La voix "très déviante" d'Alain
Finkielkraut au
quotidien "Haaretz"
LE MONDE | 23.11.05 |
On voudrait réduire les émeutes des
banlieues à leur dimension sociale, y voir une révolte de jeunes contre
la discrimination et le chômage. Le problème est que la plupart sont
noirs ou arabes, avec une identité musulmane. En France, il y a d'autres
émigrants en situation difficile. Ils ne participent pas aux émeutes. Il
est clair que nous avons affaire à une révolte à caractère
ethnico-religieux." Tel est le point de vue du philosophe Alain
Finkielkraut, qu'il développe dans une longue interview au quotidien
israélien Haaretz du 18 novembre.
Le journal le présente comme "une voix
très déviante, d'abord parce que ces propos ne sortent pas de la bouche
de Jean-Marie Le Pen". La crise des cités est-elle une réaction au
racisme dont sont victimes les Arabes et les Noirs ?, lui demande le
quotidien. "Je ne le pense pas, répond le philosophe. (...) On nous dit
que l'équipe de France est admirée parce qu'elle est black-blanc-beur.
(...) En fait, aujourd'hui, elle est black-black-black, ce qui fait
ricaner toute l'Europe." Voir dans les émeutes "une réponse au racisme
français, c'est être aveugle à une haine plus large : celle de
l'Occident" qui anime, selon lui, les jeunes banlieusards.
"On a peur du langage de vérité. Pour
des raisons nobles, on préfère dire "jeunes" que "noirs" ou "arabes",
dit-il. "Je n'ai pas parlé d'intifada des banlieues. J'ai pourtant
découvert qu'eux aussi envoient en première ligne les plus jeunes. Vous,
en Israël, connaissez cela : on envoie les jeunes devant parce qu'on ne
peut pas les mettre en prison.(...) Il s'agit d'un pogrom
antirépublicain : il y a en France des gens qui haïssent la République."
Pour quelle raison ? "Eux et ceux qui
les justifient disent que cela provient de la fracture coloniale",
répond M. Finkielkraut. "Le principal porte-parole de cette théologie,
c'est Dieudonné, qui est le vrai patron de l'antisémitisme, et non le
Front national. Mais au lieu de combattre son discours, on fait
précisément ce qu'il demande : on change l'enseignement de l'histoire
coloniale et de l'esclavage. Désormais, on enseigne qu'ils furent
uniquement négatifs, et non que le projet colonial entendait éduquer et
amener la culture aux sauvages." Rappelant que son père fut déporté de
France à Auschwitz, il ajoute : " Qu'a fait ce pays aux Africains ? Que
du bien. A mon père, il a fait subir cinq ans d'enfer. Pourtant, je n'ai
jamais été éduqué dans la haine. Or celle des Noirs (contre la France)
est pire encore que celle des Arabes."
Les journalistes notent que beaucoup
d'enfants d'immigrés ne se sentent pas respectés comme français. Réponse
: "Ils disent : "Je ne suis pas français, je vis en France et en plus ma
situation économique est difficile." Mais personne ne les retient ici de
force." Quant aux motivations des jeunes des cités, elles n'ont aucun
lien avec l'emploi, selon lui. Que veulent-ils ? "C'est simple :
l'argent, les marques et, parfois, les filles." Certes, reconnaît-il,
"il existe des Français racistes, qui n'aiment pas les Arabes et les
Noirs". "Ils les aimeront encore moins en prenant conscience de combien
ceux-ci les haïssent (...) Imaginons que vous gérez un restaurant. Un
jeune vous demande un emploi. Il a l'accent des banlieues. C'est simple
: vous ne l'engagerez pas, c'est impossible." Voilà, se désole-t-il,
"des propos de bon sens", mais, dans la France actuelle, "on leur
préfère le mythe du "racisme français"". Et de conclure : "L'antiracisme
sera au XXIe siècle ce que fut le communisme au XXe."
Sylvain Cypel
***
Le MRAP a vaincu
le 25/11/2005 16:26:43,
Finkielkraut : « Je présente des
excuses »
Le philosophe, contre lequel le Mrap a
porté plainte pour incitation et provocation à la haine raciale suite à
des propos publiés dans le quotidien israélien «Haaretz», a déclaré
vendredi avoir été «victime d'amalgames».
http://www.liberation.com/page.php?Article=340521
Le philosophe Alain Finkielkraut
contre lequel le Mrap a décidé de porter plainte pour incitation et
provocation à la haine raciale après des propos publiés dans le
quotidien israélien «Haaretz», a présenté ses «excuses» vendredi,
déclarant avoir été «victime d'amalgames».
«Je présente des excuses à ceux que ce
personnage que je ne suis pas a blessé (...). La leçon, c'est qu'en
effet je ne dois plus donner d'interview, notamment à des journaux dont
je ne contrôle pas ou je ne peux pas contrôler le destin ou la
traduction», a déclaré Alain Finkielkraut sur Europe 1.
«Je n'ai en moi aucun mépris ou de
haine à l'égard de quelque collectivité que ce soit. Je me sens
solidaire par vocation des nouveaux immigrés en France et notamment des
immigrés de la deuxième ou troisième génération», a-t-il ajouté.
Le secrétaire général du Mrap, Mouloud
Aounit, avait annoncé mercredi son intention de porter plainte contre le
philosophe.
Selon Mouloud Aounit, l'entretien
publié le 18 novembre par «Haaretz» est «un texte d'une violence raciste
inouïe, qui se fait le porte-voix des clichés du Front national et
participe à mettre sur le terrain ethnique et religieux cette
insurrection sociale de Français qu'il nomme noirs ou arabes».
***
le 25/11/2005 19:22:39, Triarius a écrit http://forum.subversiv.com/:
Marche arrière toute !
Alain Finkielkraut tient apparemment à
ses dîners en ville, son poste sur France Culture voire sur Radio J.
Ayant créé l’émoi des bien-pensants et du lobby immigrationniste suite à
l’entretien décapant qu’il a accordé au quotidien israélien Haaretz
–voir notre précédente édition-, le philosophe médiatique a revu ses
prétentions au politiquement incorrect à la baisse vendredi matin sur
Europe 1. Questionné par Jean-Pierre ElKabach à ce sujet, M.
Finkielkraut a déclaré qu’il « (présentait) ses excuses à ceux que ce
personnage que je ne suis pas a blessé » (sic). « La leçon c’est qu’en
effet je ne dois plus donner d’interview, notamment à des journaux dont
je ne contrôle pas ou je ne peux contrôler le destin ou la traduction ».
A ce niveau « l’erreur de traduction » apparaît alors colossale si l’on
en juge par la longueur de cet entretien et l’empilement de propos
allant tous dans le même sens… « Je n’ai en moi aucun mépris ou de haine
à l’égard de quelque collectivité que ce soit. Je me sens solidaire par
vocation ( ?) des nouveaux immigrés en France et notamment des immigrés
de la deuxième ou troisième génération » a-t-il ajouté, prenant bien
soin, nous voilà rassuré, d’affirmer encore qu’il réservait sa « haine »
aux défenseurs de la « préférence nationale ». Des patriotes français
qui eux, précisons le à Alain Finkielkraut, ne cultivent la haine à
l’égard de quiconque mais sont seulement « des patriotes de l’espèce
amoureuse » comme le souligne Jean-Marie Le Pen. Mais cela, le «
brillantissime » M. Finkielkraut peut-il le comprendre ?
***
Finkielkraut veut faire "dérailler" internet
. par pierre Assouline sur son blog au Monde
http://passouline.blog.lemonde.fr/livres/
Cette nouvelle interwiew d’Alain
Finkielkraut fera certainement moins de bruit que la précédente, sauf
dans la médiasphère, la première concernée. Où l’on voit que le
philosophe ne craint pas d’enfoncer le clou, quitte à se faire
définitivement cataloguer comme « néo-réac », ce dont il se fiche à
juste titre. Car sous la colle des étiquettes, les idées demeurent et
elles seules valent d’être analysées nonobstant les catégories dans
lesquelles on se hâte de les ranger.
L’entretien en question paraît ces
jours-ci dans le numéro de décembre de La Revue littéraire (No21,
256 pages, Editions Léo Scheer). Il s’intitule "Après la défaite" et il
est conduit par deux piliers de la revue, Vincent Roy et Florent
Georgesco. Consacrés principalement au dernier livre d’Alain
Finkielkraut (Nous autres, modernes), les propos ont été recueillis le
14 octobre dernier, soit avant le scandale déclenché par l’article de
Haaretz. En voici des morceaux choisis, selon
un nécessaire « montage »
réalisé par ma pomme avec rigueur et honnêteté, ce qui va sans dire
mais va mieux en le disant en un temps où la moindre virgule déplacée
vaut un procès d’intention :
Question : (…) On entend partout
que vous êtes un conservateur. Mais je crois plutôt que vous êtes
moderne au point de réinventer la modernité. Vous dites : regardons ce
qui se passe derrière nous pour exister aujourd’hui
Réponse : Oui, j’entends bien –il
faudrait être sourd pour ne pas l’entendre !- qu’on me traite de
conservateur, voire de réactionnaire. Je suis considéré par toute une
intelligentsia progressiste comme un personnage pas fréquentable (…) On
connaît aujourd’hui un durcissement, une radicalisation politique. Et,
comme d’autres, j’en fais les frais (…)
Question : Vous semblez ne pas
avoir renoncé à l’idée qu’en philosophie, la vérité ne peut exister en
dehors d’une forme de beauté. Mais n’est-il pas trop tard ? (…)
Réponse : La poésie consiste à rendre
grâce. La célébration est sa tonalité fondamentale. Or, l’une des
tendances de la modernité est de substituer à la gratitude envers le
donné un ressentiment illimité à son encontre. Ce ressentiment conduit à
la création de ce que le philosophe Rüdiger Safranski appelle
une « cité
tautologique », c'est-à-dire un monde où l’homme ne rencontre que
lui-même, à travers ses produits, ses instruments, où l’homme, tout
harnaché de prothèses, vit dans une connexion perpétuelle, au milieu des
écrans. On assiste à une éclipse de la nature – une disparition
progressive du donné (…)
Question : Vous connaissez les
blogs, où tant de gens, qui parfois ne s’adressent plus à personne, se
répandent. Eh bien, j’ai entendu récemment un mot nouveau : blogosphère,
dont je ne sais pas ce qu’il désigne au juste, sinon peut-être ce
bavardage permanent, ce bruit de fond de l’expression universelle où
tout attention, et toute contemplation, est devenue impossible.
Réponse : Vous avez raison. L’avenir
de la culture, ce n’est pas le désert du silence total sous un pouvoir
écrasant, mais, en effet, la glossolalie, la volubilité exubérante d’une
blogosphère planétaire. (…) Voyez-vous, internet est une thèse sur
l’être : l’être est information, et une information, disponible,
malléable (…) L’information, internet noient les œuvres dans un flux
textuel informe, sans contenu. Et cela satisfait une certaine forme
d’égalitarisme. On nous parle beaucoup d’humiliation à l’école :
l’humiliation par les notes ; l’humiliation, aussi, par ces œuvres trop
belles, trop transcendantes pour reprendre votre terme, et qui
manifestent un écart insupportable entre leurs auteurs et ceux qui les
lisent. Cet écart doit être comblé et c’est à cela que la technologie
moderne, ou hypermoderne, se voue. Je ne vois pas bien comment résister
à ce phénomène, car il a pour lui une double légitimité : celle du
progrès technique et celle de la démocratie triomphante.
Question : En somme, ce processus
consiste, pour combler l’écart entre les œuvres et ceux qui étaient
censés les recevoir, à détruire les œuvres.
Réponse : Oui. »
Ailleurs dans l’interwiew, Alain
Finkielkraut évoque la fameuse métaphore de Walter Benjamin selon
laquelle la révolution n’est pas une locomotive conduisant le train de
l’histoire, mais la main de l’espèce humaine tirant l’alarme afin de
stopper ce train fourvoyé dans la mauvaise direction. Plus loin, il la
reprend à nouveau et dit : « Si le sens de l’histoire, c’est la
blogosphère, internet et les jeux vidéos, il faut vraiment essayer de
faire dérailler le train ».
Au fond, il en est de la philosophie
comme du chemin de fer : il n’y a pas que les trains qui y déraillent.
Ce qui, soit dit entre nous, ne m’empêchera pas de continuer à être un
lecteur et un auditeur attentifs d’Alain Finkielkraut, de prendre ses
écrits et ses déclarations au sérieux, d’apprécier son style, d’estimer
son intelligence, de reconnaître son travail sur les idées, d’admirer sa
culture, de reconnaître sa sincérité et son indépendance, de lui savoir
gré de nous faire réfléchir et de nous bousculer, ce qu'on attend en
principe d'un intellectuel. Quitte, dans le même temps, à lui reprocher
son manque de sang-froid, son incapacité à résister au piège des
formules trop brillantes, sa tendance à être le principal invité de sa
propre émission, sa facilité à se laisser griser par sa propre
rhétorique, une hystérisation des débats, son sens tragique de la vie
abusif et un certain goût du martyr, toutes choses préjudiciables à la
dispute intellectuelle
***
C’est
Finkielkraut qu’on assassine (info # 012611/5)
Par Viviane Miles
Saturday 26 November [14:23:00 GMT]
http://www.menapress.com/article.php?sid=1241
Lorsqu’il "présente des excuses à ceux que ce
personnage que je ne suis pas a blessés", Finkielkraut dénonce le Golem
que Cypel a construit de lui pour le rendre haïssable
Surprise, aujourd’hui, en parcourant la presse
française, et plus particulièrement Le Monde, Libération et le Nouvel
Obs, d’y trouver les « excuses » présentées par Alain Finkielkraut sur
Europe I suite à une interview qu’il a accordée au magazine israélien du
journal Haaretz la semaine dernière.
Le Monde, toujours aussi sûr de lui, s’avance même à
titrer : « M. Finkielkraut s’excuse pour ses propos dans le quotidien
israélien Haaretz » [lire l’article]. Or ce titre, qui induit les
lecteurs du Monde à penser que le philosophe regrette ce qu’il a dit aux
deux journalistes de Haaretz, n’a strictement aucun lien avec la vérité.
Ce sont au contraire les manipulations sémantiques du
Monde que Finkielkraut stigmatise !
Sur Europe 1, c’est d’avoir été « victime d’un immense
malentendu » dont le philosophe s’est plaint, dénonçant « un assemblage
où [il] ne se reconnaît pas ». Or, cet assemblage est en fait l’amalgame
de clichés pompés par Sylvain Cypel dans la longue interview de Haaretz
et réalignés par ses soins dans un article qu’il a publié dans Le Monde
du 23 novembre [lire l’article]. Le résultat de cette reconstruction de
texte par Cypel, malhonnête et simpliste, renvoie à dessein l’image d’un
penseur raciste ou même fascisant, aux convictions assurément
méprisables.
Or donc Le Monde, l’Obs et Libération, agissant
derechef comme les segments d’un même media unique, annoncent
triomphalement qu’Alain Finkielkraut, la victime de ce readers’ digest
véreux, présente des excuses pour ce qu’il a affirmé aux Israéliens !
Comme ces arrogants sont loin du compte ! Le
philosophe ne renie en aucun cas ses déclarations, il l’a affirmé à
Stéphane Juffa il y a quelques heures, précisant qu’il ne concevait
aucun grief à l’encontre de ses interlocuteurs israéliens. Lorsqu’il
"présente des excuses à ceux que ce personnage que je ne suis pas a
blessés", Finkielkraut dénonce le Golem que Cypel a construit de lui
pour le rendre haïssable. Impossible de s’y méprendre, c’est exactement
ce que le philosophe déclare au micro d’Europe 1 :
"Mais là, il s'agit de tout autre chose : du puzzle de
citations qu'il y a eu dans Le Monde, surgit un personnage odieux,
antipathique, grotesque auquel je n'aurais pas envie de serrer la main.
Et on me dit, là le cauchemar commence, que ce
personnage c'est moi.
Je n'ai aucun rapport avec le personnage que dessine
ce puzzle. Ce personnage, je le déteste comme tout le monde (...). Ce
corps textuel, cette tunique de Nessus que je suis obligé d'habiter !
Le philosophe refusa d'ailleurs, au cours de
l'interview d’Europe 1, [écouter l’interview] de "faire une autocritique
d'un assemblage où (il ne se) reconnaît pas". Devant un Elkabbach
agressif, qui n’a cessé d’interrompre grossièrement le philosophe à
chacune de ses réponses, usant à l’excès du procédé de déstabilisation
qui prétend donner la parole à l’interviewé, tout en l’empêchant de
s’exprimer librement. Et malgré ça, on a pu remarquer la patience et la
ténacité d’un Finkielkraut attaqué mais gardant parfaitement le cap de
ses raisonnements.
A vrai dire, il suffisait de lire les réponses faites
par le philosophe aux journalistes israéliens [lire l’article de Haaretz
en anglais], pour se rendre compte qu’elles sont par trop élaborées et
complexes pour constituer le corps d’une gaffe spontanée que le
philosophe pourrait avoir déplorée par la suite.
Que l’interview de Haaretz soit critiquée avec autant
de véhémence hystérique par les media franciliens, mais aussi qu’ils lui
accordent autant d’importance, et qu’ils aient tous jugé inutile de la
traduire, voilà qui renseigne autant sur leurs méthodes lapidatrices que
sur leurs intentions.
Il importe au contraire de pouvoir lire paisiblement
l’interview qu’Alain Finkielkraut a accordée à Dror Mishani et Aurelia
Smotriez avec beaucoup d’attention. Elle est intéressante à plus d’un
égard et même remarquable, dans ce sens où ce n’est pas tous les jours
que l’un des plus grands philosophes français de notre époque prend le
risque de dire des choses qui s’écartent des frontières de la pensée
unique. Il n’est pas nécessaire d’être totalement en accord sur tous les
points que soulève Finkielkraut pour relever le degré de consommation,
la constance et le courage des propos de leur auteur. A des
années-lumière de tout sentiment raciste, l’auteur apporte un éclairage
significatif et circonstancié, un regard d’authentique philosophe, sur
les violences dont les banlieues françaises ont été récemment le
théâtre.
La pensée unique du Monde, de Libération et du Nouvel
Obs est hégémoniste et exclusiviste par définition ; elle ne saurait
accepter de cohabiter avec d’autres explications que celles dont elle
gave le public. Dès lors elle se trompe, s’astreignant à un manichéisme
amputateur de pensées indispensables ; la pensée unique, pauvre, par
choix des plus petits dénominateurs communs, et incapable d’un regard
suffisant sur des événements exceptionnels, réagit en imposant la
conjonction alternative OU, s’en servant comme d’un outil à exclure ; à
exclure tout ce qui ne lui ressemble pas et qui refuse de se soumettre à
sa loi.
C’est de la conjonction de coordination ET, qu’il
faudrait se servir, lorsque l’on veut réellement appréhender la
problématique qui nous envahit. Comme : "dans les banlieues règne
l’exclusion ; l’ascenseur social est en panne ET il importe de
considérer au fond les remarques d’un philosophe de la trempe de
Finkielkraut pour creuser la réflexion".
Ce n’est pas en collant ses plus grands penseurs au
poteau d’exécution intellectuel, ce en bidouillant lamentablement leurs
propos, que la France s’en sortira !
Il est vrai que dans l’interview de Haaretz,
Finkielkraut commence par expliciter au media israélien la tendance
générale de la presse française à vouloir cantonner les causes de la
révolte à une dimension socio-économique. Selon lui, le problème est
bien plus vaste ET ne peut se satisfaire de cette explication réductrice
(OU) ; c’est pourquoi il invoque une composante ethnique et religieuse,
déclarant que « la plupart de ces jeunes sont des noirs ou des Arabes,
avec une identité musulmane ».
Une composante ethnique et religieuse qui est fort
différente d’une composante islamiste et aussi d’un militantisme pro
ethnique ou pro religieux, que Finkielkraut se garde bien d’invoquer. Ce
qui n’empêche nullement Laurent Joffrin, le directeur de la rédaction à
l’Obs, d’ajouter ses pierres à la lapidation du philosophe en critiquant
des propos que ce dernier n’a pas tenus : "je n’ai vu chez eux (les
jeunes) aucune revendication religieuse ou culturelle qui évoquerait
celles d’ethnies minoritaires et homogènes revendiquant des droits
particuliers". Pur égarement de Joffrin…
Même fourvoiement chez Michel Wieviorka, sociologue à
l"EHESS, lui aussi convié par l’Obs à faire partie du peloton
d’exécution : « En tant que sociologue, je n'ai jamais entendu dire que
ces violences aient été menées au nom de la cause "noire", "arabe" ou au
nom d'une quelconque couleur de peau. L'interprétation de Finkielkraut
ne correspond pas à la réalité. ».
Une nouvelle fois : où le philosophe a-t-il parlé
d’une cause ou d’une revendication noire ou arabe. Il fait état d’une
composante, d’un caractère ethnico-religieux, et cela n’a strictement
rien à voir ! Et pour ne laisser aucun doute sur sa perception des
choses, Finkielkraut rappelle que, "au contraire d’autres, (il) n’a pas
évoqué une Intifada des banlieues, et (il) ne pense pas que ce
vocabulaire devrait être utilisé".
Le philosophe est également très rigoureux quant aux
mots qu’il utilise, même oralement, ne laissant aucun espace pour des
digressions fantaisistes du genre de celles de Joffrin et de Wieviorka :
"Et, assurément, nous devons aussi éviter les généralisations : Il ne
s’agit pas des noirs et des Arabes comme d’un tout, mais cela (son
analyse) concerne certains noirs et Arabes. Et, c’est sûr, la religion
non comme la religion, mais comme une ancre (un symbole unificateur)
d’identité, si vous voulez joue un rôle. La religion telle qu’elle
apparaît sur Internet, sur les chaînes de télévision arabes, tient le
rôle d’ancrage d’identité pour certains de ces jeunes".
A l’Obs on s’en est donné à cœur joie dans l’exercice
d’ « un mot pour un autre », arme d’autant plus efficace qu’elle est
utilisée de manière intensive [lire l’article]. Toutes les réponses du
philosophe sont assorties de subtils petits mots assassins qui
détournent le sens que l’auteur leur avait donné.
Chaque ligne de l’article est une incitation à clouer
Finkielkraut au pilori. L’Obs définit l’interview comme « pour le moins
surprenante, digne, selon les journalistes, d’un dirigeant d’extrême
droite ».
Des exemples, en veux-tu, en voilà ! Une insinuation
fallacieuse qui fait mouche par ci, lorsqu’on écrit qu’ « il
[Finkielkraut] s’en prend vivement aux ‘noirs’, aux ‘Arabes’ et à
l’islam. ». Bis repetita par là au paragraphe suivant : « Le philosophe
s’en prend notamment, et vivement, aux jeunes musulmans des banlieues.
». L’Obs interprète allègrement les propos finkielkrautiens, affirmant
que « L’écrivain s’en prend vivement à l’antiracisme… ».
Décidément, ils n’ont que ces mots sous la plume ;
mais lisez mieux, Finkielkraut ne s’en prend vivement à personne !
Finkielkraut n’a pas tort lorsqu’il dit et redit qu’ «
il est impossible, voire même dangereux, de dire ces choses (celles
qu’il dit dans l’interview) en France aujourd’hui ». Preuve en est la
plainte que le MRAP a décidé de déposer pour « incitation et provocation
à la haine raciale » ; plainte que le MRAP a ensuite renoncé à faire
valoir, saisissant probablement qu’il chevauchait vers un désastre
juridique.
Auprès des journalistes d’Haaretz, Alain Finkielkraut
a abordé sans faux semblants des dossiers sensibles, comme celui de la
faillite de l’école. D’une part, soutient-il, le système éducatif a
démissionné de sa tâche de transmission des valeurs de la République, à
commencer par l’enseignement du respect, et a permis à certains
d’imposer une réécriture de l’histoire – entre autres de l’histoire
coloniale – telle qu’elle est enseignée, selon des critères opposés à
l’héritage culturel de la France. D’autre part, le rôle de l’école a été
détourné de sa vocation première, qui est l’instruction ; aujourd’hui on
attend d’elle qu’elle soit garante de débouchés professionnels, ce
qu’elle ne peut être en aucun cas.
L’école, dit Finkelkraut, n’avait pas pour but d’être
« agréable », mais de diffuser un savoir, d’enseigner un langage. « Au
sein d’une démocratie, il est difficile de tolérer des espaces non
démocratiques. Tout doit être fait démocratiquement dans une démocratie,
mais l’école ne peut pas être comme ça. (…) L’asymétrie est flagrante :
entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, entre celui qui amène un
monde avec lui et celui qui est nouveau dans ce monde. ». L’asymétrie
entre le détenteur du savoir, l’enseignant, et le récepteur de ce
savoir, l’élève, était logique. Aujourd’hui, l’école républicaine a été
remplacée par une communauté éducative horizontale plutôt que verticale.
On a voulu insérer au sein de l’école la démocratie qui s’y trouvait à
l’extérieur, et le résultat est que les maîtres ne peuvent plus
enseigner leur programme scolaire.
La France peut-elle se passer de ces réflexions ? La
France d’aujourd’hui, soumise au vide par l’absence d’élites dignes de
se nom, peut-elle se permettre le luxe de marginaliser les Alain
Finkielkraut, ou de finir de le "communautariser", comme ils disent ?
Le risque existe, car le media unique qui y fait la
loi, concentré sur sa chasse aux sorcières de la différence, semble, à
constater sa tentative de lapidation publique d’Alain Finkielkraut,
avoir totalement cessé de réfléchir…