Depuis mon époque, le monde a changé,
la société surtout. Auparavant on vivait pratiquement dans les rues,
nous avions seulement deux chaînes de télé noir et blanc, tout le monde
regardait les mêmes choses et se sentait impliqué. Nous vivions, tous,
dans l’attente que quelque chose change, qu’on participe davantage aux
destinées de nos nations; tout le monde, d’une manière ou d’une autre
n’acceptait pas l’injustice. Et, paradoxalement, cela ne changeait pas.
Aujourd’hui la donne est différente,
elle s’est inversée. Le panorama mondial a été bouleversé, tant en bien
qu’en mal: chute du mur de Berlin, faillite du communisme, émergence
progressive d’un pôle de puissance européen. Mais la société n’est plus:
nous assistons à l’émiettement et au délitement du tissu social. On vit
de plus en plus dans une dimension virtuelle, prisonniers de la logique
du spectacle et du marché.
Une manifestation de rue, une
mobilisation sur le terrain, à l’époque, avait un sens, une dynamique et
faisait partie d’un projet. C’était aussi le résultat d’une action
prolongée et concrète. Aujourd’hui comment ne pas partager l’avis
d’Oreste Scalzone quand il dit craindre que les altermondialistes ne
puissent jouer qu’un rôle de saltimbanques dans le cirque de la
mondialisation ? Militer, c’est aussi fuire le ridicule et la caricature
de soi-même. La tragédie ne doit pas se transformer en farce.

Je n’accepte donc pas de choisir entre
deux fausses options : la caricature de l’engagement politique ou la
fuite dans la sphère privée. Il existe une autre voie - nous pourrions
dire ironiquement qu’il existe toujours une troisième voie - qui est
plus difficile, mais qui vise au concret, au réel. Par concret,
j’entends quelque chose qui contribue à changer les mentalités, à
réaliser des structures différenciées et à former des élites qui ne
perdent pas leur vocation sociale et populaire. Car nous entrons dans
l’époque des élites et ne sommes plus à l’âge des masses. Je parle, bien
sûr, d’une élite révolutionnaire dans le sens que nous avons toujours
attribué à ce terme : un choix radical de valeurs et d’existence, un
engagement pour la justice.
Comment donc former cette élite
révolutionnaire ? En travaillant, en fait, avant tout sur elle. Cela,
non dans un but d’autosatisfaction, mais en visant une mutation
anthropologique qui lui permette de quitter l’arrière-garde, la
périphérie du village global du spectacle, pour passer à l’avant-garde
d’un processus révolutionnaire, tels que la puissance Europe ou la
puissance Eurasie. Une telle puissance ne pourra être conçue, ni moins
encore réalisée, sans la participation d’hommes et d’élites de diverses
provenances, comme c’est le cas dans toute révolution. Car le clivage
droite/gauche est faux. Il ne vit que dans l’immobilité, la stagnation.
Il ne s’agit pas, toutefois, de tracer
quelques idées-forces, d’élaborer des mythes mobilisateurs ou, pis
encore, des utopies: il s’agit d’acquérir la maîtrise d’instruments tels
que la communication qui, surtout à notre époque, est la clef de voûte
de toute action politique. Il faut, donc, se remettre en cause et,
surtout, devenir pragmatique. Mais dans le vrai sens du terme qui
signifie capacité à s’adapter aux instruments, mais surtout faculté de
les adapter à nous, certainement pas dans le sens commun qui,
aujourd’hui, est synonyme de perte d’identité.
C’est pour cela que plus on acquiert
de capacités réelles (au sens métapolitique, économique, technique, à
l’échelle des micro-pouvoirs), plus il est nécessaire de se confronter à
ses propres racines, son histoire et à ses liens de sang pour vérifier
si l’on en est digne. Une élite aristocratique qui soit avant-garde,
fidèle à elle-même, qui puisse monter en puissance, qui effectue cette
nécessaire mutation anthropologique, tout en étant reliée à ses mythes
fondateurs : voilà ce qu’il faut créer. Cela implique donc une sélection
naturelle, totale, car pour être parties prenantes de ce processus trois
qualités sont déterminantes et indispensables: le travail,
l’intelligence et la rigueur.
Les extrêmes aujourd’hui se
remplissent la bouche et se bourrent le crâne de mots forts qui ne
correspondent pas du tout à leur façon de vivre, ni à leur action
politique, si tant est qu’on puisse parler d’action politique. Cela est
dû en premier lieu à l’absence d’une identité vraie et vécue, ce qui
mène à une recherche hâtive se traduisant exclusivement par les mots et
des propos mirobolants, nais conduisant également à la marginalisation
sociale et souvent culturelle.
Elles se prétendent anti-Système mais
cette opposition est avant tout abstraite. Je doute qu’il y en ait
beaucoup en mesure de définir avec exactitude ce qu’elles combattent et,
moins encore, comment; vu qu’elles vivent conditionnées quotidiennement
par les modes et les valeurs contre lesquelles elles prétendent lutter.
C’est ainsi que, comparses et spectateurs à la foi, les extrémistes se
replient dans l’attente hollywoodienne d’un salut miraculeux, qu’il
s’agisse du fantasme de la guerre de classe, de la libération mondiale
ou de la guerre raciale.
Sans se perdre dans une exégèse et une
analyse de ces différentes théories, il faut souligner qu’elles révèlent
bien souvent l’absence d’un engagement, d’une action réelle. Comme
l’affirmait Plotin, ” il n’y a pas de dieux pour se battre à la place de
ceux qui, plutôt que de prendre les armes, prient”. Il faut donc prendre
les armes, mais des armes adaptées. Celles qui forment et qui forgent,
car nous n’avons personne en face si ce n?est le miroir réfléchissant de
notre propre égoïté, le petit homme qui sommeille en nous. L’ennemi
principal réside en nous-mêmes. C’est l’égoïsme, l’arrivisme, le
carriérisme; c’est la prétention, la fourberie, I ‘absence de sacrifice;
cela peut être même la conviction d’une supériorité de “droit divin”,
due à l’idéologie, la classe sociale ou l’appartenance ethnique. Toute
véritable supériorité se réalise d’abord, puis se manifeste. Elle n’est
jamais acquise d’avance et ne doit jamais s’afficher avec morgue et
arrogance, car, dans ce cas, elle ne serait que la démonstration d’une
trop évidente infériorité.
Apprenons donc d’abord à nous vaincre
nous-mêmes et devenons une élite capable de se prendre en main.
Produisons de la richesse et sachons la répartir selon une logique de
socialisation, propre à la République de Salô. Fuyons donc la stupidité,
l’inaptitude et tout simulacre ; soyons d’abord authentiques car c’est
le principal et, je dirais même, le seul vrai clivage du combat de
demain.
Une fois nos comptes réglés avec
nous-mêmes, en notre for intérieur, identifions le deuxième ennemi,
l'ennemi de tous, l’internationale des malfaiteurs, la mafia
multinationale qui a emporté la victoire durant la Deuxième Guerre
mondiale et règne sur la planète par la rationalisation du trafic de
drogues, le pillage systématique des matières premières, tout en
exportant la famine, les génocides, le désespoir, les migrations et
l’injustice à tous les échelons. Elle est forte de trois éléments
indissociables : la superpuissance militaire américaine, le matraquage
hypnotique opéré par le réseau planétaire des médias et la lâcheté des
classes politiques et intellectuelles, celles qui n’ont jamais effectué
de révolution intérieure, et ne sont donc ni fières ni libres.
Face à un tel ennemi, on ne peut se
poser en antagoniste, si ce n’est pour se faire plaisir à l’instar d’un
enfant qui joue au guerrier sans que les adultes ne le regardent. Il est
évident que dans l’actuel rapport de force, le macro-pouvoir globalisé
n’est pas vulnérable. Il est toutefois possible de lui opposer une
résistance culturelle et une contre-offensive sociale fondée sur les
autonomies productives, tout en essayant de participer à l’animation
d’alternatives politiques de grande envergure, comme celles qui mènent à
la puissance Europe.
Il faut donc bien identifier cet
ennemi, tant en être, qu’en devenir, Il est à la fois parasite et cancer:
nous ne pouvons pas établir avec certitude si son action durera jusqu’à
que la tumeur ait causé des dégâts irréparables pour tous les peuples ou
si elle s’épuisera avant selon un schéma entropique de déperdition
d’énergie. C’est aux deux hypothèses qu’il faut se préparer pour
participer, de la base, à la renaissance de l’Europe et à la
régénération de nos peuples. Travaillons donc, retroussons nos
manches, car la tâche est d’importance.
Extrait de “Nos Belles Années de
Plomb” - disponible à la
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