Nous avons beau proclamer, sur tous
les tons, notre attention généreuse ou compréhensive aux « autres »,
notre égocentrisme ne connaît pas de bornes. Ainsi, nous, modernes
Occidentaux ou occidentalisés, concevons l'univers qui nous entoure
comme une matière dénuée d'intentions et la nature comme un objet, que
nous seuls, humains, pouvons apprivoiser et modifier plus ou moins à
notre gré.
Certains peuples, de plus en plus
rares, restent heureusement attachés à une autre représentation du monde
comme le rappelle l'anthropologue Philippe Descola, dans ses deux
ouvrages « Par-delà nature et culture » et « Lances du crépuscule ». Les
Achuars, des Jivaros de la haute Amazonie, accordent ainsi une âme à la
plupart des plantes et des animaux. Les femmes s'adressent aux premières
comme à des enfants qu'elles maternent; les hommes voient les seconds
comme des alter ego exigeant respect mutuel. Ce respect « transcendantal
» des autres êtres exige, par exemple, qu'un sorcier, avant de couper la
plante dont il a besoin pour soigner un malade, récite une courte prière
pour s'excuser d'interrompre sa vie, sacrifiée pour sauver un homme.
D'autres peuplades voient les animaux
à la manière d'humains, qui se déguisent quand ils parcourent la forêt,
mais redeviennent des hommes quand ils s'en retournent, la nuit, dans
leurs campements. D'autres établissent des correspondances entre des
lignages d'humains et non-humains; d'autres, encore, tracent des
analogies... Nous-mêmes n'avons, d'ailleurs, pas toujours conçu la
nature comme une donnée extérieure et ce « grand partage » entre nature
et culture, qui semble aller de soi, n'a pris tout son effet qu'à la fin
du XIXe siècle.
Revenir à l'idée que l'homme,
l'animal, le végétal et le minéral constituent ensemble un macrocosme
unifié pourrait être un premier pas pour en finir avec notre
égocentrisme dévastateur. Mais nous pouvons aussi aller encore plus
loin. Pourquoi ne pas explorer ce que certains chercheurs appellent le «
champ morphogénique ». Cette sorte de réseau, comparable au GSM, permet
de communiquer avec tout être se trouvant en empathie. Les chercheurs
pensent que c'est grâce à ce champ que tous les singes des îles ont su,
à distance, à partir de l'expérience itérative d'un seul groupe de
singes, tremper des patates douces dans l'eau de mer pour en retirer le
sable et relever leur goût. À des milliers de kilomètres, chez tous les
animaux, on peut constater de tels changements de comportement à un
moment donné... Pour les humains, le fonctionnement est absolument
identique: les découvertes se font le plus souvent à plusieurs endroits
de la planète simultanément. Par ce réseau de communication s'opère un
téléchargement des connaissances qui permet de faire évoluer beaucoup
plus vite les événements... et les consciences. Cette conception n'est
pas si nouvelle, mais quelle révolution merveilleuse ce serait si nous
parvenions à inclure tous les autres êtres de la planète dans ce réseau
!