Face au "renforcement" des forces
militaires des pays de l'OTAN, la Russie élabore une nouvelle
doctrine militaire pour remplacer l'ancienne, adoptée il y a sept
ans, a averti, lundi 5 mars, le Conseil russe de sécurité. La
déclaration fait écho aux tensions survenues récemment dans les
relations avec les Etats-Unis. Exprimées par le président russe,
Vladimir Poutine, à Munich, auteur d'une harangue contre
l'unilatéralisme de Washington, l'inquiétude de l'élite
politico-militaire russe ne fait que croître depuis l'annonce du
projet américain de déploiement d'un bouclier antimissile en Europe
centrale (Pologne, République tchèque).
Les Etats-Unis ont eu beau
souligner à plusieurs reprises que leur bouclier n'était pas dirigé
contre la Russie, mais destiné à les protéger d'attaques de pays
comme l'Iran ou la Corée du Nord, Moscou n'en croit rien et menace
de reprendre sa production de missiles de moyenne portée si les
éléments du bouclier sont installés dans ce qu'elle continue de
percevoir comme sa zone d'influence. "Voilà qui crée une troisième
zone de positionnement pour le système antimissile américain et pas
pour l'OTAN. Et visiblement l'Europe orientale ne semble pas avoir
eu son mot à dire dans la décision d'utiliser cette zone à des fins
militaires", commentait récemment Evgueni Primakov, l'ancien maître
espion de l'époque de la guerre froide, dans l'édition du 2 mars du
quotidien Les Nouvelles de Moscou.
La déclaration du Conseil russe de
sécurité ne mentionne pas les Etats-Unis mais pointe le renforcement
de l'OTAN comme le facteur qui a incité la Russie à changer de
doctrine. Selon le communiqué officiel du Conseil de sécurité : "La
politique militaire des principaux pays consacre de plus en plus
d'énergie à la modernisation des forces militaires (...). Ils se
dotent activement de moyens modernes de lutte, modulent le
savoir-faire des armées, modifient la configuration de leur présence
militaire et les alliances militaires, l'OTAN au premier chef, sont
renforcées."
La nécessité d'une nouvelle
doctrine militaire avait été soulignée, en février, par le chef
d'état-major, le général Iouri Balouevski, qui l'avait justifiée en
mettant en avant l'expansion économique, politique et militaire des
Etats-Unis dans la zone traditionnelle d'influence de la Russie,
qualifiée de "véritable menace nationale". Les déclarations récentes
du général américain Henry Obering, selon lequel les Etats-Unis non
seulement entendent poursuivre leur projet d'installation du
bouclier antimissile en Europe mais projettent également de déployer
un radar mobile dans le Caucase, n'ont fait que raviver le
mécontentement.
Lundi 5 mars, le
général-lieutenant Igor Khvorov, en charge de la défense stratégique
aérienne, a déclaré qu'il serait aisé pour les bombardiers russes de
détruire les éléments du bouclier antimissile américain. "Comme tous
les éléments du système de défense antimissile sont des objets
faiblement protégés, tous nos types d'avions sont capables de les
brouiller et de les détruire", a-t-il déclaré, précisant que
l'aviation russe allait se doter de deux bombardiers stratégiques
modernisés Tu-160 dès 2007. Fin mars ou début avril, ces avions
participeront à un exercice de largage de bombes, a-t-il souligné.
Voyant plus loin, son supérieur, le général Vladimir Mikhaïlov, a
déclaré de son côté que la Russie devait se préparer à de futures
guerres dans l'espace.
Ambitionnant de redevenir un
acteur de poids sur la scène internationale et de contrebalancer la
puissance américaine, la Russie, forte de ses pétrodollars, cherche
à moderniser ses équipements militaires. Il est prévu que 144
milliards d'euros soient consacrés d'ici à 2015 à un ambitieux
programme de modernisation de ses armements.
Candidat présumé à l'élection
présidentielle de mars 2008, le vice-premier ministre Sergueï
Ivanov, un ancien collègue de Vladimir Poutine au KGB, a été
récemment confirmé à la tête de ce secteur. Car c'est bien sûr le
complexe militaro-industriel que le gouvernement russe "mise pour
diversifier l'économie", a indiqué le premier ministre russe,
Mikhaïl Fradkov. Présidant, le 27 février, la commission
militaro-industrielle, Sergueï Ivanov a annoncé le lancement d'un
programme d'armement "de cinquième génération" dans le domaine des
antimissiles et de la défense spatiale pour 2007-2015. Son projet
est-il réaliste ? L'analyste militaire Alexandre Golts en doute.
Mettant en avant le retard pris par la Russie dans ce domaine, il
rappelle que le missile S-400, présenté par Sergueï Ivanov comme un
élément du nouveau système de défense antiaérienne bientôt mis en
service, a été créé en 1980 et qu'il a fallu vingt-sept ans pour le
mettre au point.
Marie Jégo
RÉFÉRENCES
BUDGET DE LA DÉFENSE.
Le budget de la défense russe est
difficile à évaluer : officiellement, il a atteint 19 milliards de
dollars (2,45 % du PIB) en 2005. Mais ce montant ne tient pas compte
des forces paramilitaires, des pensions, etc. Toutes dépenses
militaires confondues, le budget dépasse 30 milliards de dollars
(3,4 % du PIB).
ARMES STRATÉGIQUES.
Les Russes ont annoncé en juin
2006 leur intention de déployer de nouvelles armes stratégiques
capables de pénétrer le bouclier américain. Il s'agit des missiles
mobiles Topol-M et Bulava (pour la marine) dont la portée dépasse 10
000 km.