Suisse : Le « bébé-médicament », dérive
eugénique
Prise de position de la commission bioéthique de la CES
ROME, Mercredi 7 juin 2006 (ZENIT.org)
– « La Suisse doit donner un signe clair en interdisant le «
bébé-médicament », le principe même du DPI, et tout autre forme
d’instrumentalisation des embryons humains », affirment les évêques
suisses.
Les évêques catholiques de Suisse ont en effet publié, le 1er juin
cette prise de position vigoureuse dénonçant, de façon clairement
argumentée, la « dérive eugénique » manifestée par la recherche de «
bébés-médicaments» (cf.
http://www.cath.ch).
Ils concluent en proposant cette alternative : « Le don de moelle
osseuse d’un adulte compatible rendrait … inutile le recours aux «
bébés-médicaments ». Au lieu de l’eugénisme et de sa logique de mort,
la Suisse devrait parier sur le don, la solidarité et la culture de
vie. Elle renouerait ainsi avec sa grande tradition humaniste ».
Déclaration
En janvier 2005 est né à Genève le premier « bébé-médicament » de
Suisse : cette petite fille, conçue par « fivete » (Fécondation in
vitro), a été sélectionnée dans un laboratoire de Bruxelles pour
servir de donneuse de moelle osseuse à son grand frère de six ans
souffrant d’une grave déficience immunitaire (granulomatose). La
greffe a réussi et le garçon semble reconstruire ses défenses
immunitaires. S’il n’est pas judicieux de critiquer l’intention
subjective de parents qui ont souffert, et si l’on se réjouit de la
guérison de l’enfant, il reste que la technique des «
bébés-médicaments » constitue une forme inquiétante d’eugénisme.
Un faux argument
Contrairement à une opinion répandue, ce n’est pas l’intention
parentale qui est en cause : le désir d’enfant pour venir en aide à un
autre n’est pas moins noble que bien d’autres désirs de naissance plus
égoïstes : quelles que soient les motivations d’origine, le désir
parental n’est-il pas destiné à se métamorphoser en amour de l’enfant
? Pourquoi voudrait-on que cette petite « fille-médicament » ne soit
pas aimée comme une autre ?
Une pratique éthiquement inacceptable
C’est pour d’autres raisons que la méthode est inadmissible. Pour
donner naissance à la petite fille « bébé-médicament », le laboratoire
bruxellois de Mme Hilde van de Velde a délibérément produit quelque 20
ou 30 embryons humains dans le but de les sélectionner. Tant mieux
pour celui qui a eu la chance de survivre. Mais tous les autres ont
été éliminés et détruits, comme de vulgaires marchandises. Cette
pratique est intolérable pour deux raisons :
1° L’instrumentalisation des embryons humains produits et éliminés
volontairement
La technique sacrifie délibérément une foule d’embryons produits
volontairement. Or une fin noble (soigner un malade) ne justifie pas
de tuer des embryons, qui sont des individus de l’espèce humaine. Ici,
l’embryon n’est plus traité comme une fin : il est instrumentalisé et
considéré comme une marchandise. Cette pratique constitue un recul de
l’humanisme, d’autant plus sournois qu’on la camoufle par l’émotion
suscitée par le petit enfant malade et la souffrance de ses parents.
2° L’eugénisme
L’eugénisme est une pratique odieuse consistant à sélectionner des
enfants à naître en fonction de critères utilitaires qui ne respectent
pas leur dignité intrinsèque. Une instance extérieure, médicale et
technicienne, décide ici qui mérite de vivre et qui ne le mérite pas.
Tel embryon méritera de vivre parce qu’il est génétiquement compatible
avec le receveur de moelle osseuse, tandis que les nombreux autres
embryons sont tués au seul motif qu’ils ne possèdent pas les
caractéristiques génétiques requises. Cela ne fait-il pas frémir
d’apprendre que certains individus humains sont acceptables et
d’autres pas ? A l’évidence, la pratique du « bébé-médicament » est un
eugénisme honteux, tout enveloppé de bons sentiments.
L’impasse du DPI en Suisse
L’eugénisme négatif (suppression d’un embryon porteur de caractères
génétiques inappropriés) est de même type que l’eugénisme positif
(sélection d’un embryon porteur de caractères génétiques appropriés,
et destruction des autres). Or, en 2005, les Chambres fédérales ont
accepté l’eugénisme négatif (DPI : méthode de destruction d’embryons
porteurs d’une grave maladie), mais elles voudraient en même temps
interdire l’eugénisme positif (« bébé-médicament » : sélection d’une
embryon acceptable). Cette attitude est incohérente et irréaliste.
1° incohérente : positif ou négatif, un eugénisme ne change pas de
nature : il s’agit d’une instrumentalisation de l’individu humain.
Si la technique du « bébé-médicament » est contraire à la dignité
humaine, c’est justement parce que le DPI est un déjà un eugénisme
contraire à la dignité humaine. La Suisse s’enferme dans une impasse
en voulant autoriser l’un mais pas l’autre.
2° irréaliste : si, comme le veut le Parlement, on autorise le DPI en
cas de maladie grave pour l’enfant à naître, on n’aura ensuite plus
aucune raison de s’opposer au « bébé-médicament ». Face au « tourisme
de la grossesse » (comme celui qu’a pratiqué ce couple genevois), on
ne tolérera pas longtemps que seuls les parents qui en ont les moyens
puissent se rendre à Bruxelles se payer un « bébé-médicament », alors
que d’autres en seront privés, livrés à leur souffrance. Tôt ou tard
on devra accepter le « bébé-médicament », puisqu’on aura déjà
cautionné le DPI qui le rend possible.
Seul le refus du DPI peut donner un argument de refuser le «
bébé-médicament ». La Suisse doit donner un signe clair en interdisant
le « bébé-médicament », le principe même du DPI, et toute autre forme
d’instrumentalisation des embryons humains. Ne pas le faire, c’est
franchir la ligne rouge et produire de nouvelles dérives. La solution
politique réside dans la stricte application de l’art. 119 de la
Constitution suisse (déjà écorné par la Loi sur les cellules souches
embryonnaires et l’acceptation de principe du DPI).
Pour une culture de la vie
Mais que proposer aux familles confrontées aux souffrances d’un
enfant qui a urgemment besoin d’une greffe de moelle ? Il faut trouver
dans le monde un donneur compatible ! C’est difficile actuellement,
mais c’est possible, et certainement moins coûteux en vies humaines
que la technique des « bébés-médicaments ». Pour couper court à tout
eugénisme, il convient de développer les registres de donneurs et
d’encourager les gens au don d’organe, de sang et de moelle osseuse.
Le don de moelle osseuse d’un adulte compatible rendrait en effet
inutile le recours aux « bébés-médicaments ». Au lieu de
l’eugénisme et de sa logique de mort, la Suisse devrait parier sur le
don, la solidarité et la culture de vie. Elle renouerait ainsi avec sa
grande tradition humaniste.
Fribourg, 1er juin 2006
ZF06060711