Le Dieu des fils d'Abraham ....

Dossier :

Présentation :...Après les 19e rencontres interreligieuses de Sant'Egidio qui, malgré leur bonne volonté, ont manifesté les limites du dialogue islamo-chrétien (Présent du 15 septembre), il est intéressant de revenir aux livres du regretté P. Antoine Moussali qui traitent de la question de manière magistrale.

Né au Liban en 1921, directeur des établissements scolaires lazaristes de Damas, enseignant d'arabe à l'université d'Alger (de 1980 à 1986), auteur de plusieurs études théologiques et sociologiques en langue arabe, grâce à sa double culture islamique et chrétienne, il y rappelle et distingue les thèmes majeurs qui fondent la foi, la pensée et l'action des chrétiens et des musulmans. Voici le résumé par lui-même de son maître-livre, La Croix et le Croissant : le christianisme face à l'islam (aux Editions de Paris), qui reçut le prix 1998 de l'Académie d'éducation et d'études sociales. - R.F. ... Présent du 24.09.05

Extraits : 

.... il n'y a pas de théologie sans anthropologie et réciproquement. De la vision que l'on a de Dieu, dépend celle que l'on a de l'homme et de la société. Croire en un Dieu transcendant et tout-puissant ou croire en un Dieu-PèreTout-Puissant débouche, qu'on le veuille ou non, sur deux conceptions différentes et irréductibles de l'homme et de la société qui en découle.

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Pour les juifs, Dieu est Yahweh. Il s'agit en effet d'un Dieu-Personnel qui entend établir des relations d'alliance avec l'homme. Le Dieu-Yahweh est le tout-autre. II est aussi nôtre, en ce qu'il chemine avec l'homme et entend vivre une histoire de proximité dans la toute-puissance. Tout-Puissant, il est législateur. Dieu de proximité, il chemine avec l'homme et lui apprend à vivre en fidélité avec la loi q'u'est la Thora et progresser, sous l' influence des prophètes, vers une religion d'intériorité et d'universalisme, tout entière tendue vers la venue de l'Emmanuel, Dieu-avec-nous.

Pour le chrétien, Dieu est le tout-Autre et le tout-nôtre, il est Amour. Où l'on passe de la notion d'unicité à celle d'unité. Parce qu'il n'est qu'Amour, Dieu est Relation, il est Être-de-relation. Sa nature profonde l'incite à entrer en relation. Dire de Dieu qu'il est Etre-de-Relation ou Uni-Trinité, c'est tout un. Dieu-relation donne et se donne, totalement. Il est accueil, totalement. II est la plénitude du don et de l'accueil. El c'est dans ce sens dire l'on peut parler de Père, Fils et Saint-Esprit. Parce qu'il est don, il est partage L'amour exige le partage. Dieu n'est pas pour lui, il est pour autrui il est amour-agapè, amour d'altérité. Parce qu'il aime l'homme, Dieu entend l'amener à partager librement sa propre vie. C'est en cela que réside le sens du mystère de l'Incarnation, qui est débordement d'amour.

Quant au musulman, il ne saurai répondre à cette deuxième question. De Dieu il ne saurait rien dire si ce n'est qu'il est impénétrable (samad). Le musulman se mure dans l'attitude apophatique, dan: un silence respectueux fait d'accuei silencieux et résigné d'un Dieu législateur et tout-puissant . Au coeur de l'islam il y a l'obéissance. C'est ce que veut dire islâm, abandonne au bon vouloir de Dieu. Le musulman sait qu'il sera jugé sur sa fidélité aux obligations telles qu'elle sont consignées dans le Coran.

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La croix et le croissant : le christianisme face à l'islam


Auteur:   Antoine Moussali

Source:  Présent

Date : 24.09.05   

 

LES OUVRAGES sur l'islam ne manquent pas. Rares sont ceux qui l'abordent sous l'angle théologique. Et pourtant, à négliger cette dimension essentielle, on risque de passer à côté du message coranique et de n'en saisir que les aspects sociologiques, anthropologiques, civilisationnels, historiques, sans bien se rendre compte que tout cela est foncièrement et ontologiquement lié à la vision que l'on a de Dieu. Le dernier livre, passionnant par ailleurs, de Bernard Lewis intitulé Que s'est-il passé ? L'islam, l'occident et la modernité, nous en donne un exemple éclatant. En ce qui concerne l'islam et le christianisme, l'équation est on ne peut plus claire : il n'y a pas de théologie sans anthropologie et réciproquement. De la vision que l'on a de Dieu, dépend celle que l'on a de l'homme et de la société. Croire en un Dieu transcendant et tout-puissant ou croire en un Dieu-PèreTout-Puissant débouche, qu'on le veuille ou non, sur deux conceptions différentes et irréductibles de l'homme et de la société qui en découle.

C'est ce principe évident qui nous a amenés à étudier l'islam au miroir du christianisme et réciproquement. II nous a paru essentiel d'aborder en toute vérité les thèmes de base concernant les fondamentaux sur lesquels sont édifiées les deux religions en présence. Ils se ramènent aux interrogations suivantes : Croyons-nous dans le même Dieu ? Avons-nous la même révélation ? Sommes-nous véritablement, juifs, chrétiens et musulmans les fls d'un même père Abraham ? Croyons-nous dans le même Jésus et la même Marie ? Cela étant, parlons-nous, en islam et dans le christianisme, des mêmes droits lorsque nous évoquons les droits de l'homme ?

Telles sont en effet les questions brûlantes que l'on se garde bien, en général, d'aborder résolument, tant est fort le désir de nous considérer, musulmans et chrétiens, les mêmes au plan théologique, pensant ainsi mieux sauvegarder le désir de réussir un mieux-vivre ensemble. Oubliant que rien de sérieux ne saurait se construire en dehors de la vérité : « La vérité vous libérera », avait dit le Christ dans saint Jean.

Juifs, chrétiens et musulmans, croyons-nous dans le même Dieu ? On ne saurait répondre à cette question par un oui ou un non catégorique. Plutôt que d'employer la préposition « ou », il nous faut recourir à la préposition « et ». La clef de la réponse réside dans une conjonction entre oui et non.

En réalité, cette question sous-tend deux autres questions concomitantes : la première, « Combien de dieux y a-t-il ? » ; la deuxième, « Qui est Dieu ? »

A la première question, juifs, chrétiens et musulmans nous répondons à l'unisson : oui, nous croyons qu'il n'y a qu'un seul Dieu. Telle est l'affirmation monothéiste. Mais ce Dieu-Un, qui est-il ? C'est alors qu'apparaissent les différences. Et elles sont de taille. voire ontologique.

Pour les juifs, Dieu est Yahweh. Il s'agit en effet d'un Dieu-Personnel qui entend établir des relations d'alliance avec l'homme. Le Dieu-Yahweh est le tout-autre. II est aussi nôtre, en ce qu'il chemine avec l'homme et entend vivre une histoire de proximité dans la toute-puissance. Tout-Puissant, il est législateur. Dieu de proximité, il chemine avec l'homme et lui apprend à vivre en fidélité avec la loi q'u'est la Thora et progresser, sous l' influence des prophètes, vers une religion d'intériorité et d'universalisme, tout entière tendue vers la venue de l'Emmanuel, Dieu-avec-nous.

Pour le chrétien, Dieu est le toutAutre et le tout-nôtre, il est Amour. Où l'on passe de la notion d'unicité à celle d'unité. Parce qu'il n'est qu'Amour, Dieu est Relation, il est Être-de-relation. Sa nature profonde l'incite à entrer en relation. Dire de Dieu qu'il est Etre-de-Relation ou Uni-Trinité, c'est tout un. Dieu-relation donne et se donne, totalement. Il est accueil, totalement. II est la plénitude du don et de l'accueil. El c'est dans ce sens dire l'on peut parler de Père, Fils et Saint-Esprit. Parce qu'il est don, il est partage L'amour exige le partage. Dieu n'est pas pour lui, il est pour autrui il est amour-agapè, amour d'altérité. Parce qu'il aime l'homme, Dieu entend l'amener à partager librement sa propre vie. C'est en cela que réside le sens du mystère de l'Incarnation, qui est débordement d'amour.

Quant au musulman, il ne saurai répondre à cette deuxième question. De Dieu il ne saurait rien dire si ce n'est qu'il est impénétrable (samad). Le musulman se mure dans l'attitude apophatique, dan: un silence respectueux fait d'accuei silencieux et résigné d'un Dieu législateur et tout-puissant . Au coeur de l'islam il y a l'obéissance. C'est ce que veut dire islâm, abandonne au bon vouloir de Dieu. Le musulman sait qu'il sera jugé sur sa fidélité aux obligations telles qu'elle sont consignées dans le Coran.

Et l'on passe ainsi du Dieu-Personnel au Dieu-notionnel. II n'est pas question en effet de parler d'amour ou de relation. D'ailleurs, le mot amour, hubb en arabe, est un amour éros, un amour-pour-soi. Le Dieu de l'islam est un Dieu-pour-lui et non pour autrui. Ce mot amour est chargé d'un si grand coefficient d'affectivité, aux yeux de l'islam, qu'il induit la corporéité en Dieu.

Pourtant ce Dieu-Tout-Puissant est capable d'aimer d'un amour de bienveillance et de miséricorde. Or, la miséricorde n'est qu'un aspect de l'amour. Un amour qui débouche sur le pardon, «sil plaît à Dieu », où l'on ne peut parler de « partage », encore moins d'Incarnation. L'islam pose un refus catégorique à la Trinité (qu'il confond avec le trithéisme : la foi en trois dieux, Dieu, Marie et Jésus), à l'Incarnation, à la Rédemption, à la Résurrection, à la divinité de Jésus-Christ, à la Maternité divine de Marie.

Sans doute l'islam a-t-il un discours sur Dieu (les 99 beaux noms de Dieu). C'est ce qu'on appelle le discours sur l'unicité (at-Tawhid), qui est une théodicée et non point une théologie. II aurait fallu, pour qu'il y ait théologie, que l'on admette l'idée de développement du dogme. Or, le dogme, en islam, est définitivement donné, valable en sa teneur définitive, pour tous les temps et tous les lieux.

Les conséquences sont inéluctables : L'homme-Trinitaire, est par essence relation, communication, dialogue, communion. L'ouverture à la différence lui est fondamentale. L'acceptation de l'autre différent est au coeur de son comportement. L'unité débouche sur la diversité. L'homme-coranique est par essence adepte de l'uniformité, de l'embrigadement dans l'unicité. S'il y a un chef d'Etat, c'est pour être au service de la Urrnma, qui est le rassemblement des croyants dans le giron (umm = mère) de la foi, où le véritable chef d'Etat, c'est Dieu. Lislam est par essence réfractaire à la différence. Si l'on parle de tolérance à son propos, il ne s'a t pas d'acceptation de l'autre différent, mais d'une acceptation bien à contrecoeur de l'autre différent. Le système social sera pyramidal, patriarcal, uniformisant et non point démocratique... L'islam n'a pas pour vocation de créer des systèmes de sociétés démocratiques.

Deuxième interrogation : Avons-nous la même Révélation ? Oui, dans ce sens que Dieu a décidé de parler. Non en ce que Dieu, le Dieu biblique, parle a travers l'histoire, l'événement, l'existence.Le judéo-christianisme est existentiel et événementiel.

Le Dieu coranique impose un livre qui tombe tout fait d'en haut (inzâl), qui s'impose et qui en impose par ses diktats irrévocables. 'islam n'est pas une histoire, il a une histoire.

L'islam génère un homme-robot d'où est exclue la liberté. Il génère des « esclaves de Dieu » (Abdallah) et donc des esclaves d'un homme leader, représentant de Dieu sur terre. Le christianisme génère des hommes libres.

Dieu, pour le christianisme, ne s'impose jamais. II se propose. Contrainte et amour ne peuvent cohabiter ni frayer ensemble.

Si l'islam est par essence la religion du Livre, le christianisme est religion d'une Personne vivante qui s'appelle Jésus-Christ. Parler des trois religions du Livre, est une pure aberration. Car si le christianisme a des livres, il n'est pas religion du livre.

Troisième interrogation : Sommes-nous les fils d'un même père Abraham ? Oui, en ce sens qu'Abraham est le père des croyants. Non. en ce que Abraham est le Dieu de l'Alliance et de la Promesse. Deux réalités qui sont étrangères à la foi musulmane. Abraham est un musulman-type. Il est le père de l'islam.

Quatrième interrogation : Parlons-nous, dans l'islam et le christianisme du même Jésus et de la même Marie ? Le Coran, s'il parle de Marie en termes élogieux, dont il a respecté le nom, il n'en va pas de même pour Jésus dont il a déformé le nom en l'appelant 'Isa et non pas Yasû' . 'Isa, pourrait être la déformation de Yasû' avec inversion des consonnes, et, dans le meilleur des cas, il serait l'équivalent de Josué ou encore d'Esaü, mais non point de Yasû' qui veut dire « Dieu-sauve ».

'Isa donc est un prophète à la manière de l'islam. Le prophète en islam est un envoyé de Dieu pour rappeler à l'homme oublieux (Insdn), qu'il n'y a qu' un seul Dieu. Isa  est fils de Marie ('Isa bnuMaryam). Il n'est pas Fils de Dieu. Conséquence : plus possible de parler d'Incarnation, ni de médiation, encore moins de médiateur. L'homme est réduit à se fier à lui-même, seul face à face avec le livre, livré à sa propre angoisse. Une inquiétude qui ne peut s'ouvrir que sur la violence.

Cinquième interrogation : Parlons-nous des mêmes droits de l'homme quand nous évoquons les droits de l'homme ?

Tout d'abord, il n'est pas du ressort de l'islam de parler de droits de l'homme. L'homme, face à Dieu, n'a que des devoirs. Etant serviteur, voire esclave ('abd) de Dieu, il n'est pas sujet de droits mais de devoirs.

Si l'islam a parlé de droits de l'homme, ce n'est que tardivement. suite à la Proclamation universelle des droits de l'homme à l'ONU, le 10 décembre 1948. C'est simple ment en septembre 1981, à partir de l'UNESCO à Paris, que fui énoncée La Proclamation des droits dG l'homme en islam.

Deux remarques ici s'imposent les droits de l'homme, tels qu'il: furent proclamés à l'ONU, prennent leur source dans l'homme même, dans la dignité de la personne humaine, héritage du christianisme, tandis que les droits de l'homme tels que proclamés à l'UNESCO, prennent leur source en Dieu, dans le Dieu du Coran. D'ailleurs, le terme personne n'existe pas en arabe. Pour parler de la personne humaine, on emploiera le terme de fard (individu). Le pendant de personne serait shakhs en arabe, ce qui signifie statue. Pour parler des Trois Personnes divines, les chrétiens arabes ont emprunté un terme à l'araméen, uknûm, qu'ils ont arabisé.

Ajouter à cela que les articles des droits de l'homme en islam reprennent ceux énoncés par l'ONU, mais à la suite de chacun de ces articles est inscrite une incise, dans le texte arabe : « à condition que cela n aille pas à l'encontre du Coran ». Ce qui est donc affirmé par le texte peut être éliminé par sa référence au texte coranique qui refuse l'égalité des sexes, la liberté de conscience, la liberté de changer de religion, l'égalité des hommes, puisque le musulman fait partie de « la nation la meilleure qui ait été suscitée pour l'homme » (Co 3, 110)... Le non-musulman est « un impie » (Kâfir).

Cela dit, il n'est pas étonnant qaue, dans pareille vision de Dieu et de l'homme, le musulman se considère comme membre du parti de Dieu (Hizbullâh) (Co 5, 56). Il est donc, parce que objet d'un choix préférentiel de Dieu, chargé de mission : il est requis pour prendre la défense des droits de Dieu. Il est donc fier de son appartenance à la « communauté du prophète » (Ummatunnabî). Il se doit donc, au cas où il a la conviction que les droits de Dieu sont bafoués, d'intervenir par la force pour venger Dieu et tout faire rentrer dans l'ordre, tel que prévu par le Coran. Il suffira que des voix autorisées, comme les imams ou les juristes ,(fuqahâ) en appellent à la guerre pour Dieu, au Jihâd, pour que les croyants se mobilisent et aillent au « martyre », quitte à tuer d'autres êtres humains, des innocents, avec lui.

Sans doute, des passages du Coran en appellent-ils a la paix, à la tolérance, comme celui qui proclame que « tuer un homme, qui n à pas tué ou commis une forfaiture, c est tuer l'humanité et sauver quelqu'un, c'est sauver l'humanité » (Co 5, 32). Ce qui permet de dire que ceux qui en appellent à la paix justifient leur démarche par le Coran. Et ceux qui en appellent à la violence et au terrorisme, justifient leur action par le Coran. Les deux catégories d'hommes sont aussi authentiques les unes que les autres dans leur islamité.

Telles sont les nervures de La Croix et le Croissant. Le livre ne pouvait que se terminer par deux assertions qui en résument la teneur, là où l'islam proclame : « obéis aveuglément et va . », le christianisme, à la suite de saint Augustin, dit : « Aime et fais œ que tu veux ! » Au coeur de l'islam, il y a l'obéissance ; au coeur du christiamsme, il a l'amour. Deux démarches, deux visions, deux visages qui sont antinomiques.

Antoine Moussali

 

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