Une proposition de loi envisage de supprimer la naturalisation
automatique des enfants nés aux Etats-Unis.
Philippe Gélie
LA CHAMBRE des représentants du
Congrès américain délibère demain sur une disposition qui pourrait
changer la face du pays. Au détour d'une proposition de loi destinée
à durcir la législation contre l'immigration illégale, l'acquisition de
la citoyenneté américaine par la simple naissance sur le territoire des
Etats-Unis pourrait être remise en cause. «tout individu né ou
naturalisé aux Etats-Unis et soumis à leur juridiction est citoyen»
de plein droit. Combien d'Européens
possèdent la double nationalité parce que leurs parents se trouvaient
outre-Atlantique lors de leur naissance ? Depuis près de cent quarante
ans, toute personne née sur le sol américain, même de parents en
situation illégale, a droit automatiquement à un passeport américain.
C'est la conséquence du 14e amendement à la Constitution, ratifié en
1868 pour garantir le droit des esclaves récemment émancipés de rester
dans le pays. Il stipule que Si la mesure défendue par 92 députés
républicains de la chambre basse était adoptée, c'en serait fini de
cette application radicale du droit du sol, que les Etats-Unis sont un
des derniers pays au monde à maintenir sans aménagements. Les auteurs du
texte estiment que les illégaux ne sont, par définition, pas «soumis à
la juridiction» américaine et que le 14e amendement ne s'applique pas à
eux. Le raisonnement concernerait par extension les touristes et autres
ressortissants étrangers non immigrants.
«Certains viennent chez nous pour
mettre au monde des enfants…», explique Lamar Smith, élu républicain du
Texas. La disposition sur la citoyenneté s'inscrit dans un texte «tout
répressif» qui laisse de côté le programme de visas temporaires en
faveur des travailleurs étrangers proposé par George W. Bush. La
Maison-Blanche et le Parti républicain le déplorent, craignant de perdre
les voix de la communauté latino-américaine, première minorité dans le
pays. A un an des élections de mi-mandat, qui verront le renouvellement
de la Chambre et d'un tiers du Sénat, les élus font la sourde oreille.
«Il ne s'agit pas d'un problème politique à gérer, dit le représentant
de l'Arizona Hayworth, c'est une invasion qu'il faut arrêter.»
La proposition de loi imposerait
aussi aux employeurs de vérifier le numéro de Social Security de tous
leurs salariés dans une base de données nationale sous peine de
sanctions sévères. Elle rendrait obligatoire la détention
préventive des clandestins, limiterait les recours contre les procédures
d'expulsion et imposerait des peines incompressibles contre les passeurs
et les récidivistes. Certains députés voudraient aussi faire voter
la construction d'une barrière métallique le long des 3 200 km de
frontière avec le Mexique...
Outre l'administration, les
associations d'immigrés et les lobbies industriels ont tenté de bloquer
ce texte. «Il n'a pas besoin d'avoir force de loi pour nous
offenser, dit Cecilia Munoz, du Conseil national La Raza à Los Angeles.
Le mal est fait.» Bruce Josten, vice-président de la chambre de
commerce américaine, regrette l'absence de mesures d'accueil des
travailleurs étrangers, indispensables dans l'agriculture et le
bâtiment, ainsi que l'obligation «irréaliste» de contrôler le statut des
145 millions salariés américains.
Mais rien ne semble entamer le zèle
des députés. D'après les sondages, 51% des Américains considèrent la
lutte contre l'immigration clandestine comme une priorité et 49%
approuvent la suppression de l'octroi automatique de la nationalité. Les
adversaires comptent encore sur le Sénat ou sur la Cour suprême pour
bloquer la réforme.

Les chiffres de l'immigration aux Etats-Unis
Ph. G.
[le figaro 14 décembre 2005]
Il y aurait 35,2 millions d'étrangers
aux États-Unis, en situation légale ou illégale, soit 12,1% de la
population, selon le Centre d'études sur l'immigration de Washington, un
institut qui prône le contrôle des flux migratoires. Depuis 2000, 7,9
millions d'immigrants seraient entrés dans le pays, dont 3,7 millions
clandestinement, chiffre record.
En 2004, il y a eu 418 332
naturalisations aux États-Unis. Les estimations varient de 100 000 à 350
000 naissances par an d'enfants américains nés de parents sans papiers.
Chaque année, plus d'un million de clandestins sont arrêtés et renvoyés
hors du pays par 11 500 gardes-frontières. Plus de 85% d'entre eux sont
mexicains.