Bruxelles compte désormais 15 000
lobbyistes. Le chiffre est avancé par Siim Kallas, commissaire
européen chargé des affaires administratives, d'audit, et de fraude.
M. Kallas estime que l'activité des lobbies et des 2 600 grands
groupes d'intérêt qui disposent de bureaux dans la capitale européenne
draine un budget "de 60 à 90 millions d'euros". C'est beaucoup
moins qu'à Washington, où les groupes de pression disposent, chaque
année, de quelque 2 milliards de dollars, selon l'estimation de
Roberta Baskin, directrice de l'ONG Centre for Public Integrity.
Cette Américaine, ancienne
journaliste d'investigation, était, vendredi 27 janvier, l'invitée des
organisations Alter EU Alliance pour la transparence du lobbying et
l'éthique et Journalists@Your service, l'une des associations
professionnelles de journalistes qui s'inquiètent de l'influence des
groupes de pression sur les médias. "Le quatrième pouvoir a soldé
son indépendance pour s'accomplir en instrument de propagande",
assène Raoul Jennar, chercheur, membre de l'Unité de recherche, de
formation et d'information sur la globalisation (Urfig), dans sa
préface à Europe Inc. (Editions Agone), un livre sur le pouvoir
des lobbies paru en 2005.
"Bruxelles arrive à la
deuxième place des capitales du lobbying, mais en termes d'exposition
des décideurs publics à cette
activité, que l'on peut mesurer par le ratio
lobbyistes/fonctionnaires + élus, la capitale européenne arrive, de
loin, en tête", souligne Florence Autret, dans l'introduction
d'un séminaire qu'elle consacre au sujet à Sciences Po Paris.
La Commission de Bruxelles,
principale cible des bureaux de relations publiques, groupes
industriels, représentations, unions professionnelles, cabinets
spécialisés et autres groupes de réflexion, compte quelque 26 000
fonctionnaires. Les journalistes, eux, sont un bon millier à disposer
d'une accréditation auprès des institutions de l'Union (Commission,
Conseil, Parlement). Ils forment un autre "groupe cible" pour les
lobbies. Et singulièrement pour certains centres que finance la grande
industrie 70 % des lobbyistes travaillent pour elle , toujours prêts à
mettre à leur disposition un "expert" à même de résumer en termes
simples l'actualité la plus compliquée.
Les hommes d'influence britanniques
sont réputés pour décrocher l'information le plus tôt et tenter,
ainsi, de peser au mieux sur les décisions. De l'aveu d'un
porte-parole de la Commission, ils disposent des meilleurs relais dans
la presse : "Ouvrez le Financial Times le mardi, et vous
saurez quelles seront, le lendemain, les décisions du collège
hebdomadaire des commissaires", ironise ce haut fonctionnaire.
LES FRANÇAIS EN RETARD
Dans un document publié en novembre
2005, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris invitait les
entreprises françaises, en retard sur leurs homologues anglo-saxonnes
en matière de lobbying européen, à "affiner leurs arguments et
démultiplier leurs cibles". Parmi celles-ci, relève la CCIP, les
"faiseurs d'opinion, comme la presse". L'auteur plaidait aussi
pour une alliance entre "intelligence économique et lobbying".
Daniel Guéguen, fondateur du bureau
Clan Public Affairs, estime que les stratégies développées à l'avenir
dans le domaine de l'intelligence économique "comporteront
probablement le recours à des pratiques de manipulation, de
déstabilisation et de désinformation". M. Guéguen est de ceux qui
s'affirment partisans d'une réglementation de l'activité des
lobbyistes bruxellois. Ou du moins d'une "autorégulation", avec
la constitution d'un ordre professionnel.
M. Kallas veut aller plus loin. Il a
plaidé, en mars 2005, pour que les lobbyistes soient tenus de révéler
leurs commanditaires et leurs sources de financement. La Société des
professionnels des affaires européennes a réagi de manière virulente,
amenant, semble-t-il, le commissaire à faire un pas de côté. Des
organisations européennes de journalistes exigent toutefois que les
projets de réforme soient concrétisés et allient la régulation de
l'accès à l'information à un meilleur contrôle des lobbies.