P. Raniero Cantalamessa
Deuxième prédication de
l’Avent
« Heureux les artisans de
paix car ils seront appelés fils de Dieu »
1. Le message pour la
journée mondiale de la paix
Les béatitudes ne suivent
pas un ordre logique particulier. A l’exception de la première
qui donne le ton à toutes les autres, on peut les analyser
séparément, sans en compromettre le sens. Le message du pape
pour la journée mondiale de la paix m’a conduit à remettre à
une autre occasion la réflexion sur la troisième béatitude,
celle des doux, et à me consacrer à celle des artisans de
paix. Il est important en effet que le message de la paix
destiné au monde entier soit accueilli, médité et qu’il porte
avant tout des fruits ici, parmi nous, au cœur de l’Eglise.
Le message de cette année
est un message pour la paix à grande échelle ; il va du
domaine personnel aux domaines plus vastes de la politique, de
l’économie, de l’écologie, des organismes internationaux. Des
milieux divers mais unis de par l’attention qu’ils portent à
un thème fondamental : la personne humaine, comme le dit le
titre du message « La personne humaine, cœur de la paix ».
L’affirmation fondamentale
contenue dans ce message offre une clef de lecture pour tout
l’ensemble; il y est dit : « La paix est aussi à la fois un
don et une tâche. S'il est vrai que la paix entre les
individus et entre les peuples — capacité de vivre les uns à
côté des autres en tissant des relations de justice et de
solidarité — représente un engagement qui ne connaît pas de
répit, il est aussi vrai, et même encore plus vrai, que la
paix est un don de Dieu. La paix est en effet une
caractéristique de l'agir divin, qui se manifeste à la fois
dans la création d'un univers ordonné et harmonieux, et dans
la rédemption de l'humanité, qui a besoin d'être rachetée du
désordre du péché. Création et rédemption offrent donc la clé
de lecture qui introduit à la compréhension du sens de notre
existence sur la terre » (1).
Ces paroles nous aident à
comprendre la béatitude « Heureux les artisans de paix » qui
jette, à son tour, une lumière particulière sur ces paroles.
L’imminence de Noël donne un ton spécial, liturgique, à notre
méditation. La nuit de Noël, nous entendrons les paroles de
l’hymne angélique: « Paix sur la terre aux hommes qu’Il aime
(le Seigneur) », qui ne veut pas dire: que la paix soit, mais
la paix est. Il ne s’agit donc pas d’un souhait mais d’une
nouvelle « Le Noël du Seigneur, disait saint Léon le Grand,
est le Noël de la paix » : Natalis Domini natalis est pacis
(2).
2. Qui sont les artisans
de paix
La septième béatitude nous
dit : « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés
fils de Dieu ». Avec celle des miséricordieux, cette béatitude
est la seule qui suggère, non seulement une manière d’ « être
» (pauvres, affligés, doux, purs de cœur), mais également ce
qu’il faut « faire ». Le terme eirenopoioi indique ceux qui
oeuvrent pour la paix, ceux qui font la paix. Pas tellement en
ce sens qu’ils se réconcilient avec leurs ennemis mais qu’ils
aident les ennemis à se réconcilier. « Ce sont des hommes qui
aiment vraiment la paix, au prix même de compromettre leur
propre paix personnelle ; qui interviennent dans les conflits
pour susciter la paix et rétablir la concorde entre toux ceux
qui sont divisés ». (3)
Artisans de paix n’est donc
pas synonyme de pacifiques, à savoir des personnes calmes et
tranquilles qui évitent les différends autant qu’elles le
peuvent (ces derniers sont proclamés « bienheureux » par une
autre béatitude, la béatitude des « doux »). Cette expression
n’est pas non plus synonyme de pacifistes, si l’on entend par
pacifistes ceux qui se rangent contre la guerre, ou prennent
partie contre l’un ou l’autre des belligérants, sans jamais
rien entreprendre pour tenter de les réconcilier. Le terme
plus juste est pacificateurs.
A l’époque du Nouveau
Testament, c’était les souverains, notamment l’empereur
romain, que l’on qualifiait de pacificateurs. Auguste plaçait
le fait d’avoir rétabli la paix dans le monde à travers ses
victoires militaires parta victoriis pax, au sommet de ses
œuvres, et il fit construire à Rome le célèbre « Ara Pacis »,
l’autel de la paix. La béatitude évangélique entend s’opposer
à cette prétention en nous disant qui sont les véritables
artisans de paix et comment il convient de promouvoir cette
paix : non pas en détruisant l’ennemi, mais l’inimitié, comme
l’a fait Jésus sur la Croix (Ep 2 ).
De nos jours, la plupart des
personnes estiment toutefois que la béatitude doit être lue en
tenant compte de la Bible et des sources du judaïsme, selon
lesquelles aider des personnes en conflit à se réconcilier est
l’une des principales œuvres de miséricorde. Le Christ affirme
que la béatitude des artisans de paix vient du commandement
nouveau de l’amour fraternel, qu’elle est une manière dont
s’exprime l’amour du prochain.
En ce sens on dirait qu’elle
est par excellence la béatitude de l’Eglise de Rome et de son
évêque. L’un des services les plus précieux rendus à la
chrétienté par le pape a toujours été celui de promouvoir la
paix entre les différentes Eglises et, à certaines époques,
également entre les princes chrétiens. La première lettre
apostolique d’un pape, celle de saint Clément I, écrite autour
de l’an 96 (peut-être encore avant le quatrième Evangile), fut
écrite pour ramener la paix dans l’Eglise de Corinthe déchirée
par les discordes. Il s’agit d’un service que l’on ne peut pas
rendre sans un certain pouvoir royal de juridiction. Pour
comprendre à quel point il est précieux, il suffit de
constater les difficultés qui surgissent lorsqu’il est absent.
L’histoire de l’Eglise est
riche d’épisodes dans lesquels des Eglises locales, des
évêques ou des abbés, en désaccord les uns avec les autres ou
avec leur propre troupeau, ont eu recours au pape comme
arbitre de paix. Je suis certain qu’aujourd’hui encore, il
s’agit de l’un des services les plus fréquents, même s’il
s’agit de l’un des moins connus, rendus à l’Eglise
universelle. La diplomatie vaticane et les nonces apostoliques
trouvent eux aussi leur justification dans le fait d’être des
instruments au service de la paix.
3. La paix comme un don
Mais le véritable et suprême
« artisan de paix » n’est pas un homme, c’est Dieu lui-même.
Précisément pour cette raison, ceux qui œuvrent pour la paix
sont appelés « fils de Dieu » : parce qu’ils lui ressemblent,
parce qu’ils l’imitent, parce qu’ils font ce qu’Il fait lui.
Le message papal dit que la paix est caractéristique de l’agir
de Dieu dans la création et la rédemption, c’est-à-dire aussi
bien dans l’agir de Dieu que dans celui du Christ.
L’Ecriture parle de la «
paix de Dieu » (Ph 4, 7) et plus souvent encore du « Dieu de
la paix » (Rm 15, 33). « Paix » n’indique pas ici seulement ce
que Dieu fait ou donne, mais également ce que Dieu est. La
Paix est ce qui règne en Dieu. Presque toutes les religions
qui sont nées autour de la Bible connaissent des mondes divins
vivant des conflits internes. Les mythes cosmogoniques
babyloniens et grecs font état de divinités qui se font la
guerre les unes les autres. Dans la gnose hérétique chrétienne
il n’y a ni unité ni paix entre les Eons célestes, et
l’existence du monde matériel serait précisément le fruit d’un
incident ou d’un désaccord survenus dans le monde supérieur.
Sur ce fond religieux il est
plus aisé de saisir la nouveauté et l’altérité absolue de la
doctrine sur la Trinité comme union parfaite d’amour dans la
pluralité des personnes. Dans l’un de ses hymnes, l’Eglise
appelle la Trinité « océan de paix » et il ne s’agit pas
seulement d’une expression poétique. Ce qui surprend le plus
lorsque l’on contemple l’icône de la Trinité de Roublev
(reproduite dans cette chapelle sur le mur en face, au-dessus
de la Vierge siégeant sur le trône) est le sentiment de paix
surhumaine qui en émane. Le peintre a réussi à traduire, dans
une image, la devise de saint Serge de Radonej, pour le
monastère duquel l’icône a été peinte : « Vaincre l’odieuse
discorde de ce monde en contemplant la Très Sainte Trinité ».
C’est le Pseudo-Denys
l’Aréopagite qui a le mieux célébré cette paix qui vient de
l’au-delà de l’histoire. Pour lui, la paix est l’un des « noms
de Dieu », au même titre que « amour » (4). Du Christ
également il est dit qu’Il est lui-même notre paix (Ep 2,
14-17). Lorsqu’il dit : « je vous donne ma paix », il nous
transmet ce qu’il est.
Il existe un lien
indissoluble entre la paix comme don d’en haut et l’Esprit
Saint ; ce n’est pas sans raison qu’ils sont tous deux
représentés par le symbole de la colombe. Le soir de Pâques
Jésus donna aux disciples, presque en un seul souffle, la paix
et l’Esprit Saint : « Paix à vous !... Ayant dit cela il
souffla et leur dit : ‘Recevez l’Esprit Saint’ » (Jn 20,
21-22). La paix, dit saint Paul, est un « fruit de l’Esprit »
(Ga 5, 22).
On comprend dès lors ce que
signifie être artisan de paix. Il ne s’agit pas d’inventer ou
de créer la paix, mais de la transmettre, de laisser passer la
paix de Dieu et la paix du Christ « qui dépasse toute
intelligence ». « A vous grâce et paix, de par Dieu, notre
Père et le Seigneur Jésus Christ » (Rm 1,7) : telle est la
paix que l’Apôtre transmet aux chrétiens de Rome.
Nous ne devons ni ne pouvons
être des sources mais seulement des « canaux » de la paix. La
prière attribuée à saint François d’Assise l’exprime à la
perfection : « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix
», que les anglais traduisent très justement par : Fais de moi
un canal de ta paix, make me a channel of your peace.
Mais quelle est cette paix
dont nous parlons ? La définition que saint Augustin en
donne est la définition classique : « La paix est la
tranquillité de l’ordre » (5). En se basant sur cette
définition, saint Thomas ajoutera qu’il existe dans l’homme
trois types d’ordre : avec soi-même, avec Dieu, et avec son
prochain ; et qu’il existe, par conséquent, trois formes de
paix : la paix intérieure qui permet à l’homme d’être en paix
avec lui-même ; la paix qui lui permet d’être en paix avec
Dieu, pleinement soumis à ses dispositions, et la paix
relative à son prochain, par laquelle il vit en paix avec tout
le monde » (6).
Dans la bible, le mot
shalom qui veut dire paix, va toutefois au-delà de la
simple tranquillité de l’ordre. Il indique également le
bien-être, le repos, la sécurité, le succès, la gloire. Il
indique même parfois la totalité des biens messianiques et est
synonyme de salut et de bien : « Qu’ils sont beaux, sur les
montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix, du
messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut » (Is 52,
7). La nouvelle alliance est appelée une « alliance de paix »
(Ez 37, 26), l’évangile « évangile de la paix » (Ep 6, 15),
comme si ce mot paix résumait tout le contenu de l’alliance et
de l’évangile.
Dans l’Ancien Testament, le
mot paix va souvent de pair avec le mot justice : « Justice et
paix s’embrassent » (cf. Ps 85, 11) et dans le Nouveau
Testament avec le mot grâce. Lorsque saint Paul écrit : «
Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en
paix avec Dieu » (Rm 5,1), il est clair que l’expression « en
paix avec Dieu » revêt la même signification prégnante que
l’expression « dans la grâce de Dieu ».
4. La paix comme une
tâche
Le message du pape dit
cependant que la paix, en plus d’être un don, est aussi une
tâche. Et c’est de la paix comme tâche que nous parle en
premier lieu la béatitude des artisans de paix.
La condition pour pouvoir
être des canaux de paix est de rester unis à la source de la
paix qui est la volonté de Dieu : « Dans sa volonté se
trouve notre paix », fait dire Dante à une âme du
Purgatoire. Le secret de la paix intérieure est l’abandon
total et toujours renouvelé à la volonté de Dieu. Pour
conserver ou retrouver cette paix, il est utile de répéter
souvent, intérieurement, avec sainte Thérèse d’Avila « Que
rien ne te trouble, Que rien ne t'effraie, Tout passe, Dieu ne
change pas, La patience permet tout, Qui en Dieu a foi, Ne
manquera de rien, Seul Dieu suffit ».
La parénèse apostolique est
riche d’indications pratiques sur ce qui favorise ou ce qui
constitue un obstacle à la paix. L’un des passages les plus
célèbres est celui de la Lettre de Jacques : « Car la jalousie
et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes
d'actions malfaisantes. Au contraire, la sagesse qui vient de
Dieu est d'abord droiture, et par suite elle est paix,
tolérance, compréhension ; elle est pleine de miséricorde et
féconde en bienfaits, sans partialité et sans hypocrisie.
C'est dans la paix qu'est semée la justice, qui donne son
fruit aux artisans de la paix » (Jc 3, 16-18).
Tout effort pour
construire la paix doit partir de ce domaine très personnel.
La paix est comme le sillon d’un beau navire qui s’élargit
jusqu’à l’infini, mais commence par une pointe, et la pointe
est, dans ce cas, le cœur de l’homme. L’un des messages de
Jean-Paul II pour la Journée mondiale de la paix, celui de
1984, avait pour titre : « La paix naît d’un cœur nouveau ».
Mais ce n’est pas sur ce
domaine personnel que je voudrais insister. Un champ de
travail nouveau, difficile et urgent s’ouvre aujourd’hui aux
artisans de paix : promouvoir la paix entre les religions et
avec la religion, c’est-à-dire aussi bien des religions entre
elles que des croyants des différentes religions avec le monde
laïc non croyant. Le message du pape consacre un paragraphe
aux difficultés que l’on rencontre dans ce domaine. Il dit :
« Pour ce qui concerne la
libre expression de la foi, un autre symptôme préoccupant du
manque de paix dans le monde est constitué par les difficultés
que rencontrent souvent aussi bien les chrétiens que les
croyants d'autres religions à professer publiquement et
librement leurs convictions religieuses… Il y a des régimes
qui imposent à tous une religion unique, tandis que des
régimes indifférents nourrissent non pas une persécution
violente, mais une dérision culturelle systématique des
croyances religieuses. Dans tous les cas, un droit humain
fondamental n'est pas respecté, avec des répercussions graves
sur la convivialité pacifique. Cela ne peut que promouvoir une
mentalité et une culture négatives pour la paix » (n. 5).
Nous avons un exemple,
précisément ces jours-ci, de cette dérision culturelle des
croyances religieuses ou au moins de la tentative de
marginalisation de ces croyances, avec la campagne organisée
dans différents pays et villes d’Europe contre les symboles
religieux de Noël. On donne souvent comme prétexte la volonté
de ne pas offenser les personnes d’autres religions qui vivent
parmi nous, spécialement les musulmans. Mais il s’agit d’un
prétexte, d’une excuse. En réalité, c’est un certain monde
laïciste qui refuse ces symboles, ce ne sont pas les
musulmans. Ceux-ci n’ont rien contre le Noël chrétien, qu’en
réalité ils honorent même.
Nous sommes arrivés à une
situation absurde où de nombreux musulmans célèbrent la
naissance de Jésus, veulent faire une crèche dans leur maison
et vont même jusqu’à dire que « celui qui ne croit pas à la
naissance miraculeuse de Jésus n’est pas musulman » (7) et où
certaines personnes, qui se disent chrétiennes veulent faire
de Noël une fête hivernale uniquement peuplée de rennes et
d’ours en peluche.
Dans le Coran, il y a une
sourate consacrée à la naissance de Jésus qu’il vaut la peine
de connaître, également pour favoriser le dialogue et l’amitié
entre les religions. Elle dit :
« 45. (Rappelle-toi,) quand
les Anges dirent : Ô Marie, voilà qu'Allah t'annonce une
parole de Sa part : son nom sera “al-Masih” “Hissa”, fils de
Marie, illustre ici-bas comme dans l'au-delà… 46. Il parlera
aux gens, dans le berceau et en son âge mûr et il sera du
nombre des gens de bien”. 47. - Elle dit : “Seigneur ! Comment
aurais-je un enfant, alors qu'aucun homme ne m'a touchée ? ” -
“C'est ainsi ! ” dit-Il. Allah crée ce qu'Il veut. Quand Il
décide d'une chose, Il lui dit seulement : “Sois”; et elle est
aussitôt » (8).
Dans l’émission faisant
partie de la série sur l’évangile du dimanche « A son image »,
qui sera transmise par Rai Uno demain soir, j’ai demandé à un
frère musulman de lire lui-même ce passage et il l’a fait avec
une grande joie, se disant heureux de contribuer à clarifier
un malentendu qui nuit, disait-il, aux croyants musulmans
eux-mêmes, sous prétexte de favoriser leur cause.
La raison qui permet un
dialogue entre les religions fondées non seulement sur les
raisons d’opportunité que nous connaissons, mais sur un solide
fondement théologique, est que « nous avons tous un Dieu
unique », comme le rappelait le Saint-Père à l’occasion de sa
visite à la Mosquée bleue d’Istanbul. C’est la vérité de
laquelle est également parti saint Paul dans son discours à
l’aréopage d’Athènes (cf. Ac 17, 28).
Nous avons, de manière
subjective, des idées différentes sur Lui. Pour nous
chrétiens, Dieu est « le Père de Notre Seigneur Jésus Christ »
que l’on ne peut connaître pleinement que
« par lui », mais de manière
objective nous savons bien qu’il ne peut exister qu’un Dieu.
Il n’y a « qu’un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus
de tous, par tous et en tous » (Ep 4, 6).
Notre foi dans l’Esprit
Saint est également un fondement théologique du dialogue.
Comme Esprit de la rédemption, Esprit du Christ et de la
grâce, il est le lien de la paix entre les baptisés des
différentes confessions chrétiennes ; comme Esprit de la
création, Spiritus creator, il est un lien de paix entre les
croyants de toutes les religions et même entre tous les hommes
de bonne volonté. « Toute vérité, quelle que soit la personne
l’ayant dite, a écrit saint Thomas d’Aquin, vient de l’Esprit
Saint » (9).
De même cependant que cet
Esprit créateur tendait vers le Christ dans les textes des
prophètes de l’Ancien Testament (1P 1, 11) nous croyons que,
d’une manière connue de Dieu seul, il tend aujourd’hui vers le
Christ et son mystère pascal dans son action en dehors de
l’Eglise. De même que le Fils ne fait rien sans le Père,
l’Esprit Saint ne fait rien sans le Fils.
Le récent voyage du
Saint-Père en Turquie a entièrement été une œuvre pour la paix
religieuse, qui s’est révélé fructueux, comme tout ce qui naît
sous le signe de la croix : paix entre l’Eglise chrétienne
d’orient et l’Eglise d’occident, paix entre le christianisme
et l’islam. « Cette visite nous aidera à trouver ensemble les
moyens et les voies de la paix pour le bien de l’humanité »,
avait commenté le Saint-Père à l’occasion de la prière
silencieuse dans la Mosquée bleue.
5. Une paix sans religions ?
L’occident sécularisé
souhaite, à vrai dire, un type différent de paix religieuse,
celui qui résulte de la disparition de toute religion.
Imagine que le paradis
n’existe pas,/ c’est facile si tu essaies. /Aucun enfer
au-dessous de nous,/ rien d’autre que le ciel au-dessus de
nous.
Imagine toutes les
personnes, /qui vivent pour aujourd’hui, /imagine qu’il
n’existe pas de pays. /Ce n’est pas difficile. /Rien pour
lequel tuer ou mourir et/ plus aucune religion.
Imagine toutes les
personnes, /qui vivent leur vie en paix / Tu pourras dire que
je suis un rêveur/ Mais je ne suis pas le seul./ J’espère
qu’un jour tu t’uniras à nous /et le monde ne sera qu’un. (10)
Cette chanson, écrite par
l’une des plus grandes idoles de la musique légère moderne,
sur une mélodie caressante, est devenue une espèce de
manifeste civil du pacifisme. Si cela devait se réaliser, le
monde souhaité ici serait le plus pauvre et le plus laid que
l’on puisse imaginer ; un monde plat, ou sont abolies toutes
les différences, ou les personnes sont destinées à
s’entre-déchirer, et non pas à vivre en paix, car, comme l’a
mis en lumière René Girard, là ou tous veulent les mêmes
choses, le « désir mimétique » se déchaîne et avec lui la
rivalité et la guerre.
Nous croyants, nous ne
pouvons pas nous laisser aller à des ressentiments et des
polémiques, pas même contre le monde sécularisé. Un autre
objectif est en train d’apparaître, à côté du dialogue et de
la paix entre les religions, pour les artisans de paix : celui
de la paix entre les croyants et les non-croyants, entre les
religieux et le monde sécularisé, indifférent ou hostile à la
religion.
Cela sera un autre banc
d’essai : donner raison, également avec fermeté, de
l’espérance qui est en nous, mais le faire comme exhorte la
Lettre de Pierre, et comme en donne l’exemple son successeur
actuel « avec douceur et respect » (1 P 3, 15, 16). Respect ne
signifie pas dans ce cas « respect humain », de garder Jésus
caché pour ne pas susciter des réactions. C’est le respect
d’une intériorité connue de Dieu seul et que personne ne peut
violer ou contraindre à changer. Ce n’est pas mettre Jésus
entre parenthèses mais montrer Jésus et l’évangile, à travers
la vie. Nous formons seulement le vœu que les chrétiens soient
traités avec un respect semblable, un respect qui jusqu’à
présent a malheureusement souvent fait défaut.
Nous terminons en revenant
par la pensée à Noël. Un antique répons des matines de Noël
disait : « Hodie nobis de caelo pax vera descendit. Hodie per
totum mundum melliflui facti sunt caeli Aujourd’hui est
descendue pour nous du ciel la paix véritable. Aujourd’hui les
cieux font ruisseler le miel sur le monde ».
Comment rendre au Père le
don infini qu’il fait au monde, en donnant pour lui son Fils
Unique ? S’il y a une gaffe à ne pas faire à Noël, c’est bien
celle de recycler un cadeau en l’offrant par erreur, à la
personne même qui nous l’a donné. Eh bien, avec Dieu, il est
impossible de ne pas faire cette gaffe en permanence ! Le seul
remerciement possible est l’Eucharistie : lui offrir à nouveau
Jésus son Fils, devenu notre frère.
Et qu’offrirons-nous à Jésus
? Un texte de la liturgie orientale de Noël dit : « Que
pouvons-nous t’offrir, ô Christ, pour t’être fait homme sur la
terre ? Toute créature t’apporte le signe de sa reconnaissance
: les anges leurs chants, les cieux leur étoile, la terre une
grotte, le désert une crèche. Mais nous, nous t’offrons une
Mère vierge ! » (11)
Saint-Père, vénérables
pères, frères et sœurs : merci de votre patiente écoute et
Joyeux Noël !
___________________________________
NOTES
1. Benoît XVI, « La personne
humaine, cœur de la paix ». Message pour la journée mondiale
de la paix 2007.
2. St. Léon le Grand,
Traités 26 (CC 138, linea130)
3. J. Dupont, Le beatitudini,
III, p.1001.
4. Pseudo Dionigi Areopagita,
Nomi divini, XI, 1 s (PG 3, 948 s).
5. S. Agostino, La città di
Dio, XIX, 13 (CC 48, p. 679).
6. Cf. S. Tommaso d’Aquino,
Commento al vangelo di Giovanni, XIV, lez.VII, n.1962.
7. Magdi Allan, “Noi
musulmani diciamo sì al presepe”, “Il Corriere della sera” 18
Dicembre 2006, p. 18.
8. Corano, Sura III, trad.
di M.M. Moreno, Torino, UTET, 1971, p. 65.
9. S. Tommaso d’Aquino,
Somma teologica, I-IIae q. 109, a. 1 ad 1; Ambrosiaster, Sulla
prima lettera ai Corinti, 12, 3 (CSEL 81, p.132).
10. John Lennon, "Imagine
there’s no heaven / it’s easy if you try. / No hell below us /
above us only sky. Imagine all the people / living for today./
Imagine there’s no countries / it isn’t hard to do. / Nothing
to kill or die for / and no religion too. /Imagine all the
people / living for today./ Imagine there’s no countries / it
isn’t hard to do./ Nothing to kill or die for /and no religion
too...Imagine all the people / living life in peace. / You may
say I’m a dreamer / But I’m not the only one./ I hope someday
you’ll join us / and the world will live as one”.
11. Idiomelon ai Grandi
Vespri di Natale.