Les violences urbaines et les
émeutes ethniques de la Toussaint, ou plutôt du ramadan 2005, ont
jusqu’ici fait l’objet de la part des autorités politiques et
médiatiques d’un double traitement sémantique à base de « fermeté et
de justice ».
Quelques mois de prison ferme d’un
côté pour les émeutiers, des torrents d’eau de rose pour les habitants
des cités, de l’autre. Mais la réalité des banlieues est complexe : il
n’y a pas d’un côté des petites minorités aussi oisives qu’agressives,
de l’autre une masse de travailleurs désireux de s’intégrer ;
malheureusement, il y a aussi une partie importante de la population
des cités qui s’est installée dans une économie de rentes : rente des
trafics, rente des activités parallèles, rente sociale, rente des
services publics, rente d’emplois, rente idéologique.
Explications :
1. La rente des trafics
La première opinion qui court sur
les banlieues consiste à opposer populations tranquilles et jeunes
délinquants, et, au sein de ceux-ci, à distinguer les « petits
délinquants » des « gros trafiquants ». La réalité est autre : c’est
la connexion du business entre les gros trafiquants et les petits
délinquants – qui servent de vigies et de passeurs aux premiers – et
le fait que le bénéfice des trafics, gros ou petits, profite à une
partie importante de la population des cités en termes de
redistribution des revenus, dans les cercles familiaux et claniques,
des emplois à partir des entreprises et des commerces créés avec
l’argent des trafics, sans même parler des aumônes versées à certains
imams qui permettent le développement d’un islamisme militant et
souvent radical.
Les trafics d’ailleurs, ce ne sont
pas seulement les trafics de drogue, ce sont aussi les trafics de
cigarettes, les trafics de jeux, le racket et les vols avec ou sans
violence : chacun trouvant ensuite son intérêt à acquérir – à bon
marché – auprès des receleurs les biens de consommation du monde
moderne pour soi-même et ses proches ou pour en faire bénéficier le
pays d’origine à l’occasion des vacances d’été : les véhicules
lourdement chargés qui prennent en juillet la route du Sud ne
transportent pas uniquement des objets payés avec factures…
Certes, il serait injuste de dire
que 100 % d’une cité vit ainsi ; mais il est parfaitement illusoire de
faire semblant de croire que cela ne concerne que quelques pour cent
des habitants des cités les plus chaudes.
De ce point de vue, ce qui est à
l’origine des émeutes, ce ne sont pas, contrairement à ce qui est
répété en boucle, les expressions vigoureuses de Nicolas Sarkozy,
c’est la création et la réussite des GIR, c’est aussi la volonté de
renforcer le dispositif policier sur le terrain : ce n’est sûrement
pas un simple hasard si les émeutes coïncident avec l’implantation
dans les banlieues les plus difficiles de 17 compagnies de CRS et de 7
escadrons de gendarmerie ; c’est la réaction de tous ceux qui ne
veulent pas risquer de voir se réduire les zones de non-droit.
Derrière les petits émeutiers,
l’enjeu de la bataille c’est donc la défense des trafics par tous ceux
qui en profitent et pas seulement les caïds.
2. La rente de l’économie
parallèle
Souvent financée par l’argent des
trafics, une économie parallèle se développe dans les banlieues :
commerces de bouche et restaurants, appliquant pour le moins
imparfaitement les réglementations sanitaires, sociales et fiscales ;
commerces de réparation et de transformation d’automobiles à base de
pièces usagées, contrefaites ou volées et à qui les incendies de
voitures vont donner de nouveaux clients : certaines victimes qui
n’auront guère les moyens d’acheter des véhicules neufs étant conduits
à se retourner vers des revendeurs marrons ; sociétés de sécurité qui
prospèrent en recrutant dans les mêmes milieux que les bandes de
délinquants et en obtenant des marchés captifs de l’économie
officielle encore présente en périphérie des cités (commerces,
entreprises) ou desservie par des transports en commun (centres
commerciaux).
3. La rente sociale
Beaucoup d’habitants des cités des
banlieues vivent aussi de la rente sociale que leur procurent les
allocations familiales (conséquentes pour les familles très nombreuses
généralement issues du Maghreb ou d’Afrique), les aides sociales
diverses, municipales et départementales, voire des aides ménagères,
le RMI ou la CMU. Dans ce dispositif, le RMI est central, car, outre
le revenu, il procure une multitude d’avantages complémentaires qui
rendent peu attractive la recherche d’un travail officiel mais qui
constituent un appoint appréciable aux petits trafics. Dans cette même
logique de rente sociale, on trouve les emplois artificiellement aidés
et qui maintiennent dans l’assistance.
4. La rente des services publics
Ajoutons-y la rente des services
publics.
Toutefois, pour la première fois, le
discours sur le « manque de moyens des banlieues » s’est heurté à
l’incrédulité générale : réunis le 3 novembre, dans les ors de
Matignon par le Premier ministre, les maires de banlieue –
socialistes, UDF ou UMP – ont repoussé par avance un « énième plan
Marshall ». C’est que depuis trente ans – très exactement depuis
l’ouverture des crédits « habitat et vie sociale » à la fin des années
70 – les banlieues reçoivent une abondance de crédits. Il y a belle
lurette que, comme le souhaitait Michel Rocard, les cages d’escaliers
ont été refaites : et les cités HLM sont très souvent aujourd’hui
physiquement en bien meilleur état que les petites copropriétés
modestes.
Le maire socialiste de Trappes où 27
autobus ont été incendiés le 3 novembre soulignait à quel point
l’habitat avait été rénové dans sa commune… sans que cela suffise à
régler les problèmes.
S’agissant de l’Education nationale,
les cités sensibles ont avec les ZEP le plus fort taux d’encadrement
d’élèves par les professeurs (on compte en moyenne de l’ordre de 10
élèves par professeur dans les collèges) de France et même du monde.
Et il est peu vraisemblable qu’un effort supplémentaire change quoi
que ce soit à la réalité économique et sociale des banlieues.
Les communes elles-mêmes ont
beaucoup investi en lieux de sociabilité et en crédits associatifs et
la desserte des banlieues par les transports en commun, bus, trains,
métros, tramways, s’est considérablement améliorée en générant un
volume de dépenses publiques sans commune mesure avec les recettes.
Ainsi le quartier du Luth à Gennevilliers va être desservi par un RER,
un métro et un tramway… ce qui n’empêche pas les voyous du quartier de
s’agiter.
5. La rente idéologique
Si les émeutes ethniques de novembre
2005 se sont aussi facilement développées, c’est qu’elles ont
rencontré de la part de la population qui vit dans les banlieues une
double attitude : la résignation de ceux qui en souffrent mais ne
peuvent s’y opposer sauf à y risquer leur vie, et la complicité des
autres qui laissent leurs fils, leurs frères, leurs neveux ou les
fidèles de leur culte s’y livrer.
Comme le note le sociologue Michel
Wievorka dans « Le Parisien » du 4 novembre : « Les habitants de ces
banlieues jeunes ou moins jeunes sont certes les premières victimes
des violences, mais dans le même temps, ils ressentent une certaine
solidarité avec cette jeunesse enragée. »
Et d’ailleurs dans l’état actuel des
faiseurs d’opinion et des décideurs qui leur sont soumis, la fin des
émeutes risque de déboucher sur une amélioration de la rente des
banlieues : rente des trafics et de l’économie parallèle que la police
de proximité gênera moins qu’une police plus répressive ; rente
sociale et rente des services publics fruits de l’hypothétique «
dialogue » conduit par les pouvoirs publics.
La rente économique et sociale des
banlieues s’appuie d’ailleurs sur une rente idéologique : la
culpabilisation de la France et des Français par la mise en cause de
leur racisme, de la colonisation et de l’esclavage.
En servant de légitimation à tous
les actes de violences ou d’incivilités, l’antiracisme a généré une
nouvelle forme de racisme : le racisme des éléments les plus radicaux
des « minorités visibles » à l’égard des représentants de la majorité
française d’origine qui se trouvent minoritaires dans les cités.
D’ailleurs, les seules victimes de meurtres jusqu’ici ont été
Jean-Claude Irvoas tué à Epinay pour avoir voulu résister au vol de
son appareil photo et Jean-Jacques Le Chenadec tué pour avoir résisté
à l’émeute en tentant d’éteindre, à Stains, un feu de poubelles.
Par ailleurs, en servant de
légitimation à la victimisation des « minorités visibles » et à leurs
revendications, la critique de l’œuvre de la France coloniale génère
des demandes en réparations. Elle légitime aussi les violences ; en
tout cas elle les excuse par avance, au nom de « la lutte contre la
gestion coloniale des banlieues » dénoncée par le « Mouvement des
indigènes de la République » sur le grand portail islamique «
oumma.com » :
http://oumma.com/article.php3?id_article=1754.
Et d’ailleurs les émeutes initiées à
Clichy-sous-Bois trouvaient leur légitimité sur le site de la mairie
de cette ville qui ouvrait en Une sur la répression policière de la
manifestation parisienne du FLN le 17 octobre 1961 :
http://www.clichy-sous bois.fr/jsp/site/Portal.jsp?article_id=148&portlet_id=118.
Est-il vraiment utile, 45 ans plus
tard et… après quatre décennies d’échec des gouvernements algériens
successifs, de rouvrir les plaies de la guerre d’Algérie ?
Car comment un peuple peut-il
assurer son présent et, qui plus est, parvenir à assimiler des
éléments étrangers quand il efface la mémoire de son passé ou accepte
de la voir diabolisée ? Fermer le Musée des arts et traditions
populaires des provinces françaises au profit de l’ouverture d’un
hypothétique Musée des arts euro-méditerranéens c’est renier une
partie de la culture nationale. Laisser à l’abandon le Musée de la
France d’outre-mer pour le remplacer par un Musée de l’immigration,
c’est avoir honte de son histoire. Ce n’est pas ainsi qu’on peut
donner la fierté d’être ou de devenir français.
Bref comment défendre la République
dans les banlieues quand on fait passer Jules Ferry pour Hitler ? Et
De Gaulle pour Pinochet ?
Sans même parler des droits à
réparations communautaires réclamés par ceux qui se pensent comme des
descendants d’esclaves et qui oublient que, si toutes les
civilisations ont pratiqué l’esclavage (la civilisation
arabo-musulmane encore tout récemment), une seule l’a aboli : la
civilisation européenne.
6. Il ne faut pas changer de
politique, il faut changer de paradigmes
Aujourd’hui la sortie de crise passe
d’abord par le rétablissement de l’ordre et de la paix civile dans les
banlieues.
A terme, la pacification des
quartiers ethniques ne passera ni par la problématique « tolérance
zéro » qui supposerait la construction de plusieurs centaines de
milliers de places de prison, ni par des rencontres mondaines avec des
représentants choisis ou autodésignés des « minorités visibles », ni
même par une injection de crédits supplémentaires mais par un
changement de paradigmes.
Ce qu’il faut abandonner, c’est le
discours dominant des trois dernières décennies : non, n’en déplaise à
Bernard Stasi, qui y doit 20 ans de carrière politique et médiatique,
« l’immigration (n’) est (pas) une chance pour la France » mais un
boulet économique et social ; non, l’intégration, ça ne marche pas, en
tout cas pas pour des masses nombreuses issues de certaines aires
civilisationnelles ; non, l’antiracisme ne facilite pas l’intégration,
au contraire, il la rend plus difficile en débouchant sur un racisme à
rebours et la diabolisation de l’identité française ; non l’Etat-providence
et la commune-assistance ne règlent pas tous les problèmes économiques
et sociaux, ils les enracinent dans la durée.
Le véritable problème des banlieues
n’est pas technique. Il est politique, il est moral. Il suppose que
les Français et les Européens abandonnent leur complexe de culpabilité
et retrouvent leur dignité et la fierté de leur histoire. Il suppose
aussi que chacun soit mis en face de la responsabilité de ses actes et
de ses comportements car il n’y a pas de droits, y compris à l’emploi,
sans devoirs. Bref, il faut sortir de l’économie d’assistance et de la
morale de culpabilité et tout redeviendra possible !
Mais cela implique, il est vrai, un
renversement de l’univers médiatique dominant.