Bienvenue dans Second Life, la
plus novatrice communauté virtuelle. Plus de 1,7 million de
personnes gravitent déjà jour et nuit dans ce monde réticulaire
lancé en avril 2003 par la société californienne Linden Lab. Des
"résidents" matérialisés par leurs avatars, images fidèles ou
sublimées de leur personnalité.
Chaque jour, des centaines de
nouveaux membres affluent, attirés notamment par le bruit
médiatique des derniers mois : ils choisissent un pseudo et
habillent sur catalogue leur "représentation virtuelle" pour vivre
une seconde existence par écran interposé. Le nombre de
"résidents" a quintuplé depuis mai. Ils sont près de 20 000 en
France. Certains se contentent de regarder ce qui se passe,
d'autres achètent un "espace", y construisent leur maison ou leur
boutique pour vendre des objets de leur création : costumes pour
personnaliser un avatar, peintures, gadgets, jeux... D'autres
cherchent l'âme soeur où l'aventure virtuelle d'un soir. Une
véritable minisociété qui dispose même d'une monnaie : le Linden
dollar (357 pour 1 euro). En octobre, plus de 230 000 euros ont
été dépensés par jour à l'intérieur de Second Life, dont une
version française est prévue pour fin 2006. Les adaptations
chinoises, coréennes et japonaises sont en préparation.
Second Life est-il un simple
jeu, à l'image de Word of Warcraft qui fanatise des millions
d'adolescents devant leurs écrans ? Pas seulement. "Même si la
grande majorité des personnes viennent encore pour jouer, le
profil des utilisateurs, en moyenne des trentenaires, est de plus
en plus large, avec notamment l'arrivée de projets d'entreprises",
note l'Italien Giulio Prisco, consultant ès mondes virtuels avec
sa société Uvvy. "Il n'y a pas un but ludique unique dans
Second Life comme un monstre à tuer, précisent Dan Benzakein
et Nicolas Barrial qui préparent avec leur société Extralab la
version française, c'est avant tout un
nouvel espace de communication et de navigation en trois
dimensions."
L'expérience est en tout cas
potentiellement assez lucrative pour que de grandes sociétés
veuillent ne pas rater le coche. Nissan, Coca-Cola, Toyota,
Reebok, les chaînes NBC, MTV y organisent des "événements".
Reuters y a ouvert un bureau de presse. Dell y propose de
construire à la carte son ordinateur... L'objet, bel et bien réel,
est ensuite envoyé à domicile.
IBM va déjà plus loin. Son PDG,
Sam Palmisano, a annoncé vouloir investir 10 millions de dollars
dans ce secteur. Le groupe mise sur l'essor futur du "v-business",
le business virtuel, à l'image du "e-business" qui s'est
développé, il y a dix ans, sur Internet. L'entreprise a acheté
dans Second Life, il y a plus d'un an, une demi-douzaine d'îles
privées accessibles uniquement par code d'accès. Une sorte d'extranet
géant, dans lequel des salariés se réunissent et observent de
l'intérieur ces nouveaux territoires. La multinationale, qui
réalise la moitié de son activité dans les services, veut
notamment évaluer les possibles applications de cet outil dans des
domaines aussi divers que la formation à distance, la médecine, le
marketing, la finance...
"Nous n'en sommes qu'aux
prémices de toute ce qui peut se développer dans ces mondes",
estime Catherine Smith, directrice du marketing de Linden Lab.
"Comme au début des années 1990, quand personne n'avait imaginé le
devenir d'Internet." Ces potentialités aiguisent les appétits.
Linden Lab a réalisé en mars une augmentation de capital auquel a
participé... Jeff Bezos, le dirigeant d'Amazon.com.
La multiplication des univers
virtuels est en marche. Ainsi, la start-up américaine Multiverse,
fondée par des anciens de Netscape, veut "démocratiser" les mondes
virtuels en créant une plate-forme technologique libre qui
permette à tout un chacun de concevoir son monde et d'utiliser un
navigateur unique pour visiter l'ensemble des espaces. "Plus de
6 500 clients, du créateur dans son garage à des multinationales,
se sont enregistrés. Et les projets ne sont pas seulement des
jeux", explique Corey Bridges, cofondateur de Multiverse.
Ainsi, Edward Castronova, professeur de télécommunications à
l'Indiana University Bloomington, met au point Arden, un programme
de formation virtuel et ludique sur les oeuvres de Shakespeare.
Michael Sellers, un des
pionniers des jeux en ligne, réfléchit, lui, à une nouvelle
génération de formation à distance et de technique de simulation.
"Ces mondes sont un nouveau média qui arrive au moment où les
gens sont prêts à interagir entre eux dans un environnement
virtuel, estime M. Bridges. Ils peuvent être utilisés pour le
loisir, l'éducation ou le travail. Les usages sont infinis." Cette
révolution programmée n'est possible que par le développement
mondial du haut débit qui rend la navigation sur Internet beaucoup
plus rapide.
Les promoteurs des mondes
virtuels voient déjà plus loin. "Aujourd'hui, ces espaces sont
accessibles via un ordinateur. La multiplication des écrans et des
supports va permettre dans la prochaine décennie de décupler les
expériences immersives", anticipe Giulio Prisco. Mais avant
que des milliards d'avatars ne déferlent sur la Toile, les mondes
virtuels sont rattrapés par la réalité. Le gouvernement australien
aimerait bien taxer les transactions générées à l'intérieur de ces
communautés. Les Britanniques et les Américains disent y
réfléchir. Une commission d'enquête du Congrès américain est en
cours.