Il y a deux lectures possibles du
phénomène Bernard-Henri Lévy (BHL).
Une interprétation légère ironisera sur les fantaisies du dandy
médiatique. Une lecture plus sévère décrira l’homme de pouvoir et de
réseaux. C’est ce que font les journalistes
Nicolas Beau et Olivier Tocser dans leur pamphlet sur « Une imposture
française ». Mais BHL n’est pas seulement cela. Par son
importance dans l’élaboration et l’imposition dans les esprits de
l’idéologie dominante des trente dernières années, il est l’acteur
majeur de l’imposture antifrançaise.
Explications :
1. Le dandy médiatique
L’affaire est entendue pour les
auteurs d’une « imposture française » : BHL est un « dandy médiatique
» (p. 14), « c’est le plus beau décolleté de Paris » (Angelo Rinaldi)
grâce à un excellent faiseur qu’il partage avec Charles Pasqua, Jack
Lang et Yves Saint-Laurent et qui lui fournit des chemises pour la
bagatelle de 350 € (p. 18). « Il borde son personnage comme un lit
d’appelé » (Philippe Lançon, p. 38). C’est un « Afghan de papier » (p.
46) qui travaille à coups de SAM, Société d’admiration mutuelle (p.
48), promouvant les films de sa femme, Arielle Dombasle, et les siens
pour le plus grand malheur du contribuable : ainsi pour « Le jour et
la nuit », film pour lequel le critique Pierre Billard (p. 126) voyait
« John Huston et Visconti réunis », il n’y eut, en 1997, que 70 000
spectateurs, ce qui revint à… 110 € de subventions par spectateur.
Tout ceci serait finalement drôle et
bénin si « ses innombrables relations dans le monde des affaires
n’avaient fait de lui un intouchable (…), l’écrivain est devenu
l’arbitre des élégances de la presse et des médias en France,
distribuant les bons points et écoutant les mal pensants » (p. 17).
Ici le dandy médiatique se mue en chien de garde de l’idéologie
dominante.
2. Chien de garde de l’idéologie dominante
Avec l’ « Idéologie française »,
publié chez Grasset en 1981, BHL fonde la démarche de culpabilisation
permanente de la France, puisque toutes ses gloires intellectuelles –
Voltaire, Gobineau, Péguy, Maulnier… et même Jean Jaurès – y sont
présentées comme « préfascistes » et traînées au banc d’infamie. C’est
aussi l’exaltation des valeurs universelles et éternelles de « l’homme
abstrait » et le dénigrement de « ces peuples d’autochtones enchaînés
à leurs collines, enchaînés à leur clocher » (p. 212) et même la haine
lyrique de la France charnelle : « Qu’y a-t-il de plus imbécile, de
plus bêtement obscurantiste qu’un nationaliste qui, dans les œuvres de
l’esprit, dans un livre ou dans une toile, s’attache à retrouver la
trace d’un hypothétique génie français ? C’est un régionaliste qui
dans les même œuvres de l’esprit, dans le même livre ou la même toile,
ne hume plus que les parfums de Lorraine, des grasses terres de Beauce
ou des embruns bretons » (p. 214).
C’est dans cette même logique
antifrançaise que BHL créera le mensuel (à l’époque) branché, GLOBE,
dont le manifeste de présentation du premier numéro s’ouvre ainsi : «
Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui
est terroir, bérets, bourrées, binious – bref franchouillard ou
cocardier – nous est étranger voire odieux. »
Dans la foulée de cette
dévalorisation de l’image nationale, BHL sera à la pointe de la mise
en avant de l’idéologie antiraciste que son ancien compagnon de route
Alain Finkielkraut qualifie aujourd’hui de « communisme du XXIe siècle
».
Il devint ainsi l’un des pères
fondateurs de SOS-Racisme dont Harlem Désir a ainsi décrit le
lancement dans son ouvrage « Touche pas à mon pote » (Grasset, 1985) :
« Bernard-Henri Lévy nous a ouvert les portes que nous cherchions
désespérément à forcer. Là, en une heure au bar du Twickenham, son bar
favori, il nous a fait un plan de bataille en or massif. Les
célébrités du cinéma, du showbiz, de la politique, du monde
intellectuel, il en faisait son affaire. Tous allaient accourir,
porter notre badge, soutenir l’association, participer à son combat.
Mais il fallait aussi obtenir le soutien des journalistes, les
convaincre de faire des portraits de nous, etc. Eblouis, emportés,
nous l’écoutions réciter négligemment l’annuaire du Gotha parisien »
(p. 49).
Culpabilisation de la France, antiracisme militant sont les deux
premiers piliers de l’idéologie béhachélienne ; le troisième c’est
l’alignement – au nom des droits de l’homme – sur les positions de la
puissance américaine, ce qui a conduit BHL à soutenir les guerres de
l’OTAN, notamment contre la Serbie. C’est la même démarche qui l’a
poussé récemment à publier « American Vertigo », ouvrage peu pris au
sérieux aux Etats-Unis mais encensé en France et que BHL justifiera
par la nécessité de faire reculer l’antiaméricanisme qu’il qualifie de
« dernière religion en France ».
Ces engagements valent à BHL un portrait au vitriol par Régis Debray
dans « Le B.A.ba du BHL » (La Découverte, 2004) : « Nous avons les
divas que nous méritons. Le fric, l’image et le lieu commun sont les
trois pilotis de notre système social. BHL réussit la synthèse. Il
mérite sa place. »
3. Le fric, l’image et le lieu commun
La formule de Régis Debray mérite
qu’on s’y attarde. L’analyse des relations et du système BHL montre en
effet l’étroite connivence entre les grands milieux d’affaires et
l’idéologie politiquement correcte. Dans le n° 9 du mensuel GLOBE de
juillet/septembre 1986, BHL écrit : « Ma religion est faite : entre
l’Etat et la Bourse je choisis la Bourse. » Les liens de BHL avec la
Bourse sont effectivement forts. Nicolas Beau et Olivier Tocser
racontent, p. 11 de leur livre, que « Maurice Lévy, puissant patron de
Publicis » et « conseiller en lobbying de la moitié des grands patrons
du CAC 40 », est intervenu auprès d’eux pour les faire renoncer à leur
décision de publication.
Et les projets littéraires, cinématographiques et idéologiques de BHL
sont ou ont été puissamment soutenus par trois des grands parrains du
capitalisme financier français :
– Jean-Luc Lagardère, ce marchand d’armes devenu éditeur (Grasset)
dont BHL fit l’éloge funèbre ;
– Claude Bébéar, patron d’AXA, éminence grise du patronat français,
promoteur à travers l’Institut Montaigne de la mise en œuvre de la «
discrimination positive » dans les entreprises ; lui aussi lié à BHL à
travers les surgelés Picard (ça ne s’invente pas) dont ils sont l’un
et l’autre détenteurs de 4 % de parts des actionnaires de référence ;
– et surtout François Pinault, le Bernard Tapie du bois exotique, le
collectionneur d’ « art minimal » qui a racheté à la famille de BHL la
BECOB (société d’exploitation de bois exotique) pour 730 millions de
francs en 1992, François Pinault à propos duquel BHL déclare : « Pour
réaliser mon premier film “Bosna” (1994) c’est vrai qu’il m’a aidé (…)
lorsque SOS-Racisme a un gros problème de fric, je vais voir François
Pinault. Je lui dis qu’il faut aider » (cité p. 77 de « Une imposture
française »).
Le cas BHL illustre donc
parfaitement les relations entre le capital dominant et l’idéologie
dominante. Plusieurs interprétations de ce fait sont possibles.
D’abord, le capital, qui a la planète pour marché, peut trouver
intérêt à développer l’idéologie d’un monde sans frontières. Mais
cette vision quasi marxiste n’est pas forcément la seule à retenir. En
aidant l’idéologie dominante, les patrons d’influence peuvent aussi
être dans une logique de troc au service de leurs propres intérêts
particuliers : apporter des moyens aux faiseurs d’opinion et en
retirer un gain en terme d’image pour eux-mêmes et leurs entreprises ;
gain d’image d’autant plus nécessaire quand il s’agit d’un marchand
d’armes, d’un exploitant de bois tropicaux et d’un assureur dont le
métier est la discrimination des risques. Il y a sans doute là une des
clés du système : une puissance financière n’achète pas des médias
pour changer leur orientation mais pour lisser son image personnelle
au regard de l’orientation dominante.
Ainsi la finance se met au service
de l’idéologie dominante pendant que l’idéologie dominante sert la
finance.
4. BHL, la politique et les affaires
Une fonction résume mieux que toutes
les autres la position charnière entre la politique et les affaires de
BHL : celle de président de l’association des Amis de Marrakech. Dans
cette capitale culturelle et touristique du Maroc – premier producteur
de cannabis du monde – se retrouvent tous ceux qui comptent en France.
Et BHL y rencontre des soutiens aussi bien à gauche qu’à droite. En
1985/86 il participe à la campagne de GLOBE « Tonton, laisse pas béton
» et recevra en 1992 l’aide du Crédit Lyonnais et d’Elf Aquitaine
international, présidé depuis Genève par Alfred Sirven, pour
transformer son mensuel en hebdomadaire. Il sera à la même époque
président de la commission d’avances sur recettes du cinéma, poste où
il a été nommé en 1991 par Jack Lang. Ce qui ne l’empêchera pas de
devenir en 1993 – cette fois sur la proposition d’Alain Carignon –
président du conseil de surveillance d’Arte.
Et Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l’Elysée,
n’hésita pas à le comparer au Christ après l’échec de son film en 1997
!
On croise aussi dans les parages de
BHL, Alain Minc, le président-bailleur de fonds de l’association des
lecteurs du « Monde » mais aussi Jean-François Kahn qui occupe dans «
Marianne » le créneau du politiquement incorrect dans les limites que
permettent la décence et les soutiens financiers reçus…
Ainsi BHL n’est pas seulement le «
philosophe enseigné dans aucune université, journaliste mêlant le vrai
et le totalement faux, cinéaste de raccroc, écrivain sans vrai œuvre
littéraire, (ni) l’icône d’une société des médias où la simple
apparence pèse infiniment plus que le fond des choses » (p. 203/4) ;
BHL est aussi et surtout l’homme charnière de l’idéologie et des
médias dominants.
Andrea Massari
© Polémia
02/06/06