Les restes d'Ötzi, datant de l'âge
de bronze, ont été découverts en 1991 dans le Tyrol italien. Depuis,
une étrange hécatombe frappe ceux qui approchent le squelette de près
: savants, journalistes, montagnards...

Maurin Picard
[24 novembre 2005]
Konrad Spindler ne croyait guère à
la malédiction. Depuis qu'il avait rejoint l'équipe scientifique
chargée d'étudier «l'homme des glaces», la célèbre momie rejetée par
la montagne en 1991, dans le Tyrol italien, cet archéologue autrichien
de 66 ans balayait la rumeur d'un revers de main. «Un tissu d'âneries,
une invention des médias, se plaisait-il à dire, dissimulant mal son
agacement. Et après, vous allez dire que je suis le suivant sur la
liste, c'est ça ?» Konrad Spindler est mort un an plus tard,
exactement, des suites d'une sclérose en plaques. Il devenait ainsi la
sixième victime d'une étrange hécatombe qui, depuis quatorze ans,
frappe ceux qui ont approché la momie de trop près : savants,
journalistes, montagnards amateurs ou expérimentés. Surnaturelle ou
pas, la tragédie est une aubaine pour les conteurs de tout poil : le
scénario rappelle immanquablement les tribulations de la diabolique
momie inca Rascar Capac, dans Les Sept Boules de cristal, treizième
opus des aventures de Tintin. Hergé avouait d'ailleurs s'être inspiré
des démêlés de la célèbre expédition Carnavon qui, en novembre 1922,
découvrit la tombe de Toutankhamon dans la vallée des Rois en Egypte,
avant de voir ses membres, lord Carnavon le premier, tomber comme des
mouches, victimes du courroux du jeune souverain assassiné.
L'«homme de Similaün», comme l'ont
appelé les scientifiques, n'a rien à voir, bien sûr, avec un pharaon
ou un roi inca. Mais ce simple quidam de l'âge de bronze, si longtemps
abandonné dans l'anonymat des cimes éthérées, pourrait-il avoir été
dérangé dans son sommeil éternel, au point de décimer ses plus fidèles
disciples, cinquante-trois siècles après sa mort ? Les inconditionnels
d'Ötzi, nombreux en Autriche, où l'homme des glaces est devenu une
vraie star, au point d'avoir gagné ce sobriquet affectueux, ne peuvent
s'empêcher de réprimer un frisson. En 1993, deux ans après la
découverte d'Ötzi, le professeur Günther Henn, qui avait de ses
propres mains déposé les restes de l'homme préhistorique dans un
body-bag, se tue dans un accident de voiture, à l'âge de 64 ans. Il se
rendait justement à une conférence consacrée à Ötzi, au cours de
laquelle il comptait bien annoncer des «découvertes sensationnelles».
Peu de temps après, le guide qui avait amené Henn sur le lieu du
dernier souffle d'Ötzi et ramené l'illustre dépouille mortelle dans la
vallée en hélicoptère, Kurt Fritz, 52 ans, est pris dans une avalanche
en montagne. Très expérimenté, connaissant la piste sur le bout des
doigts, il est le seul de sa cordée à être emporté par la coulée de
neige. Puis c'est au tour du journaliste allemand, Rainer Hoelzl,
d'être emporté par une tumeur au cerveau. Il avait filmé le retrait d'Ötzi
de sa gangue de glace et en avait retiré un documentaire, diffusé dans
le monde entier.
Le sinistre décompte reprend en
2004. Helmut Simon, le randonneur qui, avec sa femme Erika, avait
découvert le corps des âges farouches, parfaitement conservé, au
détour d'un chemin d'altitude, est, à son tour, victime de la
malédiction. Agé de 67 ans, l'Allemand, parti seul en montagne lors de
vacances en Autriche, disparaît dans le blizzard survenu brutalement
sur les pentes de l'Ötztal. Ironie du sort, à quelques lieues de la
dernière demeure d'Ötzi. L'équipe de secours mettra huit jours pour
découvrir son corps gelé. Et le jeu de quilles continue : une heure à
peine après les funérailles du malheureux randonneur, le chef de raid
parti à sa recherche succombe à une crise cardiaque aussi soudaine
qu'improbable. Dieter Warnecke, 45 ans, était en pleine force de l'âge
et avait le coeur solide, assurent des membres de sa famille,
inconsolables. Puis viennent les deux dernières victimes : Konrad
Spindler, en avril dernier, et, en octobre, Tom Loy. Cet archéologue
australien renommé, spécialiste en chimie moléculaire, est retrouvé
inanimé à son domicile de Brisbane, dans le Queensland australien. La
date du décès remonte à six jours. Suprême ironie, il mettait
justement la dernière main à un ouvrage sur la momie du Tyrol, fondée
sur une étude ADN de ses vêtements et des rarissimes outils de l'ère
chalcolithique. La police, interdite, se hasarde à évoquer «une mort
naturelle ou accidentelle, ou les deux». Loy, âgé de 63 ans, était
certes un homme malade, tout comme Spindler. Il souffrait d'une
affection du sang depuis douze ans. Là encore, l'imagination reprend
le dessus : le mal avait été diagnostiqué peu après sa première
rencontre avec Ötzi, en 1993. «Tom ne croyait pas à cette
superstition», précise aussitôt sa collègue et amie Gail Robertson.
Tom Loy, fasciné par l'objet de son étude, s'était taillé une belle
réputation dans la communauté scientifique, en réfutant la théorie
initiale du décès accidentel d'Ötzi, à la suite d'un accident de
chasse en montagne.
Au cours de ses recherches,
l'Australien avait fait une découverte incroyable. La hache trouvée
auprès de la dépouille ainsi que ses vêtements étaient maculés de
sang. Du sang appartenant à quatre personnes différentes, pour être
précis. Ce qui laisserait penser qu'Ötzi, peu avant sa mort, ait pu
participer à un combat sans pitié, tuant au moins deux de ses
assaillants avant d'être submergé. En témoignent les multiples
entailles zébrant mains, poignets et thorax, et surtout la pointe de
flèche, découverte tardivement dans le creux de ses reins. Blessé, le
fougueux Ötzi se serait consumé d'épuisement, tentant en vain de
passer un col à 3 400 m d'altitude. Cette théorie a été reprise dans
un documentaire réalisé par la BBC (1).
Pour l'heure, sept cadavres et pas
le moindre commencement d'un indice. Les polices autrichienne et
italienne sont sur les dents, mais le seul et unique suspect détient
un alibi en béton. Blotti dans une pièce réfrigérée à – 6°C, au coeur
du musée érigé en son honneur à Bolzano (Italie du nord) en 1998, Ötzi
n'a plus bougé un orteil depuis.
(1) Le mystère Ötzi, de Richard Dale
et Andrew Bampfield, diffusé le 22 août 2005 sur France 2.