelles Directions
on a confié la gestion de ces institutions prestigieuses de la
République, consacrées jusqu’ici à la connaissance. Directions qui n’ont
plus rien à voir avec la science. Et qui pensent faire illusion en se
faisant installer dans le fauteuil et derrière le bureau de Buffon et
pouvoir expliquer à un journaliste du Parisien au sujet de l’avenir du
Zoo de Vincennes fermé en partie pour cause de délabrement : « Nous
préférons nous orienter vers une dimension plus ethnologique en parlant
des tribus qui vivent aux côtés des animaux sauvages. » (Sic !) ,
Le journal Le Monde finira enfin ce 6
mars 2005 par s’émouvoir de ce cours des choses. Sous le titre Les
musées nationaux sur les traces de l’entreprise, il écrit que « le
profil des grands musées s’est radicalement modifié […]. L’Etat les
incite à une gestion qui se rapproche de celles des entreprises. Au
risque d’un déficit culturel. »
On y apprend que « Le Louvre a signé
avec l’Etat un contrat d’objectifs et de moyens qui engage le musée […]
à optimiser ses ressources financières, […] à mener une politique de
développement de mécénat, […] à diversifier ses sources de recettes […].
Et dès 2006, ce type de contrat s’étendra à tous les musées […] et
prendra le nom de contrat de performance. »
On apprend encore que dans ce cadre «
la location de l’espace de la pyramide du Louvre à Eurosatory, Salon
européen de marchands d’armes [a rapporté] 148 000 euros TTC… »
Fin 2004 encore, cette annonce de
l’AFP : le Ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres a pris la
décision de transférer 178 monuments historiques appartenant à l’Etat
aux collectivités territoriales, le ministre précisant « la règle d’une
affectation locale, la propriété de l’Etat étant considérée comme
l’exception ».
C’est un immense bradage !
Le Figaro du 18 novembre explique sous
la plume de Armelle Héliot : « Le monumental transfert, aux vertus
certaines auquel nous allons assister dans les mois qui viennent va voir
éclore deux phénomènes : des rivalités avivées entre les régions et les
départements, les villes et une extension du domaine de l’intervention
privée soutenue par un dispositif législatif très favorable.
Mouvement qui ira de l’Etat aux collectivités, puis des collectivités
aux entreprises. Car il est impossible faire autrement. » On ne
saurait mieux dire.
Le château de Chantilly, son musée et
ses parcs sont remis par dévolution à la gestion de l’Aga Khan.
Le château de Chambord lui-même
devient un Etablissement Public Industriel et Commercial. On va faire
des animations… et de l’argent. Le mot de « Chambordland » est
lâché.
Il y aurait encore mille choses à
dire, mille articles à citer, tant est grande l’indignation devant ces
destructions. Nous y consacrerons un nouveau bulletin à la rentrée.
Les ATP sont promis à la fermeture et
cette année encore nous avons été saisis des protestations contre le
bradage de l’Imprimerie Nationale, la fermeture prochaine de la
Bibliothèque de la Sorbonne. La bibliothèque du Musée de l’Homme, quant
à elle, a fermé ce 12 juin 2005.
Dans ce Musée de l’Homme, toutes les
collections avaient été déménagées, sauf celles concernant l’Europe. Il
y a deux mois, parce qu’elles gênaient dans ce Musée désert, a été
décidé leur transfert aux ATP. Et les ATP ferment !
Ne nous y trompons pas, ce sont tous
les secteurs de la connaissance qui sont touchés et, en premier lieu, de
l’Ecole, de manière peut-être plus insidieuse encore.
Dans cette situation, nous révèle la
presse, Paris a maintenant le triste privilège d’avoir perdu toutes ses
positions internationales concernant le Livre, la Peinture, la Musique,
mais d’être devenu le centre mondial du trafic et du pillage des objets
d’« arts premiers », selon l’expression raciste consacrée.
Ce sont les vertus des menaces contre
l’inaliénabilité des collections incluses dans la loi sur les musées !
Honte à ces gouvernants qui ne
respectent rien et qui ne veulent pas entendre les dizaines de milliers
de pétitionnaires, qui ne veulent pas comprendre l’indignation qui monte
dans tout le pays.
On dit que l’avenir a un long
passé. Il a aussi une immense mémoire. Et tous ces combats qui sont
menés s’inscrivent dans la résistance contre ces destructions, contre ce
mercantilisme et pour reconstruire ces musées comme centre de la
connaissance et comme institutions de la République.
Nous signalons à tous le livre publié
chez L’Harmattan : La Guerre à la Culture – La logique marchande et les
attaques contre l’intelligence, qui traite de toutes ces questions.
Livre de Bernard Sergent, chercheur au CNRS et membre de notre comité
Patrimoine & Résistance.
La loi sur les musées ment, la loi
sur les musées vend… Daniel de Coppet,
ethnologue, directeur d'étude à l'EHESS, a consacré une part essentielle
des dernières semaines de sa vie à cette analyse. Engagé dans la défense
des musées nationaux et de leurs collections, il ne s'était jamais
résolu à ce qu'il considérait comme une destruction des musées pour
des intérêts mercantiles, qu·il s·agisse du Musée de l'Homme, du Musée
National des Arts d'Afrique et d'Océanie ou du Musée National des Arts
et Traditions Populaires. Il s'était fermement opposé au projet du
quai Branly et plus encore à ses fondements prétendument scientifiques.
Daniel de Coppet se battait pour la
sauvegarde des acquis de civilisation. C'est la raison pour laquelle il
avait décidé de constituer avec nous le Comité Patrimoine & Résistance.
Lors des Assises de défense du patrimoine du 17 novembre 2001, il
déclarait qu'on assistait aujourd·hui au « pillage accéléré, non
seulement de la République Française, [mais à celui] de toute la
planète, de toute la richesse des civilisations et des sociétés
humaines. C'est contre ça que nous devons nous dresser. Il ne faudrait
pas qu'en France on importe des pratiques qui sont préjudiciables à
l'intérêt de l'humanité tout entière. »